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Date : 20090507

Dossier : IMM-2118-09

Référence : 2009 CF 473

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 mai 2009

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

GULSUM KOCA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I. Introduction

  • [1] Il s’agit d’une requête présentée à l’égard de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire d’une décision défavorable prise à l’issue de l’examen des risques avant renvoi (ERAR) qui a été rendue à l’encontre de la demanderesse le 17 mars 2009. La demanderesse, Mme Gulsum Koca, une citoyenne de la Turquie, a présenté une requête en vue d’obtenir une ordonnance de sursis à son renvoi du Canada jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sous-jacente.

 

  • [2] Sous la rubrique de la question sérieuse, l’agent d’ERAR n’avait pas tenu compte de la conversion de Mme Koca à une forme évangélique du christianisme lors de l’évaluation des risques au retour.

II. Contexte

  • [3] Mme Koca est née en Turquie le 3 décembre 1970. Elle est arrivée au Canada en 2002 et a présenté une demande d’asile fondée sur sa confession musulmane alévie. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande en 2004.

 

  • [4] Mme Koca a rencontré M. Andrew Koshelanyic en 2002, et l’a épousé en 2004. Son mari a été extrêmement violent dès le début de leur relation. Les détails de la violence qu’elle a endurée ont été inclus dans sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Mme Koca décrit également la violence qu’elle a subie dans son exposé soumis à la Commission d’indemnisation des victimes d’actes criminels, qui a été déposé à l’appui de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. À un moment donné, elle a tenté de se suicider. Elle décrit l’un des nombreux incidents de violence comme suit :

[traduction] [...] Un jour, il a décidé de sortir pour acheter des cigarettes. Je lui ai dit que je voulais aller avec lui pour respirer un peu d’air frais et faire de l’exercice. Il a refusé et est devenu furieux. Il a essayé de déclencher la bagarre. Je lui ai dit que je voulais seulement parler. Il m’a alors prise par le cou et a commencé à me frapper à la tête. Me tenant toujours par le cou, il m’a traînée dans l’appartement jusqu’à ce que je tombe. Puis il a commencé à me donner des coups de pied. J’ai essayé de marcher en direction de la porte, mais le corridor était très étroit et il m’a attrapée de nouveau puis a recommencé à me frapper dans le dos et sur les hanches. Je me suis recroquevillée sur le sol et j’ai essayé de protéger ma tête. À ce moment-là, ma tête me faisait très mal. Pendant que j’étais sur le sol, il a complètement perdu le contrôle. Il s’est mis à me donner sans arrêt des coups de pied et des coups de poing. Il m’insultait. Je ne pouvais pas comprendre tout ce qu’il disait parce que j’étais en état de choc...

 

Finalement, il s’est arrêté et s’est demandé à plusieurs reprises : Qu’ai-je fait? Je me suis levée et lui ai demandé « Comment peux-tu me faire ça? » Puis j’ai constaté que mon nez saignait. Il était effrayé et m’a apporté un chiffon pour essuyer mon nez. En voyant sa démonstration d’affection, je lui ai demandé de s’excuser. Il l’a fait et a promis que cela n’arriverait plus jamais. Cela s’est passé pendant la première semaine de janvier 2003. [...]

 

(Dossier de requête (DR), exposé de la demanderesse, aux pages 118 à 121).

 

  • [5] La violence n’a pas pris fin et le mari de Mme Koca l’a parrainée. Quelques mois après avoir épousé son mari, en 2004, Mme Koca l’a quitté. Une lettre de soutien de Blanca Alvarado de la Barbra Schlifer Commemorative Clinic, qui fournit de l’aide aux femmes victimes de violence conjugale, est incluse dans la demande CH de Mme Koca. Cette lettre décrit également la violence que Mme Koca a subie dans sa relation avec son mari. Le comportement de Mme Koca pointe vers le syndrome de la femme battue (DR, exposé de la demanderesse à la page 120; lettre de la Barbra Schlifer Commemorative Clinic, aux pages 32 à 34).

 

  • [6] En octobre 2004, Mme Koca a demandé la résidence permanente en invoquant des motifs d’ordre humanitaire. En 2006, Mme Koca a présenté une demande d’ERAR (DR : affidavit de Gulsum Koca aux pages 4 et 5).

 

  • [7] En 2006, Mme Koca s’est remariée à son ex-mari. Pendant ce temps, il a présenté une demande pour la parrainer au Canada. Cependant, en raison de sa violence, elle l’a quitté à nouveau et il a retiré la demande de parrainage.

