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Date : 20090506

Dossier : IMM‑2091‑09

Référence : 2009 CF 463

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2009

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

SYED RIZWAN HAIDER RIZVI, SAEYDA TABASSUM HAIDER, SUKAINA

HAIDER RIZVI (représentée par son tuteur à l’instance, SEYED RIZWAN HAIDER RIZVI), SYED HIDER RAZA (représenté par son tuteur à l’instance, SEYED RIZWAN HAIDER RIZVI), et MASSUMA RIZVI (représentée par son tuteur à l’instance,

SEYED RIZWAN HAIDER RIZVI)

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET

DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Aperçu

[1]               Le refus de lever les critères applicables pour des motifs d’ordre humanitaire ne comporte pas la détermination des droits que la loi reconnaît au demandeur, mais il s’agit plutôt de lever l’exigence normale voulant que tous ceux et celles qui cherchent à être admis au Canada doivent présenter leur demande avant d’entrer au Canada (Gautam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999) 167 F.T.R. 124, 88 A.C.W.S. (3d) 652 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 9 et 10).

 

[2]               La Cour ne doit intervenir dans la décision ici en cause que si la décision de l’agente n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La Cour n’a pas compétence pour intervenir en l’espèce parce que la norme applicable est une norme empreinte de déférence, selon la Cour suprême du Canada (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 47, 53, 55 et 62; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 89; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 62, à la page 858; Thandal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 489, 167 A.C.W.S. (3d) 166, au paragraphe 7).

 

II.  Introduction

[3]               Pour obtenir la mesure exceptionnelle qu’est un sursis, les demandeurs, des citoyens du Pakistan, doivent satisfaire au critère comportant trois volets cumulatifs. Or, ils n’ont pas démontré l’existence d’une question sérieuse en ce qui concerne leur demande fondée sur des considérations humanitaires (CH), qui a été refusée. Dans une décision de onze pages, l’agente a examiné tous les éléments de preuve d’une façon adéquate et elle a appliqué le critère. Le renvoi des demandeurs, bien qu’il suscite des inconvénients, ne leur causera pas un préjudice irréparable. La prépondérance des inconvénients milite en faveur du renvoi dans ce cas‑ci.

 

III.  Historique

[4]               Les demandeurs, des citoyens du Pakistan, doivent être renvoyés du Canada aux États‑Unis le 7 mai 2009.

 

[5]               Les demandeurs sont membres d’une famille qui vient du Pakistan : le mari, sa femme, deux filles et un fils. Ils vivent au Canada depuis le mois d’avril 2002. Ils ont demandé l’asile sans succès en 2003. En 2005, ils ont ensuite demandé à rester au Canada en invoquant des considérations humanitaires (CH) et ils ont également présenté une demande fondée sur les lignes directrices concernant l’examen des risques avant renvoi (l’ERAR). Trois ans plus tard, la même agente a rejeté la demande CH ainsi que la demande d’ERAR. Les demandeurs ont fait examiner la décision CH défavorable par la Cour, qui a accueilli la demande. Un agent d’ERAR a rejeté leur demande CH le 25 mars 2009; il a communiqué sa décision aux demandeurs le 15 avril 2009. Les demandeurs ont demandé à la Cour l’autorisation de faire contrôler cette décision. Ils se présentent maintenant devant la Cour en vue d’obtenir un sursis de la mesure de renvoi en attendant qu’il soit statué sur la demande de contrôle judiciaire.

 

[6]               Les demandeurs ont bénéficié d’une demande d’asile, d’un ERAR, d’un examen CH et d’un nouvel examen, de sursis administratifs et d’un sursis judiciaire de la mesure de renvoi.

 

IV.  Question en litige

[7]               Les demandeurs ont‑ils satisfait aux trois volets cumulatifs du critère applicable à l’octroi d’un sursis?

