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Date : 20090506

Dossier : IMM-4214-08

Référence : 2009 CF 467

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2009

En présence de madame la juge Mactavish

 

 

ENTRE :

THANARAJAN SHANMUGALINGAM

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

 ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Thanarajan Shanmugalingam sollicite le contrôle judiciaire d’une décision qui a rejeté sa demande de dispense, pour des motifs d’ordre humanitaire, des exigences de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27. L’agent CH a conclu que même si le demandeur serait exposé personnellement à une menace à sa vie ou à sa sécurité personnelle s’il devait retourner au Sri Lanka, il n’a pas subi de difficultés indues, injustifiées ou excessives.

 

[2]               A la fin de l’audience de la présente demande, j’ai informé les parties qu’à mon avis, la décision de l’agent était déraisonnable et que j’accueillerais la demande. Voici les motifs qui me conduiront à accueillir la demande :

 

 

Le contexte

 

[3]               Le demandeur est un Tamoul originaire du nord du Sri Lanka. Plusieurs membres de sa famille sont venus au Canada et un certain nombre d’entre eux ont demandé et obtenu l’asile. Le demandeur lui-même est venu au Canada en 2000. Cependant, sa demande d’asile a été rejetée parce que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a conclu qu’il était exclu de la définition de réfugié prévue à la section Fa) de l’article premier de la Convention sur les réfugiés, du fait de son appartenance aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul (les TLET).

 

[4]               La Commission a reconnu que l’engagement du demandeur dans les TLET pourrait avoir été au départ involontaire. La Commission ne disposait d’aucune preuve concernant le poste ou le rang occupé par le demandeur au sein de l’organisation. Il n’y avait pas non plus de preuve démontrant que le demandeur avait personnellement accompli des actes qui seraient considérés comme des crimes de guerre ou des crimes contre l’humanité. En effet, la seule preuve dont disposait la Commission au regard des activités du demandeur au sein des TLET, c’était le témoignage de ce dernier selon lequel il avait été forcé de creuser des bunkers et de faire la cuisine.

 

[5]               La conclusion de la Commission relative à l’exclusion semble être fondée uniquement sur le fait qu’un des frères du demandeur avait basé sa propre demande d’asile, présentée antérieurement, sur le risque de persécution qu’il courait au Sri Lanka, du fait que le demandeur était membre des TLET. En considérant la conclusion de la Commission selon laquelle les TLET étaient une organisation visant des fins limitées et brutales, la conclusion de la Commission quant à l’appartenance était suffisante pour que le demandeur soit visé par les dispositions d’exclusion de la Convention.

 

[6]               Le demandeur a alors sollicité une dispense CH en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Alors que la décision de l’agent vise les divers éléments soulevés par le demandeur à l’appui de sa demande, y compris son degré d’établissement au Canada et l’intérêt supérieur des enfants touchés par le rejet de la demande, je me limiterai, pour les besoins de la présente demande, à l’examen du traitement que l’agent a réservé à la question du risque.

 

[7]               A cet effet, l’agent CH a examiné les informations documentaires au sujet de la situation, au Sri Lanka, des Tamouls du Nord et de l’Est du pays. La Commission a conclu à cet effet, que les personnes soupçonnées d’être membre des TLET courent le risque de subir des violations des droits de la personne de la part des autorités sri‑lankaises. En examinant cette preuve à la lumière de la situation personnelle du demandeur, l’agent CH a conclu que le demandeur [traduction] « serait exposé personnellement à une menace à sa vie ou à sa sécurité personnelle s’il devait retourner au Sri Lanka ».

 

[8]               L’agent a alors continué en déclarant que :

 

[traduction]

Malgré le fait que j’aie conclu que le demandeur courait un risque s’il devait retourner au Sri Lanka, c’est un facteur à examiner dans une appréciation CH. L’exclusion en vertu de la section Fa) de l’article premier est une conclusion grave et exceptionnelle. Je ne fais pas un examen sur l’interdiction de territoire en l’espèce; cependant le demandeur a été reconnu comme étant un membre des TLET, qui est une organisation que le gouvernement du Canada a désignée à titre d’ organisation terroriste. J’ai apprécié tous les éléments de preuve en l’espèce et conclu que l’exclusion de la section Fa) de l’article premier est un facteur très grave et important qui l’emporte sur l’établissement du demandeur au Canada.

