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Federal Court

 

 

 

 

Cour fédérale


Date : 20090525

Dossier : IMM-4864-08

Référence : 2009 CF 542

Ottawa (Ontario), le 25 mai 2009

En présence de monsieur le juge Martineau 

 

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

 

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET

 DE LA PROTECTION CIVILE

 

demandeurs

et

 

BEKIM IMERI

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Les demandeurs contestent la légalité de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) rendue le 2 octobre 2008, acceptant la demande d’asile du défendeur et refusant d’exclure celui-ci de la définition de réfugié au sens de la Convention.

 

[2]               Le défendeur est citoyen de la Macédoine et appartient à la minorité albanaise de religion musulmane. C’est un ancien étudiant à l’Université de Tetovo et un militant actif pour les droits de la minorité albanaise. Au cours de l’été 2001, lors du conflit entre la minorité albanaise et le gouvernement macédonien, le défendeur offre son aide à l’Armée de Libération nationale (l’ALN). Selon la preuve documentaire, l’ALN a été créée au début de 2001 et dissoute en septembre de la même année. Durant cette période, l’ALN qui est pro-albanaise occupe certains villages dont celui du défendeur. L’OTAN intervient rapidement; les Macédoniens craignent alors que leurs voisins Albanais veuillent créer une grande Albanie. En août 2001, un accord est conclu pour amender la Constitution en vue d’accorder plus de droits à la minorité albanaise et désarmer l’ALN. Lors de son témoignage, le défendeur explique qu’il n’a jamais été membre de la « section armée » de l’ALN; toutefois, il dit avoir été membre de la « section civile ». Quoiqu’il en soit, sa participation à l’ALN a été limitée à deux mois, soit mai et juin 2001. À cette époque, la population du village du défendeur considère alors que l’ALN les protègera contre l’armée macédonienne. Tous ceux qui le peuvent, participent à la défense du village en vue d’une attaque qui n’aura cependant jamais lieu. À la demande de l’ALN, le défendeur creuse des tranchées. Il aide aussi à loger des réfugiés de la minorité albanaise. Dans son témoignage, le défendeur se dit d’accord avec les objectifs de l’ALN mais pas avec les moyens qu’elle emploie, c’est-à-dire la violence. Par contre, il dit  ne pas avoir été témoin d’actes de violence de la part de l’ALN.

 

[3]               Dans la décision sous étude, la Commission conclut que le défendeur est crédible. Plus particulièrement, elle note qu’en 2001, le défendeur est engagé dans une cause « appuyée par l’Union européenne et les États-Unis, soit la défense des droits de la minorité albanaise, en particulier les droits à l’éducation et les droits linguistiques. » D’ailleurs, les activités passées du défendeur, autant au sein de la communauté universitaire de Tetovo qu’à titre de membre du conseil municipal de son village, vont dans ce sens de l’avis de la Commission. Quant à l’exclusion du défendeur, la Commission détermine que l’ALN était une organisation qui « avait beaucoup d’autres fins que des fins limitées et brutales ». De plus, la Commission refuse de conclure à la complicité par association du défendeur, notant qu’il « n’a pas été établi qu’il y avait une participation personnelle et consciente du défendeur aux actes de persécution » et qu’il « n’y avait pas non plus de dessein commun poursuivi par « l’auteur » et « le complice » ». Au titre de l’inclusion, la Commission conclut que les craintes de persécution personnelle du défendeur par la police macédonienne sont confirmées par la preuve documentaire, de sorte qu’elle décide d’accorder la demande d’asile du défendeur.

 

[4]               Les demandeurs soumettent aujourd’hui que la Commission a erré quant à la norme de preuve applicable et que celle-ci a commis des erreurs manifestes en concluant que l’ALN n’est pas une organisation aux fins brutales et limitées et que le défendeur ne peut être considéré complice par association. Bref, en raison de son appartenance et de l’appui matériel qu’il a fourni en 2001 à l’ALN, et également de sa connaissance des exactions perpétrées contre la population civile par l’ALN, les demandeurs soutiennent que le défendeur a participé ou s’est rendu complice de crimes contre l’humanité, crimes de guerre et d’actes contraires aux principes des Nations Unies, permettant de l’exclure du bénéfice du statut de « réfugié » au sens de la Convention.