 

V.  Analyse

[8]               Le critère applicable à l’octroi d’une ordonnance sursoyant à l’exécution d’une mesure de renvoi est le suivant :

a.       Y a‑t‑il une question sérieuse à faire trancher par la Cour?

b.      La partie qui demande le sursis subirait‑elle un préjudice irréparable si le sursis n’était pas accordé?

c.       La partie qui demande le sursis est‑elle celle qui subira, selon la prépondérance des probabilités, le préjudice le plus grave par suite du refus d’accorder le sursis?

(Toth c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1988), 86 N.R. 302, 11 A.C.W.S. (3d) 440 (C.A.F.); RJR‑MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311).

 

[9]               Le critère applicable au sursis est cumulatif; le demandeur doit donc satisfaire aux trois volets du critère (Chavez c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CF 830, 150 A.C.W.S. (3d) 189, aux paragraphes 9 et 26).

 

Question préliminaire – Modification de l’intitulé de la cause

[10]           Il s’agit ici d’une requête visant à faire surseoir à la mesure de renvoi en attendant qu’il soit statué sur la demande principale d’autorisation et de contrôle judiciaire. La demande d’autorisation et de contrôle judiciaire se rapporte à une décision rendue par une agente d’ERAR, relevant du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration; toutefois, la décision d’appliquer la mesure de renvoi dont les demandeurs font l’objet provient de l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC). L’intitulé est donc modifié de façon à ce que soit ajouté le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile à titre de partie défenderesse, étant donné que l’ASFC ne relève pas du ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration. À la suite de l’entrée en vigueur de la Loi sur le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile (projet de loi C‑6), le 4 avril 2005, les responsabilités du solliciteur général, en ce qui concerne l’ASFC, ont été transmises au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile (Loi sur les restructurations et les transferts d’attributions dans l’administration publique), L.R.C. 1985, ch. P‑34; décrets C.P. 2003‑2061 et C.P. 2003‑2063; Loi sur le ministère de la Sécurité publique et de la Protection civile, L.C. 2005, ch. 10, à l’article 7).

 

A.  L’existence d’une question sérieuse

[11]           Comme les demandeurs n’ont pas établi l’existence d’une question sérieuse, la présente requête doit être rejetée pour ce seul motif.

 

L’agente n’a pas limité son pouvoir discrétionnaire

[12]           La Cour a rejeté l’idée voulant que l’analyse des difficultés soit une optique inappropriée à utiliser par un agent CH. La Cour d’appel fédérale a conclu que la mention des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives dans les directives vise simplement à aider les décideurs. La mention des difficultés, dans la décision de l’agent CH, ou les termes particuliers choisis par l’agent ne sont pas déterminants et n’indiquent pas qu’il a limité son pouvoir discrétionnaire :

[9]        Quatrièmement, le terme « difficultés » n’est pas un terme technique. Conformément à l’article 6.1 du chapitre IP 5 du Guide de l’immigration (reproduit au paragraphe 30 des motifs de mon collègue), les définitions administratives de « difficultés inhabituelles et injustifiées » et de « difficultés excessives » dans le Guide « ne constituent pas des règles strictes » et ont plutôt « pour but d’aider à exercer le pouvoir discrétionnaire ». [...]

 

(Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, [2003] C.F. 555 (C.A.), au paragraphe 9; Dang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 290, 310 F.T.R. 161, aux paragraphes 14 et 28).

 

[13]           Lorsqu’une demande CH est en cause, les difficultés constituent une conséquence normale de la mesure d’expulsion et une réparation doit être accordée uniquement si ces difficultés sont plus lourdes que les conséquences inhérentes à cette mesure. L’agente n’a pas limité son pouvoir discrétionnaire en se demandant si les demandeurs allaient subir des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’ils étaient obligés de quitter le Canada. C’est le fardeau approprié auquel il faut satisfaire dans une demande CH pour qu’il soit possible de lever l’exigence concernant l’obtention d’un visa (Uddin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 937, 116 A.C.W.S. (3d) 930, au paragraphe 22; Irimie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 10 Imm. L.R. (3d) 206, 101 A.C.W.S. (3d) 995 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 12 et 26).

