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Date : 20090423

Dossier : T‑152‑08

Référence : 2009 CF 407

Ottawa (Ontario), le 23 avril 2009

En présence de Monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

ABDUR-RASHID BALOGUN

demandeur

et

 

SA MAJESTÉ LA REINE et

LE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée par M. Abdur‑Rashid Balogun en vue du contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP) a rejeté, en vertu du sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H‑6 (la Loi), le 10 janvier 2008, la plainte qu’il avait déposée en matière de droits de la personne à l’encontre des Forces canadiennes (les FC). M. Balogun n’est pas représenté par un avocat.

 

HISTORIQUE

 

[2]               M. Balogun est un musulman de race noire d’origine africaine. Il a fait des études universitaires et il détient un baccalauréat en sciences, avec majeure en comptabilité, de l’Université du Minnesota, à Moorhead (Minnesota), une maîtrise en administration des affaires de l’Université de la Californie et un doctorat en administration des affaires, avec désignation en comptabilité, de l’Université de la Californie. M. Balogun est également titulaire d’un diplôme de droit.

 

[3]               M. Balogun a visité le 25e Bataillon des services (Toronto) au mois de février 2001 en vue de présenter une demande d’emploi à titre d’officier de la Réserve des Forces canadiennes. On l’a renvoyé au capitaine du Bataillon, qui a tenté de le convaincre de présenter une demande à titre de militaire du rang (MR) plutôt qu’à titre d’officier, en mentionnant les conditions rigoureuses qu’il fallait remplir et le temps que cela pouvait prendre.

 

[4]               Au mois d’avril 2001, lors d’une réception au Centre de recrutement des Forces canadiennes, Toronto (le CRFC Toronto), pendant que M. Balogun attendait que le caporal‑chef Cook l’inscrive, un préposé à l’accueil lui a conseillé de renoncer à la demande qu’il avait présentée en tant qu’officier et de présenter une demande à titre de MR. Le préposé aurait apparemment dit à M. Balogun que son dossier ne serait pas approuvé à cause des [traduction] « difficultés auxquelles faisaient face les membres de minorités visibles à titre d’officiers ».

 

[5]               Au mois de mai 2001, à la suite d’un test d’aptitude, le caporal‑chef Cook a informé M. Balogun que la procédure, dans le cas d’une demande à titre d’officier, était lente et longue et que, même si M. Balogun se voyait offrir un poste d’officier sous condition, son dossier demeurerait en suspens tant qu’il n’obtiendrait pas de l’Université de Toronto une évaluation de ses diplômes états‑uniens.

 

[6]               Au mois de juin 2001, M. Balogun a appelé le personnel du CRFC, Toronto, pour l’informer des exigences relatives à l’obtention de ses relevés de notes officielles. Il faudrait au moins 90 jours pour obtenir les relevés et le coût dépassait 150 $ (honoraires d’avocat et frais de l’université).

 

[7]               Au mois de juillet 2001, M. Balogun a appelé le personnel du CRFC pour lui faire savoir qu’il avait reçu ses relevés de notes officielles des universités états‑uniennes où il avait effectué des études et qu’il avait entamé le processus des autres exigences. On lui a dit que, à cause d’une nouvelle politique, il devait se présenter pour obtenir un formulaire de références personnelles, ce qu’il a fait.

 

[8]               Au mois d’août 2001, M. Balogun a reçu un appel; l’interlocuteur lui demandait d’apporter sa carte de citoyenneté au CRFC, Toronto. Il a fait savoir qu’il n’avait pas la carte à ce moment‑là parce qu’il l’avait envoyée à Citoyenneté et Immigration Canada dans le cadre d’une demande de carte de citoyenneté pour son fils. M. Balogun a mis cette exigence en question parce que son passeport canadien et d’autres pièces d’identité avaient été copiés et vérifiés. Le CRFC a informé M. Balogun qu’il s’agissait de la politique normale.

 

[9]               Au mois de septembre 2001, M. Balogun a soumis sa carte de citoyenneté au CRFC, Toronto, et on l’a informé que son dossier manquait, mais que les renseignements le concernant figuraient à l’ordinateur. On lui a alors dit que le CRFC aurait besoin de ses relevés d’études secondaires. On a fait remarquer à l’officier qui avait demandé les relevés d’études secondaires que ces relevés n’étaient pas nécessaires. L’officier qui avait commis l’erreur aurait apparemment dit qu’il serait préférable pour M. Balogun de présenter une demande de MR, à défaut de quoi il devrait continuer à satisfaire aux exigences.

