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Date : 20090424

Dossier : T-625-08

Référence : 2009 CF 411

Ottawa (Ontario), le 24 avril 2009

En présence de monsieur le juge Beaudry

 

 

ENTRE :

MOHAMMAD REZA GHAHREMANI

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté par le demandeur, Mohammad Reza Ghahremani, en vertu du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi), à l’encontre de la décision, datée du 7 mars 2008, par laquelle le juge de la citoyenneté, John K.S. Koulouras (le juge), a rejeté sa demande de citoyenneté. Le demandeur se représente lui-même.

 

Résumé des faits

[2]               Le demandeur est un citoyen de l’Iran qui a obtenu le droit d’établissement au Canada le 14 mars 2000. Il a déposé une demande de citoyenneté canadienne le 14 mai 2006.

 

[3]               Le demandeur a vécu au Canada du 14 mars 2000 au 11 mars 2002, date à laquelle il a quitté le Canada en raison d’une dépression extrême. Il est retourné dans son pays d’origine où il a été traité par un psychologue pour sa dépression, et où il a ensuite consulté un cardiologue pour ses problèmes cardiaques.

 

[4]               Sa dépression s’est améliorée grâce aux traitements du psychologue, mais il en est venu par la suite à s’inquiéter au sujet de son épouse et de ses enfants après avoir entendu que celle-ci avait apparemment demandé le divorce et marié son ami. Il a fait une crise cardiaque et a ensuite subi un pontage coronarien. En raison de son nouvel état de santé, sa dépression s’est aggravée.

 

[5]               Dans les sept mois qui ont suivi sa chirurgie cardiaque, le demandeur s’est inquiété pour sa fille car il n’a reçu aucune nouvelle d’elle.  Il a décidé de faire une demande pour revenir au Canada et sa demande a été acceptée. Il est revenu au Canada le 21 décembre 2005 et a alors appris que sa fille aînée était devenue paralysée à la suite d’un accident de la route.

 

[6]               Le demandeur vit au Canada depuis son retour au pays.

 

Décision contestée

[7]               En appliquant le critère de la présence effective pour déterminer la résidence, le juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur ne satisfaisait pas aux conditions de résidence prévues par la Loi.

 

[8]               Dans le cas du demandeur, la période de quatre ans en cause pour établir la résidence se situe entre le 14 mai 2002 et le 14 mai 2006, pour un total de 1 460 jours. Le demandeur a déclaré avoir été absent du Canada pendant 1 303 jours, ce qui donne 157 jours de présence effective.

 

[9]               À l’audience présidée par le juge de la citoyenneté, le demandeur a fourni la liste des renseignements demandés pour valider ses déclarations de résidence au Canada et le juge de la citoyenneté lui a rappelé qu’il lui incombait de le convaincre qu’il répondait aux exigences de la Loi (Maharatnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 96 A.C.W.S. (3d) 198, [2000] A.C.F. n405 (C.F. 1re inst.) (QL)).

 

[10]           Le juge de la citoyenneté a fait observer qu’il y a une jurisprudence portant qu’il n’est pas obligatoire que le demandeur de la citoyenneté ait été effectivement présent au Canada pendant la période entière de 1 095 jours lorsque des circonstances spéciales ou exceptionnelles sont présentes. Cependant, selon le juge, une trop longue absence du Canada, bien que temporaire, durant la période minimale de résidence prescrite par la Loi, comme c’est le cas en l’espèce, est contraire à l’objet pour lequel des conditions de résidence ont été établies. En effet, la Loi permet déjà à une personne qui a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent de ne pas résider au Canada pendant l’une des quatre années précédant la date de sa demande de citoyenneté.

 

[11]           En se fondant sur la preuve et sur un examen attentif de tous les documents présentés à l’appui de sa demande, le juge de la citoyenneté a conclu que le demandeur n’avait pas satisfait à la condition prévue à l’alinéa 5(1)c) de la Loi.

 

[12]           Le juge a conclu que le demandeur avait été absent du Canada pendant 1 303 jours au cours de la période de quatre ans en cause et qu’il avait passé plus de temps à l’étranger qu’au pays. Il lui manquait 938 jours sur les 1 460 jours exigés par la Loi, et les documents qu’il a fournis ne prouvaient pas sa présence effective au Canada.

 

[13]           Avant de décider de rejeter sa demande, le juge s’est demandé, conformément au paragraphe 15(1) de la Loi, s’il devait faire une recommandation favorable en application des paragraphes 5(3) et (4). Le demandeur n’a produit aucun document permettant au juge de faire une  recommandation favorable à l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Après avoir examiné attentivement toutes les circonstances de la situation du demandeur, le juge de la citoyenneté a décidé qu’il n’y avait aucune raison de faire une telle recommandation.

