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Date : 20090505

Dossier : IMM-4201-08

Référence : 2009 CF 451

Ottawa (Ontario), le 5 mai 2009

En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

MARINA HAYDEE bAENA ESPEJEL

MARIA JUANA ESPEJEL JUAREZ

demanderesses

 

et

 

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               La demanderesse principale Marina Haydee Baena Espejel sollicite, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le contrôle judiciaire de la décision rendue le 12 août 2008 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (Tribunal), de ne pas lui reconnaître ainsi qu’à sa mère Maria Juana Espejel Juarez la qualité de « réfugiées », ni celle de « personnes à protéger » conformément au sens des articles 96 et 97 de la Loi et, en conséquence, d’avoir rejeté leur demande d’asile.

 

II          Les faits

 

[2]               Citoyenne du Mexique tout comme sa mère, la demanderesse principale allègue une crainte de persécution de la part d’un ex-conjoint de fait, M. Raul Tapia Bustos, un policier fédéral qui travaillait au sein de l’Agence fédérale d’enquêtes (Agencia Federal de Investigación – AFI).

 

[3]               Alléguant avoir été battue le 15 janvier 2007, par celui-ci, la demanderesse principale aurait déposé une plainte contre lui le 16 janvier 2007, auprès d’un agent spécialisé en crimes sexuels, avant de déménager avec sa mère dans une autre localité ; puis elles auraient déménagé une deuxième fois dans une autre ville en avril 2007, après avoir estimé que l’ex-conjoint les avait suivies.

 

[4]               Retracée par son ex-conjoint dans son nouveau refuge et battue de nouveau par celui-ci, la demanderesse principale aurait fait, le 2 juillet 2007, une nouvelle plainte, cette fois à un agent du procureur général du bureau de Tlalixcoyan.

 

[5]               Estimant ne plus pouvoir trouver refuge au Mexique, les demanderesses décidaient de quitter leur pays le 8 août 2007 pour venir réclamer l’asile au Canada.

 

III.       Décision contestée

 

[6]               Après une analyse détaillée de la preuve, le Tribunal conclut dans sa décision que le récit de la demanderesse principale n’est pas crédible et qu’elle et sa mère ne se sont pas déchargées du fardeau de démontrer qu’elles ont la qualité de « personnes à protéger » et une « crainte raisonnable de persécution » advenant un retour au Mexique.

 

IV.       Question en litige

 

[7]               La Commission a-t-elle commis une erreur déraisonnable en décidant que le récit à la base de la réclamation de la demanderesse principale n’était pas crédible?

 

V.        Analyse

 

Norme de contrôle applicable

[8]               La décision du Tribunal repose sur l’absence de crédibilité du récit de la demanderesse principale. Il est bien établi que l’évaluation de la crédibilité des témoins relève de la compétence du Tribunal et que celui-ci possède une expertise pour analyser et apprécier les questions de fait lui permettant d’évaluer la crédibilité ainsi que la crainte subjective de persécution d’un demandeur d’asile (Cepeda-Gutierrez c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [1998] A.C.F. no 1425 (QL), au paragraphe 14).

 

[9]               Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire portant sur des questions de crédibilité, il convient d’appliquer la norme de contrôle de la décision raisonnable définie par l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9. De sorte que la Cour doit faire montre d’une grande retenue, puisqu’il appartient au Tribunal d’apprécier le témoignage d’un demandeur et d’évaluer sa crédibilité. Si les conclusions du Tribunal sont raisonnables, il n’y a pas lieu d’intervenir. Toutefois, la décision du Tribunal doit s’appuyer sur la preuve; elle ne doit pas être prise arbitrairement sur la base de conclusions de faits erronées ou en ignorant des éléments de preuve importants présentés (Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 100, au paragraphe 38).

 

VI.       Analyse

 

Prétentions des parties

[10]           Les demanderesses reprochent au Tribunal d’avoir erré de façon déraisonnable en ne leur accordant aucune crédibilité et d’avoir totalement ignoré les Directives sur les revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe (« Directives ») ainsi que la preuve documentaire corroborant leur récit.

 

[11]           Le Ministre défend pour sa part les conclusions tirées par le Tribunal de son analyse de la preuve à la lumière de son expertise, et soutient qu’il revenait à la partie demanderesse de fournir la preuve des principaux faits à la base de ses prétentions. Qu’en est-il vraiment?