 

[14]           L’argument selon lequel l’accent qui est mis sur les difficultés est incompatible avec le libellé du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), et que les agents d’immigration doivent aborder l’analyse CH en utilisant des facteurs semblables à ceux qui ont été utilisés par la Commission d’appel de l’immigration (la CAI) dans la décision Chirwa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1970] D.C.A.I. no 1, a été rejeté par la Cour. Dans la décision Lim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 956, 116 A.C.W.S. (3d) 929, la juge Eleanor Dawson a fait remarquer que la jurisprudence de la CAI n’a pas été adoptée dans les demandes CH :

[16]      Dans la mesure où on a avancé l’argument que la jurisprudence issue de la Section d’appel de l’immigration guide convenablement l’agent sur ce qu’il faut entendre par CH, notamment dans les affaires Chirwa c. Canada (Ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration) (1970), 4 IAC 338 (C.A.I.) et Jugpall c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] DSAI no 600 (S.A.I.), cette jurisprudence s’est développée dans le contexte des dispositions autres que le paragraphe 114(2) de la Loi. Notre Cour n’a pas adopté cette jurisprudence en matière de demandes CH fondées sur le paragraphe 114(2). Voir par exemple Lee c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] A.C.F. no 139 (1re inst.).

 

[15]           Dans la décision Lim, précitée, la Cour a fait les remarques supplémentaires suivantes au sujet de l’approche adoptée dans la décision Chirwa, précitée :

[17]      Qui plus est, je ne suis pas sûre qu’il existe une différence importante entre les consignes tirées de IP‑5 et celles issues de la jurisprudence de la Section d’appel de l’immigration. Dans des décisions telles que Chirwa, la Section d’appel a défini les considérations humanitaires comme s’entendant de « faits établis par la preuve, de nature à inciter tout homme raisonnable d’une société civilisée à soulager les malheurs d’une autre personne – dans la mesure où ses malheurs “justifient l’octroi d’un redressement spécial” aux fins des dispositions de la Loi sur l’immigration ». Les circonstances donnant lieu à des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives me semblent généralement correspondre à celles qui inciteraient une personne à soulager les malheurs d’une autre, conformément à la définition énoncée dans l’affaire Chirwa.

 

[16]           En l’espèce, l’agente a tenu compte de la situation particulière des demandeurs et elle n’a pas limité son pouvoir discrétionnaire en se conformant strictement aux directives au détriment d’un examen complet de la preuve dont elle disposait. Les demandeurs n’ont pas soulevé de question sérieuse quant à la question de savoir si l’agente avait limité son pouvoir discrétionnaire en suivant les directives ministérielles énoncées dans le Guide IP 5 (Fernandez Mendoza c. M.C.I., (30 juin 2008), IMM‑2471‑08 (C.F.), juge Carolyn Layden‑Stevenson, sursis accordé; Fernandez Mendoza c. M.C.I., (4 septembre 2008), IMM‑2471‑08 (C.F.), juge Yves de Montigny, autorisation refusée).

 

L’objet de la levée n’est pas de créer un nouveau droit substantiel

[17]           La révision pour des motifs d’ordre humanitaire offre à une personne la possibilité d’invoquer un motif supplémentaire et spécial de se soustraire à l’application des lois canadiennes en matière d’immigration, qui s’appliquent par ailleurs à tous. L’objet du pouvoir discrétionnaire CH est de conserver la possibilité d’approuver les cas dignes d’intérêt non prévus par la loi. Il « ne peut permettre aux intéressés d’obtenir ce qu’ils souhaitent après avoir été déboutés, conformément au droit canadien, en exerçant tous les recours judiciaires qui s’offraient à eux » (Mayburov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 183 F.T.R. 280, 98 A.C.W.S. (3d) 885, au paragraphe 39; également : chapitre IP 5 Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire (IP 5), à la section 1.4; Irimie, précitée, au paragraphe 26; Chau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 107, 111 A.C.W.S. (3d) 804 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 27; Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1292, 152 A.C.W.S. (3d) 699, au paragraphe 20).

