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Cour fédérale

 

 

 

 

Federal Court

 

Date : 20090521

Dossier : IMM-3890-08

Référence : 2009 CF 526

Ottawa (Ontario), le 21 mai 2009

En présence de madame la juge Heneghan

 

ENTRE :

ANDREY KORNIENKO

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               M. Andrey Kornienko (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue en août 2008. Dans cette décision, la Commission a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni celle de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

 

[2]               Le demandeur est un citoyen russe de la ville d’Irkoutsk, située en Sibérie. Il exploitait une entreprise d’équipement de sport. En octobre 2002, deux hommes ont commencé à lui extorquer 200 $ par mois. Environ 11 mois plus tard, ceux-ci ont haussé leurs exigences à 1000 $ par mois, somme que le demandeur n’était pas en mesure de payer. Ce dernier prétend que les extorqueurs l’ont suivi lors d’une excursion à l’extérieur de la ville et l’ont battu. Il s’est rendu à un hôpital où il a établi un rapport, et les forces policières ont été appelées. Selon le demandeur, les forces policières lui ont conseillé de passer cette affaire sous silence et étaient d’avis que ses blessures étaient attribuables à un accident de ski.

 

[3]               Le demandeur a aussi affirmé que les extorqueurs avaient volé des ordinateurs de son atelier. Il a sollicité leur recouvrement auprès de sa compagnie d’assurance. À la suite du refus de sa réclamation, il a intenté une action en justice, qui a été rejetée. Le demandeur prétend que le tribunal russe a été soudoyé pour rendre cette décision.

 

[4]               Le demandeur a ensuite renvoyé sa réclamation à l’arbitrage. Peu après, un chien mort, ainsi qu’une note indiquant qu’il subirait le même sort s’il n’abandonnait pas le processus d’arbitrage, ont été déposées à sa porte.

 

[5]               À cette époque, soit en février 2005, le demandeur a demandé à sa femme de déménager à la résidence de sa mère, puis a quitté la Russie pour le Canada. Il a demandé à un voisin de veiller sur son appartement. En août 2005, ce voisin lui a appris que son appartement avait fait l’objet de vandalisme et que les individus qui ont causé les dommages ont affirmé l’avoir fait au nom de la compagnie d’assurance.

 

[6]               Le demandeur est entré au Canada en mars 2005. Lorsqu’il a été avisé du saccage de son appartement, soit en août 2005, il a déposé une demande d’asile.

 

[7]               La Commission a conclu que le fondement de la demande d’asile du demandeur était la criminalité, soit l’extorsion dont il faisait l’objet. Elle a conclu que cette activité criminelle n’avait aucun lien avec les motifs d’obtention du statut de réfugié prévus à l’article 96 de la Loi; de plus, aucune preuve ne montrait que des organisations gouvernementales étaient impliquées dans les activités criminelles commises à l’endroit du demandeur. La Commission a donc estimé que le demandeur ne serait pas persécuté pour un motif prévu dans la Convention s’il retournait en Russie.

 

[8]               La Commission a ensuite déterminé si le demandeur est une personne à protéger selon l’article 97 de la Loi et a conclu que non. Se fiant à ses connaissances spécialisées, la Commission a rejeté les éléments de preuve du demandeur portant sur le rapport médical qu’il a reçu après sa visite à l’hôpital à la suite de l’agression dont il a été victime. Elle a aussi tenu compte des divers scénarios que le demandeur avait présentés au sujet de ses ennuis avec les extorqueurs et a donné des motifs pour lesquels elle ne les trouvait pas crédibles.

 

[9]               La Commission a aussi analysé la possibilité de refuge intérieur (la PRI), qu’elle avait d’ailleurs soulevée auprès du demandeur au cours de son audience. Ce dernier a rejeté l’idée d’une PRI lorsqu’elle a été évoquée. 

 

[10]           La Commission a pris acte du témoignage du demandeur voulant qu’il ait retardé le dépôt de sa demande d’asile à son arrivée au Canada, parce qu’il avait espoir que la situation s’améliore suffisamment en Russie pour qu’il puisse y revenir. La Commission a estimé que le fait d’avoir attendu six mois avant de demander l’asile prouvait l’absence de crainte subjective, affirmant que, « […] selon la prépondérance des probabilités, je conclus que l’explication fournie par le demandeur d’asile pour justifier son retard n’est pas crédible et qu’il y a absence de crainte subjective. » Pour ces motifs, la Commission a conclu que le demandeur n’était pas une personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi.

 

[11]           Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur conteste les conclusions de la Commission au sujet de la crédibilité et prétend qu’elle a erré en parvenant à ces conclusions parce qu’elle a ignoré les éléments de preuve dont elle disposait.

 

[12]           De plus, le demandeur soulève la question de l’équité procédurale et allègue que la Commission a enfreint les règles d’équité procédurale lorsqu’elle a procédé à l’audience, sans avoir auparavant sollicité une analyse judiciaire du rapport médical.

