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Date : 20090324

Dossier : IMM-3372-08

Référence : 2009 CF 307

Montréal (Québec), le 24 mars 2009

En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

RICARDO CAMARENA CASTELLANOS

MARIA NORMA JIMENEZ KAISER

ALDO CAMARENA JIMENEZ

DANTE CAMARENA JIMENEZ

demandeurs

 

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

[1]               Les demandeurs sollicitent en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi), la révision judiciaire de la décision rendue le 18 juin 2008  par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (tribunal) et ayant pour effet de rejeter leur demande d’asile faute de n’avoir la qualité de réfugiés conformément à l’article 96 ni celle de personnes à protéger selon les termes de l’article 97 de la Loi.

 

II.         Les faits

 

[2]               La demanderesse Mme Maria Norma Jimenez Kaiser (demanderesse), son mari, M. Ricardo Camarena Castellanos, et leurs deux fils Aldo Camarena Jimenez et Dante Camarena Jimenez, tous citoyens mexicains, réclament l’asile en alléguant être persécutés du fait de leur appartenance à un groupe social et de leurs opinions politiques.

 

[3]               Suite à des menaces téléphoniques reçues au travail et à la maison et visant tous les membres de leur famille, la demanderesse et son mari auraient appelé la police pour se faire répondre que ces appels étaient normaux, de ne pas s’inquiéter et que la police ne pouvait rien faire pour y mettre fin.

 

[4]               Après s’être réfugiés temporairement dans un hôtel avec leurs fils pour pouvoir échapper à ces appels téléphoniques, la demanderesse et son mari décidaient de fermer leur garderie, de récupérer leurs passeports à la maison sous escorte policière, et de quitter le Mexique en direction du Canada pour y demander l’asile.

 

 

III.              Question en litige

 

[5]               Le tribunal erre-t-il en concluant dans sa décision négative que les demandeurs n’ont pas démontré l’incapacité de l’État mexicain de les protéger?

 

IV.       Analyse

 

Norme de contrôle judiciaire

[6]               Considérant que le présent litige soulève une question mixte de fait et de droit, la Cour appliquera à son analyse la norme de la décision raisonnable énoncée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9.

 

Protection de l’État

[7]               Le tribunal a jugé que la question déterminante dans cette affaire était de savoir si les demandeurs, compte tenu des circonstances, ont fait le nécessaire pour obtenir des autorités mexicaines une protection contre les menaces téléphoniques dirigées contre eux. Or, le tribunal ayant pesé la preuve offerte juge :

Que le témoignage de la demandeure [sic] principale et de son mari et la preuve documentaire…ne constituent pas une preuve convaincante permettant de conclure que la présomption de la capacité des autorités mexicaines de protéger ses citoyens a été renversée dans leur cas personnel. En outre…nous ne sommes pas ici en présence d’une situation où il était déraisonnable de s’attendre à ce que les demandeurs fassent des démarches, au besoin en se rendant dans d’autres parties de leur pays, pour alerter les autorités mexicaines et réclamer leur protection en leur indiquant notamment le fait que les individus qui les ont menacés, agissaient pour le compte d’autres personnes dont les intérêts avaient été affectés par leurs activités. Bien qu’étant menacés, il n’en demeure pas moins que les demandeurs n’ont pas présenté…des éléments de preuve signalant qu’ils ont fait le nécessaire dans les circonstances pour obtenir la protection de leur pays. Les demandeurs ont plutôt choisi de se rendre au Canada alors que la réclamation du statut de réfugié dans un État signataire de la Convention doit être une solution de dernier recours.

[Souligné ajouté]

 

[8]               Les demandeurs reprochent au tribunal de ne pas avoir considéré tous les éléments de preuve qu’ils jugent pertinents et qui appuient leurs prétentions.

 

[9]               Ils soulignent que leur tentative d’obtenir la protection de l’État, en ayant appelé la police pour obtenir une protection, n’a produit aucun résultat, sauf une réponse plutôt dissuasive et inquiétante –alors qu’on les informait qu’ils n’avaient pas à s’en faire puisque de tels appels de menaces étaient normaux et que de toute manière la police ne pouvait rien faire pour les aider à faire cesser ces appels.

 

[10]           Soulignons au départ qu’il n’appartient pas à la Cour de substituer son opinion à celle du tribunal comme les demandeurs l’invitent à le faire. La Cour doit seulement analyser la décision à la lueur des faits mis en preuve et du droit s’y rapportant pour vérifier si les conclusions de celle-ci sont raisonnablement justifiées tant par les éléments de preuve que par le droit. La Cour n’a même pas à se demander si sa décision eut été la même eut-elle eu la responsabilité d’entendre les demandeurs et d’apprécier les faits mis en preuve; tel n’est pas le rôle de cette Cour lors d’une demande en révision judiciaire comme celle-ci.