 

La norme de contrôle du bien‑fondé de la décision commande la déférence

[18]           Comme la Cour suprême du Canada l’a souligné dans l’arrêt Dunsmuir, précité :

[48]      L’application d’une seule norme de raisonnabilité n’ouvre pas la voie à une plus grande immixtion judiciaire ni ne constitue un retour au formalisme d’avant l’arrêt Southam. À cet égard, les décisions judiciaires n’ont peut‑être pas exploré suffisamment la notion de déférence, si fondamentale au contrôle judiciaire en droit administratif.  Que faut‑il entendre par déférence dans ce contexte? C’est à la fois une attitude de la cour et une exigence du droit régissant le contrôle judiciaire. Il ne s’ensuit pas que les cours de justice doivent s’incliner devant les conclusions des décideurs ni qu’elles doivent respecter aveuglément leurs interprétations. Elles ne peuvent pas non plus invoquer la notion de raisonnabilité pour imposer dans les faits leurs propres vues. La déférence suppose plutôt le respect du processus décisionnel au regard des faits et du droit. [...]

 

[…]

 

[62]      Bref, le processus de contrôle judiciaire se déroule en deux étapes.  Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier.  En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle.

 

[19]           La question que la Cour doit trancher n’est pas de savoir si la Cour rendrait la même décision, mais plutôt si la décision est raisonnable eu égard aux circonstances de l’affaire. Dans la décision Mayburov, précitée, le juge François Lemieux a dit ce qui suit :

[37]      La cour de révision qui tranche la question de savoir si une telle décision est déraisonnable ne doit pas outrepasser son rôle. Il ne s’agit pas d’un appel, mais bien d’un contrôle judiciaire. Je ne peux examiner la preuve et substituer mon opinion à celle de l’agente d’immigration. Le juge qui doit trancher une demande de contrôle judiciaire doit examiner la preuve dont disposait l’agent d’immigration et déterminer, en l’espèce, s’il manquait des éléments de preuve ou encore si la décision était contraire à une preuve irrésistible. Je ne saurais tirer une telle conclusion.

 

[20]           La Cour ne peut pas intervenir à la légère dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré aux agents d’immigration. Dans une décision CH, il ne s’agit pas simplement d’appliquer des principes juridiques, mais il s’agit plutôt de soupeser un grand nombre de facteurs en se fondant sur les faits. Dans la mesure où l’agent d’immigration tient compte des facteurs appropriés pertinents au point de vue humanitaire, la Cour ne devrait pas modifier le poids accordé aux différents facteurs, et ce, même si elle les aurait soupesés d’une façon différente. Comme la Cour d’appel fédérale l’a dit dans l’arrêt Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, [2002] 4 C.F. 358 :

[11]      La Cour suprême, dans Suresh, nous indique donc clairement que Baker n’a pas dérogé à la tradition qui veut que la pondération des facteurs pertinents demeure l’apanage du ministre ou de son délégué. Il est certain, avec Baker, que l’intérêt des enfants est un facteur que l’agent d’immigration doit examiner avec beaucoup d’attention. Il est tout aussi certain, avec Suresh, qu’il appartient à cet agent d’attribuer à ce facteur le poids approprié dans les circonstances de l’espèce. Ce n’est pas le rôle des tribunaux de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par les agents.

 

(Voir également Suresh c. Canada, 2002 SCC 1, [2002] 1 R.C.S. 3, aux paragraphe 34 à 37.)

