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Date : 20090507

Dossier : IMM-3680-08

Référence : 2009 CF 471

Ottawa (Ontario), le 7 mai 2009

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

MUHAMMAD SHAHID NAZIM

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Muhammad Shahid Nazim sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rejetant sa demande de résidence permanente à titre de personne appartenant à la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. En rejetant sa demande, l’agent d’immigration a conclu que M. Nazim avait fait une présentation erronée sur un fait important relativement à sa demande.

 

[2]               M. Nazim soutient que la décision de l’agent était déraisonnable parce qu’il avait corrigé sa demande de résidence permanente avant que l’agent ne rende sa décision sur celle-ci. En conséquence, le demandeur affirme que même s’il avait fait une fausse déclaration, celle-ci ne pouvait pas avoir d’importance ni de pertinence quant à sa demande, et ne risquait pas d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

 

[3]               Pour les motifs qui suivent, je n’accepte pas les prétentions de M. Nazim et la demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

 

 

Renseignements supprimés du dossier

 

[4]               De prime abord, il convient de noter que le dossier certifié du tribunal fourni à M. Nazim contenait plusieurs passages supprimés. Le défendeur a présenté une requête en interdiction de divulgation conformément à l’article 87 de la Loi.

 

[5]               M. Nazim a consenti à ce que l’affaire procède sur la base du dossier expurgé. Une ordonnance prononcée par le juge en chef et ajournant sine die la requête fondée sur l’article 87 de la Loi mentionne que les renseignements supprimés n’étaient pas pertinents quant à la demande de contrôle judiciaire de M. Nazim ou lui avaient été en grande partie divulgués, ailleurs dans le dossier du tribunal.

 

 

Contexte

 

[6]               M. Nazim est citoyen du Pakistan. Il est entré au Canada en 1997 et, une fois au Canada, a déposé une demande d’asile alléguant qu’il craignait d’être persécuté au Pakistan en raison de son appartenance au mouvement Qaumi Mohajir (ou Muttahida) (le MQM). M. Nazim a affirmé qu’il était recherché par la police et l’armée pakistanaises à cause de ses activités au sein du MQM.

 

[7]               La Commission a rejeté la demande d’asile du demandeur et a conclu que sa preuve n’était ni crédible ni digne de foi. Non seulement la Commission n’a pas cru qu’il avait travaillé pour le MQM, mais elle a aussi conclu que son histoire concernant sa participation dans le MQM avait été inventée de toutes pièces pour bonifier sa demande d’asile. La Cour a refusé l’autorisation d’interjeter appel de cette décision.

 

[8]               En 2001, M. Nazim a déposé une demande fondée sur des considérations humanitaires (la demande CH), laquelle a été rejetée. Une seconde demande a été déposée en 2005. M. Nazim a déclaré dans les deux demandes qu’il avait été membre du MQM.

 

[9]               En 2008, M. Nazim a épousé une citoyenne canadienne. Il s’est alors désisté de sa seconde demande CH et a déposé une demande de résidence permanente à titre de personne appartenant à la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Dans cette demande, M. Nazim a soutenu encore une fois qu’il était membre du MQM ou associé à cette organisation.

 

[10]           En 2006, M. Nazim a été convoqué à une entrevue par le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS). On l’a informé que l’entrevue portait sur [traduction] « des questions de sécurité visées [au] paragraphe 34(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ». Le paragraphe 34(1) prévoit qu’une personne peut être interdite de territoire au Canada pour des raisons de sécurité si elle a participé à diverses activités, et notamment si elle est membre d’une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu’elle s’est livrée à des activités comme le terrorisme ou la subversion.

 

[11]           Durant l’interrogatoire des représentants du SCRS, M. Nazim a changé son récit et a affirmé qu’il n’avait en fait jamais été membre du MQM. Il prétend maintenant que son seul rôle dans cette organisation a été de distribuer à quelques reprises des tracts du MQM pendant des campagnes électorales. Le demandeur soutient qu’un consultant en immigration lui aurait recommandé d’inventer une histoire d’appartenance au MQM et de persécution par les forces pakistanaises pour bonifier sa demande d’asile.

 

[12]           Lorsque M. Nazim a été interrogé plus tard par des représentants de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), il a répété son nouveau récit. À la demande de CIC, le demandeur a fourni un formulaire de demande modifié qui ne faisait pas mention de son appartenance au MQM ni de son association à cette organisation.

