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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20090506

Dossier : IMM-4832-08

Référence : 2009 CF 458

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2009

En présence de l’honorable Max M. Teitelbaum

 

 

Entre :

Imre GORZSAS

demandeur

et

 

Le ministre de la citoyenneté

et de l’immigration

défendeur

 

Motifs du jugement et jugement

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision, datée du 10 octobre 2008, par laquelle un agent d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) (l’agent) a rejeté la demande d’ERAR du demandeur. L’agent d’ERAR a conclu qu’il existait moins qu’une simple possibilité que le demandeur soit persécuté s’il devait retourner en Hongrie, son pays d’origine, tel que le décrit l’article 96 de la Loi, et qu’il était peu probable qu’il soit exposé à un risque de torture, une menace à sa vie, à des traitements ou peines cruels et inusités au sens du paragraphe 97(1) de la Loi.

 

 

Contexte

[2]               Imre Gorzsas (le demandeur) est un citoyen de la Hongrie, âgé de 34 ans. Il est d’origine ethnique rom. Il est arrivé au Canada en août 2000. Sa demande d’asile a été rejetée le 3 novembre 2003. Elle était fondée sur un risque de persécution lié à son origine ethnique et à son orientation sexuelle. La Commission a conclu que le demandeur n’était pas homosexuel et qu’il n’avait pas établi que son origine ethnique rom l’exposait à un risque conformément à la Loi. De toute façon, la Commission a déclaré que le demandeur pourrait se réclamer de la protection de l’État. La demande d’interjeter appel de la décision a été refusée.

 

[3]               En juillet 2007, le demandeur a présenté une demande d’ERAR qui a été rejetée en octobre 2007. Le rejet était fondé sur la conclusion selon laquelle la Hongrie n’a pas connu un effondrement de l’appareil étatique et qu’il est possible de s’adresser à certains organismes pour obtenir de l’aide. Depuis cette décision, le demandeur a appris, en février 2008, qu’il est porteur du virus de l’immunodéficience humaine (le VIH). Il a présenté une autre demande d’ERAR en juin 2008 qui a également été rejetée le 10 octobre 2008. En septembre 2008, le juge Phelan a accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi du demandeur en attendant le contrôle judiciaire de la décision d’ERAR.

 

[4]               Le 13 novembre 2008, le demandeur a été avisé qu’il serait renvoyé du Canada le 23 novembre 2008. Le juge Zinn a accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi le 20 novembre 2008.

 

Décision faisant l’objet du présent contrôle

[5]               L’agent a commencé son analyse en examinant la preuve présentée par le demandeur. La preuve par affidavit déclarant que le demandeur était homosexuel et séropositif a été acceptée.

 

[6]               L’agent a examiné les éléments de preuve documentaire fournis par le demandeur consistant en plusieurs publications et des articles tirés d’Internet, bien qu’il ait conclu qu’ils étaient [traduction] « de nature générale » et [traduction] « n’offraient pas de preuve des risques auxquels le demandeur était personnellement exposé ». Ces éléments de preuve ont cependant été utilisés pour évaluer la situation en Hongrie.

 

[7]               L’agent n’a pas contesté la preuve médicale présentée par le Dr Hedgcock, mais la valeur de celle-ci est douteuse dans la mesure où elle fournit un avis d’expert sur le traitement médical que pourrait recevoir le demandeur en Hongrie.

 

[8]               En ce qui a trait à la preuve selon laquelle la Hongrie ne dispose pas de traitement médical pour les personnes qui ont reçu un diagnostic de VIH/sida, l’agent a examiné de nombreux rapports, dont le rapport de 2008 sur les progrès du Programme commun des Nations Unies sur le VIH/sida pour la Hongrie, et il n’a pas été convaincu que le demandeur ne pourrait pas bénéficier d’un traitement. Un autre rapport mentionné était un document de la Division des recherches de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié intitulé : Hongrie « Le droit à des soins et à des traitements médicaux gratuits pour un citoyen séropositif qui revient en Hongrie après une absence de trois ans ». Compte tenu de ces rapports, l’agent a conclu que la preuve était insuffisante pour établir que le demandeur se verrait refuser un traitement médical.

 

[9]               L’agent a ensuite examiné la question de la discrimination des Roms en Hongrie. Il a conclu que le gouvernement hongrois avait fait [traduction] « de sérieux efforts » pour lutter contre la discrimination comme le décrit un rapport de Freedom House publié en 2008, mais la discrimination perdure néanmoins.

