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Cour fédérale

Federal Court


 

Date : 20090508

Dossier T-382-08:

Référence : 2009 CF 474

Ottawa (Ontario), le 8 mai 2009

En présence de Monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

ELI LILLY CANADA INC.

demanderesse

et

 

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et MINISTRE DE LA SANTÉ

 

défendeurs

 

Motifs du jugement et jugement

 

[1]               Il s’agit d’une demande par laquelle Eli Lilly Canada Inc. (Eli Lilly) conteste le refus du ministre de la Santé (le ministre) d’ajouter le brevet canadien d’Eli Lilly no 2,265,712 (le brevet 712) au registre des brevets à la date à laquelle des listes de ses brevets connexes ont été déposées. Le ministre a été d’avis que le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement AC) dispose qu’un brevet peut être ajouté au registre des brevets uniquement à la date à laquelle il est présumé admissible à l’adjonction à la liste, et pas avant.

I.                   Contexte

[2]               Le 27 novembre 2006, Eli Lilly a présenté au ministre des listes de brevets, demandant à ajouter au registre des brevets son brevet 712 pour le dihydrate d’olanzapine à l’égard de plusieurs suppléments à une présentation de drogue nouvelle (SPDN). Le ministre a refusé ces demandes le 17 janvier 2007, au motif que le brevet 712 ne pouvait, pour diverses raisons qu’il a énoncées, être inscrit au registre des brevets. Ce refus a été suivi d’un échange de correspondance entre Eli Lilly et le ministre, et des renseignements supplémentaires ont été fournis à l’appui de la position d’Eli Lilly. Le 19 novembre 2007, le ministre a accepté d’inscrire le brevet 712 à l’égard de trois SPDN.

 

[3]               Le 26 novembre 2007, Eli Lilly a demandé au ministre d’envisager d’adjoindre le brevet 712 au registre des brevets à la date à laquelle le brevet avait été initialement déposé, soit le 27 novembre 2006. Cette demande était ainsi justifiée :

[traduction] Si l’on suppose que le dépôt d’une liste de brevets (formule IV) a pour objet d’informer de l’existence d’un brevet susceptible d’être pertinent pour un médicament, la date du dépôt de la formule IV est suffisante à cette fin. Si les présentations faisant mention des produits ZYPREXA ZYDIS de Lilly ont été déposées après la date du dépôt de la liste des brevets de Lilly avec la formule IV, elles devraient donc tenir compte du brevet 712. Les présentations qui ont été déposées avant les modifications d’octobre 2006 en vertu de l’ancien Règlement y sont assujetties, et celui-ci ne prévoyait pas de gel de brevet. De telles présentations doivent aussi tenir compte du brevet 712 tel qu’il a été inscrit.

 

Nous espérons que vous prendrez les mesures nécessaires pour que ce brevet soit pris en compte comme il se doit, en fonction des dates de dépôt des présentations abrégées de nouvelle drogue faisant état de ces produits, étant donné que la liste de brevets 712 a été correctement déposée en novembre 2006. Nous soulignons en particulier que Pharmascience a déposé des présentations qui devraient traiter du brevet 712. Nous demandons à ce que le ministre confirme qu’aucun AC ne sera délivré à l’égard des présentations de Pharmascience (ou de toute autre présentation déposée à l’égard de l’olanzapine à dissolution orale) avant que le brevet 712 n’ait été correctement traité par avis d’allégation.

 

[4]               Le ministre a refusé, par lettre du 4 janvier 2008, la demande d’inscription préalable d’Eli Lilly, au motif que le brevet 712 n’était pas inscrit en bonne et due forme quand il a décidé le 19 novembre 2007 de l’admissibilité à l’inscription. Cette date a donc été déterminante pour décider si la seconde personne était tenue de traiter du brevet 712 aux termes de l’article 5 du Règlement AC.

