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Cour fédérale

Federal Court


 

Date : 20090513

Dossier : IMM-528-08

Référence : 2009 CF 496

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 mai 2009

En présence de madame la juge Mactavish

 

ENTRE :

VITALI MALKINE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS D’UNE ORDONNANCE ET ORDONNANCE

SUR LA REQUÊTE VISANT LA NOMINATION D’UN AVOCAT SPÉCIAL

 

 

[1]               La demande de Vitali Malkine en vue d’obtenir un visa de résident temporaire pour entrée unique a été rejetée après qu’un agent des visas ait conclu que M. Malkine était une personne dont la description figure aux alinéas 37(1)a) et 37(1)b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, (L.C. 2001, ch. 27). L’agent a jugé que M. Malkine est interdit de territoire au Canada parce qu’il est membre d’un groupe impliqué dans le crime organisé ou la criminalité transnationale. 

 

[2]               M. Malkine demande un contrôle judiciaire de la décision de l’agent. Dans le contexte de cette demande de contrôle judiciaire, le ministre a déposé une requête de non-divulgation de certaines parties du dossier certifié du tribunal, conformément aux dispositions prévues à l’article 87 de la LIPR, affirmant que la divulgation de l’information caviardée porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui.

 

[3]               En réponse à la requête du ministre, M. Malkine a déposé cette requête visant la nomination d’un avocat spécial pour protéger ses intérêts dans les instances liées à l’article 87.

 

[4]               Pour les motifs suivants, j’ai conclu qu’il n’est pas nécessaire de nommer un avocat spécial dans cette affaire. Par conséquent, la requête de M. Malkine sera rejetée.

 

 

Faits

 

[5]               En raison des nombreuses observations de M. Malkine sur cette requête, liées à la longue histoire de M. Malkine avec les représentants de l’immigration canadienne, dans une certaine mesure, il est nécessaire de comprendre cet historique pour mettre ses observations en contexte.

 

[6]               Dès 1994, M. Malkine a tenté d’entrer au Canada en tant que résident permanent dans la catégorie des entrepreneurs en vertu de l’ancienne Loi sur l’immigration. Après que sa première demande a fait l’objet d’un refus, M. Malkine a réussi à obtenir un contrôle judiciaire devant la cour : voir Malkine c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), (1999), 177 FTR 200. La demande de M. Malkine a ensuite été renvoyée aux fins de nouvel examen par un autre agent des visas. 

[7]               Trois ans plus tard, n’ayant reçu aucune décision en ce qui concerne le nouvel examen de sa demande, M. Malkine s’est de nouveau adressé à la Cour, cette fois pour demander une ordonnance de mandamus. Cette demande a été rejetée après que le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration a convenu d’un délai pour la décision concernant sa demande. En janvier 2005, la demande de résidence permanente de M. Malkine a été rejetée en raison de fausses déclarations et une fois de plus, M. Malkine a demandé un contrôle judiciaire devant la Cour. 

 

[8]               Cette fois-ci, le ministre a consenti à l’autorisation de la demande de contrôle judiciaire et une ordonnance a été émise, renvoyant l’affaire en vue d’un nouvel examen. La demande de M. Malkine a été examinée une nouvelle fois, et une fois de plus, elle a été rejetée. M. Malkine n’a pas demandé de contrôle judiciaire en ce qui concerne cette décision. Il a plutôt entrepris une action devant la Cour pour réclamer des dommages-intérêts, ainsi qu’une déclaration selon laquelle la décision de janvier 2005 avait été rendue de façon inappropriée, à la suite d’une entente illégale ou d’un complot visant à le priver de sa capacité d’obtenir le statut de résident permanent au Canada. 

 

[9]               La déclaration de M. Malkine a été radiée par un protonotaire. Son appel visant cette décision a été rejeté compte tenu de la conclusion de la Cour selon laquelle l’action équivalait à une attaque collatérale contre la décision de l’agent des visas. La Cour a soutenu qu’il aurait probablement fallu que le recours que M. Malkine cherchait à obtenir soit demandé dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire : voir Malkine c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 573.

 

[10]           Ne souhaitant plus déménager dans ce pays, M. Malkine a présenté une demande de visa de résident temporaire. Cette fois, M. Malkine souhaitait venir au Canada pour cinq jours afin de s’occuper de problèmes liés à son titre de propriétaire de quelques condominiums commerciaux dans la ville de Toronto. C’est sur la décision négative prise dans le cadre de cette demande que repose la dernière demande de contrôle judiciaire de M. Malkine.

 

 

La décision de l’agent des visas

 

[11]            L’agent des visas a conclu que M. Malkine était interdit de territoire au Canada en vertu des alinéas 37(1) b) et b) de la LIPR.

 

[12]           Entre autres, la partie caviardée des notes de l’agent dans le Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) précise que M. Malkine est sénateur au Conseil de la Fédération, la Chambre haute de la Fédération russe. Les notes indiquent également que M. Malkine est considéré comme [traduction] « faisant partie des oligarques russes connus » et font allusion à son ancien poste de président du conseil de la banque de crédit russe, une institution qui aurait été contrôlée par des organisations criminelles. 