 

[5]               L’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, n’a pas sensiblement modifié la portée de la norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission quant à l’applicabilité des clauses d’exclusion. Selon la jurisprudence passée de cette Cour et de la Cour d’appel fédérale, la question de l’application du concept juridique de la complicité aux faits en l’instance est une question mixte de fait et de droit relevant de l’expertise spécialisée de la Commission, donc soumise à la norme de la décision raisonnable (Tchoumbou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 585 aux paras. 21 à 24, [2008] A.C.F. no 920 (QL); Harb c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 39 au para. 14, [2003] A.C.F. no 108 (QL); Valère c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 524, [2005] A.C.F. no 643 (QL) au para. 12; Salgado c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2006 CF 1 au para. 8, [2006] A.C.F. no 1 (QL)).

 

[6]               La simple appartenance à une organisation visant principalement des fins brutales et limitées permet d’inférer la complicité de l’individu aux fins de l’organisation et conduit systématiquement à l’application des clauses d’exclusion (Ramirez c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 2 C.F. 306 au para. 16, [1992] A.C.F. no 109 (Ramirez); Moreno c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 298; [1993] A.C.F. no 912 au para. 45 (Moreno); Harb au para. 19. Il s’agit d’une présomption de complicité, selon laquelle l’on présume qu’il y a un but commun partagé entre l’individu et l’organisation à moins que l’individu en question  ne réfute la présomption (Yogo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 FCT 390, [2001] A.C.F. no 655 (QL) au para. 35 (Yogo); Bukumba c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 93, [2004] A.C.F. no 102 (QL)). La nécessité de prouver la complicité  réelle ou présumée incombe alors au Ministre (Ramirez). Il s’agit là d’une exception au principe général voulant que la simple appartenance à un groupe soit insuffisante pour entraîner la complicité (Ramirez au par. 16). Dès lors, la qualification de  la nature de l’organisation devient déterminante (Yogo; Sivakumar c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 C.F. 433 au para. 9, 13, [1993] A.C.F. no 1145 (QL))

 

[7]               S’agissant des exactions perpétrées en 2001 par l’ALN, la preuve documentaire au dossier fait référence au U.S. Department of State, Country Reports on Human Rights Practices -  2001, The Former Yugoslav Republic of Macedonia, lequel révèle ce qui suit :

NLA insurgents also committed serious abuses against the civilian population, including killings, beatings, looting, and "ethnic cleansing."

 

[…]

 

The NLA also killed civilians during the conflict (see Section 1.g.). For example, on August 26, NLA members killed two Macedonian employees in a bomb explosion at a Macedonian-owned restaurant.

 

[…]

 

b. Disappearance

 

Several persons disappeared during the conflict, possibly for political reasons or due to conflicts among organized crime groups. Authorities and the local press frequently addressed the status of 12 ethnic Macedonians and, less frequently, 6 ethnic Albanians, all of whom disappeared during the conflict. Former NLA leaders denied knowledge of the whereabouts of the 12 ethnic Macedonians who disappeared from their villages around Tetovo. The Government accused the NLA of having killed them, and the Public Prosecutor and the Minister of Interior claimed that their bodies were buried northeast of Tetovo. However, an exhumation of the suspected gravesite conducted by the Ministry of the Interior from November 22 to 25 was inconclusive at year's end.

 

[…]

 

The NLA beat, threatened, and otherwise mistreated civilians during the conflict.  On May 24 and 25 in Matejce, NLA members detained for 4 days four elderly ethnic-Serb men in the village mosque and reportedly beat them with their fists and guns, and kicked them.  The NLA members also detained a second group of ethnic Serbs for 4 days and beat some of them.  On August 7, NLA members abducted five ethnic-Macedonian road workers on the Tetovo-Skopje highway.  They beat the workers, mutilated them with knives, and forced them to perform sexual acts on each other.  The workers were then released.  There were persistent, unconfirmed rumors that the NLA threatened to kill elected ethnic-Albanian political leaders and journalists if they publicly opposed the insurgency (see Section 2.a.).