 

[5]               Eli Lilly a ensuite demandé le réexamen de la décision du ministre, mais la décision initiale a été confirmée pour les motifs ci-après :

[traduction] Vous avez insisté, lors de la réunion du 16 janvier 2008, sur votre position antérieure selon laquelle le dépôt d’une formule IV avait pour objet de donner avis à une seconde personne de l’existence d’un brevet pouvant être pertinent pour un médicament. Vous estimez que la date du dépôt de la formule IV est la date pertinente à cette fin. C’est pourquoi vous avez soutenu que les présentations de médicaments génériques déposées après la date de dépôt devraient déclencher l’application de l’article 5 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) [DORS/93-133, modifié] (le Règlement AC).

 

À ce titre, vous avez suggéré soit a) d’inscrire provisoirement le brevet immédiatement à la date du dépôt de la formule IV afin de donner avis à des secondes personnes potentielles, puis s’il y a lieu de le retirer du registre des brevets après la décision finale quant à l’admissibilité, soit b) si le brevet ne peut être immédiatement inscrit, l’avis de conformité n’ayant pas été délivré, d’antidater l’inscription du brevet à la date du dépôt de la formule IV, après délivrance de l’avis de conformité. Vous avez exposé dans votre réponse au réexamen du BMBL du 4 janvier 2008 que selon vous, le libellé du paragraphe 5(1) du Règlement AC appuie votre position, car il y est fait mention d’une liste de brevets qui a été « présentée » au ministre.

 

Le libellé de l’article 5 peut certes comporter des ambiguïtés, mais le BMBL est d’avis que le Règlement AC, pris dans son intégralité, n’appuie pas l’inscription des brevets au registre des brevets à la date du dépôt de la formule IV pertinente.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                  

 

Le paragraphe 5(4) du Règlement AC mentionne en revanche les brevets ayant été « ajoutés au registre », et son libellé correspond à celui des paragraphes 5(1) et 5(2), lequel fait référence aux brevets ayant été à la fois déposés et inscrits « au registre ». Ce libellé semble indiquer que la date correcte pour l’avis à une seconde personne est celle de la décision quant à l’admissibilité aux termes de l’article 4, et non celle du dépôt de la formule IV pertinente.

 

Nous continuons de faire suite à vos suggestions en matière d’inscription et soulignons que l’article 4 prévoit que certaines exigences pour l’admissibilité doivent être satisfaites préalablement au dépôt d’un brevet au registre des brevets, plutôt que l’inscription de tous les brevets avant d’établir leur admissibilité. Par ailleurs, nous ne considérons pas que ce soit une option pratique que d’antidater le dépôt de brevets. La fonction d’avis sur laquelle vous fondez cette suggestion serait perdue, car au dépôt d’une présentation, les fabricants de médicaments génériques ignoreraient de quels brevets il faut traiter. Qui plus est, l’antidate du dépôt ne serait pas conforme au paragraphe 5(4) du Règlement AC. 

 

En conséquence et ainsi que l’indiquait la lettre de réexamen du 4 janvier 2008, les brevets ayant été jugés admissibles à l’adjonction à l’égard d’un médicament seront ajoutés au registre des brevets uniquement dès délivrance de l’avis de conformité afférent pour ce médicament. Si un avis de conformité a déjà été délivré, les brevets ajoutés au registre des brevets en vertu du paragraphe 4(6) seront ajoutés à la date de la décision finale quant à l’admissibilité.

 

Compte tenu de qui précède, le BMBL confirme la position que le brevet 712 a été correctement inscrit au registre des brevets à la date de la décision finale quant à l’admissibilité le 19 novembre 2007. Cette date est donc celle utilisée pour établir si une seconde personne a l’obligation de traiter du brevet 712 en vertu de l’article 5 du Règlement AC.

 

 

[6]               C’est cette décision du ministre que conteste Eli Lilly dans la présente demande.

