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Date : 20090506

Dossier : IMM-3673-08

Référence : 2009 CF 464

Ottawa (Ontario), le 6 mai 2009

En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

ALMIR VALDIVIA RODRIGUEZ

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Le demandeur sollicite en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi) la révision judiciaire de la décision rendue le 30 juillet 2008, par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Tribunal), lui refusant la qualité de réfugié, et celle de personne à protéger conformément au sens des articles 96 et 97 de la Loi, et rejetant sa demande d’asile.

 

I.          Les faits

 

[2]               Citoyen péruvien, le demandeur prétend ne pouvoir retourner dans son pays dû au fait qu’il aurait refusé de participer pour son patron à des actes de corruption impliquant des fonctionnaires, avec comme conséquence, que sa vie serait maintenant menacée.

 

[3]               Ses problèmes auraient débuté en mai 2003 alors que son patron lui aurait demandé de signer des documents remplis de fausses informations, ce qu’il aurait refusé de faire. Son refus l’aurait obligé, pour éviter la persécution, à quitter son pays vers les États-Unis où il séjourne 31 mois avant de venir réclamer la protection au Canada.

 

II.         Décision contestée

 

[4]               Le tribunal invoque comme motif principal de sa décision « qu’il incombait au demandeur de renverser la présomption que les autorités péruviennes étaient en mesure de le protéger ». Et que « même si la situation n’est pas parfaite au Pérou, …(il) ne peut conclure pour autant qu’il existe une preuve claire et convaincante que l’État péruvien ne tenterait pas d’assurer la protection du demandeur s’il devait retourner dans son pays », et ce, d’autant plus que « dans son cas, le demandeur n’a non seulement pas épuisé tous les recours à sa disposition pour obtenir aide et protection, mais il n’a fait aucune demande en ce sens ».

 

[5]               De façon subsidiaire, le tribunal ayant senti « que le demandeur ajustait ses réponses aux questions posées », et n’étant pas satisfait de ses réponses, lorsque confronté avec certaines contradictions, se dit « perplexe quant à la crédibilité du demandeur ».

 

[6]               La décision du tribunal est-elle déraisonnable?

 

III.       Analyse

 

Norme de contrôle

[7]               La décision du tribunal repose sur la capacité présumée de l’État péruvien de fournir au demandeur la protection nécessaire, ce que celui-ci n’a pas su réfuter par une preuve suffisamment claire et convaincante pour convaincre le tribunal du contraire.

 

[8]               Le présent recours soulève donc des questions mixtes de fait et de droit qui l’assujettissent à la norme de la décision raisonnable définie par l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir). Le tribunal bénéficie d’une expertise dans le domaine où s’exerce sa juridiction; en conséquence, la Cour doit traiter avec déférence sa décision et éviter de s’immiscer dans celle-ci sans motif valable.

 

[9]               Cette norme n’ouvre pas la porte au type d’intervention souhaité par le demandeur, soit reprendre l’exercice du Tribunal et apprécier la preuve de façon à épouser la thèse développée par le demandeur au soutien de sa demande de révision judiciaire. Au contraire, il suffit pour la Cour de vérifier si la décision contestée parait raisonnable, parce que justifiée au regard des faits mis en preuve et du droit, ou déraisonnable parce que non justifiée.

 

Protection de l’État péruvien

[10]           Le demandeur veut convaincre le Tribunal, et ensuite cette Cour, que sa sécurité est en danger au Pérou et que cet État n’est pas en mesure de le protéger. Malgré les tentatives de corruption, les nombreux harcèlements, les menaces et la tentative d’attentat que le demandeur soutient avoir subis au Pérou, il admet ne pas avoir dénoncé le nom de ses agresseurs et leur délit, par manque de confiance envers la police de son pays.

 

[11]           Pour que sa demande d’asile puisse être accordée par le Tribunal, le demandeur devait démontrer par une preuve claire et convaincante l’incapacité de l’État péruvien de lui assurer la protection nécessaire, élément essentiel à démontrer pour être reconnu réfugié et personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi (Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689). Le Tribunal conclut toutefois dans sa décision que le demandeur ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui était imposé et qu’il n’a pas déployé tous les efforts raisonnables afin de tenter d’obtenir la protection des autorités péruviennes.

 

[12]           Il ne suffisait pas au demandeur de démontrer que la protection de l’État péruvien n’était pas parfaite. Aucun gouvernement qui professe des valeurs démocratiques ou qui respecte les droits de la personne ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Cette Cour a reconnu, dans plusieurs de ses décisions, que même si la situation n’est pas parfaite au Pérou, ce pays demeure un pays démocratique offrant protection à ses citoyens (Valera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1384 ; Lopez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 198;pour ne citer que les plus récentes).