 

[…]

 

The NLA frequently and arbitrarily detained ethnic Macedonians, and in at least one instance, ethnic Serbs, in areas under its control.  Most were released unharmed shortly after their detention.  According to Human Rights Watch, on May 24, NLA elements detained four ethnic-Serb men--all reportedly fathers of Macedonian policemen--from the village of Matejce and allegedly tortured them for 4 days before they released them (see Section 1.c.).  On June 29, NLA insurgents detained three ethnic Macedonians, including one foreigner.  On August 26, the NLA released the three men to the ICRC.

 

[…]

 

On June 11, the NLA burned ethnic-Macedonian homes and an Orthodox Church in southern Matejce.  On July 28, members of the NLA reportedly set fire to ethnic-Macedonian homes in Tearce to discourage returns of ethnic Macedonians to their villages; an NLA rebel commander claimed that the fires were caused by electrical problems from downed power lines.

 

[…]

 

NLA combatants sometimes used ethnic-Albanian civilians as human shields, forcing them to remain against their will in villages under artillery attack, thereby purposefully increasing the risk of civilian casualties.  Both sides tortured, beat, and harassed civilians of the opposing ethnic group (see Section 1.c.).  The NLA actively spread misinformation about the police, exaggerating the number and extent of their confirmed, serious abuses.  Both the Macedonian police and the NLA arbitrarily arrested and detained persons (see Section 1.d.).  Both sides destroyed homes and property (see Section 1.f.)

 

Civilians were killed by landmine explosions, which the NLA laid on roads heavily traveled by civilians.  On July 19, two European Union monitors and their interpreter were killed in western Macedonia when their vehicle hit a landmine that allegedly was laid by the NLA.  On July 29, an NLA landmine explosion on the Lesok-Zelce road north of Tetovo killed two ethnic-Macedonian civilians.  Landmines planted by the NLA also killed security forces, including two members of the security forces on March 4.  At year's end, no statistics were available on persons killed or injured by landmine explosions.

 

The NLA reportedly attacked the ethnic-Albanian village of Malina Maala with mortars when villagers disobeyed NLA instructions to evacuate the settlement.

 

The NLA at times engaged in "ethnic cleansing" campaigns in areas under its control.  Threatening violence, the NLA forced thousands of ethnic Macedonians from their homes in northern and western Macedonia.  The Framework Agreement called for safe conditions under which displaced persons could return home, and much progress had been made toward that goal by year's end.

 

The NLA cut off the water supply to the city of Kumanovo in June for approximately 11 days, causing serious health and humanitarian problems for civilians in the city.  A cease-fire was negotiated in June by the national security advisor and the NLA, which allowed ethnic-Macedonian water engineers to reopen the water valves. 

 

[8]               Le paragraphe 4(3) de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, ch. 24, donne la définition suivante de « crimes contre l’humanité »:

 

« crime contre l'humanité » Meurtre, extermination, réduction en esclavage, déportation, emprisonnement, torture, violence sexuelle, persécution ou autre fait - acte ou omission - inhumain, d'une part, commis contre une population civile ou un groupe identifiable de personnes et, d'autre part, qui constitue, au moment et au lieu de la perpétration, un crime contre l'humanité selon le droit international coutumier ou le droit international conventionnel, ou en raison de son caractère criminel d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations [...]

"crime against humanity" means murder, extermination, enslavement, deportation, imprisonment, torture, sexual violence, persecution or any other inhumane act or omission that is committed against any civilian population or any identifiable group and that, at the time and in the place of its commission, constitutes a crime against humanity according to customary international law or conventional international law or by virtue of its being criminal according to the general principles of law recognized by the community of nations, whether or not it constitutes a contravention of the law in force at the time and in the place of its commission. […]

 

[9]               En l'espèce, il n'est pas contesté par le défendeur que l’ALN a commis les crimes contre l’humanité qui lui sont reprochés dans la preuve documentaire sur laquelle s’appuient les demandeurs. C’est la qualification d’organisation visant principalement des fins limitées et brutales qui pose problème de l’avis du défendeur qui s’appuie sur le raisonnement suivant de la Commission :