 

                  Il incombe aux demandeurs d’établir le bien‑fondé de leur demande en vue de justifier l’octroi d’une décision CH en leur faveur

[21]           Il est bien établi que, dans une demande CH, la charge de la preuve incombe aux demandeurs. Or, les demandeurs en l’espèce n’ont pas pu satisfaire à leur obligation puisque les renseignements qu’ils ont fournis n’établissaient pas qu’ils subiraient des difficultés indues, inhabituelles ou excessives s’ils devaient présenter une demande à l’étranger, de sorte qu’il soit possible de lever l’exigence normale (LIPR, aux articles 11 et 25, Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (le Règlement), à l’article 66; IP 5, à la section 5.1; Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 94, 228 F.T.R. 19, aux paragraphes 11 et 12 (appel rejeté 2004 CAF 38, [2004] 2 R.C.F. 635).

 

[22]           Les notes, qui constituent les motifs de la décision, ne doivent pas être examinées à la loupe, mais plutôt dans leur ensemble (Boulis c. Canada (Ministre de la Main‑d’œuvre et de l’Immigration), [1974] R.C.S. 875; El Doukhi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1464, 304 F.T.R. 266, au paragraphe 27).

 

La décision n’est pas déraisonnable – L’intérêt supérieur des enfants a été pris en compte d’une façon adéquate

[23]           Il faut tenir compte de l’intérêt supérieur des enfants, mais le fait que des enfants sont en cause ne permet pas pour autant aux demandeurs d’obtenir un résultat particulier (Baker, précité, aux paragraphes 74 et 75; Legault, précité, au paragraphe 11).

 

[24]           La conclusion selon laquelle les demandeurs n’avaient pas établi le bien‑fondé de leur demande CH n’était pas incompatible avec la Convention relative aux droits de l’enfant (la CDE). L’intérêt supérieur de chacun des enfants a été examiné fort attentivement dans une partie de la décision qui comporte plus deux pages; l’agente s’est montrée réceptive, attentive et sensible à tous les facteurs influents pour les trois enfants.

 

[25]           En ce qui concerne l’éducation des enfants, l’agente a fait remarquer que, même si les élèves de sexe féminin sont encore victimes de discrimination, elles ont la possibilité de faire des études primaires. Les études secondaires sont peut‑être moins accessibles en milieu rural, mais les demandeurs, qui viennent de Karachi, n’ont pas indiqué qu’ils retourneront dans un milieu rural.

 

[26]           L’agente n’a pas omis de tenir compte des problèmes linguistiques auxquels se heurteront les enfants. Elle a fait remarquer qu’il était raisonnable de supposer (en l’absence d’une preuve contraire suffisante) que les enfants auraient été exposés à la culture ourdoue et pakistanaise et que certains membres de la famille des demandeurs sont au Pakistan. Compte tenu de la preuve selon laquelle les enfants sont intelligents et peuvent s’adapter, il était loisible à l’agente de tirer cette conclusion.

 

[27]           Les demandeurs affirment que l’agente n’a pas compris le rapport psychologique concernant l’aînée des enfants et ils soutiennent que l’agente s’est fondée sur des considérations non pertinentes, sans toutefois donner de précisions. En fait, l’agente a compris et appliqué d’une façon appropriée les conclusions tirées dans le rapport (lequel était basé dans une certaine mesure sur des faits qui se sont avérés inexacts lors d’autres procédures en matière d’immigration) en vue de conclure que, même si l’enfant veut rester au Canada, son retour au Pakistan n’occasionnerait aucune difficulté indue, inhabituelle ou excessive.

 

[28]           En outre, l’agente a minutieusement analysé la preuve concernant les problèmes de santé de l’aînée et le dossier médical a été évalué. Compte tenu de la preuve dont elle disposait, il était loisible à l’agente de conclure que même si les demandeurs devaient recevoir des soins médicaux au Pakistan, cela n’entraînerait pas le genre de difficultés susceptibles d’entraîner une décision favorable.