 

Question en litige

[14]           La présente demande soulève la question suivante : La décision du juge de la citoyenneté est-elle déraisonnable?

 

[15]           Le présent appel sera rejeté pour les motifs qui suivent.

 

Dispositions législatives pertinentes

[16]           L’article 21 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C., 1985, ch. F-7 et le paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté confèrent au demandeur le droit d’interjeter appel de la décision d’un juge de la citoyenneté :

21. La Cour fédérale a compétence exclusive en matière d’appels interjetés au titre du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté.

21. The Federal Court has exclusive jurisdiction to hear and determine all appeals that may be brought under subsection 14(5) of the Citizenship Act.

 

14. (5) Le ministre et le demandeur peuvent interjeter appel de la décision du juge de la citoyenneté en déposant un avis d’appel au greffe de la Cour dans les soixante jours suivant la date, selon le cas :

 

 

a) de l’approbation de la demande;

 

 

b) de la communication, par courrier ou tout autre moyen, de la décision de rejet.

 

14. (5) The Minister or the applicant may appeal to the Court from the decision of the citizenship judge under subsection (2) by filing a notice of appeal in the Registry of the Court within sixty days after the day on which

 

(a) the citizenship judge approved the application under subsection (2); or

 

(b) notice was mailed or otherwise given under subsection (3) with respect to the application.

 

[17]           Les conditions de résidence sont établies à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté :

 

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

 

 

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

 

 

 

 

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

 

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

 

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

[18]           Les circonstances spéciales ou exceptionnelles que le juge de la citoyenneté peut prendre en considération sont énumérées aux paragraphes 5(3) et 5(4) de la Loi sur la citoyenneté :

 

5. (3) Pour des raisons d’ordre humanitaire, le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’exempter :

a) dans tous les cas, des conditions prévues aux alinéas (1)d) ou e);

 

b) dans le cas d’un mineur, des conditions relatives soit à l’âge ou à la durée de résidence au Canada respectivement énoncées aux alinéas (1)b) et c), soit à la prestation du serment de citoyenneté;

 

 

c) dans le cas d’une personne incapable de saisir la portée du serment de citoyenneté en raison d’une déficience mentale, de l’exigence de prêter ce serment.

 

5. (3) The Minister may, in his discretion, waive on compassionate grounds,

 

(a) in the case of any person, the requirements of paragraph (1)(d) or (e);

 

(b) in the case of a minor, the requirement respecting age set out in paragraph (1)(b), the requirement respecting length of residence in Canada set out in paragraph (1)(c) or the requirement to take the oath of citizenship; and

 

(c) in the case of any person who is prevented from understanding the significance of taking the oath of citizenship by reason of a mental disability, the requirement to take the oath.

 

5. (4) Afin de remédier à une situation particulière et inhabituelle de détresse ou de récompenser des services exceptionnels rendus au Canada, le gouverneur en conseil a le pouvoir discrétionnaire, malgré les autres dispositions de la présente loi, d’ordonner au ministre d’attribuer la citoyenneté à toute personne qu’il désigne; le ministre procède alors sans délai à l’attribution.

5. (4) In order to alleviate cases of special and unusual hardship or to reward services of an exceptional value to Canada, and notwithstanding any other provision of this Act, the Governor in Council may, in his discretion, direct the Minister to grant citizenship to any person and, where such a direction is made, the Minister shall forthwith grant citizenship to the person named in the direction.

 

 

Analyse

Norme de contrôle

[19]           La question de savoir si le demandeur a établi qu’il avait été effectivement présent au Canada pour une durée de 1 095 jours est une question de fait. La conclusion du juge sur ce point est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable qui a récemment été énoncée (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190; Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 763, [2008] A.C.F. no 964 (QL)).

 

La décision du juge de la citoyenneté est-elle raisonnable?

[20]           Le demandeur affirme qu’il est retourné en Iran à cause de ses problèmes de santé et de sa dépression. Il a tenté de se suicider à deux reprises, mais il a abandonné l’idée en pensant à ses enfants et n’a jamais perdu espoir dans les moments difficiles.

 

[21]           Il explique qu’il a obtenu une licence d’ingénieur du Professional Engineers Ontario (PEO) le 15 avril 2008. Il a également réussi l’examen de la National Board Commission pour devenir inspecteur des chaudières et des réservoirs sous pression le 12 décembre 2008. Il souhaite poursuivre ses études en génie mécanique et obtenir une maîtrise de l’Université Ryerson dans ce domaine.

 

[22]           Le 2 décembre 2008, le demandeur a également été jugé admissible au Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (le POSPH) compte tenu de ses problèmes cardiaques et de sa dépression. Il indique que sa dépression s’améliore, en particulier du fait qu’il a obtenu une licence d’ingénieur et qu’il a réussi l’examen de la National Board Commission.