 

Crédibilité de la demanderesse principale

[12]           Tout au long de sa décision, le Tribunal met en cause la crédibilité de la demanderesse principale:

 

a.       Aucun document produit en preuve pour indiquer que la demanderesse principale et M. Bustos, son ex-conjoint ont fait vie commune ou pour indiquer l’endroit où ils auraient vécu;

b.       Aucun document pour attester que l’ex-conjoint travaillait bien comme agent de l’AFI;

c.       Authenticité des dénonciations du 16 janvier 2007 et du 2 juillet 2007, mise en cause, faute d’explication acceptable de la demanderesse principale pour justifier l’absence sur les deux documents en question de l’ entête de lettre officielle, de l’adresse et du numéro de dossier qui apparaissent généralement sur de tels documents en provenance d’autorités mexicaines.

 

[13]           Le Tribunal pouvait pour les motifs indiqués dans sa décision douter de l’authenticité des documents fournis par la demanderesse principale pour corroborer son témoignage quant aux deux plaintes contre son ex-conjoint pour violence conjugale, déposées auprès des autorités mexicaines. Or, ces plaintes sont à la base même des prétentions de la demanderesse principale quant aux démarches qu’elle aurait entreprises pour rechercher la protection de l’État mexicain.

 

[14]           Les demanderesses prétendent que le Tribunal n’a pas considéré toute la preuve qu’elles lui ont soumise et, qu’en conséquence, sa décision est déraisonnable. Rappelons que le Tribunal est libre de choisir les éléments de preuve qu’il juge importants ou digne de foi. Il ne revient ni à cette Cour et ni aux demanderesses de déterminer les éléments qui affectent ou non leur crédibilité et ceux qu’aurait dû ou non retenir le Tribunal.

 

[15]           De plus, le Tribunal est présumé avoir considéré toute la preuve qu’on lui a présentée (Florea c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.) (QL). Et lorsqu’un Tribunal conclut qu’un revendicateur d’asile n’est pas crédible, comme c’est le cas ici, il n’a pas l’obligation d’expliquer pourquoi il n’accorde aucune valeur probante aux documents qui soutiennent le contraire de ceux qu’il juge non crédibles ou fiables (Ahmad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 471, au par. 26).

 

[16]           Il ne suffit pas à la partie demanderesse d’affirmer que le Tribunal n’a pas considéré toute la preuve. Car ici, contrairement aux allégations des demanderesses, le Tribunal dans sa décision semble bien avoir considéré toutes les pièces qu’on lui a présentées, avec la différence qu’il ne retient pas pour celles-ci le même poids corroboratif que les demanderesses leur accordent.

 

[17]           Les demanderesses prétendent qu’en exigeant une corroboration de leur récit avec des éléments matériels de preuve, le Tribunal les aurait soumises à un fardeau de preuve trop lourd à remplir. Or, cette Cour a décidé de façon constante qu’il revient au demandeur d’asile de fournir des preuves au soutien de ses prétentions lorsque le Tribunal doute de sa crédibilité (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 62, au paragraphe 28). Les demanderesses se devaient en conséquence de renforcer leur crédibilité avec une preuve objective et des explications suffisantes pour satisfaire le doute indiqué par les questions du Tribunal.

 

[18]           Le Tribunal n’était pas tenu d’accepter comme valables à leur face même tous les documents que lui présentaient les demanderesses pour corroborer leur récit. Il pouvait s’interroger sur l’authenticité de certains de ces documents et requérir des explications de la part des demanderesses. Requérir des explications pour dissiper le doute que le Tribunal avait à l’égard de leur histoire n’imposait pas aux demanderesses une obligation de résultat, ni un fardeau excessif puisqu’il leur revenait de convaincre le Tribunal du bien-fondé de leurs prétentions.

 

[19]           En tentant de convaincre la Cour que le Tribunal erre dans les inférences négatives qu’il tire de la preuve et visant leur crédibilité, les demanderesses cherchent à justifier les éléments de preuve que le Tribunal écarte parce qu’il les juge non fiables ou insatisfaisants pour corroborer leur récit. N’oublions pas que les demanderesses ont eu toute l’opportunité de convaincre le Tribunal, mais malheureusement sans succès.