 

[13]           De plus, dans les notes, M. Malkine est identifié comme actionnaire d’une entreprise appelée « Abalone Investments Limited ». Cette entreprise aurait participé à une transaction dans le cadre de laquelle de l’argent prévu pour réduire la dette de l’Angola à la Russie aurait été détourné dans le compte de l’entreprise. Il est précisé que M. Malkine aurait touché personnellement environ 48 millions de dollars (US) dans cette transaction. 

 

[14]           Les notes du STIDI font également référence à l’association de M. Malkine avec des individus impliqués dans le blanchiment d’argent, le commerce des armes et le commerce de « diamants de la guerre » angolais. La participation de M. Malkine dans la campagne pour la réélection du président Yeltsin en Russie est aussi abordée et l’agent mentionne que M. Malkine avait utilisé les profits du crime organiser pour déjouer le processus démocratique en Russie.

 

 

Observations de M. Malkine au sujet d’un avocat spécial

 

[15]           M. Malkine nie avec véhémence toute implication dans le crime organisé. Il mentionne n’avoir jamais reçu d’éléments de preuve fondés à l’appui des allégations contre lui et que, par conséquent, il n’a jamais pu répondre à ces allégations. De plus, les demandes d’accès à l’information présentées au nom de M. Malkine auprès de nombreux organismes gouvernementaux, y compris le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, ainsi que le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE), n’ont révélé aucun renseignement négatif au sujet de M. Malkine.

 

[16]           Selon M. Malkine, la décision qui fait l’objet d’un contrôle s’inscrit dans une tendance du ministre à retarder ou à refuser ses demandes en matière d’immigration. La conduite du ministre a entaché la réputation de M. Malkine et les allégations contre lui ont été embarrassantes sur le plan personnel. Bien que M. Malkine ait été en mesure de voyager librement dans de nombreux autres pays, les allégations non soutenues contre lui l’ont empêché d’entrer au Canada pour des missions commerciales ou pour s’occuper de ses investissements dans ce pays. 

 

[17]           Bien que M. Malkine reconnaisse que les renseignements caviardés dans le dossier certifié du tribunal sont peu nombreux, il se demande s’il est possible que les affidavits déposés par le ministre à l’appui de la requête liée à l’article 87 puissent contenir des renseignements supplémentaires au sujet des prétendues activités criminelles de M. Malkine. M. Malkine ne sait pas si ces affidavits ont été présentés à l’agent des visas et n’avait aucun moyen de connaître la quantité de renseignements négatifs supplémentaires que ces affidavits pouvaient contenir. En conséquence, M. Malkine affirme qu’un avocat spécial devrait être nommé afin de protéger ses intérêts en ce qui concerne ces renseignements.

 

[18]           M. Malkine ajoute qu’il s’agit d’une situation exceptionnelle. Bien qu’il reconnaisse qu’aucun droit en vertu de la Charte n’est en cause dans cette affaire, il mentionne que ses intérêts d’affaires ont subi des conséquences et que sa réputation a été entachée à la suite des refus répétés de ces nombreuses demandes liées à l’immigration.

 

[19]           À la lumière de ses 15 années d’interaction avec les responsables de l’immigration canadienne, M. Malkine affirme que, par souci d’équité, il est nécessaire d’autoriser un avocat spécial à examiner les renseignements non divulgués afin que cette question soit résolue une fois pour toutes.

 

 

Discussion

 

[20]           Les dispositions de la LIPR qui traitent de la nomination d’un avocat spécial ont été adoptées dans le cadre de la décision de la Cour suprême du Canada dans Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9. Dans Charkaoui, la Cour suprême a soutenu qu’à la lumière des droits de liberté importants qui sont en jeu dans les instances portant sur le certificat de sécurité, les exigences en matière de justice fondamentale nécessitaient que la personne nommée sur le certificat obtienne la divulgation complète de l’affaire contre elle, ou un « substitut substantiel » d’une telle divulgation devait être établi : voir Charkaoui, au paragraphe 61.

 

[21]            Bien que les modifications apportées à la LIPR à la suite de la décision Charkaoui rendent obligatoire la nomination d’avocats spéciaux dans les instances portant sur le certificat de sécurité, la nomination d’avocats dans d’autres genres d’affaires en vertu de la Loi est laissée à la discrétion du juge désigné.

 

[22]           Ceci dit, l’article 87.1 de la LIPR permet à la Cour de décider de nommer un avocat spécial « s’il est d’avis que les considérations d’équité et de justice naturelle requièrent » une telle nomination afin de protéger les intérêts d’un demandeur.

