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Federal Court

Cour fédérale


 

 

Date : 20090520

Dossier : T‑791‑06

Référence : 2009 CF 523

Ottawa (Ontario), le 20 mai 2009

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

Dr ROBERT MANNING

demandeur

et

 

DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA,

SERVICE CANADA et LE

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7. Le demandeur, le Dr Robert Manning, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 5 avril 2006 par laquelle Katherine Hitchcock, représentante du ministre, a rejeté sa demande de versement rétroactif, à compter de 1993, de prestations d’invalidité.

 

CONTEXTE

[2]               En août 2005, le Dr Robert Manning a présenté une demande de prestations d’invalidité dans le cadre du Régime de pensions du Canada (le RPC). Sa demande a été approuvée et il a reçu le montant maximal prévu de versements rétroactifs, correspondant à 15 mois en vertu du paragraphe 43(2) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑8 (la Loi). Le demandeur estime toutefois que le point de départ des versements rétroactifs devrait être la date du début de son invalidité.

 

[3]               Le Dr Manning était un médecin qui exerçait dans la ville de St. Catharines, en Ontario. Le ou vers le 16 avril 1993, le demandeur a subi un accident vasculaire cérébral. Cela l’a rendu invalide et incapable d’administrer ses propres affaires. Au moment de l’AVC, le demandeur était en instance de divorce et il n’avait personne pour l’aider à gérer ses finances. Le demandeur s’est remarié en avril 1995. La nouvelle épouse du demandeur, la Dre Malaguti‑Manning, également médecin, a aidé bon nombre de ses patients à présenter une demande de prestations d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C‑8 (la Loi).

 

[4]               À la fin d’avril 1995, l’épouse du demandeur a téléphoné à la ligne d’information sans frais du RPC. Elle n’a pas demandé ni consigné le nom de l’agente du centre d’appels qui lui a transmis des renseignements, mais se rappelle que, d’après sa voix, il devait s’agir d’une femme d’âge mûr. L’agente aurait dit à l’épouse du demandeur qu’il était inutile de demander des prestations d’invalidité du RPC puisque toute somme reçue devrait être remboursée à l’assureur privé du demandeur, dont les versements de prestations d’assurance‑invalidité avaient permis d’acquitter les frais de subsistance du demandeur depuis son AVC en 1993. L’épouse du demandeur aurait également été informée que ce dernier ne recevrait aucune somme additionnelle, car son régime privé d’assurance en opérerait compensation.

 

[5]               L’épouse du demandeur prétend s’être fiée sur l’information erronée qu’on lui avait fournie et n’avoir donc pas rempli de formule de demande au nom de son mari pour l’obtention de prestations d’invalidité. Le 25 juillet 2005, la Dre Malaguti‑Manning a demandé à sa comptable de s’informer davantage sur la situation de son mari. La comptable a été informée par un agent de centre d’appels, dont elle a noté l’identité, que le demandeur aurait dû demander et obtenir le versement de prestations d’invalidité à compter de 1993. On l’a en outre informée que, si la demande de prestations avait été faite en 1995, le montant des prestations versées au Dr Manning ne se serait pas trouvé [traduction] « amoindri » par l’absence de toute cotisation au cours des 12 dernières années pendant lesquelles il a été invalide.

 

[6]               La Dre Malaguti‑Manning a alors présenté au nom du demandeur une demande de versement rétroactif de prestations d’invalidité. Le 24 octobre 2005, Développement des ressources humaines Canada (DRHC) a demandé qu’on lui donne des précisions quant à la prétention du demandeur selon laquelle on lui avait donné un avis erroné. Le 14 novembre 2005, le demandeur a répondu en réitérant sa prétention de départ.

 

[7]               Le 5 avril 2006, Service Canada a rejeté la demande de versement rétroactif de prestations du demandeur.

 

DÉCISION À L’EXAMEN

[8]               La décision à l’examen est constituée de ce qui suit :

                                                               i.      la lettre du 5 avril 2006 de la représentante du ministre;

                                                             ii.      le rapport d’enquête relatif à un avis erroné (le rapport d’enquête).

La lettre précisait que le Dr Manning n’avait pas droit au versement rétroactif de prestations à compter de 1993; il était plutôt admissible au versement rétroactif à compter de mai 2004. Quant au rapport d’enquête, il s’agissait d’un rapport type mettant au clair l’enquête effectuée par la représentante du ministre.

