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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20090505

Dossier : IMM‑4721‑08

Référence : 2009 CF 446

Ottawa (Ontario), le 5 mai 2009

En présence de monsieur le juge Teitelbaum

 

 

ENTRE :

 

DORIVALDO DE CASTRO

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET

DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               M. Dorivaldo De Castro (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 11 septembre 2008, par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SAI) a rejeté un appel de la mesure d’expulsion dont il faisait l’objet, appel fondé sur des considérations humanitaires (CH) en vertu du paragraphe 68(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

 

Historique

 

[2]               Le demandeur est un citoyen de l’Angola âgé de 22 ans. Il est entré au Canada avec l’aide de sa grand‑mère au mois de mars 2002 et il a demandé l’asile en alléguant être persécuté dans son pays d’origine. En 2000, le demandeur a été témoin du meurtre de sa mère par l’armée angolaise. Son père, sa grand‑mère et deux sœurs vivent en Angola, mais son père est disparu et il est présumé mort. Le demandeur a obtenu le statut de réfugié au sens de la Convention le 16 janvier 2003. Rien ne montre que le demandeur soit resté en contact avec sa famille en Angola depuis son départ.

 

[3]               À son arrivée au Canada, le demandeur logeait dans un foyer pour demandeurs d’asile. Il a par la suite été placé dans deux foyers d’accueil. Le demandeur a fait des études secondaires et il a appris à parler l’anglais. Il était un bon élève et un bon athlète et il participait activement aux activités scolaires. Il a commencé à travailler pendant qu’il vivait dans des foyers d’accueil. Dans son affidavit, le demandeur déclare [traduction] « ne pas être resté dans le bon chemin », à cause des drogues et de l’alcool, après avoir obtenu son diplôme d’études secondaires, d’où les événements pour lesquels il a été déclaré coupable au criminel.

 

[4]               Le 31 décembre 2005, le demandeur et sa petite amie (à l’époque), Mme Richards, ont rencontré une jeune femme dans un restaurant local et ils l’ont invitée dans le logement qu’ils louaient. Le demandeur et sa petite amie ont caressé la jeune femme de manière déplacée, ils l’ont contrainte à se livrer à des actes sexuels et ils l’ont illégalement séquestrée pendant deux jours. Des traces de cocaïne ont été décelées dans le sang de la jeune femme. Le demandeur a été arrêté le 5 janvier 2006 et, le 8 juin 2008, il a été déclaré coupable de séquestration et d’agression sexuelle.

 

[5]               Le 8 juin 2008, comme je l’ai dit, le demandeur a été déclaré coupable de séquestration et d’agression sexuelle en vertu du paragraphe 279(2) et de l’article 271 du Code criminel relativement à cet incident. Il a plaidé coupable sur les conseils de son avocat et il a été condamné à une peine consécutive de deux ans moins un jour pour chaque infraction. Compte tenu de la période de détention avant le procès, le juge chargé d’imposer la peine a condamné le demandeur à neuf jours additionnels de prison pour chaque chef.

 

[6]               Le 27 février 2008, la Section de l’immigration de la CISR a mené une enquête au cours de laquelle le demandeur était représenté par un conseil et a admis les allégations faites à son encontre, à savoir qu’il était un résident permanent du Canada et qu’il avait été déclaré coupable de séquestration et d’agression sexuelle, infractions pour lesquelles il avait été condamné à une peine de deux ans moins un jour pour chaque chef. Il a été conclu à l’interdiction de territoire du demandeur pour criminalité conformément à l’alinéa 36(1)a) de la LIPR et une mesure de renvoi a été prise contre lui.

 

[7]               L’appel que le demandeur a interjeté de la mesure de renvoi a été entendu par un commissaire de la SAI le 30 juillet 2008. Le 11 septembre 2008, la SAI a rejeté l’appel au motif qu’il n’y avait pas de motif CH justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

Décision contestée

 

[8]               Dans ses motifs, la SAI a noté que, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré à l’égard de la prise de mesures spéciales dans un appel portant sur une mesure de renvoi, elle doit examiner, entre autres, les facteurs énoncés dans la décision Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. no 4 (QL) (les facteurs Ribic), et notamment :

a)      la gravité des infractions à l’origine de la mesure d’expulsion;

b)      la possibilité de réadaptation;

c)      le temps passé au Canada et le degré d’établissement du demandeur au Canada;

d)      la présence de la famille au Canada et les bouleversements que l’expulsion du demandeur occasionnerait à cette famille;

e)      le soutien dont bénéficie le demandeur au sein de sa famille et dans la collectivité;

f)        le degré de difficultés que pourrait subir le demandeur s’il retournait dans son pays de nationalité.