 

[23]           Bien que je convienne que M. Malkine est frustré à la suite de son expérience avec le système d’immigration canadien au cours des 15 dernières années, sa demande de contrôle judiciaire actuelle ne constitue pas une occasion de revoir chacune de ses demandes d’immigration qu’il a présentées antérieurement et qui ont été rejetées. Dans cette affaire, la question porte sur une demande de contrôle judiciaire d’une décision lui refusant un visa de résident temporaire et sa demande concernant la nomination d’un avocat spécial doit être examinée dans ce contexte. 

 

[24]           Contrairement aux instances portant sur un certificat de sécurité, aucun droit en vertu de la Charte n’est en cause dans cette affaire. M. Malkine n’est pas en détention et il n’est pas question de son renvoi potentiel vers une destination où sa vie ou sa liberté serait menacée. En effet, la seule raison donnée par M. Malkine pour vouloir venir au Canada est de protéger ses intérêts économiques dans ce pays. Par conséquent, les garanties de « justice fondamentale » prévues par la Charte ne sont pas invoquées. La question traite plutôt de l’équité procédurale en common law.

 

[25]           Comme l’a observé la Cour suprême du Canada dans Baker c. Canada (ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, le contenu du devoir d’agir équitablement est variable et l’équité requise dans une affaire donnée dépend du contexte de l’affaire en question.   

 

[26]           La décision de l’agent des visas dans cette affaire ne prive M. Malkine d’aucun droit juridique. En tant qu’étranger, il n’avait pas le droit d’entrer au Canada : Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711, au paragraphe 24.

 

[27]           Lorsque, comme dans ce cas-ci, c’est le visa de résident temporaire qui est cause, la nature des intérêts individuels qui sont en jeux laisse entendre que les exigences d’équité procédurale se trouveront au bas du spectre : voir, par exemple, Chiau c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 297 (CAF), aux paragraphes 38 à 41; Khan c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 345 (CAF), aux paragraphes 30 à 32.

 

[28]           Il convient aussi de mentionner le fait que la quantité de renseignements qui n’ont pas été divulgués à M. Malkine était très limitée. Comme cela a été souligné dans Segasayo c. Canada (ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 585, dans les instances portant sur un certificat de sécurité, la quantité de renseignements non divulgués à la personne visée par le certificat est habituellement importante. De plus, la personne en question n’aura aucun moyen de connaître l’étendue de la non-divulgation : voir Segasayo, au paragraphe 28.

 

[29]           En revanche, dans cette affaire, le dossier complet du tribunal contient 29 pages, et environ 21 lignes de texte ont été caviardées. M. Malkine a effectivement reconnu que l’information caviardée était « limitée ». 

 

[30]           De plus, comme l’a constaté le juge Noël dans Dhahbi c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 347, l’expérience montre que dans de tels cas, il arrive souvent que l’information caviardée n’éclaire pas beaucoup l’affaire. Des références aux techniques d’enquête et aux méthodes administratives et opérationnelles, au nom des membres du personnel du SCRS et à leur numéro de téléphone et à des renseignements liés aux relations entre le SCRS et d’autres organismes au Canada et à l’étranger font partie des exemples cités par le juge Noël. 

 

[31]           Un examen du dossier certifié du tribunal non caviardé révèle que M. Malkine a eu accès à la grande majorité des renseignements contenus dans le dossier et qu’il est au courant de la substance de l’information sur laquelle s’est appuyé l’agent des visas pour refuser sa demande de visa de résident temporaire. 

 

[32]           M. Malkine a également exprimé sa préoccupation en ce qui concerne l’affidavit ou les affidavits déposés par le ministre à l’appui de la demande en vertu de l’article 87. Les deux affidavits sur lesquels s’appuyait le ministre expliquent les raisons pour lesquelles, du point de vue des déposants, la divulgation de l’information caviardée porterait atteinte à la sécurité nationale du Canada ou à la sécurité d’autrui. Ces affidavits ne contiennent aucune autre allégation au sujet de M. Malkine et puisque les affidavits ont été assermentés après que M. Malkine a commencé sa démarche en vue de demander un contrôle judiciaire, il est évident que l’agent des visas n’avait pas pris connaissance des affidavits lorsque la décision visée par le contrôle a été prise.  

 

 

Conclusion

 

[33]           À la lumière des facteurs ci-dessus, j’en conclus que les considérations d’équité et de justice naturelle ne nécessitent pas la nomination d’un avocat spécial dans cette affaire. Par conséquent, la requête de M. Malkine est rejetée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE le rejet de la requête du demandeur visant la nomination d’un avocat spécial.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIERS :                                      IMM-528-08

 

 

INTITULÉ :                                       VITALI MALKINE c. MCI

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 avril 2009

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 ET ORDONNANCE :                      Mactavish J.

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 13 mai 2009

 

 

 

COMPARUTION :

 

Me Joseph R. Young                                                                 POUR LE DEMANDEUR

 

Me Kristina Dragaitis                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

JOSEPH R. YOUNG

Avocats

Toronto (Ontario)                                                                     POUR LE DEMANDEUR

 

JOHN H. SIMS, Q.C.

Sous-procureur général du Canada                                           POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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