Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20090507

Dossier : IMM-4362-08

Référence : 2009 CF 461

Ottawa (Ontario), le 7 mai 2009

En présence de monsieur le juge Shore

 

 

ENTRE :

YOUSUF ALI GILLANI,

NOOR JEHAN GILLANI YOUSUF HAJIM

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Aperçu

[1]               En raison du contexte factuel particulier en l’espèce, il est probable que les demandeurs seront confrontés à des difficultés excessives au Pakistan en raison de leur appartenance religieuse, c’est‑à‑dire qu’ils sont des ismaéliens reconnus, une minorité dans un groupe minoritaire. Les leçons du passé, et, plus récemment, les tragédies survenues en rapport avec les Tutsis au Rwanda et la tribu Isaac en Somalie ainsi que la situation actuelle au Darfour (Soudan) sont des indicateurs que l’on agit trop souvent après les faits alors qu’il est trop tard pour plusieurs. En règle générale, les causes en instance devant les tribunaux, dès le début de leur déroulement, ne devraient‑elles pas servir d’indicateur de mesure de protection à prendre avant qu’il ne soit trop tard?

 

II.  Introduction

[2]               Les demandeurs, des citoyens du Pakistan, ont déposé une demande de contrôle judiciaire contestant une décision rendue le 30 juillet 2008 par Citoyenneté et Immigration Canada par laquelle celle‑ci a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs humanitaires (demande CH) présentée depuis le Canada en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

III.  Remarques préliminaires

[3]               Les demandeurs demandent que l’intitulé soit modifié de manière à ce que le nom de Pervaiz Ali Yousuf soit retranché du nom des demandeurs. En fait, l’agent d’immigration a rejeté la demande de résidence permanente fondée sur des motifs humanitaire présentée depuis le Canada par M. Pervaiz Ali Yousuf Canada parce qu’il avait été accepté, indépendamment de ses parents.

 

[4]               Par conséquent, « demandeurs » renvoient à Yousuf Ali Gillani et à son épouse Noor Jehan Gillani Yousuf Hajim.

 

IV.  Le rôle de l’agent d’immigration

[5]               Comme l’a souligné l’agent d’immigration, à la page 7 du dossier du demandeur, dans une demande déposée en vertu de l’article 25 de la LIPR, l’agent d’immigration doit évaluer si le demandeur serait exposé à des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’il déposait sa demande de résidence permanente de l’extérieur du Canada de la manière habituelle prévue à l’article 11 de la LIPR (Kharrat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration, 2007 CF 842, 160 A.C.W.S. (3d) 536).

 

V.  La norme de contrôle

[6]               Au paragraphe 7 de leur exposé des arguments, les demandeurs renvoient à l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, et mentionnent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable simpliciter.

 

[7]               En mars 2008, la Cour suprême du Canada a conclu, dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 180, au paragraphe 45, qu’il ne devrait plus y avoir que deux normes de contrôle, à savoir la norme de la décision correcte et la norme de la décision raisonnable.

 

VI.  La question en litige

[8]               L’agent qui a pris la décision a‑t‑il violé les principes de l’équité et tiré des conclusions erronées sans égard à la preuve fournie à l’appui de la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée depuis le Canada par les demandeurs?

 

VII.  L’historique

[9]               Dans leur demande CH, les demandeurs prétendent que, s’ils devaient retourner au Pakistan, leurs vies et leur sécurité seraient menacées en raison des persécutions exercées envers les groupes religieux minoritaires. Ils craignent également de faire l’objet de représailles pour avoir vécu à l’extérieur du pays depuis 1989 car ils seraient perçus comme étant riches et seraient ainsi ciblés. Ils ne seront pas capables d’obtenir la protection des autorités au Pakistan quant à ces risques.

 

VIII.  L’analyse

[10]           À la page 7 du dossier du tribunal, l’agent d’immigration reconnaît les craintes et les allégations de risque avancées par les demandeurs et il n’en tient pas compte; toutefois, dans l’analyse qui suit quant à la situation au Pakistan, à la page 8 du dossier du tribunal, l’agent d’immigration fait les déclarations suivantes confirmant les risques auxquels les demandeurs seraient exposés :

[traduction]

 

[…] Je reconnais qu’il y a des problèmes au Pakistan, que des meurtres et des actes de violence y sont commis; bien que cela soit difficile à réaliser, la preuve documentaire indique que le gouvernement a pris l’initiative de s’occuper des préoccupations et des droits de ses citoyens […]

 

[…] La Constitution affirme que, sous réserve du droit, de l’ordre public et de la moralité, chaque citoyen a le droit de professer, de pratiquer et de propager sa religion; toutefois, en pratique, le gouvernement impose des limites à la liberté de religion.

 

Le gouvernement a adopté un certain nombre de mesures visant à améliorer son traitement des minorités religieuses au cours de la période visée par le présent rapport, mais il existe toujours des problèmes importants […]

 

[…]

 

La situation politique au Pakistan continue d’évoluer et des incidents de violence se produisent toujours, mais la situation, particulièrement dans la mesure où elle touche les demandeurs, n’a fondamentalement pas changé […]

 

[11]           Dans ces déclarations, l’agent d’immigration confirme qu’il existe des problèmes graves au Pakistan en ce qui concerne le traitement des groupes religieux minoritaires et l’agent conclut que cela ne causerait aucune difficulté aux demandeurs qui sont membres de la minorité chiite musulmane. Il faut toutefois se rappeler que le dossier démontre clairement que les demandeurs sont des ismaéliens, lesquels sont indépendants et distincts de la minorité chiite musulmane. Ils sont les disciples de l’Agha Khan et ils jouent un rôle actif au sein de la communauté ismaélienne du Canada. Cette communauté est reconnue pour ses activités de relations externes d’ordre humanitaire. La preuve documentaire objective figurant dans le dossier du tribunal ainsi que les documents personnels des demandeurs précisent le travail bénévole qu’ils font au nom de la communauté ismaélienne au Canada. De plus, la fiche qui figure à la page 107 souligne clairement les rubriques 91 à 101 qui font état des menaces envers les ismaéliens au Pakistan et du traitement qui leur est réservé.