 

[9]               La SAI a tout d’abord décrit les événements ayant mené aux déclarations de culpabilité prononcées contre le demandeur :

 

L’appelant a débuté une relation avec Kelly Richards à la fin de l’été de 2005. Mlle Richards a le même âge que l’appelant et a travaillé comme danseuse exotique. La veille du jour de l’An 2005 (le 31 décembre 2005), l’appelant et Mlle Richards ont rencontré une jeune femme (la victime) dans un restaurant local et l’ont invitée à la maison qu’ils louaient. L’appelant savait que la victime voulait de la cocaïne. Il connaissait un ami dont l’ami vendait de la cocaïne. L’appelant a acheté de la cocaïne pour la victime, laquelle n’avait pas d’argent pour la payer. Il s’est fâché lorsqu’il l’a su. Il a saisi la victime par le bras et l’a conduite au sous‑sol de la maison. Elle a tenté de résister lorsqu’il l’a touchée de façon inappropriée. L’appelant s’est mis en colère contre elle, l’a lancée contre le mur et lui a dit de retirer ses vêtements. La victime a obtempéré. Il l’a alors caressée de manière déplacée, et lui a dit qu’elle aurait à utiliser son corps pour rembourser le coût de la cocaïne. Par la suite, elle et lui se sont engagés dans une relation sexuelle. La victime et Mlle Richards ont également pris part à une relation sexuelle. L’appelant et Mlle Richards avaient fait boire de l’alcool à la victime au cours de la soirée, et elle était ivre. La victime n’avait jamais bu au point de s’enivrer auparavant. L’appelant a déclaré que des photographies ont été prises des diverses activités sexuelles auxquelles lui, la victime et Mlle Richards ont participé.

 

La victime a été séquestrée dans la maison de l’appelant pendant le reste de la journée du 1er janvier, jusqu’au 2 janvier. L’appelant l’a ensuite conduite dans un club de divertissement pour adultes, à Guelph, où on lui a dit qu’elle devrait travailler comme danseuse nue pour rembourser sa dette à l’appelant pour la cocaïne qu’il lui avait fournie. La victime a raconté ses déboires au disc‑jockey du club, qui les a rapportés au gérant de l’établissement, lequel, à son tour, a appelé la police. À l’arrivée de la police au club, l’appelant et Mlle Richards avaient fui dans leur voiture. Ils ont finalement été arrêtés et ont été inculpés de plusieurs infractions.

 

[10]           La SAI a de nouveau énoncé l’avis du juge chargé d’imposer la peine, écrivant que « les infractions commises par [le demandeur] constituaient une agression non provoquée sur une victime innocente qui, manifestement, avait été choisie pour être la victime » et que « [le demandeur] avait eu recours à une force excessive, à la violence et à l’intimidation pour commettre les deux infractions criminelles pour lesquelles il avait été condamné ». La SAI a ensuite noté certaines circonstances atténuantes dont le juge chargé d’imposer la peine avait tenu compte, notamment les antécédents du demandeur, son âge au moment où il avait commis les crimes, le fait que la conduite du demandeur n’avait pas causé de blessures physiques à la victime et les problèmes de preuve auxquels se serait heurtée la Couronne si un procès avait été tenu (à savoir les questions de crédibilité de la victime, qui ne voulait pas coopérer).

 

[11]           La SAI a également indiqué qu’il existait des éléments de preuve contradictoires quant à la question de savoir si une arme avait été utilisée lorsque les infractions avaient été commises. Le rapport criminel circonstancié donne à entendre que le demandeur avait en sa possession une arme de poing qui était enveloppée dans une serviette ou dans une chemise noire. Toutefois, le juge chargé d’imposer la peine a dit que dans cette affaire, aucune arme, qu’il s’agisse d’une arme à feu ou d’un autre type d’arme, n’avait été utilisée. La SAI a indiqué que lorsqu’il avait été contre‑interrogé à l’audition de l’appel, le demandeur avait admis avoir en sa possession un revolver chargé de calibre 22 qu’il avait trouvé dans les buissons, près d’un terrain de jeu, au milieu du mois de décembre, pendant la nuit. Il a en outre admis avoir montré le revolver à la victime, mais il a nié l’avoir braqué sur elle. La SAI a noté que la police avait trouvé le revolver sur la banquette arrière de la voiture du demandeur.

