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Date : 20090430

Dossier : IMM-1940-08

Référence : 2009 CF 435

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

 

 

ENTRE :

SANDI STRULOVITS

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.  Introduction

[1]               [9]        La demanderesse a essentiellement soutenu que le tribunal, à la majorité, n’a pas apprécié correctement l’ensemble de la preuve, qu’il a omis dans sa décision d’analyser des éléments de preuve pertinents ou qu’il n’a pas tenu compte des diverses explications données par la personne parrainée dans son témoignage. Plus particulièrement, elle soutient que la majorité n’a fait aucun commentaire sur les factures de téléphone, les photos, les affidavits (de l’entremetteur, de la mère de la personne parrainée et de l’une des filles de la demanderesse) et les transferts d’argent fournis à l’appui de l’appel de la demanderesse. Ces omissions révèlent donc que la majorité n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve pertinents pour en arriver à sa décision.

 

[10]      Les arguments du demandeur à l’encontre de la décision rendue par la majorité sont tous, à mon avis, non fondés, et ils ne résistent pas à un examen poussé des motifs. En effet, il était loisible à la SAI de prendre en considération dans sa décision, comme elle l’a fait, la durée de la relation des époux avant leur mariage arrangé, leur différence d’âge, leur ancien état matrimonial et civil, leur situation financière et d’emploi respective, leurs antécédents familiaux, leur connaissance respective du vécu de l’autre (y compris l’âge des filles de la demanderesse et la situation générale de ces dernières), leur langue, leurs intérêts respectifs, le fait que la mère de la personne parrainée, deux de ses frères, des tantes et des cousines vivent en Colombie-Britannique et le fait que la personne parrainée avait tenté de venir au Canada par le passé. Compte tenu de ces facteurs pertinents et déterminants, le seul fait que la décision de la majorité ne mentionnait pas tous les éléments de preuve déposés par la demanderesse ne me permet pas de conclure en l’espèce que la majorité a omis de prendre en considération des éléments de preuve en tirant sa conclusion, tel que l’a allégué la demanderesse.

 

[11]      Aucune observation ou allégation n’a été présentée par la demanderesse, selon laquelle la SAI aurait manqué à un principe de justice naturelle ou omis d’appliquer le bon critère juridique dans l’examen visant à déterminer si la disposition d’exclusion, l’article 4 du Règlement, s’appliquait dans la présente affaire. Essentiellement, la demanderesse enjoint à la Cour d’examiner de nouveau la preuve dont disposait la SAI. La majorité avait de très sérieuses réserves quant à l’authenticité du mariage en raison du manque de compatibilité entre les époux. Elle a également mis en doute l’intention de la personne parrainée de demeurer en permanence avec la demanderesse et conclu que l’intérêt premier de l’époux en entrant au Canada était de rejoindre sa famille nucléaire. Les préoccupations de la majorité sont bien exposées et clairement étayées par la preuve au dossier. De façon générale, je conclus que le raisonnement de la majorité n’est pas abusif ou arbitraire et qu’il appuie sa conclusion finale. Même si j’aurais peut-être tiré une conclusion différente, comme l’a fait la minorité, il n’était pas manifestement déraisonnable de la part de la majorité de la SAI d’en arriver à cette conclusion en se fondant sur la preuve dont elle disposait. (Non souligné dans l’original.)

 

(La décision de la Commission est conforme aux principes juridiques auxquels souscrit la Cour, tels que le juge Luc Martineau les a récemment exposés dans la décision Khera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 632).

 

II.  La procédure judiciaire

[2]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 7 avril 2008 par laquelle la Section d’appel de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse, en application du paragraphe 63(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), à l’encontre du rejet par un agent des visas de la demande parrainée de visa de résident permanent présentée par M. Mohammed Bouamoud.

 

[3]               La demanderesse n’a pas démontré que, en l’espèce, l’intervention de la Cour était justifiée quant à la décision de la Commission, qui a consisté en une simple appréciation des faits et de la crédibilité de M. Bouamoud.