 

[9]               La représentante du ministre a fait état du déroulement des événements jusqu’à la date de la lettre. Elle a reformulé le point de vue et la déposition de la Dre Malaguti‑Manning, qu’elle a pris en compte dans sa décision.

 

[10]           Il est rapporté dans la lettre qu’on a procédé à une enquête sur un avis erroné par suite de la demande de versement rétroactif de prestations présentée, le 24 août 2005, par la Dre Malaguti‑Manning. On a demandé à cette dernière le 25 octobre 2005, dans le cadre de l’enquête, de fournir des renseignements additionnels. La réponse à cette demande a été reçue le 21 novembre 2005.

 

[11]           La représentante du ministre a déclaré ce qui suit :

[traduction]

Compte tenu des renseignements au dossier et de la procédure administrative habituelle à l’époque en cause, il a été conclu qu’aucun avis erroné n’avait été donné.

 

[12]           La représentante du ministre a ensuite expliqué l’étape suivante dans le traitement de la demande : celle‑ci allait maintenant être confiée à un évaluateur médical. Il était en outre précisé dans la lettre que le point de départ du versement des prestations serait uniquement mai 2004, soit 15 mois avant le moment de la présentation de la demande.

 

[13]           Le dernier paragraphe de la lettre fournissait des renseignements pouvant intéresser le demandeur en cas de désaccord avec la décision, notamment la procédure de recours.

 

[14]           Pour sa part, le rapport d’enquête renfermait une description du contexte de l’affaire, une analyse de la preuve et la conclusion selon laquelle le ministre n’était pas convaincu, aux termes du paragraphe 66(4) de la Loi, qu’un avis erroné avait été donné au demandeur.

 

[15]           La représentante du ministre a établi dans son analyse qu’il n’y avait aucune trace de l’appel téléphonique ayant, selon les allégations, été fait au nom du demandeur en 1995. Elle a également passé en revue les manuels de formation et les lignes directrices de l’époque en cause, et établi que rien ne laissait croire qu’on ait donné comme instruction aux agents de centre d’appels de fournir le type d’avis qu’aurait reçu l’épouse du demandeur. La représentante du demandeur a conclu qu’au contraire, on avait dit à ces agents d’informer leurs interlocuteurs qu’il valait mieux pour eux communiquer avec leur propre assureur.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[16]           Les questions en litige sont les suivantes :

                                                               i.      La décision de la représentante du ministre portant qu’aucun avis erroné n’avait été donné était‑elle raisonnable?

                                                             ii.      La représentante du ministre a‑t‑elle enfreint les droits en matière d’équité procédurale du demandeur en n’étayant pas sa décision de motifs suffisants?

 

[17]           Le demandeur a soumis les deux autres questions corrélatives suivantes à l’examen de la Cour, questions qu’elle n’a toutefois pas compétence pour trancher :

                                                               i.      Les défendeurs et leurs représentants ont‑ils donné des renseignements ou avis erronés à l’épouse du demandeur, d’une manière préjudiciable à ce dernier?

                                                             ii.      Si des renseignements ou avis erronés ont été donnés à l’épouse du demandeur, le demandeur a‑t‑il droit au versement rétroactif de prestations d’invalidité à compter d’avril 1995?

 

[18]           À mon avis, la question en litige en l’espèce est la suivante :

a.       Le ministre a‑t‑il commis une erreur susceptible de contrôle en établissant qu’il n’y avait pas eu avis erroné ou erreur administrative?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[19]           Le paragraphe 66(4) de la Loi prévoit ce qui suit :

Refus d’une prestation en raison d’une erreur administrative

66.(4) Dans le cas où le ministre est convaincu qu’un avis erroné ou une erreur administrative survenus dans le cadre de l’application de la présente loi a eu pour résultat que soit refusé à cette personne, selon le cas :

a) en tout ou en partie, une prestation à laquelle elle aurait eu droit en vertu de la présente loi,

b) le partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension en application de l’article 55 ou 55.1,

c) la cession d’une pension de retraite conformément à l’article 65.1,

le ministre prend les mesures correctives qu’il estime indiquées pour placer la personne en question dans la situation où cette dernière se retrouverait sous l’autorité de la présente loi s’il n’y avait pas eu avis erroné ou erreur administrative.