 

[12]           La SAI a également mentionné que le demandeur avait accepté de plaider coupable sur les conseils de son avocat, même s’il avait dit qu’ils envisageaient la tenue d’un procès et même s’il avait nié avoir agressé sexuellement la victime. Le demandeur affirme que la victime avait volontairement eu une relation sexuelle orale avec lui et que c’était Mme Richards qui avait insisté pour que la victime reste avec eux.

 

[13]           La SAI a ensuite examiné certains facteurs militant en faveur du demandeur. Elle a accepté que le demandeur avait suivi plusieurs cours pendant qu’il était incarcéré. Il avait obtenu quatre crédits supplémentaires d’études secondaires et il avait gagné 18 certificats d’étude de la Bible. La SAI a également mentionné une lettre qu’elle avait reçue d’un responsable du programme de réinsertion sociale et d’assistance aux délinquants (ORAP) selon laquelle on était disposé à aider le demandeur à se trouver un logement, à obtenir des fonds de démarrage et à continuer à travailler avec lui après sa sortie de prison.

 

[14]           Dans son analyse, la SAI a mis l’accent sur le fait que le demandeur avait plaidé coupable aux accusations de séquestration et d’agression sexuelle, de sorte qu’il avait admis les [traduction] « ingrédients juridiques nécessaires pour établir le[s] crime[s] […] » : R. c. Adgey (1974), 13 C.C.C. (2d) 177 (C.S.C.). Cela étant, il ne peut pas remettre en litige les accusations criminelles qui ont été portées contre lui.

 

[15]           La SAI a cité une décision qui donne à entendre qu’elle peut tenir compte d’autres facteurs susceptibles d’atténuer les crimes commis par le demandeur : Registrar, Motor Vehicles Act c. Jacobs (2004), 69 O.R. (3d) 462 (C. div.). Toutefois, la SAI a dit qu’il est possible de faire une distinction à l’égard de la présente affaire parce qu’elle disposait de certains éléments de preuve dont le juge chargé d’imposer la peine n’avait pas tenu compte, à savoir que le demandeur avait en sa possession un revolver chargé de calibre 22 lorsqu’il avait commis les infractions. La SAI n’a pas jugé crédible l’explication que le demandeur avait donnée au sujet des circonstances dans lesquelles il avait obtenu le revolver et elle a répété que le demandeur avait le revolver sur lui lorsque Mme Richards et lui avaient conduit la victime dans une boîte de danseuses nues à Guelph.

 

[16]           La SAI a accepté que le demandeur avait vécu une tragédie personnelle et qu’il avait fait des efforts pour s’établir au Canada. En particulier, elle a noté que le demandeur avait appris à parler l’anglais, qu’il avait obtenu son diplôme d’études secondaires, qu’il travaillait d’une façon continue, qu’il s’était fait des amis et qu’il avait consulté un psychiatre pour que celui‑ci l’aide à surmonter le traumatisme qu’il avait subi en Angola.

 

[17]           La SAI a également accepté que le demandeur avait fait des efforts raisonnables pour se rétablir depuis qu’il avait été mis en liberté. Ainsi, il travaille à plein temps et il respecte la loi. La SAI a noté qu’il était possible que le demandeur se réadapte, mais elle a conclu qu’il ne s’était pas écoulé suffisamment de temps depuis que le demandeur avait été mis en liberté pour permettre une évaluation raisonnable des possibilités de réadaptation.

 

[18]           La SAI a en outre accepté que le demandeur bénéficiait du soutien de ses amis, de son employeur, de sa propriétaire et du programme ORAP. Toutefois, elle a noté que le demandeur n’avait pas, au Canada, de famille ou d’enfants qui seraient directement touchés par sa décision.