 

[10]           L’agent s’est ensuite penché sur la question de la persécution des homosexuels en Hongrie. Plus précisément, il a examiné un incident lors duquel des groupes de droite avaient infligé des mauvais traitements à des homosexuels pendant un défilé de la fierté gaie et la réaction du premier ministre de la Hongrie à ces mauvais traitements, dénonçant les gestes. De plus, l’agent a souligné des extraits tirés d’éléments de preuve documentaire qui indiquaient que, même s’ils avaient été critiqués pour ne pas être intervenus lors de cet incident, les policiers ont été félicités pour avoir protégé les marcheurs lors d’un défilé ultérieur de la fierté gaie. Pour l’agent, cela était la preuve que le gouvernement faisait des efforts sérieux pour lutter contre la discrimination malgré le fait que [traduction] « la discrimination à l’égard des homosexuels continue d’être une source de préoccupation en Hongrie ».

 

[11]           Enfin, l’agent a examiné le rapport le plus détaillé sur les soins pour le VIH en Hongrie, présenté par l’avocat du demandeur et intitulé « Discrimination against VIH patients in health care » (2008). Le rapport décrit l’expérience de trois hommes atteints du VIH en Hongrie. Tout en étant sympathique à l’expérience de ces hommes, l’agent n’a pas conclu qu’elle était [traduction] « représentative de l’ensemble du système de soins de santé en Hongrie ».

 

[12]           L’agent a alors mentionné l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca (1992), 99 D.L.R. (4th) 334 (C.A.F.) qui établit le principe selon lequel on ne peut s’attendre à ce que les gouvernements garantissent la sécurité de leurs citoyens en tout temps et, dans la mesure où un État a le contrôle efficient de son territoire et qu’il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens, cela est alors suffisant pour démontrer qu’il protège ses citoyens.

 

[13]           En conclusion, l’agent a statué que la preuve était insuffisante pour conclure que le demandeur répondait aux motifs de l’article 96 et des alinéas 97(1)a) et b) de la Loi pour justifier une conclusion favorable.

 

Questions en litige

[14]           Le demandeur a soumis les questions suivantes :

  1. L’agent a-t-il commis une erreur en ne tenant pas compte de la preuve concernant la discrimination à l’égard des personnes séropositives?
  2. L’agent a-t-il commis une erreur en n’examinant pas la question de savoir si les mauvais traitements auxquels serait soumis le demandeur en raison de son homosexualité, sa séropositivité et son origine ethnique rom équivaudraient, cumulativement, à de la persécution?

 

[15]           Je conclus que les questions en litige sont les suivantes :

  1. L’agent a-t-il commis une erreur dans sa conclusion de fait concernant la discrimination exercée envers les personnes séropositives en Hongrie?
  2. L’agent a-t-il commis une erreur en omettant d’examiner les facteurs cumulatifs liés à l’homosexualité, la séropositivité et l’origine ethnique rom?

 

Norme de contrôle

[16]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] A.C.S. no 9, la Cour suprême du Canada a déclaré que le processus de détermination de la norme de contrôle à appliquer consiste tout d’abord à vérifier si la jurisprudence a déjà établi la norme de contrôle pour une situation semblable. Si une norme de contrôle a déjà été établie, alors cette norme s’appliquera.

 

[17]           Avant l’important arrêt Dunsmuir en matière de droit administratif, les décisions dans le contexte d’un ERAR faisaient appel à la norme de la décision raisonnable simpliciter; Figurado c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 458. Cette norme a été ramenée à la norme de la raisonnabilité par l’arrêt Dunsmuir et les jugements ultérieurs ont continué à adopter la raisonnabilité comme norme à appliquer; Christopher c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 1199.

 

[18]           Je suis convaincu que la norme de contrôle établie dans la décision Christopher s’applique. Le présent contrôle comporte également le processus d’analyse de questions de fait et de droit de sorte que la norme de la raisonnabilité est la norme pertinente.

 

[19]           L’analyse réalisée par l’agent d’ERAR à l’égard des faits propres au demandeur et de la situation en Hongrie, sera examinée en lien avec les articles pertinents de la Loi. Cette analyse doit être raisonnable, tel que l’énoncent l’arrêt Dunsmuir et la jurisprudence connexe.

 

[20]           Ce qui est raisonnable eu égard à l’ensemble de la preuve est discuté dans bon nombre de décisions, notamment Ramanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 843, et Erdogu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 407.

