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Federal Court

Cour fédérale

 

Date : 20090508

Dossier : T-178-08

Référence : 2009 CF 483

Ottawa (Ontario), le 8 mai 2009

En présence de monsieur le juge Harrington 

 

DANS L’AFFAIRE DE LA LOI DE L’IMPÔT SUR LE REVENU

 

 

ET

 

DANS L’AFFAIRE D’UNE COTISATION ET DE NOUVELLES COTISATIONS ÉTABLIES PAR LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL EN VERTU DE LA LOI DE L’IMPÔT SU LE REVENU

 

 

CONTRE : 

 

 

  RAYNALD DOUVILLE

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] Comme tout contribuable redevable d’une dette en raison d’une cotisation établie en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu, monsieur Douville jouit d’une période de 90 jours avant que le Ministre du Revenu national puisse prendre des mesures pour recouvrer le montant impayé (article 225.1(1)). Cependant, lorsqu’un juge saisi d’une requête ex parte en vertu de l’article 225.2(2) est convaincu que l’octroi au contribuable d’un délai pour payer le montant compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant, il peut autoriser le Ministre à prendre immédiatement des mesures visées aux alinéas 225.1(1)a) à g).

 

  • [2] C’est précisément ce qui s’est produit dans la présente affaire. À l’appui de sa requête ex partepour autorisation d’exécution immédiate, le Ministre a déposé deux déclarations solennelles, avec pièces documentaires. La première a été signée par monsieur Yvon Talbot, vérificateur à la Division de l’exécution du bureau des services fiscaux de Montréal de l’Agence du revenu du Canada, et la deuxième par madame Minoufa Jeannot, agent de recouvrement au bureau des services fiscaux de Montréal de l’Agence du revenu du Canada. Cette requête a été accordée par monsieur le juge Blanchard.

 

  • [3] Le 4 mars 2008, Monsieur Douville s’est prévalu de son droit de déposer une requête en révision de l’ordonnance conservatoire. À l’appui de cette requête, il a déposé plusieurs affidavits respectivement signés par monsieur Douville lui-même, par son avocat, par son comptable, et par un agent immobilier. En réponse, le Ministre a déposé une deuxième déclaration solennelle signée par monsieur Talbot le 26 août 2008.

 

  • [4] La requête de monsieur Douville devait être entendue le 24 mars 2009.

 

 

 

  • [5] Lors de l’audience du 24 mars, l’avocat de monsieur Douville a fait une requête orale afin :

    • a) que soient radiées les pièces « A », « B » et « C » de la Déclaration solennelle de Madame Minoufa Jeannot en date du 29 janvier 2008, en raison qu’elles étaient identifiées par le commissaire à l’assermentation comme pièces jointes à la déclaration solennelle de Minoufa Talbot et non pas de Minoufa Jeannot;

    • b) que les références à l’affidavit de madame Jeannot dans l’affidavit de monsieur Yvon Talbot en date du 29 janvier 2008 soient radiées;

    • c) que la pièce « B », identifiée comme notes pour le dossier, soit également radiée puisqu’il paraîtrait que les notes ont été préparées par une France Boivin et non pas par Yvon Talbot; et

    • d) que la requête sur le bien-fondé soit accueillie puisque sans ces documents, et les références à cet égard, le Ministre n’a pas d’argument.

 

  • [6] En conclusion, il a soutenu que, sans ces pièces, l’ordonnance conservatoire est sans fondement et devrait être annulée.

 

  • [7] L’avocat de monsieur Douville a expliqué, en réponse à ma question, qu’il n’avait aperçu ces imperfections que l’après-midi avant l’audience et que c’est pour cette raison que l’argument n’avait pas été soulevé dans ses prétentions écrites. J’ai accepté son explication sans réserve. Moi-même, je n’avais pas constaté ces imperfections et l’avocate du Ministre a affirmé pareillement.

 

  • [8] J’ai souligné que la situation est analogue à la règle établie dans l’arrêt Browne v. Dunn (1893) 6 R. 67, de la Chambre des lords, que l'avocat qui entend mettre en doute le témoignage d'une personne doit lui donner l'occasion d'offrir toute explication qu'elle est en mesure de présenter. Cependant, l’avocat de monsieur Douville n’a pas sollicité une remise de l’affaire afin de contre-interroger madame Jeannot. Il était plutôt d’avis que la contradiction qui existe entre l’affidavit signé par madame Jeannot et le constat d’assermentation décrivant les pièces de l’affidavit d’une certaine madame Talbot constitue un défaut fatal qui vicie la procédure ex parte. Pour ces motifs, l’ordonnance conservatoire ne peut pas demeurer valide.