 

[23]           Lorsqu’il a présenté sa demande de citoyenneté canadienne, le demandeur a présumé que les deux années qu’il avait vécu au Canada, de mars 2000 à mars 2002, et le fait qu’il vivait au Canada depuis décembre 2005 suffiraient à lui donner la possibilité de devenir citoyen canadien.

 

[24]           Le demandeur est très résolu à contribuer à la société canadienne et il précise qu’en lui attribuant la citoyenneté, il sera plus à même de prendre soin de ses deux filles.

 

[25]           Le défendeur explique que la Cour a effectivement établi deux genres de critères de résidence : l’un quantitatif et l’autre qualitatif. Le premier critère oblige le demandeur à être effectivement présent au Canada durant un total de trois ans, calculé selon un comptage rigoureux de jours, tel qu’énoncé dans Pourghasemi (Re) (1993), 62 F.T.R. 122, 39 A.C.W.S. (3d) 251 (C.F. 1re inst). Le deuxième critère interprète la notion de résidence d’une manière plus contextuelle et plus souple, puisque le demandeur doit alors justifier de liens étroits avec le Canada ou avoir centralisé son mode d’existence au Canada, tel qu’énoncé dans Loi sur la citoyenneté et Antonios E. Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.) ou Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.) (voir aussi Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 164 F.T.R. 177, 87 A.C.W.S. (3d) 432).

 

[26]           Le juge de la citoyenneté a la prérogative d’adopter l’approche qui lui convient au moment de déterminer si un demandeur satisfait aux conditions de la Loi en matière de résidence (Rizvi c. Canada, 2005 CF 1641, au paragraphe 12, 144 A.C.W.S. (3d) 608; voir également Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 390, au paragraphe 18, 166 A.C.W.S. (3d) 220).

 

[27]           Le défendeur soutient que le juge de la citoyenneté a montré dans ses motifs qu’il était conscient que, selon la jurisprudence de la Cour, la présence effective n’était pas obligatoire. Pourtant, le juge a choisi d’appliquer le critère de la présence effective énoncé dans Pourghasemi (Re), précitée. Il pouvait rendre une telle décision.

 

[28]           La Cour a reconnu, tout comme le juge de la citoyenneté, que la jurisprudence crée une forte inférence que la présence au Canada au cours de trois des quatre ans doit être prolongée (Rizvi, précitée, au paragraphe 12; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Lu, 2001 CFPI 640, au paragraphe 7, 106 A.C.W.S. (3d) 786; Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 197 F.T.R. 225, au paragraphe 9, 101 A.C.W.S. (3d) 691).

 

[29]           La décision du juge de la citoyenneté selon laquelle le demandeur n’a été effectivement  présent au Canada que pendant 157 jours au cours de la période applicable de quatre ans est étayée par la preuve. Cette décision était raisonnable et l’intervention de la Cour est injustifiée.

 

[30]           En outre, le demandeur demande à la Cour de tenir compte de renseignements sur sa résidence postérieurs à la date de sa demande de citoyenneté. Cependant, aux fins du présent appel, la seule période visée est celle de quatre ans commençant le 14 mai 2002 et se terminant le 14 mai 2006.

 

[31]           Enfin, le demandeur demande à la Cour de lui attribuer la citoyenneté canadienne. Cependant, la Cour ne possède pas la compétence pour rendre une telle ordonnance (Zhang, précitée, aux paragraphes 11 à 14).

 

[32]           Dans Lam, précitée, le juge Lutfy, plus tard juge en chef, a écrit au paragraphe 14 :

[…] À mon avis, le juge de la citoyenneté peut adhérer à l’une ou l’autre des écoles contradictoires de la Cour, et, s’il appliquait correctement aux faits de la cause les principes de l’approche qu’il privilégie, sa décision ne serait pas erronée […]

 

[33]           Dans l’affaire qui nous occupe, le juge a décidé d’appliquer le critère de la présence effective. La Cour conclut que, compte tenu des faits de l’espèce, la décision est fondée en fait et en droit et qu’elle est donc raisonnable.

JUGEMENT

LA COUR STATUE que l’appel est rejeté.

 

« Michel Beaudry »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

 

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T-625-08

 

INTITULÉ :                                       MOHAMMAD REZA GHAHREMANI

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE

L’IMMIGRATION

                                                           

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 21 avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 24 avril 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Mohammad Reza Ghahremani                                                  POUR LE DEMANDEUR

(se représente lui-même)

 

Jennifer Dagsvik                                                                       POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Sans objet                                                                                POUR LE DEMANDEUR

 

 

John H. Sims, c.r.                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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