 

[21]           Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la raisonnabilité a été formulée comme suit :

 

Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

 

Analyse

1. L’agent a-t-il commis une erreur dans sa conclusion de fait concernant la discrimination exercée envers les personnes séropositives en Hongrie?

 

[22]           Le demandeur prétend que l’agent a commis une erreur dans l’examen du risque auquel il serait exposé relativement à l’accessibilité au traitement du VIH en Hongrie. En s’attardant uniquement sur cette question, l’agent a ignoré d’importants éléments de preuve essentiels à la question du risque lié à [traduction] « la discrimination dans l’emploi, l’éducation et dans les soins de santé généraux et à la violence au sein de la communauté rom » qui étaient bien documentés et dont disposait l’agent.

 

[23]           Le défendeur soutient que l’agent ne peut être blâmé de s’être concentré sur la question du traitement médical pour les personnes séropositives parce que l’ensemble de la preuve met l’accent sur la discrimination liée aux services médicaux. De plus, les éléments de preuve qui portaient précisément sur la discrimination n’ont pas été ignorés. L’agent a tenu compte des éléments de preuve particuliers que le demandeur a soulignés dans ses observations quant à la discrimination que subissaient les Hongrois séropositifs. Le défendeur prétend que, de toute façon, l’omission [traduction] « d’explorer toutes les déclarations enfouies dans la preuve documentaire ne constitue pas une erreur et ne porte pas un coup fatal à la décision ».

 

[24]           Dans sa réponse aux observations du défendeur, le demandeur a soutenu que [traduction] « l’exploration » n’était pas nécessaire puisque les éléments de preuve sur la discrimination à l’égard des personnes séropositives dans l’emploi, l’éducation et les soins de santé non liés au VIH étaient [traduction] « bien en vue dans la demande elle-même » et que rejeter ces éléments de preuve comme des détails de l’ensemble de la preuve sur les services médicaux était une erreur, car la Cour a statué que les agents étaient tenus de tenir compte de l’ensemble de la preuve relativement à un risque personnel.

 

[25]           Le demandeur prétend également que la décision ne fait pas la distinction entre [traduction] « le refus d’offrir des services de soins de santé liés au traitement du VIH d’une part, et le refus d’offrir des soins pour des questions de santé non liées au VIH, d’autre part ». L’omission de l’agent de traiter de cette dernière question est une erreur, car [traduction] « les documents faisaient état d’une grande discrimination » chez les médecins qui refusaient, plus particulièrement, de traiter les patients séropositifs ailleurs qu’à la seule clinique de traitement du VIH/sida à Budapest.

 

[26]           À mon avis, la conclusion de fait de l’agent était déraisonnable et n’a pas adéquatement mis l’accent sur la question du risque personnel pour le demandeur s’il devait retourner en Hongrie, souffrant de ce problème de santé très grave. La preuve présentée par le demandeur a révélé un risque personnel fondé sur une discrimination documentée dans diverses sources. La preuve présentée par le demandeur concernant le risque ne mettait pas l’accent sur l’accessibilité au traitement médical en Hongrie, mais plutôt sur le fait que son accessibilité au traitement médical et à l’emploi serait compromise parce qu’il était un Rom homosexuel séropositif.

 

[27]           La réponse de l’agent au rapport qui décrivait en détail la discrimination à l’égard des homosexuels séropositifs en Hongrie témoigne de ce raisonnement vicié. L’agent a déclaré que, même s’il est sympathique à l’expérience de ces hommes, [traduction] « celle-ci n’est pas représentative de l’ensemble du système de soins de santé en Hongrie ». Le risque personnel visant le demandeur n’exige pas de prouver que l’ensemble du système de soins de santé en Hongrie est inadéquat, mais plutôt de prouver que sa situation personnelle, qui ressemble à celle de ces hommes, le met à risque.

 

[28]           L’agent déclare en outre que ses [traduction] « propres recherches n’indiquent pas une négation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne qui vise les Roms homosexuels séropositifs ». Il n’est pas essentiel de prouver une négation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne en ce qui a trait à un risque personnel en vertu de la Loi. En conséquence, je suis d’avis que cette conclusion n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit, tel qu’énoncé dans l’arrêt Dunsmuir.

 

2. L’agent a-t-il commis une erreur en omettant d’examiner les facteurs cumulatifs liés à l’homosexualité, la séropositivité et l’origine ethnique rom?