 

 

Where person denied benefit due to departmental error, etc.

66.(4) Where the Minister is satisfied that, as a result of erroneous advice or administrative error in the administration of this Act, any person has been denied

(a) a benefit, or portion thereof, to which that person would have been entitled under this Act,

(b) a division of unadjusted pensionable earnings under section 55 or 55.1, or

(c) an assignment of a retirement pension under section 65.1,

the Minister shall take such remedial action as the Minister considers appropriate to place the person in the position that the person would be in under this Act had the erroneous advice not been given or the administrative error not been made.

NORME DE CONTRÔLE

[20]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a déclaré, au paragraphe 62, que la première des deux étapes à suivre en vue d’établir la norme de contrôle applicable était de « vérifie[r] si la jurisprudence établi[ssai]t déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ».

 

[21]           Dans la décision Lee c. Canada (Procureur général), 2007 CF 758, la juge Hansen a conclu que la norme de contrôle applicable à la conclusion selon laquelle il n’y a pas eu avis erroné ou erreur administrative était la décision manifestement déraisonnable.

 

[22]           Dans la décision Kissoon c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2004 CF 24, la juge Snider a conclu que la décision du ministre au titre du paragraphe 66(4) de la Loi était discrétionnaire, et que la norme de contrôle applicable était donc la décision manifestement déraisonnable. Elle a en outre déclaré ce qui suit au paragraphe 5 :

Une conclusion d’avis erroné ou d’erreur administrative est une conclusion de fait. Elle indique également à la cour de révision qu’elle doit faire preuve de retenue à l’égard de la décision du ministre. La Cour ne doit ni apprécier à nouveau la preuve ni modifier les conclusions tirées uniquement parce qu’elle serait arrivée à une autre conclusion (Suresh, précité, à la page 24).

 

[23]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême a statué qu’il n’y avait que deux normes de contrôle judiciaire : celle de la décision correcte et celle de la raisonnabilité. Cela étant, je conclus que la jurisprudence existante établit déjà la norme applicable. La décision en l’espèce était discrétionnaire et fondée sur des faits, de sorte qu’elle est contrôlable en fonction de la norme de la raisonnabilité.

 

[24]           La deuxième question en litige concerne le droit à l’équité procédurale. Si le comportement contesté met en cause un manquement à l’équité procédurale, il n’est pas nécessaire d’établir la norme de contrôle applicable (Moreau‑Bérubé c. Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11, au paragraphe 74). Un tel manquement, en effet, entraînera l’annulation de la décision du décideur administratif.

 

ANALYSE

[25]           C’est en avril 1995 que l’appel initial a été passé. La Dre Malaguti‑Manning ne se rappelle plus quelle en était la date exacte, ni quel était le nom de l’agente avec qui elle a parlé, ni la région où était destiné son appel, ni encore vers quel centre d’appels on avait dirigé la communication. Pour en arriver à sa décision, la représentante du ministre a tenté de repérer dans l’ordinateur central du RPC la date où l’appel avait été fait et l’endroit vers où il avait été acheminé, mais en vain. La représentante du ministre n’a pas communiqué avec tous les centres d’appels vers lesquels l’appel aurait pu être acheminé, mais, après examen de toutes les politiques et de tous les manuels de formation pertinents, elle a conclu que les agents de centres d’appels avaient reçu pour instruction de conseiller à leurs interlocuteurs posant des questions comme celles du demandeur d’entrer en contact avec leur assureur privé.

 

[26]           Dans l’arrêt Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 52, la Cour suprême du Canada a décrit comme suit l’erreur manifestement déraisonnable :

Autrement dit, dès qu’un défaut manifestement déraisonnable a été relevé, il peut être expliqué simplement et facilement, de façon à écarter toute possibilité réelle de douter que la décision est viciée. La décision manifestement déraisonnable a été décrite comme étant « clairement irrationnelle » ou « de toute évidence non conforme à la raison » (Canada (Procureur général) c. Alliance de la Fonction publique du Canada, [1993] 1 R.C.S. 941, p. 963‑964, le juge Cory; Centre communautaire juridique de l’Estrie c. Sherbrooke (Ville), [1996] 3 R.C.S. 84, par. 9‑12, le juge Gonthier). Une décision qui est manifestement déraisonnable est à ce point viciée qu’aucun degré de déférence judiciaire ne peut justifier de la maintenir.

