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Federal Court

Cour fédérale

Date : 20090520

Dossier : IMM-4377-08

Référence : 2009 CF 502

Ottawa (Ontario), le 20 mai 2009

En présence de monsieur le juge Pinard

ENTRE :

Zhiqiang HE

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée suivant le paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’égard d’une décision dans laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, en date du 21 août 2008, que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger.

[2]               Le demandeur, Zhiqiang He, est un citoyen de la Chine. Il allègue qu’il a la qualité de réfugié au sens de la Convention et celle de personne à protéger, conformément à l’article 96 et au paragraphe 97(1) de la Loi, en raison de la persécution à laquelle il ferait face en Chine parce qu’il est membre du Falun Gong.

 

[3]               Le demandeur soutient qu’au début de 2003, il souffrait d’un grave ulcère gastrique. Il prétend qu’on a ensuite diagnostiqué qu’il avait un cancer de l’estomac. Vers la même époque, un ami lui a suggéré de se joindre au Falun Gong. Après être devenu adepte du Falun Gong, le cancer est disparu.

 

[4]               Le 21 octobre 2005, vers 22 h, alors qu’il était en voyage d’affaires au Canada, le demandeur soutient que son patron l’a surpris à pratiquer le Falun Gong dans sa chambre d’hôtel. M. Wang, son patron, est membre du parti. M. Wang a déclaré qu’il le dénoncerait à la police à leur retour en Chine le lendemain.

 

[5]               Le demandeur a déclaré qu’il avait quitté l’hôtel au milieu de la nuit. Lorsque son épouse lui a appris, en décembre 2005, que le Bureau de la sécurité publique (le BSP) était venu à leur domicile en Chine pour l’arrêter, il a demandé l’asile au Canada.

 

[6]               L’audience devant la Commission s’est tenue le 24 juillet 2008. Dans une lettre datée du 17 septembre 2008, le demandeur a été avisé que la Commission avait conclu qu’il n’était ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger.

 

* * * * * * * *

[7]               Dans ses motifs, datés du 21 août 2008, la Commission a accepté l’identité du demandeur, mais elle avait des réserves importantes au sujet de sa crédibilité :

§         Premièrement, bien que le demandeur ait produit un rapport médical qui faisait état du fait qu’il souffrait d’ulcères gastriques, il a été incapable de produire une preuve établissant le fait qu’il avait reçu un diagnostic de cancer de l’estomac. Il a aussi été incapable d’offrir une explication pour le fait qu’il n’avait pas de preuve à ce sujet, lorsqu’on lui a demandé d’en fournir une. Le tribunal n’a donc pas été persuadé que le demandeur avait bien reçu un diagnostic de cancer de l’estomac.

 

§         Deuxièmement, et de façon plus importante, le commissaire était « profondément troublé par le fait que le demandeur d’asile semble avoir donné quatre versions similaires mais différentes » de la confrontation avec son patron dans la chambre d’hôtel qui, d’après la Commission, était « l’événement crucial » de son récit. Ces quatre versions se trouvent dans son premier formulaire de renseignements personnels (FRP), son FRP modifié, son entrevue d’admissibilité et ses déclarations verbales lors de l’audience devant la Commission. D’après la Commission, le demandeur était très confus au sujet de la suite d’événements dans son témoignage verbal. Le commissaire a écrit « sincèrement, à ce stade-ci, je ne saisis toujours pas clairement ce que le demandeur d’asile allègue s’être produit lorsque M. Wang est entré dans sa chambre d’hôtel ».

 

 

 

[8]               De plus, la Commission a conclu qu’il était peu probable que le patron ait reconnu que la position assise du demandeur (c’est-à-dire, le cinquième exercice du Falun Gong) était un exercice du Falun Gong, puisque « plusieurs disciplines orientales préconisent une position similaire ». Le commissaire a aussi conclu qu’il était illogique que le patron « ait alerté le demandeur d’asile » en l’avisant de son intention de le dénoncer aux autorités, plutôt que de garder ses soupçons pour lui et de l’accuser discrètement à leur retour.

 

[9]               En ce qui a trait à l’analyse au regard de l’article 97, le commissaire a noté que le demandeur, comme il l’avait démontré à l’audience, était capable d’exécuter le quatrième exercice du Falun Gong et de répondre correctement à un certain nombre de questions au sujet du Falun Gong. Cependant, la Commission n’était pas persuadée que le demandeur connaissait le Falun Gong avant d’arriver au Canada, compte tenu de la facilité « pour une personne intelligente d’acquérir après le fait, au Canada, suffisamment de connaissances au sujet de Falun Gong pour maîtriser les exercices (le demandeur d’asile appartient maintenant à un groupe de Falun Gong qui fait des exercices dans le parc) et se familiariser avec la philosophie de maître Li de manière à pouvoir se faire passer pour un adepte de Falun Gong ». Comme il ne croyait pas que le demandeur avait commencé à pratiquer le Falun Gong en raison du cancer de l’estomac dont il prétendait avoir souffert, le commissaire a été incapable de relever une explication pour laquelle le demandeur aurait commencé à pratiquer le Falun Gong en Chine. Il a conclu : « [d]ans ces circonstances, je pense que le demandeur d’asile a plus vraisemblablement appris les rouages de cette discipline pour bonifier sa demande d’asile, et telle est ma conclusion ».