 

[12]           L’agent d’immigration conclut ensuite que les demandeurs peuvent obtenir la protection de l’État si jamais ils sont ciblés; toutefois, cette déclaration donne à penser que l’agent d’immigration applique le critère applicable dans le cas d’une demande d’asile et non pas le critère des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives. Si les demandeurs ont besoin de la protection de l’État, c’est parce qu’ils auront été ciblés et que, par conséquent, ils auront subi des difficultés importantes.

 

[13]           L’agent d’immigration ne reconnaît pas que la protection de l’État doit être efficace et ne doit pas simplement reposer sur les lois et les efforts du gouvernement visant à protéger ses citoyens (Lopez c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2007 CF 1341, 168 A.C.W.S. (3d) 370, aux paragraphes 18 à 20).

 

[14]           À la page 9 du dossier du tribunal, dans la section intitulée « Liens conjugaux, familiaux ou personnels dont la rupture causerait un préjudice », l’agent d’immigration a discuté des liens familiaux au Canada et a conclu que rien ne prouve que les enfants des demandeurs se trouvent au Canada et que rien ne prouve l’existence de liens avec les autres membres de la famille au Canada.

 

[15]           Les formulaires soumis par les demandeurs sur lesquels l’agent d’immigration s’est fié font état que le fils et la fille des demandeurs vivent au Canada avec la famille des demandeurs ou près de la famille des demandeurs. De plus, l’agent d’immigration reconnaît que les deux enfants sont maintenant résidents permanent du Canada. En fait, au départ, le fils des demandeurs, Pervaiz Ali Yousuf, était visé par la demande CH et il a été refusé par l’agent d’immigration parce qu’il est récemment devenu résident grâce à un autre programme. Par conséquent, il est déraisonnable que l’agent d’immigration présume que les enfants des demandeurs ne vivent pas au Canada.

 

[16]           Mme Gillani renvoie à la réponse donné par son mari dans son formulaire, dans la même section, confirmant que ni l’un ni l’autre n’a des liens avec le Pakistan ni avec qui que ce soit au Pakistan.

 

[17]           L’agent d’immigration conclut qu’il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve indiquant le degré d’établissement des demandeurs et met principalement l’accent sur l’emploi des demandeurs lorsqu’il évalue le degré d’établissement au Canada.

 

[18]           L’agent d’immigration tire une conclusion négative parce que le demandeur principal n’aurait pas mentionné à quel titre il était travailleur autonome et parce qu’il n’a fourni aucun détail quant à son entreprise. Cette conclusion de fait est erronée.

 

[19]           À la page 17 du dossier du tribunal, à la section 3.H du formulaire de renseignements supplémentaires du demandeur principal concernant le soutien financier actuel et futur, le demandeur déclare ce qui suit :

[traduction]

 

Mon fils et mon épouse travaillent et je tente de m’établir en lançant ma propre entreprise. J’ai déjà importé des fleurs artificielles de Hong Kong, en partenariat dans une entreprise appelée Dollar Warehouse.

 

[20]           Aux pages 29 et 30 du dossier, le demandeur soumet un certificat confirmant les importations de la Chine ainsi qu’un reçu des importations faites pour le compte de Dollar Warehouse. Le demandeur principal fait également mention de « propre entreprise » comme emploi envisagé.

 

[21]           L’agent d’immigration tire les mêmes conclusions erronées quant à Mme Gillani en déclarant qu’elle travaille comme caissière au Café on the Go et qu’elle est une travailleuse indépendante. Mme Gillani mentionne que son emploi envisagé est d’être « travailleuse indépendante » et, par conséquent, elle ne donne aucun renseignement quant à cet emploi envisagé.

 

[22]           L’agent d’immigration a commis une erreur en tirant une conclusion négative d’un présumé manque de renseignement concernant l’emploi des demandeurs car les renseignements ont été fournis et démontrent l’établissement des demandeurs.

 

[23]           Enfin, l’agent d’immigration tire une conclusion tout à fait hypothétique concernant la faisabilité du retour du demandeur au Pakistan.

 

[24]           L’agent d’immigration affirme que les demandeurs ont acquis des compétences professionnelles transférables qui les aideront à s’établir de nouveau au Pakistan; toutefois, l’agent d’immigration avait déjà prétendu que les demandeurs avaient fourni peu de renseignement concernant leur emploi au Canada et que, en conséquence, il était difficile de déterminer quelles compétences les demandeurs avaient acquis.

 

IX.  Conclusion

[25]           Pour tous les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un autre agent d’immigration.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée pour nouvel examen par un autre agent d’immigration.

.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifié conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4362-08

 

INTITULÉ :                                       YOUSUF ALI GILLANI

                                                            NOOR JEHAN GILLANI YOUSUF HAMJIM

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 22 avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 7 mai 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Andrea C. Snizynski

 

POUR LES DEMANDEURS

Daniel Latulippe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Andrea C. Snizynski

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. SIMS, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.