 

[29]           Compte tenu de l’analyse minutieuse expressément faite pour les enfants, on ne saurait dire que l’agente a pris une décision type. Les demandeurs ne souscrivent pas à la conclusion que l’agente a tirée au sujet de la façon dont l’intérêt supérieur de l’enfant entre en ligne de compte dans la décision CH. Comme la Cour d’appel fédérale l’a affirmé dans l’arrêt Hawthorne, précité :

[5]        […] [L]a vie au Canada peut offrir à un enfant un éventail de possibilités et [...], règle générale, un enfant qui vit au Canada avec son parent se trouve dans une meilleure position qu’un enfant vivant au Canada sans son parent. [...]

 

[6]        Il est quelque peu superficiel de simplement exiger de l’agente qu’elle décide si l’intérêt supérieur de l’enfant milite en faveur du non‑renvoi – c’est un fait qu’on arrivera à une telle conclusion, sauf dans de rares cas inhabituels. [...]

 

(CDE, à l’article 3; Baker, précité.)

 

[30]           Dans l’arrêt Hawthorne, la Cour d’appel fédérale a ensuite réaffirmé le principe qui avait été confirmé dans l’arrêt Legault, précité, à savoir que l’intérêt supérieur de l’enfant est un facteur important, sans toutefois être déterminant. Comme il en a été fait mention dans l’arrêt Legault :

[11]      La Cour suprême, dans Suresh, nous indique donc clairement que Baker n’a pas dérogé à la tradition qui veut que la pondération des facteurs pertinents demeure l’apanage du ministre ou de son délégué. Il est certain, avec Baker, que l’intérêt des enfants est un facteur que l’agent d’immigration doit examiner avec beaucoup d’attention. Il est tout aussi certain, avec Suresh, qu’il appartient à cet agent d’attribuer à ce facteur le poids approprié dans les circonstances de l’espèce. Ce n’est pas le rôle des tribunaux de procéder à un nouvel examen du poids accordé aux différents facteurs par les agents.

 

[12]      [...] Ce n’est pas parce que l’intérêt des enfants voudra qu’un parent qui se trouve illégalement au Canada puisse demeurer au Canada (ce qui, comme le constate à juste titre le juge Nadon, sera généralement le cas), que le ministre devra exercer sa discrétion en faveur de ce parent. Le Parlement n’a pas voulu, à ce jour, que la présence d’enfants au Canada constitue en elle‑même un empêchement à toute mesure de refoulement d’un parent se trouvant illégalement au pays (voir Langner c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1995), 29 C.R.R. (2d) 184 (C.A.F.), permission d’appeler refusée, [1995] 3 R.C.S. vii). [Non souligné dans l’original.]

 

(Voir également Hawthorne, précité, au paragraphe 8).

                  Les demandeurs ne peuvent pas se prévaloir de l’inobservation de la LIPR et de son règlement d’application

[31]           Les demandeurs ont fait l’objet d’une mesure d’interdiction de séjour conditionnelle qui est devenue une mesure de renvoi trente jours après que leur demande d’asile eut été rejetée d’une façon définitive, au mois d’avril 2004. Par conséquent, ils devaient retourner au Pakistan parce qu’il avait été conclu qu’ils n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Or, il n’y a rien qui montre, dans le dossier, que les demandeurs ne pourraient pas retourner au Pakistan ou que le Canada ne renvoie pas de gens au Pakistan (Règlement, aux articles 224, 230 et 231).

 

[32]           Il incombe aux demandeurs de veiller à observer les lois en matière d’immigration; les demandeurs ne peuvent prétendre être restés au Canada sans statut parce qu’on n’a pas pris immédiatement de mesures en vue de leur renvoi. Les demandeurs étaient assujettis à des mesures de renvoi. Ils ont bénéficié d’examens appropriés aux fins de leur établissement au Canada; toutefois, il était loisible à l’agente de noter qu’eu égard aux circonstances, exiger qu’ils quittent le Canada et qu’ils demandent la résidence permanente de la façon normale n’occasionnerait pas de difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives (IP 5, à la section 5.21).