 

 

[9]               Après avoir alors examiné les dispositions pertinentes de la LIPR, l’agent a conclu ainsi : [traduction] « Le demandeur peut faire face à des difficultés pour se réadapter à la vie au Sri Lanka; toutefois, je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse de difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives ». En conséquence, la demande CH a été rejetée.

 

Analyse

[10]           A la lumière de la preuve documentaire dont disposait l’agent, la conclusion selon laquelle le demandeur serait exposé personnellement à une menace à sa vie ou à sa sécurité personnelle s’il devait retourner au Sri Lanka, était tout à fait raisonnable.

 

[11]           Toutefois, après avoir conclu que le demandeur était exposé à un risque, l’agent a continué en concluant que la conclusion de la Commission au sujet de la section Fa) de l’article premier était [traduction] « un facteur très grave et important qui l’emporte sur l’établissement du demandeur au Canada ». Cette conclusion aurait bien pu être raisonnable si l’établissement au Canada avait consititué le seul fondement de la demande CH du demandeur. Tel n’était pas le cas cependant.

 

[12]           Malgré le fait que l’agent ait clairement conclu auparavant, dans ses motifs, qu’il y avait un risque, il ne semble pas du tout avoir examiné si la menace à la vie ou à la sécurité personnelle du demandeur au Sri Lanka l’emportait sur le caractère grave de la conclusion de la Commission au sujet de la section Fa) de l’article premier. C’était tout simplement abusif.

 

[13]           En outre, il n’est pas possible de concilier la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur [traduction] « peut faire face à des difficultés pour se réadapter à la vie au Sri Lanka » avec la conclusion qui dit que le demandeur était exposé à une menace à sa vie dans son pays d’origine. En toute déférence, qualifier une menace à la vie ou une menace à la sécurité personnelle comme des « difficultés de réadaptation » était tout simplement déraisonnable.

 

[14]           Une interprétation raisonnable des motifs de l’agent laisse croire que la conclusion de la Commission au sujet de la section Fa) de l’article premier a, dans les faits, éclipsé tous les autres facteurs qui militaient en faveur d’une issue favorable de la demande CH du demandeur. Compte tenu du fait que l’objet même de l’article 25 de la Loi est d’aller au delà des conclusions, y compris les conclusions d’exclusion, dans les cas appropriés, il s’agissait d’une erreur que de considérer effectivement la conclusion d’exclusion comme déterminante quant à la demande du demandeur.

 

[15]           En outre, l’agent ne semble pas avoir du tout examiné, dans l’appréciation de l’importance de la conclusion d’exclusion, la nature des activités du demandeur au sein des TLET ou son degré de culpabilité personnelle à ce sujet, pour décider si les difficultés auxquelles il faisait face au Sri Lanka étaient inhabituelles et injustifiées ou excessives. 

 

[16]           Par conséquent, les motifs de l’agent n’ont pas la justification, la transparence et l’intelligibilité que commande le processus décisionnel. De plus, la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : voir Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47.

 

 

Conclusion

 

[17]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie.

 

 

Certification

 

[18]           Aucune des parties n’a proposé une question à certifier, et la présente demande n’en soulève aucune.

 

 

 

 

 

 

JUGEMENT

 

            LA COUR STATUE que :

 

            1.         La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l’affaire.

 

            2.         Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Anne Mactavish »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Christian Laroche, LL.B.

Réviseur


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4214-08

 

 

INTITULÉ :                                       THANARAJAN SHANMUGALINGAM c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION 

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 29 avril 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              La juge Mactavish

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 6 mai 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Amina Sherazee

 

POUR LE DEMANDEUR

Jamie Todd

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

AMINA SHERAZEE

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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