 

[13]           Tel que le note le Tribunal dans ses motifs, lorsqu’un demandeur vit dans un État démocratique, comme le Pérou, l’obligation devient plus grande pour lui de rechercher d’abord la protection de cet État. En conséquence, il doit démontrer qu’il a cherché à épuiser tous les recours raisonnables disponibles dans son pays pour obtenir la protection interne nécessaire, avant de songer à rechercher la protection extérieure d’un autre pays (Kadenko c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] A.C.F. no 1376).

 

[14]           Il appert du témoignage du demandeur qu’il n’a fait aucune dénonciation valable pour permettre à la police d’identifier ses agresseurs. Il n’a vraiment pas essuyé véritablement un refus d’aide, il a tout simplement fait défaut de fournir les informations nécessaires à la police pour lui permettre d’intervenir, et ce, par suite d’un manque de confiance de celle-ci. En somme, il n’a même pas testé l’aide disponible pour lui.

 

[15]           Par contre, il a entamé des procédures judiciaires contre son employeur pour mettre un terme au harcèlement, aux grossièretés et à la discrimination à son endroit. Si le demandeur avait tant confiance au système judiciaire de son pays au point de s’y adresser pour poursuivre au civil son employeur, il semble paradoxal sinon injustifiable pour lui de ne pas avoir réclamer l’aide de la police ou des autorités de son pays pour le protéger à l’égard de ses agents persécuteurs alors qu’il allègue que sa vie était en danger. Le fait pour le demandeur d’avoir enclenché un recours civil ne lui permettait pas pour autant de repousser la présomption de protection de l’État.

 

[16]           Et ce d’autant plus que le demandeur n’a même pas attendu le résultat des procédures entreprises contre son employeur avant de quitter son pays. Plutôt que d’attendre et tenter de se prévaloir de la protection que lui offrait possiblement son pays, le demandeur a quitté vers les États-Unis pour y demeurer 31 mois sans demander l’asile avant de venir au Canada faire sa demande d’asile. Cependant, comme l’a énoncé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ward précité, le demandeur ne peut obtenir l’asile s’il n’a pas tenté adéquatement d’obtenir la protection que lui offrait son pays d’origine (Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171 au par. 52).

 

Absence de crainte subjective

[17]           Le tribunal a aussi bien noté que « le demandeur non seulement n’a pas demandé la protection dans son pays, mais en plus il n’a pas demandé la protection lorsqu’il s’est rendu aux États-Unis. L’explication à l’effet qu’il pensait que la situation s’améliorerait dans son pays est insuffisante pour justifier un séjour de 31 mois aux États -Unis sans demander le statut de réfugié alors que le demandeur prétend qu’il a peur de retourner dans son pays ».

 

[18]           C’est à bon droit que le Tribunal poursuit et rappelle dans sa décision la jurisprudence de cette Cour à l’effet que le défaut de revendiquer le statut de réfugié dans un pays signataire du Protocole de 1967 contredit la prétention selon laquelle il craint d’être persécuté.

 

IV.       Conclusion

 

[19]           Bref, et paraphrasant l’arrêt Hinzman, précité, au paragraphe 62, « le demandeur n’a pas satisfait à l’exigence fondamentale en droit des réfugiés voulant que le demandeur d’asile cherche à obtenir la protection de son pays d’origine avant de demander à l’étranger la protection offerte par le système des réfugiés ». Son défaut d’avoir porté une plainte efficace à la police et d’avoir attendu le résultat des procédures civiles entamées au Pérou, sa hâte de quitter son pays en direction des États-Unis et d’y rester 31 mois sans y demander la protection, laisse songeur sur ses prétentions et ne surprend pas la Cour que le Tribunal, pour des motifs additionnels cités, s’est dit « perplexe » à l’égard de la crédibilité du demandeur.

 

[20]           La Cour ne croit pas toutefois nécessaire de se prononcer sur les reproches faits par le Tribunal à l’égard de la crédibilité du demandeur et que conteste celui-ci. Il suffit de constater que le demandeur n’a pas fait un effort sérieux pour obtenir la protection de son pays avant de le quitter, avec comme résultat qu’il est impossible à la Cour d’évaluer si la protection qu’on pouvait lui offrir était raisonnablement suffisante ou pas.

 

[21]           Par conséquent, la demande d’asile au Canada du demandeur ne peut être accueillie et sa demande de contrôle judiciaire de la décision du Tribunal au même effet sera rejetée. Puisqu’aucune question importante de portée générale n’a été proposée ou mérite de l’être, aucune question ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3673-08

 

INTITULÉ :                                       ALMIR VALDIVIA RODRIGUEZ  c.  M.C.I.

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal, Québec

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 26 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      le 6 mai 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Jorge J. Colasurdo

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Isabelle Brochu

Marjolaine Breton, stagiaire

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Jorge J. Colasurdo

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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