 

  • [9] La situation quant à la deuxième déclaration solennelle de monsieur Talbot est très distincte. Cette déclaration n’a pas fait partie du dossier sur lequel la décision du juge Blanchard est fondée. Elle a été déposée à l’appui de la réponse du Ministre en réplique à la requête de monsieur Douville pour la révision de l’ordonnance conservatoire.

 

  • [10] Par conséquent, j’ai ordonné que l’audience sur le fond de la requête soit ajournée et que le Ministre dépose une réponse écrite à la requête orale de monsieur Douville au plus tard le 31 mars 2009. Monsieur Douville a eu jusqu’au 9 avril 2009 pour déposer sa réplique à la réponse du Ministre.

 

  • [11] Le Ministre a déposé ses prétentions écrites, ainsi que l’affidavit de monsieur Talbot, le 31 mars 2009. Ce dernier n’a jamais été contre-interrogé à l’égard de ses déclarations solennelles ou de son affidavit. En même temps, le Ministre a déposé une nouvelle requête, de bene esse, afin de corriger, si nécessaire, les irrégularités liées aux pièces documentaires dans la déclaration solennelle de madame Jeannot. Un affidavit à l’appui, par la commissaire à l’assermentation qui a assermenté madame Jeannot, a aussi été déposé. La commissaire n’a pas été contre-interrogée.

 

ANALYSE

  • [12] Tout d’abord, l’ordonnance conservatoire est de nature ex parte. L’obtention d’une ordonnance ex parte exige une divulgation complète et fidèle de la part du requérant.

 

  • [13] Je ne suis pas disposé à corriger le dossier sur lequel une ordonnance ex parte est fondée. Si le dossier contient une erreur fatale, l’ordonnance conservatoire ne peut pas demeurer valide. Si l’erreur n’est pas fatale, la correction de celle-ci est sans objet.

 

  • [14] Madame Johanne Audet, commissaire à l’assermentation, a reçu le serment de madame Minoufa Jeannot le 29 janvier 2008. Madame Jeannot a fait référence à trois documents annexés à sa déclaration solennelle, les pièces « A », « B » et « C ». Les pièces ont été identifiées par madame Audet tel qui suit : « Ceci est la pièce « … » dont il est fait mention dans la déclaration solennelle de Mme Minoufa Talbot ».

 

  • [15] Au paragraphe 13 de sa déclaration solennelle, madame Jeannot a écrit que, tel qu’il appert d’un acte de vente, dont une copie est jointe comme pièce « A » de sa déclaration, monsieur Douville a vendu à Fiducie Douville un immeuble résidentiel. C’est exactement ce que le document décrit comme pièce « A » indique.

 

  • [16] Au paragraphe 17, elle a fait référence à un site Internet qui indique qu’un certain condominium était en vente pour un certain prix et avait une certaine évaluation municipale. Elle a décrit l’imprimé de cette page comme la pièce « B » de sa déclaration, et cela est, en effet, ce qu’indique la pièce « B ».

 

  • [17] Au paragraphe 18, elle a décrit comme pièce « C » de sa déclaration un autre imprimé du site Internet susmentionné portant sur un autre immeuble résidentiel en vente pour un certain prix et faisant état d’une certaine évaluation municipale. La pièce « C » jointe à sa déclaration solennelle est exactement ce qui est décrit au paragraphe 18.

 

  • [18] L’article 225.2(2) prévoit, en fait, une saisie avant jugement semblable, quant au fond, à l’article 733 du Code de procédure civile du Québec et à l’injonction Mareva. En effet, l’article 733 indique que :

733. Le demandeur peut, avec l'autorisation d'un juge, faire saisir avant jugement les biens du défendeur, lorsqu'il est à craindre que sans cette mesure le recouvrement de sa créance ne soit mis en péril.

733.  The plaintiff may, with the authorization of a judge, seize before judgment the property of the defendant, when there is reason to fear that without this remedy the recovery of his debt may be put in jeopardy.

 

  • [19] La partie visée par une telle saisie avant jugement a un recours semblable à celui exercé par monsieur Douville en l’espèce :

738. Dans les cinq jours de la signification du bref, le défendeur peut demander l'annulation de la saisie en raison de l'insuffisance ou de la fausseté des allégations de l'affidavit sur la foi duquel le bref a été délivré.

[…]

738.  The defendant may, within five days of service of the writ, demand that the seizure be quashed because of the insufficiency or the falsity of the allegations of the affidavit on the strength of which the writ was issued.

 

 

  • [20] Les décisions où les cours ont dû examiner la « suffisance » d’un affidavit sembleraient suggérer qu’une erreur d’écriture ne répond pas aux critères nécessaires pour annuler la saisie. Par exemple, dans l’arrêt Excavation Georges Charette & Fils inc. v. Caisse populaire de Labelle, No. : 500-09-001148-766, [1978] Q.J. No. 123 (QL), lors d’un appel à l’encontre d’un jugement de la Cour supérieure refusant une requête pour l’annulation d’une saisie avant jugement, la Cour d’appel du Québec a énoncé ce qui suit :

8  Against this judgment Excavation Charette invokes three grounds of appeal.-

1.  - The affidavit supporting the requisition for a writ of seizure before judgment is null because the place where it was sworn is not inserted in the jurat as required by Article 91 C.P. This omission caused no prejudice and in my opinion this ground of appeal is unfounded and is too technical to merit further discussion.

