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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20090505

Dossier : IMM-4819-08

Référence : 2009 CF 454

Ottawa (Ontario), le 5 mai 2009

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

TAHIR HASSAN YOUSSOUF

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur est un citoyen du Tchad qui a déposé une demande d’asile au Canada. Il affirme craindre avec raison d’être persécuté du fait de son origine ethnique gorane et des activités politiques de son père. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande en concluant qu’une partie importante de son témoignage n’était pas crédible.

 

[2]               Indépendamment du degré élevé de retenue dont il faut faire preuve envers les conclusions de la Commission sur la question de la crédibilité, je suis convaincue que plusieurs des conclusions clés de la Commission n’étaient tout simplement pas raisonnables. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

Contexte

 

[3]               Le demandeur a allégué que sa vie était menacée au Tchad parce que son père, un officier militaire de carrière, avait adhéré au mouvement antigouvernemental appelé l’« Union des forces pour la démocratie et le développement » (l’« UFDD »). Le demandeur a soutenu que son père l’avait informé de ses activités au sein de l’UFDD le 2 septembre 2006 et l’avait averti que celles-ci pouvaient le mettre en danger à titre de fils aîné de la famille. De plus, le demandeur a déclaré que son père lui avait recommandé de quitter le Tchad et d’aller habiter chez ses oncles au Niger.

 

[4]               Le demandeur a affirmé qu’avant qu’il n’ait pu quitter le pays, la maison familiale a été attaquée par les forces gouvernementales. Le 6 septembre 2006, un groupe de soldats a fait une descente dans la maison, fouillant les lieux et brutalisant la mère et les frères cadets du demandeur. Le demandeur n’était pas à la maison à ce moment-là. Selon les allégations, les soldats voulaient savoir quels membres de la famille étaient partis avec le père et ont posé des questions précisément à propos du demandeur. Un voisin a expliqué au demandeur ce qui s’était passé et, par la suite, le demandeur est entré dans la clandestinité.

 

[5]               Deux jours plus tard, le demandeur a quitté le Tchad et est allé vivre chez ses oncles maternels au Niger. Puis, ceux-ci lui ont conseillé de retourner clandestinement au Tchad où il serait davantage en sécurité et bénéficierait de l’aide de Bechir Ahmed, un très bon ami d’un des oncles. Le demandeur a soutenu qu’il était rentré au Tchad le 25 septembre 2006 et qu’il avait habité clandestinement chez M. Ahmed. Celui-ci a organisé la fuite du demandeur, qui a quitté le Tchad le 7 février 2007 pour finalement arriver au Canada.

 

La décision de la Commission

 

[6]               La Commission a relevé ce qu’elle considère être de nombreuses contradictions dans le récit du demandeur, ce qui l’a amenée à conclure, de façon générale, au manque de crédibilité du demandeur.

 

[7]               Non seulement la Commission n’a pas cru les propos du demandeur relativement à l’attaque de sa maison par les forces gouvernementales, mais elle a aussi rejeté son allégation selon laquelle son père aurait quitté les forces armées pour se joindre à l’UFDD. En fait, la Commission n’a même pas cru que le demandeur était d’origine gorane.

 

[8]               Compte tenu de sa conclusion générale selon laquelle le demandeur manquait de crédibilité, la Commission a décidé de n’accorder aucune importance à la preuve documentaire émanant censément de l’UFDD et attestant de la véracité des propos du demandeur.

 

 

La décision de la Commission était-elle déraisonnable?

 

[9]               Bien qu’il soit évident qu’il existait des contradictions entre les faits relatés par le demandeur dans ses déclarations au point d’entrée, dans son Formulaire de renseignements personnels (le FRP), dans sa mise à jour du FRP et dans son témoignage à l’audience concernant son statut de réfugié, un certain nombre de conclusions décisives tirées par la Commission sur la question de la crédibilité ne résistent pas à un examen poussé, même si on applique la norme déférente de la raisonnabilité.

 

[10]           Par exemple, la Commission a reproché au demandeur de ne pas avoir mentionné dans son FRP initial que sa mère et ses frères avaient été forcés de fuir le Tchad pour se rendre au Soudan. Le demandeur en a parlé pour la première fois dans la mise à jour de son FRP déposée environ un an plus tard.

 

[11]           Cette conclusion de la Commission pose problème car il appert de la mise à jour du FRP du demandeur que sa famille s’est enfuie au Soudan bien après le dépôt par demandeur de son FRP initial. On peut donc difficilement reprocher au demandeur de ne pas avoir mentionné dans son FRP un fait n’ayant pas encore eu lieu.

 

[12]           Il semble que la Commission ait peut-être confondu le moment où la famille a été forcée de quitter la maison en septembre 2006 et sa fuite du Tchad au début de 2008. Toutefois, il apparaît clairement de la transcription qu’après avoir quitté la maison en 2006, la famille ne s’est pas enfuie au Soudan, mais est tout simplement allée habiter chez des amis.