 

[11]           Or, une analyse attentive de la preuve révèle que les demandeurs ont quitté le Mexique à peine cinq jours après les premières prétendues menaces téléphoniques, sans même avoir déposé une plainte écrite à la police ou une plainte formelle au Ministère Public, ne laissant aucune opportunité aux autorités de leur pays de tenter de les aider et sans se prévaloir des recours mis à leur disposition par les autorités mexicaines.

 

[12]           À part un court séjour dans un hôtel de leur localité, pour s’éloigner des appels téléphoniques reçus à la maison ou à leurs lieux de travail et pour préparer leur départ, la demanderesse et son mari n’ont jamais cherché, tant pour eux que leurs deux fils, un refuge interne ailleurs dans ce grand pays qu’est le Mexique.

 

[13]           Au contraire, ils ont plutôt opté pour quitter leur pays rapidement et se rendre au Canada réclamer l’asile, et ce, bien qu’une réclamation du statut de réfugié dans un État signataire de la Convention se doit d’être une solution de dernier recours.

 

[14]           Les demandeurs se devaient de démontrer que l’État du Mexique était incapable de leur fournir la protection à laquelle ils étaient en droit de s’attendre avant de pouvoir prétendre au statut de « réfugiés » ou de « personnes à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la Loi (Canada (Procureur général) c. Ward [1993] 2 R.C.S. 689). Une telle démonstration suppose d’abord qu’on a fait des démarches sérieuses et raisonnables pour obtenir cette protection, alors que tel n’est pas le cas ici.

 

[15]           Il ne suffisait pas aux demandeurs de démontrer que la protection offerte au Mexique n’est pas parfaite. Tel est aussi le cas pour tout État professant des valeurs démocratiques ou la protection des droits de la personne. Aucun État ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992) 18 Imm. L.R.(2d) 130 (C.A.F.).

 

[16]           C’est d’ailleurs s’illusionner que de croire le contraire; et la meilleure protection demeure celle qu’une personne se doit et s’accorde à elle-même. Ainsi, et puisqu’ici les menaces se limitaient à des appels téléphoniques, quel empêchement existait-il à modifier le ou les numéros téléphoniques ou tout simplement annuler temporairement le service personnel à domicile ou le service du cellulaire? Si les demandeurs pouvaient supporter le financement d’un déplacement au Canada, n’eut-il pas été moins coûteux de rechercher un refuge interne permanent ou temporaire qui les aurait mis à l’abri des menaces pendant la poursuite de leurs démarches auprès des autorités mexicaines?

 

[17]           Tel que noté par le tribunal dans ses motifs, dans le cas d’un État démocratique comme le Mexique, l’obligation qui incombait aux demandeurs de rechercher la protection de l’État augmentait. Ils devaient prouver avoir cherché raisonnablement à épuiser tous les recours s’offrant à eux en vue d’obtenir la protection nécessaire et, entre-temps à prendre des mesures personnelles raisonnables pour se protéger (Kadenko c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1376. Or, ici, à part un seul « appel via le numéro d’urgence » à la police, la recherche de protection se résume à pratiquement rien; aucune plainte écrite à la police et/ou au Ministère Public. La seule aide demandée et qu’ils ont obtenue : une escorte de la police pendant leur court séjour à l’hôtel pour aller récupérer à leur domicile les passeports requis pour leur départ vers le Canada.

 

[18]           De plus, il n’y a aucune preuve crédible au dossier ayant pu permettre au tribunal de conclure que la vie des demandeurs était toujours menacée, advenant leur retour au Mexique.

 

V.        Conclusion

[19]           Pour tous ces motifs, la Cour conclut au terme de son analyse du dossier que la décision visée par le présent recours est justifiée tant par les faits mis en preuve que par le droit; il s’agit donc d’une décision raisonnable même si son effet pour les demandeurs ne correspond pas à leur attente. 

 

[20]           La demande sera donc rejetée, et puisqu’aucune question importante de portée générale n’a été proposée, aucune question ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3372-08

 

INTITULÉ :                                       RICARDO CAMARENA CASTELLANOS ET AL.

                                                            c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 6 février 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 mars 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Wilmar Carvajal

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Isabelle Brochu

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Wilmar Carvajal

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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