 

[19]           La SAI a conclu que les superbes efforts déployés par le demandeur depuis son arrivée au Canada ne pesaient pas lourd face à son comportement criminel. Elle a conclu que les aspects défavorables du cas (le comportement criminel du demandeur) l’emportaient sur les aspects favorables et qu’il n’y avait pas de motif d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales. L’appel a donc été rejeté.

 

Points litigieux

 

[20]           Le demandeur soulève les deux questions suivantes :

1.      La SAI a‑t‑elle manqué à l’obligation qui lui incombe en matière d’équité procédurale en n’étayant pas sa décision de motifs suffisants?

2.      Subsidiairement, la décision de la SAI était‑elle raisonnable?

 

Contexte législatif

 

[21]           Les dispositions législatives pertinentes sont les suivantes :

 

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

a) être déclaré coupable au Canada d’une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans ou d’une infraction à une loi fédérale pour laquelle un emprisonnement de plus de six mois est infligé;

(a) having been convicted in Canada of an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years, or of an offence under an Act of Parliament for which a term of imprisonment of more than six months has been imposed;

68. (1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

 

68. (1) To stay a removal order, the Immigration Appeal Division must be satisfied, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, that sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

 

Analyse

 

La norme de contrôle

 

[22]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a établi que lorsque la jurisprudence a déjà déterminé de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier, il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse relative à la norme de contrôle (au paragraphe 57).

 

[23]           Récemment, dans la décision Bal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1178, le juge de Montigny a conclu que l’évaluation du poids accordé à la preuve par la SAI et la façon dont celle‑ci interprète cette preuve est une question de fait qui doit être examinée selon la norme de la raisonnabilité. Cette conclusion est étayée par l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, dans lequel la Cour suprême du Canada a établi que la norme de contrôle à appliquer aux décisions rendues par des agents d’immigration dans le cadre de demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire est celle de la raisonnabilité.

 

[24]           Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la raisonnabilité, il n’appartient pas à la Cour de substituer son évaluation des faits à celle du décideur. La question est plutôt de savoir « si les motifs, considérés dans leur ensemble, sont soutenables comme assise de la décision » : Barreau du Nouveau‑Brunswick c. Ryan, [2003] 1 R.C.S. 247, au paragraphe 56. La Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir, précité.

 

[25]           Il est également de droit constant que les questions d’équité procédurale doivent être examinées selon la norme de la décision correcte : Pushpanathan c. Canada (M.C.I.), [1998] 1 R.C.S. 982, et Bal c. Canada, précitée, au paragraphe 19.

 

Première question : La SAI a‑t‑elle manqué à l’obligation qui lui incombe en matière d’équité procédurale en omettant d’énoncer des motifs adéquats à l’appui de sa décision?

 

[26]           Selon le demandeur, les motifs énoncés par la SAI ne permettent pas de savoir comment elle est arrivée à sa conclusion. La SAI a mentionné de nombreux facteurs militant en faveur du demandeur, sans toutefois indiquer pourquoi ces facteurs étaient insuffisants pour l’emporter sur les déclarations de culpabilité dont le demandeur avait fait l’objet.

 

[27]           Le demandeur cite la décision Abdeli c. M.S.P.P.C., [2006] A.C.F. no 1322 (C.F.), dans laquelle le juge Kelen se réfère à l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Via Rail Canada Inc. c. Canada (Office national de transports), [2001] 2 C.F. 25 (C.A.), pour déterminer ce que sont des motifs adéquats :

 

La norme qui permet de savoir si les motifs fournis dans une affaire donnée sont suffisants a été énoncée par le juge Sexton, au nom de la Cour d’appel fédérale, dans l’arrêt Via Rail Canada Inc. c. Canada (Office national de transports), [2001] 2 C.F. 25 (C.A.), aux paragraphes 21 et 22 :

 

L’obligation de motiver une décision n’est remplie que lorsque les motifs fournis sont suffisants. Ce qui constitue des motifs suffisants est une question qui doit être tranchée en fonction des circonstances de chaque espèce. Toutefois, en règle générale, des motifs sont suffisants lorsqu’ils remplissent les fonctions pour lesquelles l’obligation de motiver a été imposée. Pour reprendre les termes utilisés par mon collègue le juge d’appel Evans [traduction] « [t]oute tentative pour formuler une norme permettant d’établir le caractère suffisant auquel doit satisfaire un tribunal afin de s’acquitter de son obligation de motiver sa décision doit en fin de compte traduire les fins visées par l’obligation de motiver la décision ».