 

* * * * * * * *

 

[10]           Tout d’abord, en ce qui concerne l’allégation du demandeur au sujet du manque d’équité procédurale, ce dernier soutient que son droit à une audience équitable a été violé parce que la façon dont on lui a posé les questions à l’audience était déroutante et l’a empêché de répondre correctement.

 

[11]           Après avoir lu la transcription, je ne suis pas convaincu que les interventions de la Commission étaient telles qu’elles ont empêché le demandeur de présenter ses arguments. Je note aussi que le demandeur était représenté par un avocat en tout temps pendant l’audience et que l’avocat n’a jamais soulevé de préoccupations au sujet de l’équité de la procédure.

 

[12]           J’examinerai maintenant la contestation du demandeur au sujet des conclusions défavorables de la Commission en matière de crédibilité. Il est bien établi qu’il faut faire preuve d’un degré élevé de retenue à l’égard de ce type de conclusions (Aguebor c. Canada (M.E.I.) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)).

 

[13]           Dans sa décision, le commissaire exprime des préoccupations au sujet du fait que le demandeur a présenté quatre « versions similaires mais différentes » de la confrontation qui aurait eu lieu dans sa chambre d’hôtel le 21 octobre 2005. Le dossier démontre clairement qu’il existe certaines différences dans les déclarations faites devant le tribunal, devant l’agent d’accueil et dans le récit des FRP du demandeur. Je conviens avec le défendeur que la conclusion au sujet de l’incohérence était raisonnable et qu’on demande ici à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve.

 

[14]           La Commission avait aussi des doutes au sujet de la véracité des déclarations du demandeur au sujet du diagnostic de cancer, qui l’aurait incité à pratiquer le Falun Gong en Chine. Bien que le demandeur soutient qu’un médecin lui a donné un diagnostic de cancer, et que d’autres médecins lui ont dit, après avoir effectué d’autres test, que le [traduction] « cancer était disparu », il n’a présenté aucun document à l’appui de ces prétentions.

 

[15]           Tout compte fait, je conclus que les conclusions en matière de crédibilité de la Commission, bien qu’elles soient imparfaites, appartiennent « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47).

 

[16]           Enfin, le demandeur fait valoir que la Commission a commis une erreur de droit en concluant qu’il n’était pas un véritable adepte du Falun Gong et en n’examinant pas si les autorités chinoises considéreraient qu’il en est un.

 

[17]           Plus précisément, le demandeur soutient que la Commission a, de façon déraisonnable, mis trop d’importance sur l’absence de preuve au sujet de son cancer de l’estomac, alors que la question importante était de savoir si le demandeur croyait qu’il avait le cancer de l’estomac. De plus, le demandeur soutient que la Commission n’a pas examiné la façon dont les autorités chinoises le percevraient, puisqu’elle a reconnu que, depuis l’arrivée du demandeur au Canada, il s’était joint à un groupe d’adeptes qui font leurs exercices dans un parc à toutes les semaines.

 

[18]           À mon avis, la Commission n’avait pas tort lorsqu’elle a tiré une conclusion défavorable en raison du défaut du demandeur de présenter des preuves au sujet du fait qu’il avait reçu un diagnostic de cancer de l’estomac, compte tenu de l’importance de cet état de santé dans son récit au sujet de sa première interaction avec le Falun Gong en Chine.

 

[19]           Cependant, dans son analyse aux termes du paragraphe 97(1) de la Loi, la Commission semble avoir accepté que le demandeur, même s’il n’était pas un véritable adepte du Falun Gong avant son arrivée au Canada, s’était depuis familiarisé avec la pratique de cette discipline et s’était joint à un groupe d’adeptes. En effet, le demandeur a fourni des photographies de lui-même se trouvant devant un site qui visait clairement à protester contre le traitement que le gouvernement chinois réservait aux adeptes du Falun Gong. Des documents d’information sur le pays indiquent que les adeptes du Falun Gong au Canada et dans d’autres pays sont surveillés par des informateurs du gouvernement chinois. Par conséquent, peu importe si le demandeur est un véritable adepte, il convenait, conformément au paragraphe 97(1) de la Loi, d’examiner le risque possible d’une menace à sa vie ou de traitements ou peines cruels et inusités, compte tenu de sa participation perçue au Falun Gong en raison de ses activités au Canada. Dans les circonstances, même si « le manque de crédibilité général du demandeur d’asile s’applique à toute analyse en vertu du paragraphe 97(1) », comme la Commission l’a déclaré, il était déraisonnable qu’elle n’examine pas en détail ce facteur important et pertinent, ce qui est suffisant pour justifier l’intervention de la Cour.

* * * * * * * *

 

[20]           Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen.

 

 

 

 

 

 


JUGEMENT

 

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), rendue le 21 août 2008, est rejetée et l’affaire est renvoyée à une formation différemment constituée de la Commission pour nouvel examen.

 

 

« Yvon Pinard »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

Dossier :                                        IMM-4377-08

 

INTITULÉ :                                       Zhiqiang HE c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Pinard

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 mai 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Brenda J. Wemp                                              POUR LE DEMANDEUR

 

Charmaine de los Reyes                                    POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Brenda J. Wemp                                              POUR LE DEMANDEUR

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

John H. Sims, c.r.                                            POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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