 

  • [8] En raison de la violence de son ex-mari, Mme Koca a développé de graves problèmes de santé physique et mentale. On lui a diagnostiqué une dépression chronique, un trouble de stress post-traumatique, des syndromes de douleurs neuro-musculosquelettiques, une entorse lombaire chronique, une entorse cervicale chronique, des acouphènes, entre autres. Elle consulte un psychiatre depuis 2007 sur une base mensuelle (DR : Documents médicaux, aux pages 107 à 116, 134 à 140).

 

  • [9] Mme Koca a été convoquée pour une entrevue avant renvoi au Centre d’exécution de la Loi du Grand Toronto le 15 avril 2009. Lorsqu’elle s’est présentée à cette date, elle a reçu signification d’une décision défavorable concernant l’ERAR et d’une décision CH défavorable, toutes deux datées du 17 mars 2009. On lui a demandé de revenir le 20 avril 2009 pour les modalités de renvoi.

 

  • [10] À la suite de l’entrevue du 15 avril 2009 et en prévision de l’expulsion, la santé mentale de Mme Koca s’est déstabilisée. Elle décrit sa réaction comme suit :

[traduction] [...] elle m’a expliqué la décision et j’ai eu l’impression que j’allais tomber. J’étais en état de choc. Je sentais un vide et je ne comprenais pas les conséquences de ce qu’elle disait. Quelques jours plus tard, alors que j’étais seule à la maison, j’ai commencé à avoir l’impression que tout s’écroulait. Cette nuit-là, quand un ami m’a expliqué la gravité de ma situation, que j’étais au bord de l’expulsion, j’ai été submergée par la peur. Je n’ai pas pu dormir pendant quelques nuits. J’avais l’impression de faire une dépression nerveuse. J’ai eu une crise de panique et je ne pouvais pas respirer.

 

(DR : Affidavit de Gulsum Koca, aux pages 5 et 6).

 

  • [11] Mme Koca a décidé d’aller consulter un psychiatre le lendemain, soit le lundi 20 avril 2009. Son rendez-vous au Centre d’exécution de la Loi du Grand Toronto (CELGT) a donc été reporté au 22 avril 2009. Ce jour-là, elle a reçu l’ordre de se présenter pour son renvoi le samedi 9 mai 2009.

 

III. Questions en litige

  • [12] Décider si la présente demande en vue d’obtenir une ordonnance, visant à surseoir à l’exécution de la mesure de renvoi prise contre Mme Koca, satisfait ou non au critère à trois volets pour accorder un sursis, au regard des facteurs suivants à prendre en considération :

    1. une question importante;

    2. un préjudice irréparable si elle était expulsée du Canada;

    3. la prépondérance des inconvénients, si elle joue en sa faveur.

(Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1988], 86 N.R. 302, 11 A.C.W.S. (3d) 440 (C.A.F.)).

 

IV. Analyse

  A. Question importante

  • [13] Un redressement par voie d’injonction représente une prise de conscience par les tribunaux que le maintien du statu quo peut être utile alors que des questions sont débattues devant les tribunaux, dont l’issue n’est pas du tout certaine, au stade préliminaire de la procédure. Le rôle de la Cour à l’étape des procédures correspondant aux questions interlocutoires et préliminaires a été clarifié par la Cour suprême du Canada. Dans l’arrêt American Cyanamid Co. c. Ethicon Ltd., [1975] A.C. 396, [1975] UKHL 1, lord Diplock a décrit le rôle limité de la Cour au stade interlocutoire :

[traduction] La cour n’a pas, en cet état de la cause, à essayer de résoudre les contradictions de la preuve soumise par affidavit, quant aux faits sur lesquels les réclamations de chaque partie peuvent ultimement reposer, ni à trancher les épineuses questions de droit qui nécessitent des plaidoiries plus poussées et un examen plus approfondi. Ce sont des questions à régler au procès.

 

(Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd., [1987] 1 R.C.S. 110, au paragraphe 41.)