 

[13]           La Commission a qualifié de différentes façons cette prétendue contradiction dans la preuve du demandeur en la désignant comme « une incohérence majeure », « [une] omission importante qui a grandement nui à sa crédibilité » et « [une] omission cruciale ». La conclusion de la Commission sur cette question était donc, de toute évidence, déterminante sur l’issue de l’affaire.

 

[14]           La Commission a aussi relevé des contradictions qui, en fait, n’en étaient pas. Par exemple, la Commission a conclu qu’il y avait une contradiction quant à savoir si le demandeur avait été menacé personnellement. Au point d’entrée, on a demandé au demandeur : « Avez-vous eu des menaces personnellement? », ce à quoi le demandeur a répondu : « Non, j’ai seulement écouté mon père. »

 

[15]           Lors de l’audience concernant son statut de réfugié, le demandeur a produit un témoignage semblable quant à savoir s’il avait été menacé personnellement. Le demandeur a aussi indiqué qu’il n’était pas à la maison lorsque les forces armées s’y étaient présentées à sa recherche. Toutefois, plus tard dans son témoignage, lorsqu’on lui a demandé au sujet de la visite des soldats au domicile familial : « Est-ce que vous considérez, ce que vous venez de me dire, comme étant une menace personnelle? On vous cherchait vous? », le demandeur a répondu par l’affirmative.

 

[16]           Une interprétation juste de l’échange ayant donné lieu à cette réponse révèle qu’il n’y a pas de contradiction dans le témoignage du demandeur à cet égard. Le dossier montre clairement que le demandeur a compris les questions posées au point d’entrée et à l’audience au sujet « des menaces personnelles » comme visant à établir si des menaces avaient été proférées contre lui en sa présence. Il a constamment nié que cela avait eu lieu. Le fait pour le demandeur d’avoir convenu par la suite que la visite chez lui par les forces armées, qui étaient à sa recherche, constituait une menace personnelle, ne contredisait pas son témoignage antérieur suivant lequel aucune menace n’avait été proférée contre lui en sa présence.

 

[17]           D’autres contradictions relevées par la Commission dans le témoignage du demandeur sont vraiment mineures. Par exemple, la Commission a reproché au demandeur d’avoir témoigné que son père lui avait dit qu’« il avait l’intention de joindre la rébellion », et d’avoir plus tard affirmé que son père lui avait dit qu’« il avait pris la décision de joindre la rébellion ». Selon la Commission, il s’agissait là d’« une incohérence importante ». En toute déférence, cette distinction est sans importance.

 

[18]           Je reconnais que la Commission avait plusieurs autres raisons de conclure que la preuve du demandeur n’était pas crédible de façon générale, mais les erreurs susmentionnées concernant ce que la Commission a qualifié d’incohérences majeures, importantes ou cruciales dans le témoignage du demandeur sont suffisantes pour qu’il soit risqué de confirmer la décision de la Commission.

 

[19]           La Commission a décidé de n’accorder aucune importance à une lettre provenant censément de l’UFDD et attestant de la carrière militaire du père du demandeur dans le passé, des activités du père au sein de l’UFDD et de la persécution de sa famille qui s’en est suivie par les forces gouvernementales, et ce, en raison de sa conclusion suivant laquelle le récit du demandeur n’était, de façon générale, pas crédible. Dans la mesure où les conclusions de la Commission relatives à la crédibilité étaient déraisonnables, la conclusion au sujet de la lettre censée émaner de l’UFDD ne peut non plus être maintenue.

 

[20]           Finalement, la Commission a soutenu qu’étant donné le manque total de crédibilité du demandeur, elle ne pouvait pas croire qu’il était d’origine gorane. Il convient de noter que l’origine ethnique du demandeur n’a jamais été remise en cause à l’audience, ce qui soulève des doutes quant au caractère équitable du processus suivi pour arriver à cette conclusion. En outre, vu que la conclusion de la Commission sur l’origine ethnique du demandeur était fondée uniquement sur le manque de crédibilité de celui‑ci en général, cette conclusion, tout comme la conclusion concernant la lettre de l’UFDD, est, elle aussi, déraisonnable.

 

Conclusion

 

[21]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

 

 

Certification

 

[22]           Les parties n’ont pas proposé de questions à certifier et la présente affaire n’en soulève pas.


JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que :

 

            1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci rende une nouvelle décision.

 

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4819-08

 

 

INTITULÉ :                                       TAHIR HASSAN YOUSSOUF c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION                                    

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 30 avril 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Mactavish

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 5 mai 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Howard P. Eisenberg

 

POUR LE DEMANDEUR

Melissa Mathieu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Howard P. Eisenberg

Avocat

Hamilton (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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