 

[13]           En vertu de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, de la Cour suprême du Canada, les décisions des tribunaux administratifs sont révisables selon la norme de la décision raisonnable lorsqu’elles portent sur des questions de fait. La crédibilité constitue une question de fait. Les questions d’équité procédurale sont révisables selon la norme de la décision correcte.

 

[14]           La première question à laquelle il faut répondre est de savoir si la Commission a commis une erreur révisable dans l’examen de la crédibilité du demandeur, plus précisément au sujet du rapport médical qu’il a produit.

 

[15]           Le rapport médical s’intitule [traduction] « Rapport d’examen judiciaire ». Il émane du département de Shelekhov du Bureau régional de médecine légale d’Irkoutsk. Le rapport énonce : [traduction] « Le patient n’a pas sollicité de soins d’urgence auprès des institutions médicales. » Cela contraste avec l’affidavit déposé à l’appui de la demande de contrôle judiciaire, dans lequel le demandeur dit, au paragraphe 15, [traduction] « Après l’agression, je me suis dirigé vers l’hôpital[…] » Lors de son témoignage devant la Commission, le demandeur a affirmé [traduction] « qu’après quelques temps, lorsque je me suis senti mieux, je suis allé dans une autre ville pour me rendre au département de traumatologie ».

 

[16]           Ces passages démontrent le type d’incohérences dans la preuve soumise à la Commission. Cette dernière a fourni des motifs clairs pour expliquer son évaluation de la preuve. À mon avis, les conclusions de la Commission au sujet de la crédibilité du demandeur étaient étayées de manière raisonnable par la preuve, de sorte que rien ne justifie l’intervention judiciaire à cet égard.

 

[17]           La Commission a-t-elle fait entorse à la justice naturelle en ne commandant pas une analyse judiciaire du dossier médical?

 

[18]           À ce sujet, je remarque que le demandeur s’appuie sur des décisions antérieures qui portent sur des erreurs commises par la Commission en omettant de confirmer l’authenticité des pièces d’identité, telles que Ramalingam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 10 (QL). Il admet que le rapport médical n’est pas une pièce d’identité, mais que la présomption de validité des documents de nature gouvernementale devrait s’appliquer, puisqu’il a été produit par une institution dirigée par l’État.

 

[19]           J’estime que le rapport médical ne constitue pas une pièce d’identité. En l’espèce, la Commission a fourni des motifs expliquant pourquoi elle a conclu que le document ne pouvait être considéré comme fiable, et pourquoi elle n’a pas cru aux éléments de preuve du demandeur portant sur les circonstances de la production du rapport médical.

 

[20]           Je me réfère à la décision Culinescu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1997), 136 F.T.R. 241, où la Cour a affirmé ce qui suit aux paragraphes 14 et 15 au sujet de l’obligation de la Commission de confirmer l’authenticité des documents :

a.                   En l'espèce, les requérants prétendent que le tribunal a commis une erreur déraisonnable en concluant que leurs prétentions au sujet de l'existence de poursuites judiciaires étaient invraisemblables. Ils fondent leur argument sur le fait qu'il n'y avait aucune preuve qui contredisait leur témoignage ou qui aurait pu le rendre invraisemblable. Ils soutiennent que la Commission avait l'obligation d'expertiser les documents qu'ils avaient déposés en preuve, surtout si elle avait des doutes quant à leur authenticité.

 

 

b.                  La Commission n'avait aucune obligation d'agir de la sorte. Il suffit qu'elle dispose de suffisamment d'éléments de preuve pour mettre en question l'authenticité de la citation à procès pour conclure que le témoignage des requérants était invraisemblable. En l'espèce, la preuve documentaire était suffisamment convaincante pour justifier les conclusions tirées par la Commission. Ces conclusions ne sont donc pas abusives, arbitraires ou manifestement déraisonnables de façon à permettre l'intervention de la Cour. Et j'ajouterais à cela qu'une lecture du procès-verbal ne dévoile aucun élément de preuve étant de nature à vicier les conclusions du tribunal.

 

 

[21]           En l’espèce, la Commission avait la possibilité de procéder à l’examen de tous les documents et d’observer le demandeur lorsque celui-ci a livré son témoignage. Lorsque l’on examine la preuve orale et documentaire globalement, celle-ci appuie la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n’est pas crédible. Le manque de crédibilité n’était pas fondé uniquement sur l’appréciation du rapport médical par la Commission.

 

[22]           Il en résulte que la décision finale de la Commission n’était pas déraisonnable et que rien ne justifie l’intervention de la Cour.

 

[23]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Celle-ci ne soulève aucune question à certifier.

 

 


 

JUGEMENT

 

 

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée et qu’il n’y a pas de question à certifier.

 

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Maxime Deslippes, LL.B., B.A.Trad.


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3890-08

 

INTITULÉ :                                       ANDREY KORNIENKO c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 février 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Heneghan

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 21 mai 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mario D. Bellissimo

 

POUR LE DEMANDEUR

Michael Butterfield

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ormston, Bellissimo, Rotenberg

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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