 

[27]           Dans la décision Leskiw c. Canada (Procureur général), 2003 CFPI 582, au paragraphe 23, la Cour a statué que, vu que le demandeur dans cette affaire n’avait pas précisé qui lui avait donné l’avis erroné, si ce n’est qu’il s’agissait de deux agentes du service à la clientèle de DRHC, et qu’il y avait des contradictions dans les souvenirs du demandeur sur l’avis qu’il aurait reçu, il n’était pas manifestement déraisonnable pour la représentante du ministre de conclure que le demandeur n’avait pas reçu un avis erroné.

 

[28]           Dans la décision Kissoon c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2004 CF 24, conf. par 2004 CAF 384, la juge Snider a statué comme suit auparagraphe 10 :

 

Le défendeur aurait commis une erreur susceptible de contrôle s’il avait pris sa décision sans tenir compte de la preuve dont il était saisi ou en se fondant sur des éléments de preuve dont il n’était pas saisi. Je ne vois aucune erreur de ce type en l’espèce. Le ministre a tenu compte de l’ensemble de la preuve dont il était saisi et il a conclu que celle‑ci n’établissait pas qu’une erreur avait été commise. Autrement dit, après avoir apprécié l’ensemble de la preuve, le ministre a conclu que celle‑ci n’établissait pas, suivant la prépondérance des probabilités, que M. Kissoon avait soumis une demande de prestations pour ses enfants avant le 29 novembre 2001.

 

La décision de la représentante du ministre portant qu’aucun avis erroné n’avait été donné était‑elle raisonnable?

 

[29]           Le demandeur soutient que la décision de la représentante du ministre n’était pas raisonnable parce que rien ou presque rien n’en justifiait l’issue. On a fait défaut dans la décision d’analyser les éléments de preuve, le droit et les faits pertinents et le processus décisionnel manquait de transparence.

 

[30]           Le demandeur fait ressortir que les agents du défendeur étaient au fait de la question des assureurs privés. Cela a pu avoir une incidence sur les renseignements qu’ils ont fournis à l’épouse du demandeur, à savoir que les sommes reçues du RPC seraient déduites des sommes versées par l’assureur privé.

 

[31]           Le demandeur estime que la représentante du ministre a commis une erreur susceptible de contrôle en ne procédant pas à une enquête exhaustive visant les bureaux du RPC en Ontario autres que le bureau de Chatham, où elle travaillait et avait formé des agents de centres d’appels à l’époque en cause.

 

[32]           Le demandeur soutient qu’un certain nombre de facteurs, ci‑après mentionnés, doivent être pris en compte.

a.       La Dre Malaguti‑Manning a reçu un avis erroné au sujet du droit du Dr Manning à des prestations d’invalidité.

b.      Il n’y avait au dossier aucune preuve pouvant mener à conclure qu’on n’avait pas donné à la Dre Malaguti‑Manning un avis erroné.

c.       Le défendeur croit improbable que la Dre Malaguti‑Manning ait reçu un avis erroné.

d.      Il est possible qu’un agent ait donné comme avis à la Dre Malaguti‑Manning de ne pas présenter de demande de prestations parce qu’on avait informé les agents au sujet de polices d’assureurs privés et en raison des ententes conclues avec le gouvernement.

e.       Plus d’un centre d’appels a échappé à l’enquête de la représentante du ministre.

f.        Il est fait mention dans les listes de conseils et les manuels d’une entente conclue entre les assureurs privés et le gouvernement.

 

[33]           Le demandeur fait valoir qu’il se peut, compte tenu des facteurs susmentionnés, qu’on ait dit à la Dre Malaguti‑Manning qu’il ne servait à rien de présenter une demande puisque tout montant reçu serait déduit des sommes versées par son assureur privé. Le juge Campbell a réitéré ces facteurs dans la décision Barnes c. Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2004 CF 985, au paragraphe 8, en énumérant les éléments essentiels à examiner pour déterminer si une décision est entachée d’erreur.