[29]      L’ALN était-elle une organisation visant principalement des fins limités et brutales? Il est clair que l’ALN est à l’origine d’une insurrection armée et a attaqué les forces armées de la Macédoine. Bien qu’elle disait combattre pour protéger les droits des Albanais, elle a certainement utilisé des moyens répréhensibles, comme forcer des villageois albanais à rester dans leurs villages, devenant ainsi des boucliers humains, l’expulsion forcée de Macédoniens de leurs habitations ou encore l’utilisation de mines antipersonnelles mettant en danger des civils. Elle a aussi été responsable de quelques décès chez les civils.

 

[30]      L’analyse de la documentation déposée laisse entendre que les autorités macédoniennes auraient commis beaucoup plus de violations de droits humains que l’ALN, ce qui n’est quand même pas une excuse pour l’ALN.

 

[31]      Il reste que le conflit armé a été de courte durée, de février à juillet 2001 et qu’il y a eu peu de pertes de vies humaines. De plus, dès la fin du conflit, l’ALN, ayant obtenu certaines concessions des autorités macédoniennes, a déposé les armes.

 

[…]

 

[33]      Le tribunal ne conclut pas que l’ALN n’a pas commis de crimes contre l’humanité, mais conclut qu’elle avait beaucoup d’autres fins que des fins limitées et brutales. Le tribunal considère qu’aider la cause défendue par l’ALN ne constitue pas automatiquement de la complicité dans les crimes contre l’humanité.

 

[10]           Dans la décision sous étude, la Commission conclut également que les critères d’application de la complicité par association ne sont pas rencontrés pour les motifs suivants :

[34]      Dans le cas du demandeur, le ministre ne prétend pas qu’il avait commis personnellement de tels actes, mais il n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur était au courant que des crimes contre l’humanité avaient été commis par l’ALN. Le demandeur était isolé dans son village occupé et s’employait à reloger les réfugiés et à creuser des tranchées pour protéger la population. Sa participation a été limitée au temps de l’occupation, c’est-à-dire deux mois. Il n’a pas été établi qu’il y avait une participation personnelle et consciente du demandeur aux actes de persécution (si on prend pour acquis que de tels actes ont été commis) pour appuyer l’allégation de complicité, selon les critères établis par la Cour d’appel fédérale dans Ramirez c. MEI. Il n’y avait pas non plus de dessein commun poursuivi par « l’auteur » et « le complice » pour reprendre les termes de la Cour d’appel fédérale dans Moreno c. Canada.

 

[35]      En conséquence, il n’y avait pas de raisons sérieuses de penser que le demandeur avait commis un crime contre l’humanité, directement ou indirectement. Le tribunal détermine donc que le demandeur ne doit pas être exclu de la protection par les dispositions de la section F de l’article premier de la Convention.

 

 

[11]           Les demandeurs soutiennent en premier lieu que la Commission a erré au paragraphe 34 de sa décision quant à la norme de preuve applicable à l’exclusion du défendeur. Toutefois, il faut lire le paragraphe 34 avec le paragraphe 35 de sorte que je présumerai que la Commission a appliqué les critères établis par la jurisprudence quant à la norme de preuve de requise, soit celle « des raisons sérieuses de penser », les décisions rendues dans Moreno et Ramirez étant d’ailleurs citées par la Commission au paragraphe 34 de sa décision.