 

III.  Le contexte

[4]               La demanderesse Mme Sandi Strulovits, âgée de 56 ans, est divorcée et sans enfant. Elle est enseignante et son salaire annuel est de 64 000 $.

 

[5]               M. Mohammed Bouamoud est un ressortissant du Maroc âgé de 47 ans. Il exerce la profession, selon ses termes, de « comptable pointeur ». Il travaille à temps partiel et il est francophone.

 

[6]               Ayant demandé un visa de visiteur en 1990, M. Bouamoud est entré une première fois au Canada et il y est demeuré deux ans sans disposer d’un statut. On l’a arrêté pour diverses infractions (vol à l’étalage, fraude, etc.) et on l’a expulsé en février 1992.

 

[7]               M. Bouamoud est revenu illégalement au Canada par Blackpoll en juin 1992, puis il a été reconnu coupable de diverses infractions et a été expulsé de nouveau en septembre 1992.

 

[8]               Encore une fois en avril 1994, M. Bouamoud est revenu illégalement au Canada, puis il a été reconnu coupable de diverses infractions et a été expulsé en août 1994.

 

[9]               À nouveau en novembre 1994, M. Bouamoud est revenu illégalement, il a été reconnu coupable d’une infraction criminelle, puis il a été expulsé en février 1995.

 

[10]           M. Bouamoud est malgré tout revenu illégalement au Canada en 1995 et a été expulsé une nouvelle fois.

 

[11]           Encore une fois de retour illégalement au Canada en 1997, M. Bouamoud, selon ses dires, aurait rencontré Mme Strulovits dans une discothèque en novembre 1997 et aurait cohabité avec elle du jour même de leur rencontre jusqu’en mai 1998. D’après le témoignage de Mme Strulovits, elle et M. Bouamoud auraient commencé à cohabiter après de brèves fréquentations. Ce dernier a de nouveau été expulsé en août 1998.

 

[12]           Mme Strulovits a déclaré dans son témoignage que c’était un policier qui avait arrêté M. Bouamoud qui avait laissé entendre que, si le couple se mariait, elle pourrait parrainer M. Bouamoud et que celui‑ci pourrait demander la résidence permanente.

 

[13]           Mme Strulovits a dit que, de 1998 à 2003, elle avait gardé contact par téléphone avec M. Bouamoud; ce dernier a toutefois d’abord déclaré dans son témoignage, avant de changer sa version des faits, que Mme Strulovits s’était rendue au Maroc chaque année pendant cette période.

 

[14]           De 2003 à 2005, Mme Strulovits est allée cinq fois au Maroc.

 

[15]           Le 25 janvier 2005, M. Bouamoud a obtenu la réhabilitation, en application de la Loi sur le casier judiciaire, L.R. 1985, ch. C‑47, à l’égard des infractions qu’il avait commises au Canada.

 

[16]           En mars 2005, M. Bouamoud a été condamné pour vol et ivresse au Maroc, de sorte qu’il est interdit de territoire au Canada en application de l’alinéa 36(2)b) de la LIPR.

 

[17]           Le 10 août 2005, Mme Strulovits a épousé M. Bouamoud lors d’un voyage au Maroc. Elle est décrite comme chrétienne dans l’acte de mariage.

 

[18]           En décembre 2005, M. Bouamoud a présenté une demande de résidence au Canada à titre de membre de la catégorie du « regroupement familial », demande parrainée par Mme Strulovits.

 

[19]           Le 29 mai 2006, un agent des visas a fait passer une entrevue à M. Bouamoud pour évaluer si son mariage avait bien un caractère authentique.

 

[20]           Pendant l’entrevue, M. Bouamoud a décrit Mme Strulovits comme une catholique non pratiquante et a déclaré qu’il avait rencontré sa famille alors qu’il était au Canada. Il n’a présenté aucune preuve démontrant qu’il écrivait à Mme Strulovits ou qu’il lui faisait des cadeaux.

