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Federal Court

 

 

 

 

Cour fédérale

 

Date : 20090520

Dossier : IMM-4188-08

Référence : 2009 CF 525

Ottawa (Ontario), le 20 mai 2009

En présence de madame la juge Heneghan

 

 

ENTRE :

MANUEL RAMOS CONTRERAS

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

 LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

Introduction

[1]               M. Manuel Ramos Contreras (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par l’agent d’examen des risques avant renvoi, Thierry N’kombe (l’agent d’ERAR). Dans cette décision datée du 19 août 2008, l’agent d’ERAR a rejeté la demande d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) du demandeur.

 

 

Contexte

[2]               Le demandeur est né le 19 novembre 1970 à Guatemala, au Guatemala, et il est citoyen de ce pays. Il est entré aux États-Unis d’Amérique en tant que visiteur le 29 janvier 2001. Son statut de visiteur a ensuite expiré mais il est demeuré aux États-Unis, sans statut, jusqu’au 1er juillet 2005.

 

[3]               Pendant son séjour aux États-Unis, le demandeur a fait la connaissance de M. Keith Smith, citoyen américain, en 2003. Ils ont commencé à cohabiter en août 2003. M. Smith a accompagné le demandeur quand il est venu au Canada le 2 juillet 2005. Le demandeur a présenté une demande d’asile parce qu’il disait craindre la police, l’armée, ses amis, ses voisins et sa famille, qui se trouvaient tous au Guatemala, du fait de son appartenance à un groupe social, à savoir celui des homosexuels séropositifs.

 

[4]               La Commission a rejeté sa demande de statut de réfugié au sens de la Convention puisqu’elle a conclu que le demandeur ne craignait pas avec raison d’être persécuté au Guatemala pour un motif prévu dans la Convention. Elle a statué que le demandeur n’avait pas de crainte subjective de persécution au Guatemala, s’appuyant à cet égard sur son vécu au Guatemala et ses voyages antérieurs en dehors de son pays natal. La Commission a fait observer que le demandeur a vécu au Guatemala sans être victime d’aucun incident. Il est venu au Canada en 1996, ainsi qu’aux États‑Unis en 1996 et en 2000. Il n’a pas présenté de demande d’asile à ces trois occasions.

 

[5]               La Commission a ensuite examiné la question de l’existence d’une possibilité de refuge intérieur (la PRI) pour le demandeur au Guatemala, et elle a conclu qu’il n’aurait pas été déraisonnable de la part du demandeur de se prévaloir d’une PRI à Guatemala.

 

[6]               Le demandeur s’est appuyé sur le même motif de risque, c’est-à-dire son appartenance à un groupe social, lorsqu’il a présenté sa demande d’ERAR. Il a soumis de nouveaux éléments de preuve, notamment une déclaration de Dusty Aráujo (la déclaration Aráujo), représentant de la Commission internationale de défense des droits des gais et des lesbiennes. Ce document expose les raisons pour lesquelles les gais et les lesbiennes qui présentent des demandes d’asile hésitent à révéler leur orientation sexuelle dans le cadre de telles demandes.

 

[7]               En outre, le demandeur a présenté comme nouveaux éléments de preuve certains extraits de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11, et du Pacte international relatif aux droit civils et politiques, 19 décembre 1966, 999 R.T.N.U. 171, articles 9 à 14, Can. R.T. 1976 n47, 6 I.L.M. 368 (entré en vigueur le 23 mars 1976, adhésion par le Canada le 19 mai 1976) (le PIDCP), les rapports du Département d’État des États-Unis sur les droits de la personne concernant le Guatemala pour 2003 et 2007, la lettre d’un médecin au Guatemala faisant état des effets de l’homophobie sur la capacité des homosexuels séropositifs d’obtenir un traitement approprié et la lettre d’un médecin de Toronto indiquant que le demandeur avait commencé un traitement pour le VIH.

 

[8]               Enfin, le demandeur a produit un rapport du Dr Pilowsky de Toronto. C’est ce dernier qui a rendu le diagnostic selon lequel le demandeur souffrait de troubles dépressifs majeurs en raison de la possibilité de séparation d’avec son partenaire, M. Smith, avec qui il vivait au Canada.