 

[12]           Dans Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 867, cette Cour s’est exprimée comme suit au sujet de la preuve requise pour qu’une organisation soit qualifiée d’organisation poursuivant des fins limitées et brutales :

[40]    En l'espèce, la section du statut en est venue à la même conclusion que dans l'arrêt Suresh, précité. Les LTTE sont responsables d'actes brutaux et calculés. Toutefois, le demandeur laisse entendre qu'une organisation doit être une organisation qui se livre [TRADUCTION] « uniquement et exclusivement à des actes de terrorisme » pour être qualifiée d'organisation poursuivant des fins limitées et brutales. Pour ce faire, il s'appuie sur la décision Balta c. Canada, [1995] A.C.F. no 146 (C.F. 1re inst.). Je ne peux accepter cette position. Bien au contraire, les deux décisions suivantes, soit Mehmoud c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1019 (C.F. 1re inst.) et Shakarabi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 444 (C.F. 1re inst.) font ressortir que, lorsqu'il n'y a pas de preuve que les objectifs politiques peuvent être distingués des activités militaristes, on peut quand même conclure qu'une organisation poursuit des fins limitées et brutales. Il n'y a pas de preuve qui laisse entendre que les activités terroristes des LTTE puissent être séparées d'autres objectifs qu'elle peut avoir. Les LTTE ont recours à des méthodes terroristes pour parvenir à leurs objectifs et cela laisse supposer que les LTTE sont une organisation poursuivant des fins brutales et limitées.

[Je souligne.]

 

[13]           S’agissant de déterminer si l’ALN était ou non une organisation visant principalement des fins limitées et brutales, je suis d’avis que la Commission a tiré une conclusion de fait manifestement erronée, sans tenir compte des éléments de preuve documentaire dont elle disposait et en s’appuyant sur des considérations non pertinentes, ce qui constitue une erreur révisable en l’espèce (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (C.F. 1ère inst.) (QL); (1998), 157 F.T.R. 35 au para. 17; Berete c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 359 (C.F. 1ère inst.) (QL) au para. 8;  Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Molebe, 2007 CF 137 au para. 27). D’un revers de la main, parce que le conflit armé a été de courte durée, la Commission écarte arbitrairement la preuve documentaire soumise par la représentante du Ministre et banalise les exactions de l’ALN parce qu’il y a peu de pertes de vies humaines et que l’ALN a déposé les armes. Or, une analyse de la documentation déposée démontre au contraire qu’il y a eu de nombreuses exactions commises par l’ALN sur la population civile, incluant des violations des droits de la personne, des enlèvements, de la détention arbitraire, de la torture, du nettoyage ethnique, des assassinats, l’utilisation de civils comme boucliers humains et des sévices sexuels.

 

[14]           En l’espèce, la Commission semble inférer que les objectifs politiques de l’ALN pourraient être distingués de ses activités militaristes. Pareille conclusion n’est pas appuyée par un raisonnement clairement articulé dans la décision sous étude et d’ailleurs ne trouve pas écho dans la preuve documentaire au dossier, ce qui rend déraisonnable la conclusion de la Commission à l’effet que l’ALN n’était pas une organisation visant principalement des fins brutales et limitées. Quoiqu’il en soit, il n’est pas permis à la Commission d’inférer que dès lors qu’une organisation vise la défense des droits d’une minorité, il lui est permis de le faire par tous les moyens. Toute motivation légitime n’excuse pas la commission d’actes réprimés par la communauté internationale ou dans les instruments internationaux, ce qui était le cas en l’espèce en ce qui concerne les exactions de l’ALN (Tutu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 74 F.T.R. 44; Shakarabi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 145 F.T.R. 297, aux paras. 21 et 22; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 2 C.F. 592 (C.A.F.) au para. 36; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 867 au para. 40).

 

[15]           La complicité par association a par ailleurs été décrite comme suit dans Bazargan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 205 N.R. 282, [1996] A.C.F. no 1209 (QL) (Bazargan):

[11]      Il va de soi, nous semble-t-il, qu'une « participation personnelle et consciente » puisse être directe ou indirecte et qu'elle ne requière pas l'appartenance formelle au groupe qui, en dernier ressort, s'adonne aux activités condamnées. Ce n'est pas tant le fait d'oeuvrer au sein d'un groupe qui rend quelqu'un complice des activités du groupe, que le fait de contribuer, de près ou de loin, de l'intérieur ou de l'extérieur, en toute connaissance de cause, aux dites activités ou de les rendre possibles. Il n'est nul besoin d'être un membre pour être un collaborateur. La complicité, nous disait le juge MacGuigan à la page 318 C.F. [dans Ramirez], « dépend essentiellement de l'existence d'une intention commune et de la connaissance que toutes les parties en cause en ont ». Celui qui met sa propre roue dans l'engrenage d'une opération qui n'est pas la sienne mais dont il sait qu'elle mènera vraisemblablement à la commission d'un crime international, s'expose à l'application de la clause d'exclusion au même titre que celui qui participe directement à l'opération.