II.        Question

[7]               La question telle que l’a formulée Eli Lilly porte sur le fait que le ministre aurait dû inscrire le brevet 712 au registre des brevets dès la présentation des listes de ses brevets connexes, et non, comme le prétend le ministre, à la date à laquelle il a ultérieurement établi son admissibilité à l’adjonction.

 

III.       Analyse

[8]               Je conviens avec Eli Lilly que la question qu’elle formule soulève un point d’interprétation des lois que l’on doit résoudre selon la norme de la décision correcte : voir les paragraphes 25 et 26 de l’arrêt AstraZeneca Canada Inc. c. Ministre de la Santé, 2005 CAF 189, 40 C.P.R. (4th) 353.

 

[9]               Eli Lilly soutient que le ministre a commis une erreur d’interprétation de l’article 5 du Règlement AC quand il a exigé que les fabricants de médicaments génériques (ou des secondes personnes) ne traitent que de brevets qu’il a ajoutés au registre des brevets à la date de la présentation de l’avis d’allégation (AA) du médicament générique. Eli Lilly affirme que si l’on interprète correctement l’article 5, les fabricants de médicaments génériques devraient tenir compte de brevets figurant sur une liste de brevets à la date à laquelle l’innovateur (ou la première personne) a déposé cette liste auprès du ministre en vertu du paragraphe 4(1) du Règlement AC. En l’espèce, Eli Lilly soutient que son brevet 712 figurait légalement sur le registre des brevets à la date du dépôt des listes de ses brevets, le 27 novembre 2006, et non le 17 novembre 2007, date à laquelle le ministre a décidé que le brevet pouvait être inscrit.

[10]           Eli Lilly allègue que son argument s’appuie sur une interprétation téléologique du Règlement AC, en particulier de son article 5, lequel évoque un fabricant de médicaments génériques comparant le produit qu’il propose et la drogue d’un innovateur « à l’égard de laquelle une liste de brevets a été présentée ». L’interprétation adoptée par le ministre donne lieu, selon Eli Lilly, à un régime déséquilibré, inéquitable vis-à-vis des intérêts des innovateurs, surtout si comme en l’espèce, il y a un long retard administratif entre la présentation d’une liste de brevets et la date à laquelle le ministre inscrit réellement un brevet au registre. En l’espèce, ce retard a permis à au moins un fabricant de médicaments génériques d’éviter de traiter du brevet 712 d’Eli Lilly dans l’AA visé.

 

[11]           L’argument d’Eli Lilly se fonde sur une interprétation légère et isolée du libellé de l’article 5 du Règlement AC, et sur une vision intéressée de l’objet législatif général du régime de l’AC.

 

[12]           Le paragraphe 3(2) du Règlement AC prévoit que le ministre tient un registre des brevets et qu’il peut à ce titre refuser d’y ajouter ou d’en supprimer tout brevet. Pour exercer ce pouvoir, il peut consulter des fonctionnaires du Bureau des brevets et il doit évaluer les critères d’admissibilité prévus à l’article 4 afin d’ajouter un brevet au registre. Rien dans ces dispositions ne vient étayer, de près ni de loin, l’argument d’Eli Lilly selon lequel le ministre peut, au dépôt d’une liste de brevets, inscrire un brevet au registre, sous réserve de l’en retirer ultérieurement si les critères d’admissibilité en vertu de l’article 4 ne sont pas remplis.

 

[13]           Eli Lilly s’appuie abondamment sur le libellé du paragraphe 5(1) du Règlement AC, lequel prévoit que les fabricants de médicaments génériques doivent dans leur AA tenir compte de toute drogue à laquelle ils font renvoi et « à l’égard de laquelle une liste de brevets a été présentée ». Selon Eli Lilly, ceci démontre que c’est la date de la présentation de la liste des brevets par l’innovateur qui détermine de quels brevets les fabricants doivent traiter dans leur AA.