 

On ne s’acquitte pas de l’obligation de donner des motifs suffisants en énonçant simplement les observations et les éléments de preuve présentés par les parties, puis en formulant une conclusion. Le décideur doit plutôt exposer ses conclusions de fait et les principaux éléments de preuve sur lesquels reposent ses conclusions. Les motifs doivent traiter des principaux points en litige. Il faut y retrouver le raisonnement suivi par le décideur et l’examen des facteurs pertinents.

[Renvois omis.]

 

[28]           Le demandeur affirme qu’en l’espèce, la SAI n’a pas procédé à l’analyse requise et qu’elle n’a pas étayé ses conclusions de motifs adéquats. Il soutient que la SAI a donc commis une erreur susceptible de contrôle.

 

[29]           Le défendeur affirme que les motifs de la SAI énoncent d’une façon claire et exacte tous les éléments factuels qui ont été pris en considération. Il fait valoir que la SAI a évalué les facteurs énoncés dans la décision Ribic et qu’elle a conclu que les infractions criminelles dont le demandeur avait été déclaré coupable l’emportaient sur les facteurs favorables. Aux dires du défendeur, l’argument avancé par le demandeur indique simplement que celui‑ci ne souscrit pas au résultat.

 

[30]           En énonçant ses motifs, la SAI a reconnu avec raison que les facteurs énoncés dans la décision Ribic ne sont pas exhaustifs. Elle a ensuite examiné et soupesé un certain nombre de ces facteurs, militant en faveur ou à l’encontre du demandeur. La SAI ne s’est pas contentée de réciter les observations et la preuve des parties et de tirer une conclusion générale : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Charles, 2007 CF 1146. Dans sa décision, la SAI a tiré un certain nombre de conclusions, notamment :

-         Le demandeur s’est est pris à une personne vulnérable;

-         Le demandeur avait en sa possession un revolver lorsqu’il a commis les infractions criminelles;

-         L’explication que le demandeur a donnée au sujet des circonstances dans lesquelles il avait obtenu le revolver n’était pas crédible;

-         Malgré son plaidoyer de culpabilité, le demandeur continue à nier sa culpabilité et refuse d’assumer toute responsabilité à l’égard de ses actions;

-         Une période de deux mois n’est pas suffisante pour permettre d’évaluer les possibilités de réadaptation;

-         Le demandeur est établi au Canada d’une façon limitée.

 

[31]           En fin de compte, la SAI a décidé que la gravité des déclarations de culpabilité du demandeur et de son comportement criminel l’emportent sur les facteurs militant en sa faveur. Il était loisible à la SAI de tirer cette conclusion compte tenu de la preuve dont elle disposait et, à mon avis, cette conclusion était étayée de motifs transparents et intelligibles.

 

[32]           La SAI possède le pouvoir discrétionnaire voulu pour soupeser les divers facteurs d’une affaire. En l’espèce, la SAI a évalué tous les facteurs pertinents et elle a décidé d’accorder beaucoup de poids à la gravité des déclarations de culpabilité du demandeur et de son comportement criminel. Les remarques que le juge Shore a faites dans la décision Hamzai c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 1108, sont pertinentes à cet égard :

Notre Cour ne doit pas s’immiscer à la légère dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un agent CH. Une décision CH ne suppose pas simplement l’application de principes juridiques, mais l’appréciation de nombreux facteurs aux faits de l’espèce. Dès lors que l’agent CH a tenu compte de facteurs d’ordre humanitaire pertinents et appropriés, la Cour ne modifiera pas l’appréciation que l’agent CH a faite de ces divers facteurs, même si elle aurait apprécié ces facteurs différemment [...]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

[33]           Je suis convaincu que, dans son analyse, la SAI a tenu compte des facteurs CH pertinents; je ne modifierai donc pas sa décision discrétionnaire.

 

[34]           À mon avis, le demandeur conteste la façon dont la SAI a soupesé la preuve et non le caractère adéquat de ses motifs. On ne saurait, dans le cadre d’un contrôle judiciaire simplement réévaluer la preuve : Bal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1178.