 

[13]           Par la suite, un agent d’immigration a conclu que M. Nazim était interdit de territoire au Canada conformément à l’alinéa 40(1)a) de la Loi, parce qu’il avait fait une présentation erronée sur un fait important ou une réticence sur ce fait dans le cadre de sa demande de résidence permanente.

 

[14]           Le demandeur affirme maintenant qu’il a fourni de faux renseignements dans sa demande car il ne voulait pas qu’il y ait [traduction] « de différences » entre ses diverses demandes en matière d’immigration.

 

 

Déclaration de culpabilité de M. Nazim

 

[15]           Dans sa demande de résidence permanente modifiée, M. Nazim a inscrit qu’il avait été déclaré coupable d’un acte criminel, tout en mentionnant que la déclaration de culpabilité faisait l’objet d’un appel. À l’audition de cette demande, l’avocat du défendeur a fourni à la Cour une copie des motifs du jugement du juge Fairgrieve de la Cour de justice de l’Ontario dans lesquels il concluait que M. Nazim était coupable d’exploitation sexuelle en contravention avec l’alinéa 153(1)b) du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46. L’avocat du demandeur a contesté le dépôt des motifs du juge Fairgrieve en invoquant que l’agent d’immigration ne disposait pas de ceux-ci lorsqu’il a rendu la décision faisant l’objet du présent contrôle.

 

[16]           Je suis d’accord que la décision du juge Fairgrieve ne fait pas dûment partie du dossier relatif à la présente demande, parce que l’agent ne disposait pas de cette décision lorsqu’il a rendu la décision en cause; je ne tiendrai donc pas compte de ce document.

 

 

Analyse

 

[17]           M. Nazim soutient que l’agent d’immigration a commis une erreur en concluant qu’il avait fait une présentation erronée sur un fait important et pertinent quant à ses demandes et que cela risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi, étant donné qu’il avait clarifié la situation avant qu’une décision ne soit rendue sur sa demande de résidence permanente.

 

[18]           La présente question en litige concerne l’application de dispositions législatives aux faits de l’espèce. La décision de l’agent d’immigration devrait donc être examinée selon la norme de la raisonnabilité : voir l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9.

 

[19]           En examinant une décision suivant la norme de la raisonnabilité, la Cour doit prendre en considération la justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : voir Dunsmuir, au paragraphe 47.

 

[20]           Aux termes du paragraphe 16(1) de la Loi, l’auteur d’une demande au titre de la Loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées. L’alinéa 40(1)a) de la Loi prévoit que le fait pour un étranger de « directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la […] loi », emporte interdiction de territoire pour fausses déclarations.

 

[21]           La présente affaire est plutôt inhabituelle en ce que les fausses déclarations, au lieu de renforcer la demande de résidence permanente déposée par M. Nazim, auraient pu entraîner une interdiction de territoire pour raison de sécurité. Cela était donc clairement important pour sa demande. Il semble cependant que ce ne soit qu’à l’entrevue par le SCRS que le demandeur a pris conscience des implications possibles de ses fausses déclarations. C’est à ce moment-là qu’il a changé son récit et qu’il a nié avoir été membre du MQM.

 

[22]           M. Nazim a admis de nouveau avoir fait une présentation erronée sur la nature et l’étendue de sa participation dans le MQM lors de son entrevue avec l’agent d’immigration.

 

[23]           L’avocate du demandeur soutient maintenant qu’en fait, il n’y a eu aucune fausse déclaration dans la demande de résidence permanente de son client. Même si M. Nazim peut n’avoir jamais officiellement adhéré au MQM, sa participation réelle dans l’organisation, bien qu’elle soit bien moindre que ce qu’il avait invoqué au départ, pourrait néanmoins constituer une « appartenance ».

 

[24]           Le problème avec cette prétention c’est qu’elle ne coïncide pas avec ce qui s’est vraiment passé en l’espèce. Si M. Nazim a prétendu être membre du MQM (ou être associé à cette organisation) dans sa demande de résidence permanente, ce n’est pas afin de rendre compte honnêtement du fait qu’il y a joué un rôle secondaire. Au contraire, il a prétendu être membre du MQM pour éviter qu’il y ait des différences entre sa demande de résidence permanente et l’histoire qu’il a reconnu avoir inventée et racontée à la Commission.