 

[34]           Selon le défendeur, la décision de la représentante du ministre était raisonnable. Le demandeur n’a pas établi que le défendeur avait donné un avis erroné. La décision se fondait sur la preuve disponible découlant de l’enquête menée par la représentante du ministre et de l’information fournie par le demandeur. Le demandeur n’a pu indiquer la date précise de l’appel téléphonique, le nom de l’agente du RPC concernée ni le bureau où la Dre Malaguti‑Manning avait téléphoné.

 

[35]           La représentante du ministre n’a pu trouver aucune trace de l’appel téléphonique et, après examen des documents et pratiques de formation en usage à l’époque en cause, il lui a semblé très improbable que l’avis erroné ait été donné. La représentante du ministre a déclaré lors de son contre‑interrogatoire que, si ce type de renseignement avait été donné, [traduction] « cela aurait été contraire à toutes les instructions […] reçues par nos agents ».

 

[36]           Le défendeur soutient que, compte tenu des facteurs ci‑après mentionnés, il est manifeste que la décision de la représentante du ministre était raisonnable :

a.       aucune précision n’a été fournie quant à l’identité de l’agente qui aurait donné l’avis erroné;

b.      aucun élément de preuve écrit n’étayait l’allégation du demandeur selon laquelle un avis avait été donné;

c.       la Dre Malaguti‑Manning est un médecin ayant l’habitude d’aider des patients à remplir les demandes de prestations d’invalidité et, malgré cela, elle n’a conservé aucune trace de la conversation tenue ni n’a fait quoi que ce soit d’autre pour obtenir confirmation de l’avis donné;

d.      il n’y avait aucun enregistrement électronique attestant que l’appel téléphonique ait été fait;

e.       selon la liste de vérification, une trousse de demande est envoyée au client qui n’en a pas;

f.        dans les documents de formation, on donne pour instruction aux agents de fournir des renseignements mais de laisser au client le soin de décider s’il doit ou non présenter une demande;

g.       dans les documents, on donne pour instruction aux agents d’orienter les clients vers les assureurs privés pour les questions concernant les régimes de ces derniers;

h.       selon l’usage existant, aucun agent ne doit donner d’avis au sujet des régimes d’assureurs privés;

i.         l’avis ayant, selon les allégations, été donné au demandeur aurait été contraire aux instructions expressément communiquées aux agents.

 

[37]           C’est au demandeur qu’incombe le fardeau de la preuve. Le demandeur soutient qu’on lui a donné de l’information sous forme d’avis, et qu’il s’est fié à cet avis, d’une manière qui lui a été préjudiciable. Lorsqu’il fait valoir qu’un avis erroné a été donné, le demandeur doit prouver selon la prépondérance des probabilités qu’un tel avis lui a bel et bien été donné (Graceffa c. Canada (Ministre du Développement social), 2006 CF 1513, au paragraphe 1).

 

[38]           Le ministre doit être convaincu, aux termes du paragraphe 66(4) de la Loi, de l’existence d’un certain état de faits. La disposition confère au ministre un large pouvoir discrétionnaire quant aux mesures correctives à prendre et à l’établissement informel des faits.

 

[39]           La Dre Malaguti‑Manning a présenté un témoignage par affidavit de nature très générale. Aucune preuve n’a été soumise quant à l’existence de l’appel téléphonique, et on n’a pas précisé l’identité de l’agente ayant reçu l’appel, la date de l’appel ni le numéro de téléphone composé; on n’a pas non plus donné de détails précis sur l’avis reçu. Le témoignage quant au motif pour lequel le demandeur n’a pas sollicité en 1995 le versement de prestations d’invalidité, soit l’avis de l’agente, n’est pas des plus sûrs, bien qu’il soit étayé d’une certaine manière du fait qu’on se soit fié sur l’information fournie, l’épouse du demandeur n’ayant effectivement pas demandé le versement de prestations.

 

[40]           L’enquête a révélé qu’aucune trace n’a été conservée d’appels faits il y a si longtemps. La représentante du ministre a fait état de divers éléments de preuve, notamment les listes de conseils, la liste de vérification aux fins d’orientation, la procédure en usage à l’époque en cause et les manuels qui étaient fournis aux agents des centres d’appels.