 

  • [14] La Cour a toujours établi un critère peu rigoureux à utiliser pour déterminer s’il existe une « question importante à trancher » dans le contexte des requêtes en sursis. La Cour a conclu qu’il est simplement nécessaire de montrer que la requête devant la Cour n’est ni futile ni vexatoire (Turbo Resources Ltd. c. Petro Canada Inc., [1989] 2 C.F. 451, 13 A.C.W.S. (3d) 371 (C.A.); North American Gateway Inc. c. Canada (Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes) (1997), 74 C.P.R. (3d) 156, 71 A.C.W.S. (3d) 867 (C.A.); Copello c. Canada (Ministre des Affaires étrangères) (1998), 152 F.T.R. 110, 82 A.C.W.S. (3d) 773 (CFPI); Sowkey c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 67, 128 A.C.W.S. (3d) 777; Brown c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1250, 152 A.C.W.S. (3d) 487).

 

  • [15] En l’espèce, l’agent d’ERAR n’a pas pris en considération la conversion de Mme Koca à une forme évangélique du christianisme lors de l’évaluation des risques auxquels sont exposés les chrétiens en Turquie, et, par conséquent, sa conclusion concernant le risque de persécution, la menace à leur vie et le risque de traitements ou peines cruels et inusités était erronée et déraisonnable.

 

  Erreurs dans la décision relative à l’ERAR

  • [16] Dans la décision relative à l’ERAR, l’agent d’ERAR a déclaré ce qui suit :

La demanderesse a identifié sa foi chrétienne comme une apparition d’un nouveau risque. La demanderesse a fourni une lettre du New Beginning Fellowship datée du 24 avril 2008, qui confirme qu’elle a été baptisée comme chrétienne en janvier 2005. J’admets que la demanderesse est chrétienne, mais je trouve qu’il n’y a pas suffisamment de preuves objectives établissant qu’elle serait confrontée à plus qu’une simple possibilité de persécution aux termes de l’article 96 ou plus susceptible de courir un risque tel que défini à l’article 97 de la LIPR. Je reconnais que la Turquie limite la liberté de la religion, et qu’il existe des abus sociétaux et de la discrimination fondée sur l’affiliation religieuse, la croyance et la pratique comme en témoigne la documentation fournie par la demanderesse et ma propre recherche indépendante. Cependant, je trouve qu’il n’y a pas suffisamment de preuves attestant que la discrimination envers les minorités religieuses en Turquie équivaut à de la persécution ou à une menace à la vie telle que définie à l’article 96 ou à l’article 97 de la LIPR.

 

  Je note dans la documentation,

 

La Constitution prévoit la liberté de religion et la liberté religieuse est généralement respectée dans la pratique; les chrétiens et les bahaïs ont été confrontés à quelques restrictions et à du harcèlement occasionnel pour prosélytisme allégué ou pour tenue de réunions non autorisées;

 

Le gouvernement des États-Unis discute de la liberté de religion avec les institutions gouvernementales et étatiques dans le cadre de sa politique globale visant à promouvoir les droits de la personne. Au cours de la période considérée, les représentants de l’ambassade et des consulats ont rencontré fréquemment des représentants du gouvernement et des représentants de groupes religieux pour discuter de questions relatives aux minorités religieuses.

 

La police a parfois empêché les chrétiens de tenir des offices religieux dans des appartements privés, et les procureurs ont engagé des poursuites contre des chrétiens pour avoir organisé des rassemblements non autorisés.

 

Les juifs et les chrétiens de la plupart des dénominations pratiquaient librement leurs religions et signalaient peu de discrimination dans la vie quotidienne; cependant, les citoyens qui se sont convertis de l’Islam à une autre religion ont souvent subi une certaine forme de harcèlement social ou de pression de la part de la famille et des voisins.

 

  Des documents supplémentaires indiquent,

 

Les rapports d’attaques contre des personnes pratiquant des religions chrétiennes ont diminué. Les autorités ont pris des mesures au cours de l’année pour mettre en œuvre une circulaire du ministère de l’Intérieur de juin 2007 adressée aux gouverneurs demandant d’agir pour prévenir la violence contre les non-musulmans. Des non-musulmans à Ankara, Izmir et Trabzon ont signalé que la police avait pris des mesures de sécurité supplémentaires pendant des offices religieux spéciaux.

 

Je reconnais que la demanderesse risque d’être victime de discrimination et de harcèlement, mais je ne trouve pas suffisamment de preuves objectives établissant que cela s’assimilerait à une persécution au sens de l’article 96 ou qu’elle serait probablement exposée à un risque pour sa vie selon la définition de l’article 97 de la LIPR.

 

(DR : Motifs d’EPAR, aux pages 248 à 249.)