 

 

[25]           En fait, dans un souci de cohérence, M. Nazim a clairement tenté de continuer à tromper le système canadien d’immigration, d’abord dans sa demande d’asile, puis dans ses demandes CH et finalement dans sa demande de résidence permanente. C’est seulement lorsqu’il s’est rendu compte que cela ne l’avantageait plus, qu’il a changé son récit pour minimiser sa participation dans le MQM.

 

[26]           De plus, la prétention selon laquelle les activités peu importantes de M. Nazim dans l’organisation pouvaient être qualifiées d’ « appartenance » est en contradiction avec sa demande de résidente permanente modifiée dans laquelle il nie toute appartenance ou association au MQM.

 

[27]           M. Nazim s’appuie également sur la décision Kaur c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 268, pour justifier sa prétention selon laquelle de fausses déclarations qui ont été retirées ne peuvent pas constituer le fondement d’une conclusion d’interdiction de territoire en vertu de l’article 40 de la Loi. Toutefois, un examen de cette décision révèle que cette affaire peut facilement se distinguer de celle en l’espèce.

 

[28]           Dans la décision Kaur, la demanderesse avait fait de fausses déclarations dans le cadre de sa demande d’asile. Par ailleurs, sa demande subséquente de résidence permanente reflétait fidèlement la véritable situation. Dans ces circonstances, la Cour a conclu, à juste titre, que les fausses déclarations faites antérieurement par la demanderesse ne risquaient pas d’entraîner une erreur relativement à la demande de résidence permanente. Ce n’est pas le cas ici.

 

[29]           En l’espèce, M. Nazim a fait de fausses déclarations non seulement dans le cadre de sa demande d’asile et de ses demandes CH, mais aussi dans celui de sa demande de résidence permanente sur laquelle était appelé à se prononcer l’agent d’immigration. Dans de telles circonstances, le fait que M. Nazim ait révélé qu’il avait fait de fausses déclarations avant qu’une décision finale ne soit rendue sur sa demande ne lui est d’aucune utilité. En fait, la Cour a expressément rejeté cet argument dans la décision Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 512, aux paragraphes 27 à 29.

 

[30]           En fait, la Cour a affirmé dans la décision Khan qu’une telle interprétation mènerait à une situation où un individu pourrait faire sciemment de fausses déclarations sur les circonstances d’une affaire, mais tout de même échapper à une conclusion d’interdiction de territoire, du moment qu’il  divulgue les fausses déclarations juste avant qu’une décision ne soit rendue. Non seulement une telle interprétation encouragerait les abus dans l’application de la Loi, mais aussi elle ne tiendrait pas compte de l’exigence de fournir des renseignements véridiques dans les demandes déposées en vertu de la Loi.

 

[31]           Les réserves de la Cour dans la décision Khan sont confirmées par les faits en l’espèce puisque M. Nazim n’a reconnu la situation véritable quant à sa participation dans le MQM que lorsqu’il s’est rendu compte que son mensonge risquait d’entraîner son interdiction de territoire au Canada.

 

[32]           Conséquemment, je suis convaincue que la conclusion de l’agent selon laquelle M. Nazim avait fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ce qui risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi, était une conclusion raisonnable compte tenu des faits au dossier.

 

 

Conclusion

 

[33]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

Question à certifier

 

[34]           Le défendeur a proposé une question à certifier concernant le droit de l’agent de fonder une conclusion de fausses déclarations pour l’application de l’article 40 de la Loi sur des fausses déclarations faites lors d’une procédure antérieure dans le domaine de l’immigration.

 

[35]           À mon avis, il ne s’agit pas d’une question qu’il convient de certifier. Les fausses déclarations en l’espèce ont été faites non seulement dans le cadre de la demande d’asile de M. Nazim et de ses demandes CH, mais aussi dans celui de la demande de résidence permanente sur laquelle devait se prononcer l’agent d’immigration.

 

 

 

 


JUGEMENT

 

 

            LA COUR STATUE que :

            1.         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3680-08

 

 

INTITULÉ :                                       MUHAMMAD SHAHID NAZIM c. MCI

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 28 avril 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Mactavish

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 7 mai 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Krassina Kostadinov

 

POUR LE DEMANDEUR

Brad Gotkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waldman & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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