 

[29]           Le demandeur soutient que dans certains cas la discrimination cumulative peut équivaloir à de la persécution comme le déclare le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié, rédigé par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (Genève, janvier 1988) et que l’agent n’a jamais adéquatement examiné la totalité de la discrimination issue de facteurs tels que l’origine ethnique rom, l’homosexualité et la séropositivité. Le demandeur prétend que la preuve documentaire dont l’agent était saisi montrait que les Roms étaient exposés à de la discrimination dans l’éducation, l’emploi et la prestation des soins de santé. Le demandeur a déclaré que l’agent a omis de tenir compte de [traduction] « l’intersectionnalité et de la nature cumulative des mauvais traitements » auxquels le demandeur pourrait être exposé.

 

[30]           La jurisprudence va également dans le sens d’une erreur de la part de l’agent. Le demandeur a mentionné la décision Ramirez c. Canada (MCI), 2008 CF 466, à l’appui de la proposition selon laquelle l’effet cumulatif de l’homophobie et de la discrimination à l’égard des personnes séropositives pouvait équivaloir à de la persécution. Dans la décision Ramirez, la Commission a omis de traiter de la discrimination dans l’emploi et les services médicaux et a simplement étudié l’accessibilité au traitement. Le demandeur a également mentionné Mete c. Canada (MCI), 2005 CF 240, et le récent arrêt Munderere c. Canada (MCI), 2008 CAF 84, pour s’appuyer sur leurs conclusions selon lesquelles l’effet cumulatif de la discrimination peut donner lieu à de la persécution et qu’il doit être pris en compte.

 

[31]           Le défendeur soutient que l’agent a compris et examiné de manière appropriée l’effet cumulatif de la discrimination. Il souligne la déclaration de l’agent selon laquelle [traduction] « [l]e demandeur croit qu’il sera exposé à un risque plus élevé en Hongrie parce qu’il est homosexuel, Rom et séropositif ». Le défendeur fait observer que l’agent a effectué une analyse approfondie des trois domaines de risque identifiés par le demandeur et qu’il a conclu qu’elle n’indiquait pas une négation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne.

 

[32]           Le défendeur répond ensuite à l’affirmation du demandeur selon laquelle sa situation personnelle et sa vulnérabilité particulière n’ont pas été prises en compte à la lumière de l’effet cumulatif possible de la discrimination. Le défendeur affirme que l’agent a expressément cité les propos de l’avocat du demandeur qui expliquaient la situation de ce dernier en tant qu’homosexuel séropositif.

 

[33]           Je suis convaincu, et les parties en conviennent, que l’effet cumulatif de la discrimination devrait être pris en compte. Elles sont cependant en désaccord quant à la question de savoir si cela a été fait.

 

[34]           Je renvoie au récent arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Munderere, au paragraphe 41, qui cite la juge Dawson dans la décision Mete, aux paragraphes 4 à 6, énonçant trois principes de discrimination cumulative équivalant à de la persécution :

[4] Les trois principes juridiques ci-après énoncés ne sont pas controversés. Premièrement, dans l’arrêt Rajudeen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1984), 55 N.R. 129, la Cour d’appel fédérale a défini la persécution comme suit : harceler ou tourmenter sans relâche par des traitements cruels ou vexatoires; tourmenter sans répit; tourmenter ou punir en raison d’opinions particulières ou de la pratique d’une croyance ou d’un culte particulier; succession de mesures prises systématiquement, pour punir ceux qui professent une religion particulière; période pendant laquelle ces mesures sont appliquées; préjudice ou ennuis constants quelle qu’en soit l’origine.

[5] Deuxièmement, dans les cas où la preuve établit une série d’actions qui sont considérées comme de la discrimination plutôt que de la persécution, il faut tenir compte de la nature cumulative de cette conduite. Cette exigence reflète le fait que des incidents antérieurs peuvent servir de fondement à la crainte actuelle. Voir : Retnem c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 132 N.R. 53 (C.A.F.). Ce principe est également exprimé comme suit, au paragraphe 53 du Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (le Guide sur le statut de réfugié) [citation omise]

[6] Troisièmement, la SPR commet une erreur de droit en ne tenant pas compte de la nature cumulative de la conduite à l’endroit du demandeur. Voir : Bobrik c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1994), 85 F.T.R. 13 (1re inst.), au paragraphe 22, et les décisions faisant autorité que ma collègue, la juge Tremblay-Lamer, a examinées.