 

[12]         Cela dit, tout devient question de faits. Le Ministre n'a pas à prouver la culpabilité de l'intimé. Il n'a qu'à démontrer - et la norme de preuve qu'il doit satisfaire est « moindre » que la prépondérance des probabilités » (Ramirez, précité, à la p. 314 C.F.) - qu'il a des raisons sérieuses de penser que l'intimé est coupable. [...]

 

 

[16]           Encore une fois, l’analyse de la Commission dans la décision attaquée m’apparaît viciée pour un ensemble de facteurs. En ce qui concerne d’abord la méthode de recrutement, le défendeur a déclaré ce qui suit à l’agent d’immigration au point d’entrée :

Subject says he is afraid of the police, because they could charge him for working for the [A]lbanian movement « National Liberation Army of Macedonia », UCK (the Macedonian one). Says he was building trenches for the soldiers and bunkers for civilians in the mountains. Says he was building trenches for the soldiers and bunkers for civilians in the mountains. Says he had been recruited by “commandant MALA ISMAIL, who was coming from his village, JAZHINCÉ, himself sent by the movement headquarter.

 

Subject says he worked two months, from May to June, during the Macedonian [A]lbanian insurrection in 2001. Since the end of the insurrection, he did not meet them anymore. Although there were amnesty, the police is arresting from time to time young people who got involved in those events, that why he says he was afraid to stay in Macedonia.

 

[Je souligne.]

 

(Agent d’immigration, Notes au point d’entrée, datées du 8 juin 2003) 

 

 

[17]           Lors de son témoignage, le défendeur a été confronté à sa déclaration au point d’entrée et est revenu sur ce qu’il avait déclaré relativement au fait qu’il avait été recruté par un commandant de l’ALN. Après avoir dit qu’il n’avait pas été recruté, contrairement à sa déclaration au point d’entrée, il a affirmé :

A.   « But since I was a member of that I felt as obligation and, you know, to help in any way I could help and that’s why we did. But you know, (inaudible) the whatever, like you know doing those military things that probably I did, I was forced to do so.”

 

(Transcription de l’audience devant la section de la détermination du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Bekim Imeri, dossier MA3-04338, 16 avril  2008, (Transcription de l’audience devant la Commission)  p.48)

 

A.     (…) “But what I said I wasn’t recruited-- I did what I was forced to do whatever they asked me to do, so that’s what I did.”

 

(Transcription de l’audience devant la Commission, p.49)

 

A.   (…) So he did came [sic] (inaudible), you are going to do this because I am forcing to do that You know, like it wasn’t like that (inaudible) but I felt as a member of like civilian, like council that I was and you know, doing whatever like was asked me to do (sic). So probably they asked me to do trench [sic] and I did the trench.

 

Q.   Okay. So you did basically what they asked you to do.

 

A.   Yes I did.

 

(Transcription de l’audience devant la Commission, p.49)

 

 

[Je souligne.]

 

[NTD: Il est à noter que j’ai corrigé et retranscrit à nouveau chacune de ces citations qui avaient été tirées du Dossier des Demandeur et différaient de la transcription de l’audience contenue au sein du dossier du tribunal]

 

 

[18]           Le défendeur a également confirmé à l’audience qu’il avait creusé des tranchées pour l’ALN à la demande de l’organisation. Je suis d’accord avec la procureure des demandeurs que le défendeur a offert un témoignage confus lorsqu’il lui a été demandé s’il avait été forcé ou s’il avait offert son aide volontairement. Le défendeur a témoigné qu’il n’avait pas tenté de refuser de faire ce que l’ALN lui demandait, soit de creuser des tranchées.

 

 

BY MINISTER’S COUNSEL (to the person concerned)

 

Q.   Okay. What would have happened if you had said no I am not building trenches, me, I am not doing it, what would have happened to you?