 

[20]           Les demanderesses se contentent dans le présent recours de répéter les mêmes allégations que le Tribunal a déjà appréciées, alors qu’il n’appartient pas à cette Cour de refaire l’exercice du Tribunal et d’apprécier la preuve à nouveau. Et ce d’autant plus que le Tribunal bénéficie d’une expertise et de l’avantage unique d’avoir entendu les demanderesses sur leurs prétentions. Le Tribunal demeure le mieux qualifié pour juger de la crédibilité à accorder au récit des demanderesses.

 

[21]           La Cour doit seulement vérifier si la décision du Tribunal est justifiée et raisonnable, ou déraisonnable comme le prétendent les demanderesses. Les décisions touchant à la crédibilité d’un demandeur constituent "l'essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits" et doivent recevoir une déférence considérable à l'occasion d'un contrôle judiciaire (Dunsmuir, précité). Elles ne sauraient être infirmées à moins qu'elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve (Siad c. Canada (Secrétaire d'État) (C.A.), [1997] 1 C.F. 608, au para. 24). Pour réussir avec leur recours, les demanderesses devaient démontrer à la Cour en quoi et pourquoi la décision attaquée serait déraisonnable, plutôt que de faire une affirmation générale à cet effet et de réitérer les mêmes allégations que celles déjà soumises au Tribunal.

 

[22]           Le Tribunal pouvait tirer des inférences négatives quant à la crédibilité de la demanderesse principale. Ces inférences étaient justifiées par la qualité des éléments de preuve soumis au Tribunal, de sorte que la Cour ne voit pas en quoi et pourquoi ces inférences et la conclusion que le Tribunal en tire sont déraisonnables.

 

[23]           Quant au rapport médical du Dr. de Margerie produit pour corroborer le fait que la demanderesse principale aurait été a de fait été victime de violence conjugale par son ex-conjoint, il ne faut pas lui attribuer plus de valeur qu’il ne faut. Ce rapport se contente de constater que la demanderesse principale souffre présentement d’un symptôme post-traumatique pouvant être attribué à la violence conjugale. Cependant, il s’agit d’un rapport rédigé pour les fins de la cause alors que l’expert médical n’a jamais entendu ni pu apprécier le témoignage de sa patiente ; il se base pour conclure sur ce que la demanderesse a bien voulu lui rapporter. Il revenait toutefois au Tribunal d’évaluer la portée de ce rapport sur la crédibilité de la demanderesse principale; il n’y a rien de déraisonnable pour le Tribunal à tenir comme non corroboratif un rapport non contemporain aux évènements décrits par les demanderesses, et par ailleurs fondé sur des allégations jugées non crédibles.

 

[24]           Les demanderesses reprochent également au Tribunal d’avoir omis de considérer les Directives no 4- Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe, (les Directives) lors de son appréciation du témoignage de la demanderesse principale.

 

[25]           La Cour ayant pris connaissance de la transcription ne partage pas ce reproche. Au contraire, le Tribunal parait avoir fait preuve d’une grande empathie à l’égard des demanderesses, tant sur sa façon de les rassurer que par ses questions. Le Tribunal ne se contente pas dans sa décision d’un récit mécanique des Directives. On voit que le Tribunal met les Directives en pratique au paragraphe 18 de sa décision lorsqu’il accepte comme raisonnable l’explication de la demanderesse principale pour ne pas avoir dévoilé à l’autorité hospitalière de son pays la vraie cause des blessures pour lesquelles elle allait se faire soigner.

 

[26]           De l’avis de la Cour, la preuve justifiait le Tribunal de conclure au manque de crédibilité de la demanderesse principale et de sa mère, et de décider qu’elles n’avaient pas démontré qu’elles se qualifiaient comme réfugiées et personnes à protéger au sens de la Loi, et de rejeter leur demande d’asile.

 

[27]           Par conséquent, la Cour conclut que la décision n’est pas déraisonnable ce qui entraîne le rejet de la demande de révision. Et puisqu’aucune question importante de portée générale n’a été proposée ou mérite de l’être, aucune question ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

 

Juge suppléant

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4201-08

 

INTITULÉ :                                       MARINA HAYDEE BAENA ESPEJEL ET AL.

                                                            c. M.C.I.

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 7 avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      le 5 mai 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alain Joffe

 

POUR LES DEMANDERESSES

Émilie Tremblay

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Alain Joffe

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDERESSES

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal(Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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