 

[21]           Le 15 septembre 2006, l’agent des visas en est venu à la conclusion que M. Bouamoud avait contracté mariage avec Mme Strulovits principalement en vue d’obtenir la résidence permanente au Canada, et il a rejeté sa demande de visa.

 

[22]           Le 15 septembre 2006, l’agent des visas a également rejeté la demande au motif que M. Bouamoud était interdit de territoire pour criminalité, du fait de sa déclaration de culpabilité au Maroc.

 

[23]           Le 1er décembre 2006, Mme Strulovits a interjeté appel auprès de la Commission de la décision de l’agent des visas, en application du paragraphe 63(1) de la LIPR.

 

[24]           Le 9 mars 2007, la Commission a informé Mme Strulovits par écrit qu’elle ne pourrait pas prendre en compte des circonstances d’ordre humanitaire.

 

[25]           Le 18 juin 2007, l’audience fixée au 10 août 2007 a été reportée à la demande de Mme Strulovits.

 

[26]           Le 29 janvier 2008, le défendeur a sollicité par requête l’ajout d’un autre motif de refus, soit le fait qu’ayant été expulsé du Canada plusieurs fois, M. Bouamoud ne peut y revenir que s’il y est autorisé en vertu de l’article 52 de la LIPR. La requête a été accueillie le 5 février 2008.

 

[27]           Le 13 février 2008, Mme Strulovits a versé cinq pièces au dossier.

 

[28]           La Commission a instruit l’appel le 27 février 2008.

 

[29]           Mme Strulovits  a soutenu que son mariage était authentique et que suffisamment de raisons d’ordre humanitaire justifiaient, en l’espèce, la prise de mesures spéciales.

 

[30]           La Commission a entendu les dépositions de Mme Strulovits et de M. Bouamoud.

 

[31]           Mme Strulovits  a déclaré dans son témoignage ne pas être intéressée, pour divers motifs, à aller vivre au Maroc.

 

[32]           La seule preuve versée au dossier quant au fait que Mme Strulovits serait restée en contact avec M. Bouamoud, mis à part ses voyages au Maroc, sont les factures de téléphone de juin, d’octobre et de novembre 2006 et d’août 2007.

 

La décision contestée

[33]           La Commission a conclu que Mme Strulovits n’avait « pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que sa relation avec le demandeur n’était pas visée à l’article 4 du RIPR » (Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227), ou en d’autres mots, que la relation était authentique et ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la LIPR. La Commission a fondé sa décision sur les conclusions de fait qui suivent.

a)      Le couple n’a pas pu démontrer l’intention véritable de M. Bouamoud de contracter mariage vu la preuve, y compris son propre témoignage, démontrant de manière probante qu’il avait vécu et travaillé illégalement au Canada et qu’il en avait été expulsé à plusieurs reprises.

b)      Pendant leur prétendue cohabitation en 1997 et 1998, M. Bouamoud n’a pas dit à Mme Strulovits qu’il vivait illégalement au Canada.

c)      Pendant toute cette période, Mme Strulovits n’a pas appris que M. Bouamoud avait dans le passé été expulsé du Canada et qu’il avait un casier judiciaire.

d)      Aucun ami, aucun voisin et pratiquement aucun membre de la famille, sauf les parents et une sœur de M. Bouamoud ainsi qu’une enfant adoptée par la famille, n’a assisté à la célébration du mariage, malgré qu’il se soit agi du premier mariage, à l’âge de 43 ans, de M. Bouamoud.

e)      Il n’y a pas eu de réception de mariage, si modeste soit‑elle.

f)        Il était invraisemblable qu’on ait décrit Mme Strulovits comme une chrétienne dans l’acte de mariage.

g)      Pendant son entrevue avec l’agent des visas, M. Bouamoud a décrit Mme Strulovits comme une catholique, et la Commission n’a pas cru ce dernier lorsqu’il a nié avoir dit cela à l’agent.

h)      La différence d’âge et de religion a été prise en compte.

i)        M. Bouamoud a déclaré souhaiter avoir des enfants lors de son témoignage et il était invraisemblable, au vu de la preuve au dossier, que Mme Strulovits puisse avoir des enfants à son âge.