 

Deuxième question : La décision de la SAI était‑elle raisonnable?

 

[35]           Le demandeur affirme que la cour a imposé une peine figurant à [traduction] « l’extrémité inférieure » de l’échelle compte tenu des nombreuses circonstances atténuantes et notamment du fait que la Couronne aurait eu de la difficulté à prouver les infractions étant donné le manque de crédibilité du témoin.

 

[36]           Le demandeur fait en outre valoir que la conclusion tirée par la SAI est déraisonnable étant donné les nombreux facteurs CH qui atténuent les déclarations de culpabilité dont il a fait l’objet, à savoir ses antécédents tragiques, son jeune âge, son casier jusqu’alors vierge, ses antécédents en matière d’emploi, son niveau de scolarité et les efforts qu’il a faits pour se réadapter depuis son arrestation. Il est soutenu qu’après avoir noté ces faits, la SAI n’a pas tiré de conclusions au sujet de la mesure dans laquelle ces faits représentaient des facteurs CH favorables au demandeur, tendant à justifier un sursis de la mesure de renvoi. Ainsi, tout en notant que le demandeur n’était pas en liberté depuis suffisamment de temps pour qu’il soit possible d’évaluer les possibilités de réadaptation, la SAI a omis de signaler la preuve qui montrait que le demandeur s’était complètement amendé. Le demandeur affirme que la décision de la SAI n’appartient donc pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits ou de la preuve.

 

[37]           Le défendeur fait valoir que le principal facteur sur lequel la SAI s’est fondée se rapportait à la gravité des infractions criminelles qui, selon la SAI, l’emportaient sur tout facteur militant en faveur du demandeur. Selon le défendeur, aucun des autres facteurs énoncés dans la décision Ribic, quant aux motifs CH possibles, n’était particulièrement favorable au demandeur.

 

[38]           Le défendeur maintient qu’il est loisible aux tribunaux tels que la SAI d’opter pour l’une ou l’autre des différentes solutions rationnelles acceptables. Les questions dont un tribunal administratif est saisi n’appellent pas nécessairement une seule solution précise. Aux dires du défendeur, la décision de la SAI appartient aux issues possibles acceptables et la contestation du demandeur indique simplement qu’il est en désaccord avec le résultat, ce qui ne soulève pas en soi une erreur susceptible de contrôle.

 

[39]           Depuis que l’ordonnance accordant l’autorisation a été rendue, la Cour suprême du Canada s’est prononcée, dans l’affaire Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, sur la norme de preuve applicable aux décisions de la SAI. Le défendeur soutient que l’arrêt Khosa est instructif lorsqu’il s’agit de trancher la demande ici en cause. Dans l’affaire Khosa, le demandeur s’était vu infliger une peine d’emprisonnement avec sursis de deux ans moins un jour après avoir été déclaré coupable de négligence criminelle causant la mort et il avait fait l’objet d’une mesure de renvoi. La SAI avait conclu qu’il n’y avait pas de motif CH justifiant la prise de mesures spéciales. Le défendeur fait remarquer que la SAI avait conclu qu’elle ne disposait pas de renseignements suffisants pour se prononcer sur les chances de réadaptation et qu’elle avait conclu que les facteurs défavorables l’emportaient sur les facteurs favorables. La Cour suprême a confirmé la décision. Aux dires du défendeur, la présente affaire est analogue et elle devrait être traitée en conséquence. Je suis d’accord avec le défendeur.

 

[40]           L’arrêt fort attendu que la Cour suprême vient de rendre dans l’affaire Khosa renferme des directives utiles. Les faits ayant abouti à la déclaration de culpabilité dans l’affaire Khosa sont différents de ceux de la présente espèce, mais les questions de droit soulevées sont fort semblables. Dans les deux cas, il s’agissait du contrôle judiciaire de la décision de la SAI de refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire en vue de suspendre ou de révoquer une mesure de renvoi pour des motifs d’ordre humanitaire. Les paragraphes suivants de l’arrêt Khosa sont particulièrement instructifs :

 

56      Pour ce qui est de la raison d’être de la SAI suivant sa loi habilitante, la SAI tranche des appels très variés sous le régime de la LIPR, y compris les appels des résidents permanents ou des personnes protégées contre les mesures de renvoi prises contre eux, ceux des personnes ayant déposé une demande de parrainage au titre du regroupement familial, ceux des résidents permanents contre une décision rendue hors du Canada sur leur obligation de résidence et ceux du ministre contre une décision rendue par la Section de l’immigration dans le cadre de son enquête (art. 63). Une décision de la SAI n’est susceptible de contrôle que sur autorisation de la Cour fédérale (art. 72).