 

  • [17] L’agent d’ERAR n’a pas tenu compte de la preuve établissant que Mme Koca s’était convertie à une forme évangélique du christianisme et était une chrétienne née de nouveau. Une partie du fait d’être un chrétien né de nouveau est qu’il est très important pour Mme Koca de répandre la Parole de son (Dieu) dans le monde. Mme Koca avait déclaré qu’elle serait tuée en Turquie pour avoir répandu la parole de Dieu et que sa famille n’accepterait jamais sa conversion.

 

  • [18] La distinction entre le traitement des chrétiens et celui des chrétiens évangéliques en Turquie est cruciale lorsque l’on examine les risques d’une personne. L’incapacité de l’agent d’ERAR à apprécier cette différence soulève une question sérieuse.

 

  • [19] L’agent d’ERAR a déclaré que « les rapports concernant les attaques contre des personnes pratiquant des confessions chrétiennes ont été abandonnés ». Toutefois, dans ce même rapport, à la même page, l’agent d’ERAR n’a pas discuté des renseignements détaillés sur les attaques perpétrées contre des églises protestantes en Turquie pendant la même période.

 

  • [20] Dans l’ensemble, l’agent d’ERAR a omis d’examiner la preuve que des personnes comme Mme Koca, des chrétiennes nées de nouveau qui se livrent au prosélytisme, sont victimes de violence physique et de mauvais traitements : « Un policier d’Istanbul a battu deux protestants convertis au début de la vingtaine et leur a dit qu’ils ne pouvaient pas être à la fois Turcs et Chrétiens. »

 

  • [21] Les documents indiquent également ce qui suit :

Les attaques violentes et les menaces continues contre les non-musulmans au cours de la période considérée ont créé une atmosphère de pression et réduit la liberté de certaines communautés non musulmanes. Le pluralisme religieux était largement perçu comme une menace pour l’islam et pour « l’unité nationale ».

 

(Dossier de requête à la page 301.)

 

  • [22] Comme il a omis d’apprécier les abus particuliers subis par des chrétiens évangéliques, le traitement de la preuve documentaire par l’agent d’ERAR soulève une question sérieuse.

 

B. Préjudice irréparable

Menace à la vie et risque de traitement cruel et inusité

  • [23] Notre Cour a reconnu que, lorsqu’une personne établit selon la prépondérance des probabilités qu’un demandeur risque de subir un préjudice grave dans son pays d’origine, le critère du préjudice irréparable peut être considéré comme satisfait.

 

  • [24] La preuve documentaire, mentionnée dans les soumissions ci-dessus, démontre que Mme Koca est exposée à un risque pour sa vie et sa sécurité en tant que chrétienne convertie et en particulier en tant que chrétienne évangélique.

 

Préjudice irréparable causé par les déficiences mentales ou physiques

  • [25] La preuve décrit les difficultés sérieuses auxquelles sera exposée Mme Koca, compte tenu de ses incapacités physiques et mentales particulières, si elle est forcée de quitter la collectivité de soutien qu’elle a au Canada pour retourner dans un pays où elle n’a aucun soutien familial ou autre. Compte tenu de sa santé mentale précaire, l’expulsion pèsera sur elle de manière disproportionnée, portant cette affaire à un niveau qui dépasse « les conséquences normales d’une expulsion ».

 

Le contrôle judiciaire rendu inopérant

  • [26] La Cour a décidé que lorsqu’un demandeur a soulevé une question importante dans le contexte d’une décision de l’agent d’ERAR, le critère du préjudice irréparable sera respecté. Dans l’arrêt Resulaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 1168, 126 A.C.W.S. (3d) 305, la Cour a déclaré :

[5]  La présente affaire soulève la question de savoir l’évaluation du risque personnel pour Mme Resulaj était adéquate. La renvoyer pour l’exposer à ce risque potentiel alors que la question de droit soulevée dans son affaire est examinée devant la Cour rendrait inefficace tout recours judiciaire qui pourrait en fin de compte être à sa disposition. De telles circonstances constituent un préjudice irréparable…

 

  • [27] De même, dans l’affaire Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 129, 126 A.C.W.S. (3d) 843, la Cour a déclaré :

[8] De plus, la nature de cette question sérieuse est telle que si la demanderesse était renvoyée alors que la conclusion de l’agent d’ERAR était erronée, le demandeur serait effectivement exposé à un risque s’il était maintenant renvoyé au Pakistan. Ce risque est tel que sa possibilité de prendre en considération le risque qui le préoccupe, si sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire était accueillie, ne pourrait pas être efficacement soulevée. Ainsi, son droit d’exercer un recours serait perdu. Cette perte, à mon avis, constitue un préjudice irréparable.