 

IV.  Les questions en litige

[34]           (1) La Commission a-t-elle fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

(2) Bien que Mme Strulovits ait fait valoir la décision Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1372, 143 A.C.S.W. (3d) 736, la Commission a-t-elle eu tort de prendre en considération la différence d’âge?

 

V.  L’analyse

            Les dispositions législatives pertinentes

[35]           Le paragraphe 12(1) de la LIPR prévoit ce qui suit :

Sélection des résidents permanents

 

Regroupement familial

 

12.      (1) La sélection des étrangers de la catégorie « regroupement familial » se fait en fonction de la relation qu’ils ont avec un citoyen canadien ou un résident permanent, à titre d’époux, de conjoint de fait, d’enfant ou de père ou mère ou à titre d’autre membre de la famille prévu par règlement.

 

Selection of Permanent Residents

 

Family reunification

 

12.      (1) A foreign national may be selected as a member of the family class on the basis of their relationship as the spouse, common-law partner, child, parent or other prescribed family member of a Canadian citizen or permanent resident.

 

 

 

 

(Non souligné dans l’original.).

 

[36]           L’article 4 du RIPR prévoit ce qui suit:

Mauvaise foi

 

4.  Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait, le partenaire conjugal ou l’enfant adoptif d’une personne si le mariage, la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux ou l’adoption n’est pas authentique et vise principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège aux termes de la Loi.

 

Bad faith

 

4.  For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner, a conjugal partner or an adopted child of a person if the marriage, common-law partnership, conjugal partnership or adoption is not genuine and was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act.

(Non souligné dans l’original.)

 

[37]           Le paragraphe 63(1) de la LIPR prévoit ce qui suit :

Droit d’appel : visa

 

 

63.      (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent.

 

Right to appeal — visa refusal of family class

 

63.      (1) A person who has filed in the prescribed manner an application to sponsor a foreign national as a member of the family class may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision not to issue the foreign national a permanent resident visa.

 

[38]           Le paragraphe 65(1) de la LIPR prévoit ce qui suit :

Motifs d’ordre humanitaires

 

 

65.      Dans le cas de l’appel visé aux paragraphes 63(1) ou (2) d’une décision portant sur une demande au titre du regroupement familial, les motifs d’ordre humanitaire ne peuvent être pris en considération que s’il a été statué que l’étranger fait bien partie de cette catégorie et que le répondant a bien la qualité réglementaire.

 

Humanitarian and compassionate considerations

 

65.      In an appeal under subsection 63(1) or (2) respecting an application based on membership in the family class, the Immigration Appeal Division may not consider humanitarian and compassionate considerations unless it has decided that the foreign national is a member of the family class and that their sponsor is a sponsor within the meaning of the regulations.

 

[39]           Le paragraphe 67(1) de la LIPR prévoit ce qui suit :

Fondement de l’appel

 

67.      (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

 

 

 

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

 

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

 

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

Appeal allowed

 

67.      (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

 

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

 

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

 

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

La norme de contrôle

[40]           Tel qu’il a été déclaré dans une décision récente, la norme de contrôle applicable lorsqu’on a affaire à une appréciation des faits est celle de la raisonnabilité :

V. La norme de contrôle

 

[15]      Les deux premières questions visent en fin de compte une question de fait, à savoir si le mariage est authentique. Il s’agit d’un « fait attributif de compétence» assujetti à la même norme de contrôle que les autres questions de fait. En concluant que le mariage a été contracté principalement en vue d’être admis au Canada, la SAI a exclu l’épouse du demandeur (la répondante) de la catégorie du regroupement familial. Essentiellement, les deux questions sont donc factuelles, ce qui signifie que la SAI doit apprécier la preuve présentée par le demandeur. Comme la SAI avait accès à la preuve verbale, sa décision commande un niveau élevé de retenue judiciaire.

