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Date :  20090507

Dossier :  IMM-4568-08

Référence :  2009 CF 460

Ottawa (Ontario), le 7 mai 2009

En présence de monsieur le juge Shore 

 

ENTRE :

BRAVO TAMAYO Gloria

DELGADO BRAVO Fabiola

DELGADO BRAVO Angela Yosdel

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

Défenderesse

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Aperçu

[1]               [27]      Pour déterminer si le revendicateur d’asile a rempli son fardeau de preuve, la Commission doit procéder à une véritable analyse de la situation du pays et des raisons particulières pour lesquelles le revendicateur d’asile soutient qu’il « ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection » de son pays de citoyenneté ou de résidence habituelle (alinéas 96a) et b) et sous-alinéa 97(1)b)(i) de la Loi). La Commission doit considérer non seulement la capacité effective de protection de l’État mais également sa volonté d’agir. À cet égard, les lois et les mécanismes auxquels le demandeur peut avoir recours pour obtenir la protection de l’État peuvent constituer des éléments qui reflètent la volonté de l’État. Cependant, ceux-ci ne sont pas en eux-mêmes suffisants pour établir l’existence d’une protection à moins qu’ils ne soient mis en œuvre dans la pratique [...]

 

Comme spécifié par le juge Luc Martineau dans l’arrêt Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359, 295 F.T.R. 35.

II.  Procédure judiciaire

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (Commission), rendue le 22 septembre 2008, selon laquelle les demanderesses n’ont pas la qualité de « réfugiées au sens de la Convention » ni de « personnes à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c.27 (LIPR).

 

[3]               Cette décision repose sur l’absence de crédibilité des demanderesses et l’existence de la protection de l’État.

 

III.  Introduction

[4]               Les demanderesses allèguent craindre, avec raison, d’être persécutées dans leur pays en raison de leur appartenance à un groupe social particulier, soit celui des femmes victime de violence domestique.

 

[5]               Elles craignent plus particulièrement l’époux de la demanderesse principale, après que celui-ci aurait tenté de violer sa fille, en 1999, l’aurait menacée de mort, et aurait essayé de l’assassiner, en 2007.

 

 

 

 

IV.  Faits

[6]               La demanderesse principale, madame Gloria Bravo Tamayo, sa fille, Fabiola Delgado Bravo, et l’enfant d’âge mineure, Angela Yosdel Delgado Bravo, citoyennes du Mexique, sont arrivées au Canada, le 13 août 2007. Elles ont demandé la protection du Canada à cette même date.

 

[7]               La demanderesse principale et sa fille, Fabiola, ont quitté leur pays à cause de menaces de mort, de violence intrafamiliale et de tentative de viol par le père.

 

[8]               En 1999, lorsque le père a appris que sa fille était enceinte, il l’a vilement frappée, menacée, et insultée.

 

[9]               Lorsque la demanderesse principale aurait pris la défense de sa fille, elle aussi a reçu des coups.

 

[10]           Quand le père aurait tenté de violer sa fille, la demanderesse principale l’aurait assommé d’un coup de bâton et elles se sont enfuies de la maison.

 

[11]           Elles se sont réfugiées chez leur voisin, monsieur Emilio, et auraient refusé de retourner à la maison lorsque le père serait venu les chercher.

 

[12]           Le père s’est alors retiré après un certain temps en proférant des injures et des menaces contre le voisin et sa famille.

[13]           Monsieur Emilio les a alors accompagnées à l’hôpital où ils sont arrivés vers les trois heures du matin, le 26 juillet 1999.

 

[14]           Les 27 et 28 juillet 1999, la fille de la demanderesse principale est demeurée en observation à l’hôpital.

 

[15]           La fille de la demanderesse principale a pu sortir de l’hôpital le 29 juillet 1999 à condition de se reposer et de demeurer sous contrôle médical.

 

[16]           Comme les demanderesses n’avaient nulle part où aller, elles sont retournées à la maison.

 

[17]           Le voisin les attendait et leur a dit que le père n’était pas rentré chez lui depuis le jour de l’agression.

 

[18]           Lorsque la fille de la demanderesse principale s’est sentie un peu mieux, elle et sa mère sont allées porter plainte contre son père.