 

[14]           L’argument d’Eli Lilly exige que la proposition « à l’égard de laquelle une liste de brevets a été présentée » soit isolée de son libellé contextuel et du contexte législatif général. Au paragraphe 5(1), la proposition « à l’égard de chaque brevet ajouté au registre » est déterminante. Celle-ci, ou des expressions similaires, se répètent dans tout le Règlement AC, et surtout au paragraphe 5(4), lequel prévoit que la seconde personne n’est pas tenue de traiter dans son AA de brevet n’ayant pas encore été « ajouté au registre ». Ce paragraphe ne fait pas état d’une seconde personne tenant compte de brevets qui ont été placés sur une liste de brevets déposée auprès du ministre. L’article 4 établit à vrai dire une distinction très claire entre l’innovateur qui présente au ministre sa liste de brevets et la décision quant à l’admissibilité d’un brevet « à l’adjonction au registre ». Il ne peut y être inscrit avant que le ministre ne l’ait considéré comme admissible.

 

[15]           L’objet manifeste de ces dispositions est la concomitance de l’inscription d’un brevet au registre et de la décision par le ministre de son admissibilité à l’adjonction. Cette concomitance a pour effet qu’en vertu du paragraphe 5(4), la seconde personne n’a pas à traiter de brevets ayant été ajoutés au registre après la date de la présentation de son AC visée aux paragraphes 5(1) ou 5(2). 

 

[16]           Il ne fait aucun doute que selon la façon dont le ministre interprète l’article 5, le fardeau ou le risque créé par le temps écoulé entre le dépôt d’une liste de brevets et la décision du ministre quant à l’admissibilité visée à l’article 4 incombe à l’innovateur. On ne peut toutefois pas considérer que le choix du législateur, présent dans ces dispositions réglementaires, soit inéquitable ou déséquilibré. Il reflète simplement une politique habilitant le ministre à décider si et quand un brevet est admissible à l’adjonction au registre des brevets, devenant ainsi un objet que la seconde personne doit obligatoirement reconnaître. L’option avancée par Eli Lilly créerait ses propres risques d’abus en faisant de l’innovateur l’arbitre initial de quels brevets sont à traiter par la simple action d’inclure un brevet sur une liste de brevets déposée auprès du ministre. Selon cette démarche, la seconde personne devrait inutilement tenir compte de brevets dont le ministre prononcerait ultérieurement l’inadmissibilité à l’adjonction au registre.

 

[17]           Le Règlement AC ne résout pas, ni ne vise à résoudre, tous les points de désaccord ou de conflit entre les intérêts divergents des innovateurs et ceux de leurs homologues qui fabriquent des médicaments génériques. Le fait que ceux-ci peuvent parfois obtenir un avantage de procédure grâce au retard qu’il y a entre le dépôt d’une liste de brevets et la décision du ministre quant à l’admissibilité ne prive pas l’innovateur des droits que lui confèrent ses brevets et qu’il peut toujours faire exécuter judiciairement.

 

IV.       Conclusion

[18]           L’argument d’Eli Lilly est sans fondement. L’interprétation que le ministre a faite du Règlement AC applicable était fondée en droit, et la décision qu’il a rendue et qui fait l’objet du présent contrôle est donc confirmée. Le ministre a droit aux dépens, qui sont payables selon la colonne III.


 

JUGEMENT

 

            LA COUR statue que la présente demande est rejetée et les dépens sont adjugés en faveur des défendeurs selon la colonne III.

 

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice


 

 

 

 

Cour fédérale

 

Avocats inscrits au dossier

 

 

 

DOSSIER :                                        T-382-08

 

INTITULÉ :                                       Eli Lilly Canada Inc.

                                                            c.

                                                            PGC et al.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 31 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Barnes

 

DATE :                                               Le 8 mai 2009

 

 

COMPARUTIONS

 

Jay Zakaib

613-783-8806

Phuong Ngo

613-783-8806

 

POUR LA DEMANDERESSE

Rick Woyiwada

613-941-2353

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

Avocats inscrits au dossier

 

Gowling Lafleur Henderson, srl

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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