 

[16]      Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (CanLII), 2008 CSC 9, la Cour suprême a estimé que « […] en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s'applique généralement. De nombreuses questions de droit commandent l'application de la norme de la décision correcte, mais certaines d'entre elles sont assujetties à la norme plus déférente de la raisonnabilité » (au paragraphe 51). La Cour conclut que compte tenu du contexte dans lequel la troisième question a été soulevée, celle-ci commande l’application de la norme de la raisonnabilité.

 

[17]      De plus, on peut lire au paragraphe 55 de l’arrêt Dunsmuir :

 

[55] Les éléments suivants permettent de conclure qu’il y a lieu de déférer à la décision et d’appliquer la norme de la raisonnabilité :

Une clause privative : elle traduit la volonté du législateur que la décision fasse l’objet de déférence.

Un régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale […]

La nature de la question de droit. Celle qui revêt « une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise » du décideur administratif appelle toujours la norme de la décision correcte […]. Par contre, la question de droit qui n’a pas cette importance peut justifier l’application de la norme de la raisonnabilité lorsque sont réunis les deux éléments précédents

 

 

[18]      En tenant compte des facteurs susmentionnés, ainsi que de la nature factuelle des présentes questions en litige et de l’expertise particulière de la SAI, la Cour conclut que la norme de contrôle est celle de la raisonnabilité. Selon cette norme, l’analyse faite par la Cour de la décision de la Commission portera sur « la justification de la décision, [...] la transparence et [...] l'intelligibilité du processus décisionnel, [ainsi qu’à] […] l'appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47).

 

[19]      À moins que la Cour ne soit convaincue que la SAI a fondé sa conclusion sur des considérations dénuées de pertinence ou « n’a pas tenu compte » d’éléments de preuve importants, elle ne devrait pas substituer son point de vue à celui de la SAI au sujet de la crédibilité, car une audience a été tenue et la SAI a eu l’avantage d’entendre les témoins. (Grewal c. Canada (M.I.C.), 2003 CF 960; Jaglal c. Canada (M.I.C.), 2003 CFPI 685; Singh c. Canada (M.I.C.), 2002 CFPI 347.

 

(Thach c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 658, [2008] A.C.F. n° 834 (QL).

 

            Les conclusions de fait erronées et les éléments de preuve non pris en compte

[41]           Mme Strulovits soutient que le refus de la Commission se fondait sur des conclusions de fait erronées qu’elle a tirées sans tenir compte d’éléments dont elle disposait ou qu’elle a tirées en fonction de considérations non pertinentes.

 

[42]           Or, la décision de la Commission est conforme aux principes juridiques auxquels souscrit la Cour, tels que le juge Luc Martineau les a récemment exposés dans la décision Khera, précitée.

 

[43]           Contrairement à ce qu’allègue Mme Strulovits, on peut constater en lisant les motifs de la décision que la Commission a bel et bien justifié par de nombreux motifs sa conclusion selon laquelle on n’avait pas affaire à un mariage véritable (motifs et décision, dossier certifié, page 6).

 

[44]           Le fait que M. Bouamoud ait tenté à de nombreuses reprises d’entrer au Canada, qu’il y ait vécu illégalement et qu’il en ait été renvoyé à plusieurs occasions constituait assurément un facteur pertinent au regard de sa crédibilité.

 

[45]           Quant à la conclusion fondée sur l’absence de réception de mariage convenablement rendue publique, tant Mme Strulovits que M. Bouamoud ont eu l’occasion de témoigner sur le sujet et cette dernière a choisi de ne pas aborder la question, bien que le fardeau de preuve lui incombait (procès‑verbal de l’audience, dossier certifié, pages 248-249 et 305-306).

 

[46]           Pour ce qui est de la conclusion fondée sur l’ignorance par M. Bouamoud de la religion de Mme Strulovits, cette fois encore la question a été soulevée à l’audience et la réponse donnée n’a pas su convaincre la Commission (procès-verbal de l’audience, dossier certifié, pages 295 et 296).