 

[41]           Toute la preuve produite par l’agente d’enquête a été mise en balance avec celle fournie par la Dre Malaguti‑Manning, le ministre ayant ensuite dû établir selon la prépondérance des probabilités si un avis erroné avait été donné. Le ministre a conclu, selon cette prépondérance, en faveur du défendeur. Il a conclu qu’il était davantage vraisemblable qu’aucun avis erroné n’avait été donné.

 

[42]           Je conclus que la décision du ministre était raisonnable, car il s’agissait d’une conclusion pouvant se justifier au regard de la preuve.

 

La représentante du ministre a‑t‑elle enfreint les droits en matière d’équité procédurale du demandeur en n’étayant pas sa décision de motifs suffisants?

 

[43]           Selon le demandeur, la représentante du ministre n’a pas justifié suffisamment sa décision parce qu’elle n’a analysé ni les faits ni la preuve. En outre, ajoute le demandeur, la représentante du ministre n’a pas expliqué comment elle en était arrivée à sa décision, ni quels étaient les fondements juridiques de celle‑ci.

 

[44]           Le défendeur soutient pour sa part que la lettre du 5 avril 2006 et le rapport d’enquête constituaient des motifs suffisants au soutien de la décision. La lettre faisait état de l’enquête; on a passé en revue les politiques, la procédure et les documents de formation, et estimé, compte tenu du dossier et de la procédure administrative habituelle à l’époque en cause, que l’avis erroné n’avait pas été donné.

 

[45]           Dans l’arrêt Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 44, la Cour suprême du Canada a expliqué que la souplesse était nécessaire quant à la question des motifs suffisants. Elle a en outre fait remarquer que les cours devaient tenir compte de la réalité quotidienne des organismes administratifs et des façons d’assurer le respect des principes de l’équité procédurale.

 

[46]           De même, dans la décision Canada (Procureur général) c. Pentney, 2008 CF 96, le juge Lemieux a récemment statué que bien que, la lettre en cause n’ait pas énoncé de motifs pour la décision, le dossier correspondant en renfermait qui satisfaisaient à l’exigence des motifs à fournir.

 

[47]           Il n’y a pas eu violation des droits en matière d’équité procédurale du demandeur. Bien que la lettre et le rapport d’enquête aient eu un caractère approfondi, j’en viens à la conclusion que, considérés ensemble, ils constituaient des motifs suffisants satisfaisant à l’exigence des motifs à fournir.

 

CONCLUSION

[48]           Le demandeur a mal formulé son analyse. La question en litige n’est pas de savoir s’il était possible qu’un avis erroné ait été donné. Il s’agit plutôt de déterminer si les faits ont convaincu le ministre qu’un avis erroné a bien été donné.

 

[49]           La Dre Malaguti‑Manning a prétendu au nom du demandeur avoir reçu un avis erroné du Régime de pensions du Canada. Aucune preuve n’a été présentée de l’existence de l’appel téléphonique : on n’a pas précisé l’identité de l’agente ayant reçu l’appel, la date de l’appel ni le numéro de téléphone composé; on n’a pas non plus donné de détails précis sur l’avis reçu. La représentante du ministre a fait enquête et, en l’absence de toute trace d’appel téléphonique, a pris sa décision en se fondant sur les éléments disponibles, soit notamment les listes de conseils, la liste de vérification aux fins d’orientation, la procédure en usage à l’époque en cause et les manuels des agents.

 

[50]           L’enquête a été effectuée onze ans après la transmission d’information alléguée. À mon avis, la représentante du ministre a pris toutes les mesures raisonnables en menant son enquête. Sa décision était étayée par la preuve et conforme à la raison. La lettre du ministre et le rapport d’enquête énonçaient des motifs qui, quoique peu étoffés, étaient suffisants compte tenu du peu de renseignements disponibles en raison du temps si long qui s’était écoulé.

 

[51]           La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE :

            1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                       T‑791‑06

 

INTITULÉ :                                      Dr ROBERT MANNING c. DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :              LE 2 MARS 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                             LE JUGE MANDAMIN

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                      LE 20 MAI 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Angelo P. Fazari

Andrew Iler

 

POUR LE DEMANDEUR

Allan Matte

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Leon, Taylor & Fazari LLP

Avocats

Welland (Ontario)

 

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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