 

[33]           Aucune des questions soulevées par les demandeurs ne constitue une question sérieuse à trancher. Les demandeurs n’ont pas satisfait au premier volet du critère.

 

B.  Le préjudice irréparable

[34]           Il incombe au demandeur de démontrer, au moyen d’une preuve claire et convaincante de préjudice irréparable, que la mesure exceptionnelle qu’est un sursis de la mesure de renvoi est justifiée. Le préjudice irréparable doit comporter plus qu’une simple suite de possibilités et ne peut pas être fondé sur des allégations et des hypothèses (Atwal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 427, 136 A.C.W.S (3d) 109, au paragraphe 14).

 

[35]           La Cour suprême du Canada a conclu que pareil préjudice doit être causé au demandeur (RJR‑MacDonald Inc., précité, au paragraphe 58).

 

[36]           La jurisprudence de la Cour fédérale établit également qu’un préjudice irréparable doit être quelque chose de plus que les conséquences inhérentes à l’expulsion. Comme le juge Denis Pelletier l’a dit dans la décision Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 188 F.T.R. 39, 96 A.C.W.S. (3d) 278 :

[21]      […] [P]our que l’expression « préjudice irréparable » conserve un peu de sens, elle doit correspondre à un préjudice au‑delà de ce qui est inhérent à la notion même d’expulsion. Être expulsé veut dire perdre son emploi, être séparé des gens et des endroits connus. L’expulsion s’accompagne de séparations forcées et de cœurs brisés. [...]

 

[37]           La loi ne prévoit aucun sursis en attendant l’issue d’une demande CH ou d’une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire d’une telle décision. On s’attend à ce que le traitement, ou dans ce cas‑ci, le litige puisse se poursuivre (Règlement, à l’article 231; Akyol c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 931, 124 A.C.W.S. (3d) 1119, au paragraphe 11).

 

[38]           Il est possible de faire une distinction entre la présente affaire et l’affaire Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 470, 139 A.C.W.S. (3d) 915; dans cette affaire‑là, le préjudice irréparable découlait du fait que l’emploi du demandeur au Canada lui permettait de subvenir aux besoins de ses enfants, ceux‑ci n’habitant pas au Canada. Or, ce n’est pas ici le cas, et en fait, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve permettant de conclure que les demandeurs, dont certains sont fort instruits, ne peuvent pas trouver d’emploi au Pakistan.

 

[39]           Étant donné que, selon la preuve, les enfants peuvent s’adapter, toute idée selon laquelle les effets psychologiques d’un renvoi seraient plus sérieux que normalement ne constitue qu’une hypothèse et non un préjudice irréparable.

 

[40]           Le fait que les enfants interrompraient leurs études pour l’année scolaire en cours ne constitue pas un préjudice irréparable. La Cour d’appel fédérale a déjà examiné la question :

[12]      Je ne suis pas persuadé que les appelants se sont acquittés de leur obligation de prouver que, si la mesure de renvoi n’est pas suspendue jusqu’à liquidation de leur appel, ils subiront un préjudice irréparable [...]

 

[13]      Le renvoi de personnes qui sont demeurées au Canada sans statut bouleversera toujours le mode de vie qu’elles se sont donné ici. Ce sera le cas en particulier de jeunes enfants qui n’ont aucun souvenir du pays qu’ils ont quitté. Néanmoins, les difficultés qu’entraîne généralement un renvoi ne peuvent à mon avis constituer un préjudice irréparable au regard du critère exposé dans l’arrêt Toth, car autrement il faudrait accorder un sursis d’exécution dans la plupart des cas dès lors qu’il y aura une question sérieuse à trancher : Melo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 188 F.T.R. 29.

 

[14]      Les appelants adultes ont trouvé des emplois (emplois qu’ils perdront à leur renvoi du Canada), ils ont à cœur d’améliorer leurs compétences professionnelles et ils sont engagés dans la communauté, mais je ne crois pas que tout cela suffise à prouver que leur cas est différent de celui de la plupart des autres qui doivent se préparer à un renvoi. De même, le fait d’avoir à retirer leur enfant de son école et à le séparer de ses amis jusqu’à liquidation de l’appel est un incident ordinaire, encore que douloureux, propre à tout renvoi.