 

[47]           La crédibilité est en cause lorsqu’une personne, censée en connaître une autre depuis dix ans et lui être mariée, ignore un fait aussi fondamental. La conclusion à cet égard n’était assurément pas déraisonnable.

 

Les facteurs pris en compte

[48]           Mme Strulovits fait également valoir la décision Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1372, 145 A.C.W.S. (3d) 736, rendue par le juge Paul Rouleau en 2005 pour soutenir qu’il n’était pas loisible à la Commission de prendre en compte la différence d’âge.

 

[49]           Comme l’a toutefois déclaré le juge Martineau dans la décision Khera, précitée, la différence d’âge est un facteur pertinent à prendre en compte pour se prononcer sur le caractère véritable d’un mariage.

 

[50]           Le juge Rouleau a en outre conclu dans la décision Khan, précitée, que puisque l’agent d’immigration doutait du caractère véritable du mariage en raison de facteurs comme la différence d’âge et de religion, il aurait dû en établir l’authenticité en faisant passer une entrevue :

[20]      Toutefois, malgré le fait qu'une entrevue n'est pas nécessaire dans tous les cas, la décision soulève certaines questions qui n'ont pas été traitées de manière raisonnable par l'agent. Je suis d'avis que le demandeur n'a pas bénéficié d'une « participation valable » (Baker, précité) en ce qui a trait à la défense de l'authenticité de son mariage. En l'espèce, l'agent a traité la preuve présentée devant lui de façon abusive et arbitraire en conjecturant sur l'authenticité du mariage. Il a mis en question le moment et les circonstances du mariage du demandeur en s'appuyant sur quatre facteurs principaux : i) la différence d'âge, ii) la différence d'ordre religieux, iii) la hâte avec laquelle le demandeur et sa répondante se sont mariés et iv) la nature professionnelle (plutôt que personnelle) de la propriété conjointe du restaurant.

 

[21]      L'agent conclut que le mariage est valide, mais non authentique; il a cependant tiré sa conclusion voulant que le mariage n'est pas authentique sans avoir fait passer une entrevue au demandeur. Chacun des quatre facteurs sur lesquels repose la conclusion de l'agent peut être invoqué en faveur de l'authenticité du mariage. Je traiterai brièvement de chacun des facteurs pour démontrer qu'en l'absence de preuve contraire, il y a lieu de maintenir la présomption de l'authenticité d'un mariage valide.

 

[22]      Le premier facteur, en l'occurrence la différence d'âge, ne saurait être considéré comme favorable ou défavorable à l'authenticité du mariage. La différence d'âge ne révèle pas en soit que le mariage n'est pas authentique. Si le demandeur avait eu l'intention de conclure un mariage valide mais non authentique, il pourrait alléguer qu'il n'aurait pas jeté son dévolu sur une femme bien plus âgée que lui. On peut soutenir que la différence d'âge est un facteur favorable à l'authenticité d'un mariage. La seule façon de bien établir l'authenticité du mariage consiste à faire passer une entrevue.

 

[23]      Le même argument vaut pour le deuxième facteur, soit la différence d'ordre religieux. Si le demandeur avait eu l'intention de conclure un mariage valide mais non authentique, il aurait pu jeter son dévolu sur une jeune musulmane chiite. Selon l'agent, un mariage avec une jeune musulmane chiite serait plus authentique qu'un mariage avec une sikhe. Les facteurs relatifs à l'âge et à la religion ne sauraient être considérés comme défavorables à l'authenticité du mariage. Il ne convient pas de considérer la différence d'ordre religieux comme défavorable à l'authenticité du mariage, tout particulièrement au sein d'une société canadienne multiculturelle qui s'est engagée à respecter le credo « unité dans la diversité ». Sans une entrevue, la différence d'ordre religieux n'est pas un doute valable en l'espèce

 

[24]      Le troisième facteur, soit la hâte avec laquelle le demandeur et sa répondante se sont mariés, fait partie de la même catégorie que les deux premiers facteurs : des considérations non pertinentes en l'absence d'une entrevue. Comme il n'a pas eu l'occasion de justifier la hâte du mariage, le demandeur n'a pas eu droit à un traitement équitable en l'espèce.