 

[Je souligne.]

 

 

  • [21] Quoi qu’il en soit, la règle 80 des Règles des Cours fédérales exige que, lorsqu’un affidavit fait mention d’une pièce, la désignation précise de celle-ci soit suivie de la signature de la personne qui reçoit le serment. Ici, la commissaire à l’assermentation a correctement décrit la pièce. L’identité du déposant est la seule erreur.

 

  • [22] Cette erreur n’a causé aucun préjudice. À mon avis, ce motif n’est pas fondé et est de nature tellement technique qu'il n'est pas nécessaire de s'y attarder plus longtemps.

 

  • [23] Même si les pièces n’étaient pas de nature anodine, l’article 225.2(4) de la Loi énonce que :

(4) Les déclarations contenues dans un affidavit produit dans le cadre de la requête visée au présent article peuvent être fondées sur une opinion si des motifs à l’appui de celle-ci y sont indiqués.

(4) Statements contained in an affidavit filed in the context of an application under this section may be based on belief with the grounds therefor.

 

Ce passage semble reconnaître qu’une requête en vertu de l’article 225.2(2) sera souvent faite en situation d’urgence, situation qui ne permettra pas toujours l’obtention de la meilleure preuve.

 

  • [24] Finalement, même si l’on dit que ces pièces documentaires équivalent à du ouï-dire, cela est permis lors d’une requête interlocutoire. Je ne vois pas que l’erreur concernant l’identité du déposant dans l’identification des pièces de son affidavit soit fatale. De plus, l’avocat de monsieur Douville a choisi de ne pas contre-interroger madame Jeannot. Cela dit, et considérant l’arrêt Browne v. Dunn, précité, les pièces de l’affidavit de madame Jeannot ne seront pas radiées. Pour ces motifs, la requête du Ministre, de bene esse, est sans objet.

 

  • [25] La deuxième déclaration solennelle de monsieur Yvon Talbot est complètement différente, puisqu’elle était en réponse à la requête initiale de monsieur Douville. Là encore, monsieur Douville a choisi de ne pas contre-interroger monsieur Talbot, et j’accepte les explications de ce dernier concernant les notes à la pièce « B ». Chaque écriture dans ces notes réfère à « nous ». Par exemple, la note datée du 1er février 2006 décrit une lettre envoyée à l’avocat de monsieur Douville. Cette lettre est la pièce « E » annexée à la déclaration solennelle de monsieur Talbot et elle est signée par ce dernier, non pas par la personne identifiée au bas de chaque page des notes à la pièce « B ».

 

  • [26] En conclusion, les références à la déclaration solennelle de madame Jeannot dans la déclaration solennelle de monsieur Talbot du 29 janvier 2008, ainsi que la pièce « B » de sa déclaration solennelle du 26 août 2008, ne seront pas radiées.

 

  • [27] Ces requêtes sont le résultat de la négligence du ministère lors de la rédaction. Pour cette raison, aucuns dépens ne seront adjugés.

 

  • [28] Il est important de noter que la présente ordonnance ne traite aucunement du matériel de monsieur Douville ou de ses témoins à l’appui de sa requête en révision de l’ordonnance conservatoire, matériel qui n’était pas soumis à l’examen du juge Blanchard. Pour cette raison, l’affaire sera renvoyée au Bureau du juge en chef afin qu’une nouvelle date pour l’audition sur le fond de cette requête soit établie.


ORDONNANCE

  LA COUR ORDONNE que :

  1. La requête orale de monsieur Douville est rejetée.

  2. La requête du Ministre, de bene esse, est rejetée parce qu’elle est sans objet.

  3. L’affaire est renvoyée au bureau du juge en chef afin qu’une nouvelle date pour l’audition sur le fond de la requête en révision de l’ordonnance conservatoire soit établie.

  4. Le tout sans dépens.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  T-178-08

 

INTITULÉ :    DANS L’AFFAIRE D’UNE COTISATION ET DE       NOUVELLES COTISATIONS ÉTABLIES PAR LE     MINISTRE DU REVENU NATIONAL EN VERTU DE   LA LOI DE L’IMPÔT SUR LE REVENU

 

  CONTRE : 

 

    RAYNALD DOUVILLE

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 24 mars 2009

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :  Le 8 mai 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ilinca Ghibu

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Daniel Bourgeois

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

DE GRANDPRÉ CHAIT

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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