 

[9]               L’agent d’ERAR a conclu que le demandeur n’avait pas réussi à réfuter la conclusion de la Commission selon laquelle une PRI existait à Guatemala. L’agent a examiné les nouveaux éléments de preuve et a conclu que la preuve documentaire ne permettait pas à elle seule d’établir que le demandeur serait exposé à un risque au Guatemala; sa situation personnelle devait être prise en compte et celle-ci ne permettait pas de conclure qu’il avait droit à la protection en vertu de l’article 97 de la Loi.

 

Argumentation

[10]           Le demandeur allègue que l’agent d’ERAR a commis une erreur en omettant d’examiner de façon exhaustive la question de la séparation d’avec son partenaire qui conduira au bouleversement de l’unité de sa famille, contrairement à l’un des objectifs de la Loi.

 

[11]           Il allègue de plus que l’agent d’ERAR a commis une erreur dans son analyse des facteurs énoncés dans la déclaration Aráujo et qu’il a mal interprété la preuve concernant le traitement réservé aux homosexuels au Guatemala.

 

[12]           Le demandeur soutient ensuite que l’agent d’ERAR a commis une erreur en appliquant le critère de la persécution puisqu’il n’a pas tenu compte du fait que son statut d’homosexuel séropositif aurait une incidence défavorable sur la qualité des soins médicaux qu’il recevrait au Guatemala.

 

[13]           Les ministres de la Sécurité publique et de la Protection et de la Citoyenneté et de l’Immigration (collectivement appelés les défendeurs) soutiennent que le demandeur n’a pas réussi à établir que la Commission avait commis une erreur susceptible de contrôle ni dans son évaluation de la preuve ni dans son interprétation et application de la Loi.

 

Discussion

[14]           Suivant la décision de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, les conclusions de fait rendues par un tribunal administratif sont assujetties à la norme de la raisonnabilité et les questions de droit sont revues d’après la norme de la décision correcte. La jurisprudence actuelle peut être mise à contribution pour déterminer la norme qu’il convient d’appliquer à une question en particulier.

 

[15]           La première question à examiner est celle de savoir si l’agent d’ERAR a commis une erreur susceptible de contrôle en concluant, selon les facteurs énoncés dans la déclaration Aráujo, que le demandeur n’avait pas de crainte subjective de persécution. Il s’agit d’une question mixte de fait et de droit, puisqu’elle suppose l’application de la preuve à une disposition législative au moment d’évaluer si le demandeur satisfaisait à la définition de réfugié au sens de la Convention. De telles questions relatives à l’ERAR commandent l’application de la norme de la raisonnabilité : Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) et al. (2005), 272 F.T.R. 62, au paragraphe 19. La déclaration Aráujo a été produite par le demandeur dans le but d’établir qu’il existe des motifs précis pour lesquels les homosexuels tardent souvent à demander une protection et aussi pour répondre à la conclusion de la Commission concernant son absence de crainte subjective.

 

[16]           Je ne suis pas persuadée que l’agent d’ERAR n’a pas tenu compte de la déclaraton Aráujo. Cette preuve documentaire ne peut à elle seule permettre d’établir l’élément subjectif de persécution du demandeur. C’est à ce dernier qu’il incombe de le prouver. L’agent d’ERAR n’était pas convaincu que le demandeur avait présenté de nouveaux éléments de preuve à cet égard, suffisants pour réfuter les conclusions de la Commission concernant l’absence d’un élément subjectif.

 

[17]           Deuxièmement, l’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur susceptible de contrôle en ne tenant pas compte de la manière dont sont traités les homosexuels au Guatemala? Il s’agit d’une question de fait assujettie à la norme de la décision raisonnable : Kim, précitée, aux paragraphes 15 et 19.

 

[18]           Cet argument du demandeur porte sur la manière dont l’agent d’ERAR a apprécié la preuve. Je ne suis pas persuadée que le demandeur a réussi à démontrer que l’agent d’ERAR avait omis de tenir compte des éléments de preuve pertinents. Je ne suis pas convaincue que l’appréciation de la preuve a donné lieu à une conclusion déraisonnable.