 

[25]      Enfin, le quatrième facteur pris en considération par l'agent, soit la nature professionnelle de la relation d'affaire, n'est rien d'autre qu'une conjecture de la part de l'agent. L'agent a manqué à son devoir d'équité en n'accordant pas une entrevue au demandeur et en ne lui donnant pas l'occasion de défendre l'authenticité de son mariage.

 

[26]      Comme l'agent a manqué à son obligation d'équité en examinant la preuve quant à l'authenticité du mariage de façon abusive ou arbitraire et en n'accordant pas une entrevue au demandeur, je suis d'avis qu'il y a lieu d'accueillir la demande de contrôle judiciaire. (Non souligné dans l’original.)

 

[51]           Enfin, dans la décision Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 565, 148 A.C.W.S. (3d) 465, la juge Judith Snider s’est écartée comme suit de la décision Khan :

[14]      Le demandeur n’a pas eu d’audience ou d’entrevue avec l’agente. Il soutient que l’agente a violé son obligation d’équité procédurale en examinant les preuves concernant le caractère authentique de la relation sans lui accorder d’entrevue. Le demandeur invoque sur ce point la décision Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1372, [2005] A.C.F. no 1688 (QL), dans laquelle la Cour a jugé qu’étant donné que l’agent avait des doutes au sujet de la légitimité du mariage, il aurait dû accorder au demandeur une entrevue pour qu’il puisse participer utilement à la défense de l’authenticité de sa relation (en particulier aux paragraphes 20 et 26). Le demandeur demande que le même raisonnement soit appliqué ici.

 

[15]      Dans l’arrêt Baker, précité, au paragraphe 34, la Cour suprême a clairement déclaré qu’une entrevue n’est pas une exigence générale pour les décisions fondées sur des motifs d’ordre humanitaire. La Cour a jugé dans l’arrêt Baker que la possibilité de produire une documentation écrite complète concernant tous les aspects de la demande remplissait les exigences en matière de droits de participation que commande l’obligation d’équité. Le demandeur admet que dans la plupart des cas, une entrevue n’est pas exigée.

 

[16]      Tel que l’interprète le demandeur, la décision Khan permettrait d’affirmer qu’une entrevue est exigée chaque fois que la légitimité d’un mariage ou d’une union de fait est mise en doute. Cette interprétation ne tient pas compte de l’arrêt Baker et ne peut être la bonne. Il convient de lire la décision Khan à la lumière de ses faits. À mon avis, les faits de la présente espèce ne sont pas comparables à ceux de l’affaire Khan, dans laquelle l’agent s’était fondé sur des éléments très hypothétiques ou non pertinents.

 

[52]           En l’espèce, non seulement l’agent des visas a-t-il fait passer une entrevue à M. Bouamoud, mais ce dernier et Mme Strulovits ont aussi eu l’occasion de témoigner devant la Commission; cet élément rend la situation de fait sensiblement différente de celle en cause dans la décision Khan invoquée par Mme Strulovits.

 

VI.  Conclusion

[53]           Mme Strulovits n’a pas démontré que la décision était fondée sur une conclusion de fait erronée, ni qu’elle a été tirée par la Commission de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait.

 

[54]           Pour tous les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 

 

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

 

« Michel M.J. Shore »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

DOSSIER :                                       IMM-1940-08

 

INTITULÉ :                                      SANDI STRULOVITS

                                                           c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :              Le 22 avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                             LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                      Le 30 avril 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

William Sloan

 

POUR LA DEMANDERESSE

Michèle Joubert

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

William Sloan

Montréal (Québec)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

 

 

 

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