57      Reconnaissant que le renvoi peut entraîner des difficultés, le législateur a prévu à l’al. 67(1)c) un pouvoir de prendre des mesures exceptionnelles. Selon la nature de la question que pose l’al. 67(1)c), la SAI « fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé [...] il y a [...] des motifs d’ordre humanitaire justifiant [...] la prise de mesures spéciales ». Il revient à la SAI de déterminer non seulement en quoi consistent les « motifs d’ordre humanitaire », mais aussi s’ils « justifient » la prise de mesures dans un cas donné. L’alinéa 67(1)c) exige que la SAI procède elle‑même à une évaluation liée aux faits et guidée par des considérations de politique. Comme la Cour l’a fait remarquer dans Prata c. Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration, [1976] 1 R.C.S. 376, à la p. 380, une mesure de renvoi :

 

établit que, s’il ne peut bénéficier d’aucun privilège particulier, [l’individu visé par une mesure de renvoi légitime] n’au aucun droit à demeurer au Canada. Par conséquent, [...] [l’individu faisant appel d’une mesure de renvoi légitime] ne cherche pas à faire reconnaître un droit, mais il tente plutôt d’obtenir un privilège discrétionnaire. [Je souligne.]

 

58      L’intimé n’a soulevé aucune question de pratique ou de procédure. Il a reconnu que la mesure de renvoi avait été validement prise contre lui en application du par. 36(1) de la LIPR. Sa contestation visait directement le refus de la SAI de lui accorder un « privilège discrétionnaire ». La décision de la SAI de ne pas prendre de mesure reposait sur une évaluation des faits au dossier. La SAI a eu l’avantage de tenir les audiences et d’évaluer la preuve, y compris le témoignage de l’intimé lui‑même. Les membres de la SAI possèdent une expertise considérable pour trancher les appels sous le régime de la LIPR. Considérés ensemble, ces facteurs font clairement ressortir que la norme de contrôle de la raisonnabilité s’applique. Aucun motif ne permettrait d’aboutir à un résultat différent. Le par. 18.1(4) ne comporte aucun élément qui s’opposerait à l’adoption de la norme de contrôle de la « raisonnabilité » à l’égard des décisions rendues en vertu de l’al. 67(1)c). Par conséquent, je conclus que la norme de contrôle applicable est celle de la « raisonnabilité ».

 

59     La raisonnabilité constitue une norme unique qui s’adapte au contexte. L’arrêt Dunsmuir avait notamment pour objectif de libérer les cours saisies d’une demande de contrôle judiciaire de ce que l’on est venu à considérer comme une complexité et un formalisme excessifs. Lorsque la norme de la raisonnabilité s’applique, elle commande la déférence. Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu’elles jugent elles‑mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle‑ci fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

 

[41]           Je conclus qu’il est approprié de suivre le raisonnement de la Cour, au paragraphe 58 en particulier, dans l’affaire dont je suis ici saisi. J’ai lu les motifs de la SAI et la preuve à l’appui de l’appel interjeté par le demandeur, et je suis convaincu que la décision de la SAI dans son ensemble appartient aux issues possibles acceptables. La SAI a eu l’avantage d’entendre le témoignage du demandeur et elle devait tirer ses propres conclusions fondées sur sa propre appréciation des faits : Khosa, précité, au paragraphe 66. C’est ce qu’elle a fait et, à mon avis, le résultat n’est pas déraisonnable.

 

[42]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune question à certifier n’a été proposée et aucune question ne sera certifiée.

 


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

 

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4721-08

 

INTITULÉ :                                       Dorivaldo DE CASTRO

                                                            c.

                                                            Le ministre de la Sécurité publique et

                                                            de la Protection civile

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            Le juge suppléant Teitelbaum

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 5 mai 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

D. Clifford Luyt

 

POUR LE DEMANDEUR

Kristina Dragaitis

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

D. Clifford Luyt

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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