 

[10]           Au mois de novembre 2001, M. Balogun a reçu un appel téléphonique du capitaine Wade Sett, du 25e Bataillon des services (Toronto), l’informant qu’il était maintenant chargé du recrutement et qu’il voulait savoir où en était la demande. Le capitaine Sett a par la suite appelé M. Balogun pour l’informer que son dossier était fermé et qu’il essaierait de le rouvrir. M. Balogun a reçu le rapport d’évaluation des diplômes de l’université de Toronto et l’a soumis au CRFC, Toronto. Un caporal non identifié a confirmé que le dossier de M. Balogun était fermé et, après 45 minutes d’attente, il est retourné informer M. Balogun que le dossier manquait encore une fois. Toutefois, le caporal a accepté le rapport d’évaluation.

 

[11]           Au mois de décembre 2001, le capitaine Sett a informé M. Balogun qu’il ne pouvait pas rouvrir son dossier. M. Balogun s’est plaint au MDN par l’entremise de D‑Net.

 

[12]           Au mois de février 2002, le capitaine Howard, du CRFC, Toronto, a rouvert le dossier de M. Balogun en indiquant qu’aucune de ses visites n’était mentionnée et qu’il y avait récemment eu certains changements au sein de l’unité. Le capitaine Howard a informé M. Balogun qu’il faudrait au moins six mois pour obtenir une habilitation préalable de sécurité et que, dans l’intervalle, aucune entrevue ne pouvait être organisée. M. Balogun a répondu qu’il n’était pas surpris que la mention [traduction] « aucun autre contact » figure dans son dossier étant donné que le dossier avait été égaré à deux reprises.

 

[13]           Le 17 juillet 2002, M. Balogun a eu une entrevue avec le capitaine Thompson (Force aérienne), du CRFC, Toronto, après que son habilitation de sécurité et que les vérifications de la fiabilité eurent été reçues. Le capitaine Thompson a informé M. Balogun que sa cote de solvabilité était terrible et qu’il avait plusieurs dettes. M. Balogun a répondu qu’il n’en avait pas connaissance et qu’il pouvait uniquement supposer que les résultats des recherches se rapportaient peut‑être à des emprunts qu’il avait cosignés pour des membres de sa famille qui étaient dans la détresse. Le capitaine Thompson a affirmé que les dettes étaient celles de M. Balogun. M. Balogun a demandé des documents au sujet de ces dettes, mais le capitaine Thompson a refusé. Les soi‑disant créanciers étaient Eaton et Zeller. On a demandé à M. Balogun de soumettre une lettre indiquant la façon dont il avait l’intention de régler l’affaire, de façon que son dossier puisse être approuvé.

 

[14]           Une semaine plus tard, M. Balogun s’est renseigné au sujet des dettes et il a envoyé une lettre au capitaine Thompson. Le capitaine Thompson a déclaré verbalement que la lettre n’était pas suffisante et que des dispositions de paiement devaient être prises avec les sociétés, et ce, même si M. Balogun ne croyait pas devoir quoi que ce soit. Le capitaine Thompson a averti M. Balogun que son dossier pouvait être encore une fois fermé, mais il a admis que M. Balogun avait les qualités voulues pour occuper un poste au sein des FC.

 

[15]           Les défendeurs allèguent que M. Balogun a donné les réponses suivantes au sujet de la question des dettes :

1)                  Il a informé les FC verbalement que les dettes n’étaient pas les siennes et que Eaton et Zeller avaient probablement falsifié ses dossiers de crédit;

2)                  Au mois de septembre 2002, il a de nouveau écrit aux FC en niant l’existence de dettes et il a affirmé que ces dettes résultaient d’un vol d’identité;

3)                  Au mois de juillet 2003, après avoir reçu un rapport de crédit d’Equifax Canada confirmant la dette envers Zeller, au montant de 1 794 $, et une dette envers Eaton au montant de 1 183 $, M. Balogun a menacé de poursuivre Equifax et d’engager des poursuites contre Eaton et contre Zeller;

4)                  M. Balogun a décidé qu’il serait trop coûteux de retenir les services d’un avocat afin d’engager des poursuites et il avait décidé de faire des études en droit en Angleterre, de façon à être en mesure d’agir pour son propre compte.