 

[35]           Bien que la décision Mete porte sur des faits différents, elle est instructive. Il est particulièrement utile de souligner le troisième principe qui établit que la nature cumulative de la conduite à l’endroit d’un demandeur doit être prise en compte.

 

[36]           Les conclusions concernant l’effet cumulatif de la discrimination exigent une analyse qui va au-delà de la simple reconnaissance que la personne était visée par ces facteurs de risque. Particulièrement en l’espèce, il est nécessaire de passer en revue les risques auxquels un Rom homosexuel séropositif serait exposé à son retour en Hongrie. Ce genre d’analyse est différent de l’analyse séparée des risques pour un homosexuel, ensuite pour une personne séropositive, et ensuite pour un Rom, ce qu’a fait l’agent. Je conviens avec le demandeur que les motifs de l’agent ne traitent pas des [traduction] « intersectionnalités de la preuve ni ne traitent le demandeur comme la somme de ses parties ». L’agent n’a pas tenu compte de la preuve d’une manière qui soit conforme à la jurisprudence et, par conséquent, il a omis de véritablement mesurer l’effet cumulatif de la discrimination à laquelle le demandeur serait exposé.

 

[37]           La décision dans Ramirez est convaincante, car elle porte sur un ensemble de faits semblables. Dans cette affaire, la juge Gauthier a conclu que la Commission avait commis une erreur lorsqu’elle « a semblé ne tenir compte que de l’existence des soins médicaux et de la possibilité, pour les séropositifs, d’en recevoir » (Ramirez au paragraphe 16), sans aussi examiner les allégations de discrimination envers les patients porteurs du VIH exercée par les médecins et les infirmières dans leurs services de soins médicaux. Dans cette affaire, le demandeur a également soulevé des préoccupations à propos de la discrimination en matière d’emploi.

 

[38]           Je ne veux pas dire qu’il n’y avait pas de conclusion de discrimination. L’agent a reconnu que la collectivité rom continue d’être victime de discrimination en Hongrie, tout comme les homosexuels. De plus, j’ai un doute quant à l’absence de conclusion de discrimination à l’égard des hommes séropositifs de la part de l’agent. On peut soutenir qu’il n’était pas logique que l’agent rejette le rapport de l’ONG au motif que l’expérience de discrimination des trois hommes séropositifs en Hongrie était inutile pour évaluer le système de soins de santé dans son ensemble (comme il est énoncé dans la première question, il a plutôt choisi de mentionner ses propres recherches qui ne sont pas précisées).

 

[39]           Le demandeur a présenté des éléments de preuve selon lesquels il sera non seulement exposé à de la discrimination en raison des facteurs énoncés et analysés ci-dessus, mais également par sa propre collectivité rom qui connaît ses propres problèmes d’homophobie. La possibilité que le demandeur soit ostracisé par ses amis et sa famille s’il retournait en Hongrie est vraisemblable. Dans la décision Diaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 1543, au paragraphe 36, le juge O’Keefe a déclaré que « [l]a discrimination occasionnée par la séropositivité du demandeur peut entraîner des conséquences beaucoup plus dévastatrices et beaucoup plus importantes » pour un homme séropositif qui n’aurait pas le soutien de sa famille en raison de son diagnostic et parce qu’il est homosexuel.

 

[40]           En conclusion, dans la décision faisant l’objet du présent contrôle, l’agent a examiné chaque facteur de risque séparément et à chaque fois a conclu que le risque n’équivalait pas à de la persécution, plutôt que d’examiner les conséquences de la discrimination cumulative.

 

[41]           Sa conclusion selon laquelle [traduction] « [m]es propres recherches n’indiquent pas une négation soutenue ou systémique des droits fondamentaux de la personne » et que [traduction] « la preuve dont je suis saisi est insuffisante pour établir que le demandeur, un Rom homosexuel séropositif, se verrait refuser le traitement médical nécessaire en Hongrie », constitue une analyse insuffisante de sorte qu’elle est déraisonnable selon l’arrêt Dunsmuir et erronée. J’accueille donc la demande de contrôle judiciaire pour ce motif.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un agent d’ERAR différent pour qu’un nouvel examen soit fait conformément aux présents motifs du jugement. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification.

 

 

 

 

 

« Max M. Teitelbaum »

Juge suppléant

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4832-08

 

INTITULÉ :                                       IMRE GORZSAS c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 27 AVRIL 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE SUPPLÉANT TEITELBAUM

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 6 MAI 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

John Norquay

 

POUR LE DEMANDEUR

Laoura Christodoulides

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John Norquay

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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