 

[19]           Troisièmement, l’agent d’ERAR a-t-il commis une erreur de droit dans son interprétation de l’article 97 de la Loi? Il s’agit d’une question de droit assujettie à la norme de la décision correcte : Kim, précitée, au paragraphe 19. À cet égard, le demandeur allègue que l’agent d’ERAR a commis une erreur en excluant la non-accessibilité de traitement médical pour les homosexuels séropositifs de la définition du risque, comme le prévoit l’article 97 de la Loi. Le demandeur s’appuie sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Salibian c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration ) (1990), 113 N.R. 123 (C.A.F.), pour faire valoir qu’une fois qu’il a démontré qu’un groupe de personnes se trouvant dans une situation similaire risque d’être persécuté, le bien-fondé de sa demande est établi. Selon le demandeur, le groupe de personnes qui est dans une situation similaire est le groupe des homosexuels séropositifs qui risque de se voir refuser l’accès à un traitement médical au Guatemala.

 

[20]           L’argument du demandeur est mal fondé selon moi. Il n’a pas réussi à prouver que le traitement médical au Guatemala est inaccessible aux homosexuels séropositifs ou leur est refusé pour des motifs de persécution. Le demandeur doit faire plus que présenter un argument juridique; il doit établir un contexte factuel et il ne l’a pas fait. L’agent d’ERAR disposait d’éléments de preuve sur l’accès aux soins médicaux au Guatemala et le demandeur n’a pas prouvé que ceux-ci avaient été ignorés.

 

[21]           Enfin, je vais examiner les allégations du demandeur concernant le manquement à l’obligation d’équité procédurale, qui découlerait de l’omission de l’agent d’ERAR de considérer la question de sa séparation d’avec M. Smith comme un motif de persécution. La Cour doit faire preuve de déférence lorsqu’elle examine une décision contestée pour manquement à l’obligation d’équité procédurale et, par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte : Sketchley c. Canada (Procureur général), [2006] 3 R.C.F. 392 (C.A.F.), au paragraphe 53.

 

[22]           À mon avis, il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale en l’espèce. La séparation des membres d’une famille ne constitue pas en soi un motif de persécution aux fins de la Loi. Elle est plutôt considérée comme une conséquence inévitable de l’application de la Loi. Dans Chiarelli c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 R.C.S. 711, la Cour suprême du Canada a affirmé que les non-citoyens n’ont pas le droit d’entrer au Canada. Voir également Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2002), 208 D.L.R. (4th) 107.

 

[23]           La séparation des membres d’une famille est une conséquence liée à l’application de la Loi. Les non-citoyens n’ont pas le droit d’entrer au Canada. La Loi autorise les personnes à entrer au Canada à titre d’immigrants, de réfugiés ou de personnes à protéger. Il a été conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Le risque d’être séparé de son partenaire est une conséquence découlant de l’application du régime législatif, mais la séparation en soi ne constitue pas un motif permettant de conclure qu’il est une personne à protéger.

 

[24]           En conclusion, je suis convaincue que l’agent d’ERAR n’a pas commis d’erreur susceptible de contrôle et la présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

 

[25]           L’avocat du demandeur a formulé la question suivante aux fins de la certification :

Les motifs de risque prévus aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés s’étendent-ils au préjudice d’une séparation forcée d’un couple homosexuel par suite du retour au Canada de l’un des partenaires d’un pays qui ne reconnaît pas les unions homosexuelles?

 

 

[26]           L’avocate des défendeurs s’opposent à la certification de cette question au motif que la question proposée ne satisfait pas au critère applicable, c’est-à-dire qu’elle ne constitue pas une question grave de portée générale permettant de régler l’affaire, comme il est indiqué dans Zazai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2004), 36 Imm. L.R. (3d) 167.

 

[27]           Je souscris aux arguments présentés par les défendeurs et aucune question ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et l’affaire ne soulève aucune question aux fins de certification.

 

 

« E. Heneghan »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4188-08

 

INTITULÉ :                                       MANUEL RAMOS CONTRERAS c.

                                                            LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                LE 2 MARS 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 20 MAI 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Michael Battista

 

                           POUR LE DEMANDEUR

Maria Burgos

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jordan Battista LLP

Avocat

Toronto (Ontario)

 

                         POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

                             POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

 

 

 

 

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