 

(Selliah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CAF 261, 132 A.C.W.S. (3d) 547).

 

[41]           Les demandeurs n’ont pas démontré que la perte de leur entreprise leur causerait un préjudice irréparable. Ils savent depuis plus de huit mois que le renvoi est imminent. Or, ils n’ont pas établi qu’ils avaient dans l’intervalle essayé de se départir de leur entreprise en vue d’atténuer les effets du renvoi (Akyol, précitée, au paragraphe 9; Bajwa c. Canada (Secrétaire d’État) (1994), 46 A.C.W.S. (3d) 687, [1994] A.C.F. no 232 (QL) (C.F. 1re inst.)).

 

[42]           Comme les demandeurs n’ont pas réussi à satisfaire au critère applicable au préjudice irréparable, la présente requête doit être rejetée pour ce seul motif.

 

C.  La prépondérance des inconvénients

[43]           L’article 48 de la LIPR prévoit qu’une mesure de renvoi exécutoire doit être appliquée dès que les circonstances le permettent.

 

[44]           Les demandeurs sollicitent une mesure exceptionnelle en équité. Il faut prendre en considération l’intérêt public dans l’évaluation de ce dernier critère. Pour démontrer que la prépondérance des inconvénients milite en faveur des demandeurs, ces derniers devraient démontrer qu’il est dans l’intérêt public de ne pas les renvoyer tel qu’il est prévu (Dugonitsch c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1992), 53 F.T.R. 314, 32 A.C.W.S. (3d) 1135; RJR‑MacDonald Inc., précité; Blum c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 90 F.T.R. 54, 52 A.C.W.S. (3d) 1099).

 

[45]           Les inconvénients que les demandeurs peuvent subir par suite de leur renvoi du Canada ne l’emportent pas sur l’intérêt public que les défendeurs cherchent à assurer en appliquant la LIPR – cet intérêt public exigeant plus précisément qu’une mesure d’expulsion soit appliquée dès que les circonstances le permettent. Dans ce cas‑ci, les demandeurs ont bénéficié d’une demande d’asile, d’un ERAR, d’un examen CH, de sursis administratifs accordés lorsqu’il était approprié de le faire et d’un sursis judiciaire de la mesure de renvoi. Il était entendu qu’après le dernier sursis administratif, accordé afin de permettre à leur fille de se rendre à un rendez‑vous chez le médecin, les demandeurs se conformeraient à la mesure et qu’ils partiraient; ils ne l’ont pas fait. Puisque la décision CH fort détaillée ne soulève aucune question sérieuse, la prépondérance des inconvénients milite en faveur du ministre (Atwal, précité, au paragraphe 19).

 

VI.  Conclusion

 

[46]           Pour les motifs susmentionnés, la requête que les demandeurs ont présentée en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi est rejetée.

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la requête que les demandeurs ont présentée en vue d’obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi soit rejetée.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                                    IMM‑2091‑09

 

INTITULÉ :                                                   SYED RIZWAN HAIDER RIZVI, SAEYDA TABASSUM HAIDER, SUKAINA HAIDER RIZVI (représentée par son tuteur à l’instance, SEYED RIZWAN HAIDER RIZVI), SYED HIDER RAZA (représenté par son tuteur à l’instance, SEYED RIZWAN HAIDER RIZVI), et MASSUMA RIZVI (représentée par son tuteur à l’instance, SEYED RIZWAN HAIDER RIZVI)

 

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

                                                                        et

                                                                        LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 4 mai 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT 

ET JUGEMENT :                                          Le juge Shore

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                                   Le 6 mai 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald Poulton

POUR LES DEMANDEURS

 

Alexis Singer

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ronald Poulton

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDEURS

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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