 

[19]           Après avoir pris leur déclaration, l’agent du Ministère public les a examinées et a pris leurs renseignements; il leur a ensuite dit qu’elles allaient recevoir une convocation et un document les informant de la demande, mais que cela allait prendre du temps et que l’enquête préliminaire suivait son cours.

 

[20]           La fille de la demanderesse principale gagnait un peu d’argent en gardant des enfants et en lavant le linge des voisins et pouvait donc survivre sans l’aide de son père qui n’était toujours pas revenu à la maison.

 

[21]           Le 18 août 1999, la demanderesse principale et sa fille sont allées voir où en était la plainte; les agents les ont fait attendre de vingt et une heures jusqu’à minuit pour leur dire enfin que la plainte ne pouvait être logée pour manque de preuves.

 

[22]           Selon eux, comme il n’y avait pas eu de viol, il n’y avait donc pas de preuves concrètes malgré les photos des coups.

 

[23]           Le père connaissait des fonctionnaires du Ministère public. Les demanderesses ont alors compris qu’il n’y avait rien à attendre.

 

[24]           La demanderesse principale et sa fille avaient très peur n’ayant plus de travail où d’argent pour louer un appartement; pendant six mois elles ont vécu ainsi.

 

[25]           Le 22 février 2000, la demanderesse principale amena sa fille à l’hôpital pour qu’elle accouche; une heure après la naissance de la petite-fille, le père est arrivé.

 

[26]           Le père avisa qu’il les avait fait surveiller pendant tout ce temps par deux hommes et qu’il était au courant des détails de leur vie quotidienne.

[27]           Il l’a félicité pour sa fille et lui a dit de faire attention aux accidents, car de nos jours il y avait beaucoup de cas de disparition d’enfants.

 

[28]           Il lui a dit que sa petite-fille lui importait peu et que c’était elle qu’il voulait; elle a commencé à crier et lorsque l’infirmière est venue, il a quitté les lieux.

 

[29]           Après une nuit à l’hôpital, les demanderesses ont décidé de retourner à la maison pour récupérer quelques effets personnels et vendre ce qu’elles pouvaient pour pouvoir aller habiter ailleurs.

 

[30]           Le père, étant dans la maison, les a surpris lorsqu’elles étaient en possession de documents et effets personnels. La demanderesse principale quitta la maison avec sa petite-fille pour aller chercher de l’aide.

 

[31]           Quelques minutes plus tard, la demanderesse principale est revenue avec monsieur Emilio qui avait un bâton à la main. Il dit au père de lâcher sa fille; ce dernier est donc parti en proférant des injures et des menaces.

 

[32]           Les demanderesses sont allées chercher de l’aide à la mairie municipale et là elles ont enfin obtenu du soutien; un accord fut passé entre elles et le père par le biais de la mairie.

 

[33]           Elles allaient recevoir de l’argent pour le loyer; le père n’avait plus le droit de les approcher ne de les faire épier; elles ont pu vivre ainsi tranquilles pendant quatre ans, jusqu’en 2004.

 

[34]           Elles ont économisé pour pouvoir aller vivre ailleurs, car le père rôdait souvent autour de la maison en compagnie de deux hommes.

 

[35]           Elles ont déménagé deux fois, mais il les retrouvait à chaque fois; la fille de la demanderesse principale a perdu son emploi et sa fille, sa place à l’école.

 

[36]           Elles ont vécu à Loma Bonita une année et demie et lorsque la maîtresse de la petite fille les avisa qu’un inconnu avait pris des photos de la petite file, elles ont déménagé à Navarra, le 15 juin 2006; mais, là encore, la fille de la demanderesse principale a perdu son emploi.

 

[37]           Une cliente de la papeterie où la fille de la demanderesse principale travaillait, madame Martha Cobarrubias, leur a offert d’aménager chez elle à San Miguel Allende, Guanajuato.

 

[38]           Elles ont vécu chez elle deux mois quittant les lieux lorsque le père s’était introduit dans la maison pendant la nuit.

 

[39]           Il a voulu étouffer la demanderesse principale en lui plaçant un oreiller sur le visage; leur hôte est venue à son secours; elles ont tenté de la frapper; les voisins sons accourus et il s’est enfui comme un voleur.

[40]           Le lendemain, épuisée, elle en parla à une amie qui lui suggéra de changer de pays. Elle l’a renseignée sur les démarches à entreprendre afin d’obtenir le passeport et les documents nécessaires.