 

A.   Probably they would have made me like to go in and guard somewhere.

 

Q.   On a what?

 

A.   Guard.

 

Q.   Guard?

 

A.   The term like you know, goes to a certain place and just stay there and I don’t know, I don’t really know. I can’t really say like what would happen if I said no.

 

Q.   You didn’t try to say no?

 

A.   Because I was a member of the, you know, the ---

 

Q.    No, but just answer the question. You can explain, you can always explain but still you are not answering the question.

 

A.   But as I said, you know, I - at that time I didn’t think for the consequence might happen in future because that was the time of the war and everybody was compelled to apply by the rules and the requirement that Uchuka was asking us to do, so ---

 

Q.   Sir, did you try to say no?

 

A.   Did I try to say no? No I didn’t.

 

BY THE PRESIDING MEMBER (to the person concerned)

 

Q.      You did try?

 

A.      No, I did not.

 

Q.      Oh, you did not try, all right.

 

A.   No, I did not.

 

[Je souligne.]

 

(Transcription de l’audience devant la Commission, p. 49)

 

 

[19]           Quoiqu’il en soit, bien que le défendeur prétende qu’il était membre de la section civile « civilian body », il aurait néanmoins été recruté pour creuser des tranchées, soit une opération résolument militaire. Le défendeur a tenté tant bien que mal d’expliquer cette incohérence (Transcription de l’audience devant la Commission, p.50-51).

 

[20]           Le défendeur a également été confronté à la preuve documentaire qui révélait les exactions commises par l’ALN au cours de son témoignage. Il a répondu qu’il s’agissait de pures inventions du gouvernement macédonien. Cependant, le défendeur a reconnu qu’il était au courant parce que ces actes étaient véhiculés dans les médias.

A.   Yeah, there were abused like that. The Macedonian Government was applying force so, you know, what the government said to me was just like bolognie (ph) and like I don’t really think (inaudible). You know like I wasn’t there, I haven’t seen something that happened so I don’t know.

 

Q.   Did you know that, did you know about the ---

 

A.   That was in the news that time so yeah, I was aware.

 

Q.   It was in the news, okay. So you were aware of that but do you believe that?

 

A.   No, I don’t believe that.

 

Q.   You don’t believe it.

 

A.   As long as I haven’t seen them and like you know, I cannot tell like that happened so I can’t comment, I cannot comment that one.

 

Q.   Okay. So you don’t believe that. Do you agree with these methods?

 

A.   No I don’t.

 

[Je souligne.]

 

(Transcription de l’audience devant la Commission, pp. 65-66)

 

 

[21]           Selon la preuve au dossier, que la Commission avait l’obligation de considérer, le défendeur n’a pas tenté de s’informer pour savoir si ce qu’il avait entendu à propos des crimes commis par l’ALN était vrai (Transcription de l’audience devant la Commission, pp. 67-72). Or, la Commission a complètement ignoré cette preuve hautement pertinente, se bornant à souligner dans la décision sous étude que le défendeur n’avait pas connaissance des actes de l’ALN et ne partageait pas ses intentions. Au contraire, le défendeur a clairement témoigné qu’il était au courant des crimes commis par l’ALN. Dès lors, cette Cour n’a d’autre choix, ainsi que l’invitent les demandeurs, que de conclure que la décision a été rendue sans égard et contrairement à la preuve au dossier, ce qui constitue une erreur révisable en l’espèce.

 

[22]           Pour l’ensemble de ces motifs, la présente demande de révision judiciaire doit être accueillie. Aucune question d’importance générale n’est soulevée par les procureurs.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que la décision de la Commission rendue le 2 octobre 2008 soit cassée et que l’affaire soit retournée pour nouvelle audition devant un autre membre de la Commission. Aucune question n’est certifiée.

 

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4864-08

 

INTITULÉ :                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c. BEKIM IMERI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 12 mai 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 25 mai 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lisa Maziade

 

POUR LES DEMANDEURS

Mark J. Gruszczynski

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

Gruszczynski, Romoff

Westmount (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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