 

  • [28] Dans l’arrêt Figuardo c. Canada (Solliciteur général), 2005 CF 347, [2005] 4 R.C.F. 387, au paragraphe 45, en plus du préjudice irréparable qui résulterait du contrôle judiciaire rendu inefficace, la Cour fédérale a conclu que, lorsqu’une question sérieuse a été démontrée relativement à une décision défavorable, un préjudice irréparable en « résultera nécessairement » et la prépondérance des inconvénients favorisera normalement le demandeur. La Cour a conclu que c’était le cas en l’espèce en raison des questions en jeu avec un ERAR, à savoir que la demanderesse serait exposée à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités si elle était renvoyée avant un contrôle judiciaire concernant le risque. (Voir également les arrêts : Linares c. Canada (LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE) (11 mai 2005), IMM-2873-05, la juge Eleanor Dawson, Cupid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (11 avril 2006), IMM-1737-06, le juge Frederick Gibson).

 

  • [29] Dans la récente affaire Perez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 663, 328 F.T.R. 290 (ordonnance signée le 26 juin 2008), la Cour fédérale a récemment certifié les questions suivantes :

1.  Une demande de contrôle judiciaire d’une évaluation des risques avant renvoi est-elle dénuée de portée pratique lorsque la personne qui fait l’objet de la décision a été expulsée du Canada ou a quitté le Canada après le rejet d’une demande de suspension du renvoi?

 

2.  Quels facteurs ou critères, s’ils diffèrent de ou s’ajoutent à ceux qui sont énoncés dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), (1989) 1 R.C.S. 342, aux pages 358 à 363, la Cour devrait-elle considérer dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’entendre une demande de contrôle judiciaire dénuée de portée pratique?

 

3.   Si une demande de contrôle judiciaire d’un examen des risques avant renvoi est accueillie après que la demanderesse a été renvoyée du Canada ou a quitté le Canada, la Cour a-t-elle le pouvoir d’ordonner au ministre de faire revenir la demanderesse au Canada en attendant un réexamen et, le cas échéant, aux frais du gouvernement?

 

  • [30] Étant donné que la question du risque pour la sécurité physique de Mme Koca est au cœur de la décision relative à l’ERAR contestée, son renvoi en Turquie maintenant rendrait sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sans intérêt pratique. À la lumière de la jurisprudence concernant le préjudice irréparable, l’exécution d’une mesure d’expulsion, avant une décision finale à l’égard de la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de Mme Koca constitue le préjudice irréparable.

 

B. Prépondérance des inconvénients

  • [31] La Cour fédérale a récemment défini la prépondérance des inconvénients comme étant une évaluation quant à savoir quelle partie souffrirait le plus : « Autrement dit, il faut déterminer si le demandeur subira un préjudice plus grand que l’intimé si la mesure de redressement provisoire ne lui est pas accordée. » (Copello, précité).

 

  • [32] La prépondérance des inconvénients favorise clairement Mme Koca et ne porte pas atteinte aux intérêts du ministre en attendant la réponse de la Cour dans sa décision définitive concernant la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision précitée.

 

  • [33] La prépondérance des inconvénients est favorable à Mme Koca. L’expulsion avant la tenue du procès risque donc de causer un préjudice irréparable à la demanderesse qui pourrait avoir gain de cause dans cette affaire ou avoir des questions sérieuses à trancher par cette Cour (Membrano-Garcia c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 55 F.T.R. 104, 34 A.C.W.S. (3d) 313).

 

V. Conclusion

  • [34] Pour tous les motifs qui précèdent, la demande présentée par la demanderesse en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi est accueillie en attendant qu’une décision définitive soit rendue relativement à sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue à son égard à l’issue de l’examen des risques avant renvoi (ERAR).

 


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande présentée par la demanderesse en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi soit accueillie en attendant qu’une décision définitive soit rendue relativement à sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire d’une décision défavorable rendue à son égard à l’issue de l’examen des risques avant renvoi (ERAR).

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  IMM-2118-09

 

INTITULÉ :  GULSUM KOCA

  c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

  ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :   Le 4 mai 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :  Le juge SHORE

 

DATE DES MOTIFS :  Le 7 mai 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Aviva Basman

 

POUR LA DEMANDERESSE

Tamrat Gebeyehu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

AVIVA BASMAN

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

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