 

[41]           Les demanderesses ont vendu tout ce qu’elles possédaient et elles ont demandé de l’argent pour pouvoir partir. Elles sont arrivées à Montréal, le 13 août 2007.

 

[42]           La Commission a soulevé la question de la protection de l’État pour ensuite refuser les revendications des demandeurs.

 

[43]           La fille de la demanderesse principale, après la naissance de sa fille, n’a pas risqué de s’installer ailleurs, raison pour laquelle elle a décidé de se sauver avant qu’elle soit à nouveau victime de mauvais traitements.

 

[44]           Elle craint pour sa vie, pour la vie de sa fille et pour celle de sa mère si jamais elles devaient retourner au Mexique.

 

V.  Point en litige

[45]           Est-ce que la Commission a rendu une décision fondée sur des conclusions de fait et/ou de droit erronées, sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

 

 

 

VI.  Analyse

[46]           Les demanderesses allèguent que la Commission a erré en droit du fait que les raisons invoquées par la Commission sont déraisonnables et non fondées sur la preuve.

 

[47]           La Cour d’appel fédérale a affirmé dans Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302, 1 A.C.W.S. (3d) 167, que, lorsqu’un demandeur jure que certains faits sont véridiques, il existe une présomption qu’ils le sont, à moins qu’il y ait des raisons valables de douter de leur véracité.

 

[48]           Dans son analyse, la Commission a soulevé la question de la protection de l’État et a dit que les demanderesses n’ont pas réfuté la présomption de protection dans les circonstances de ce cas.

 

[49]           L’arrêt Avila c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 359, 295 F.T.R. 35, résume les principes de droit sur la question de la protection de l’État:

[27]      Pour déterminer si le revendicateur d’asile a rempli son fardeau de preuve, la Commission doit procéder à une véritable analyse de la situation du pays et des raisons particulières pour lesquelles le revendicateur d’asile soutient qu’il « ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection » de son pays de citoyenneté ou de résidence habituelle (alinéas 96a) et b) et sous-alinéa 97(1)b)(i) de la Loi). La Commission doit considérer non seulement la capacité effective de protection de l’État mais également sa volonté d’agir. À cet égard, les lois et les mécanismes auxquels le demandeur peut avoir recours pour obtenir la protection de l’État peuvent constituer des éléments qui reflètent la volonté de l’État. Cependant, ceux-ci ne sont pas en eux-mêmes suffisants pour établir l’existence d’une protection à moins qu’ils ne soient mis en œuvre dans la pratique : voir Molnar c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1081, [2003] 2 C.F. 339 (C.F. 1re inst.); Mohacsi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 429, [2003] 4 C.F. 771 (C.F. 1re inst.).

 

[50]           L’arrêt Monroy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 588, 154 A.C.W.S. (3d) 686, a traité la protection offerte aux citoyens et a passé en revue les documents sur les conditions du pays qui devait être au moins prises en considération :

[18]      La Commission a retenu uniquement les éléments qui lui permettaient de rejeter la revendication des demandeurs sans analyser le reste de la preuve.

 

[19]      La preuve pertinente n'est pas considérée et cette preuve était claire et convaincante. (Fok v. Canada(Minister of Employment and Immigration), A-881-90, [1993] F.C.J. No. 800 (F.C.A.) (QL)

 

[51]           Le nœud de la revendication n’a pas été démontré comme contredit à l’intérieur de la décision de la Commission. Le fait que la mairie apportait la protection plus de quatre ans à la partie demanderesse démontrait un nœud à la crédibilité de la revendication. Le fait que cette protection ne s’est pas étendue dans le temps démontre dans le contexte un risque aux personnes concernées.

 

VII.  Conclusion

[52]           La Commission n’a pas tenu compte des éléments de la preuve qu’elle disposait.

 

[53]           Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est retournée pour redétermination par un panel autrement constitué.


 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit retournée pour une nouvelle audition devant un tribunal différemment constitué.

 

 

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4568-08

 

INTITULÉ :                                       BRAVO TAMAYO Gloria

                                                            DELGADO BRAVO Fabiola

                                                            DELGADO BRAVO Angela Yosdel

                                                            c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 21 avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :                      le 7 mai 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Anthony Karkar

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Yaël Levy

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ANTHONY KARKAR

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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