 

[16]           Au mois d’août 2002, M. Balogun a déposé une plainte auprès du MDN. Une réponse a été donnée par le major Orfankos, qui a réitéré et confirmé les exigences dont le capitaine Thompson avait fait mention au sujet des dettes.

 

[17]           Au mois de septembre 2002, M. Balogun a déposé une autre plainte, auprès du sous‑ministre adjoint (Ressources humaines – Militaire), dont le mandat comporte le recrutement et l’équité en matière d’emploi. M. Balogun n’a pas reçu de réponse immédiate. Le colonel Alain Tremblay a répondu au mois de mars 2003. Il a informé M. Balogun qu’il était maintenant responsable du dossier, et il a déclaré par écrit qu’il fallait plus de documents justifiant la position que M. Balogun avait prise au sujet des dettes.

 

[18]           Au mois de juin 2003, M. Balogun s’est plaint au chef d’état‑major de l’Armée de terre, le lieutenant‑général Hillier. Il n’a pas reçu de réponse.

 

[19]           Au mois d’octobre 2003, M. Balogun a obtenu un prêt fédéral d’environ 8 000 $; il a obtenu un découvert bancaire et il s’est inscrit en droit, dans le cadre du programme de formation permanente de l’Université de Londres. Il a fourni au colonel Tremblay plus de 20 pages de documents au sujet des mesures qu’il avait prises pour régler ses dettes. M. Balogun a en outre informé le colonel Tremblay que les dettes n’étaient pas les siennes et que sa cote de solvabilité était satisfaisante. Le colonel Tremblay a apparemment refusé de répondre.

 

[20]           Au mois de novembre 2003, M. Balogun a téléphoné au bureau du lieutenant‑général Hillier et on lui a dit que c’était le colonel Tremblay qui s’occupait de l’affaire.

 

[21]           Au mois de décembre 2003, M. Balogun a écrit au major‑général Arp et a fourni plus de 25 pages de preuve documentée montrant que le rapport de crédit était faux. Le major‑général a répondu au moyen d’une lettre datée du 19 décembre 2003, laquelle a été reçue au mois de février 2004. On a dit à M. Balogun : [traduction] « [V]ous devrez prouver hors de tout doute raisonnable que vous n’êtes pas responsable des dettes consignées dans votre dossier de crédit ou fournir une preuve vérifiable que vous avez remboursé les dettes ».

 

[22]           Le 26 février 2004, M. Balogun a déposé une plainte de discrimination devant la CCDP contre le MDN. Selon la plainte, M. Balogun avait fait l’objet de discrimination de la part des FC. La plainte a été rejetée sans qu’une enquête soit menée.

 

[23]           Le 26 janvier 2005, M. Balogun a envoyé une lettre au ministre de la Défense nationale en réponse à une lettre que le ministre avait envoyée le 27 août 2004, où il était question de différences de traitement attribuables à la race au MDN; il déclarait que le MDN se trompait au sujet des [traduction] « assertions superficielles » et qu’il irait de l’avant avec les poursuites si le MDN ne [traduction] « remédiait pas à la situation » dans un délai de dix jours. Les documents qui étaient joints à la lettre de M. Balogun comprenaient un autre rapport d’Equifax, qui n’indiquait aucune dette active.

 

[24]           Le 5 avril 2006, la Cour fédérale a fait droit à la demande de contrôle judiciaire de M. Balogun et a annulé la décision de la CCDP. Le dossier a été renvoyé, avec la directive selon laquelle la CCDP devait procéder à une enquête conformément aux articles 43 et 44 de la Loi.

 

[25]           Le 13 juillet 2006, M. Balogun a reçu une lettre de M. Dean Steacy, enquêteur à la CCDP, l’informant qu’il avait été chargé d’enquêter et qu’il avait besoin de certains documents. M. Balogun a répondu à M. Steacy le 14 juillet 2006. M. Steacy a communiqué avec M. Balogun à plusieurs reprises entre le 14 juillet 2006 et le 8 mars 2007. M. Balogun allègue que M. Steacy lui a dit qu’il était inutile de mener une enquête. M. Steacy a proposé la médiation parce que le MDN était prêt à engager M. Balogun et qu’il lui fallait simplement du temps pour lui trouver un poste approprié.

 

[26]           M. Balogun allègue avoir demandé à M. Steacy de correspondre avec les personnes dont il lui avait donné les noms. M. Steacy aurait apparemment dit que cela était inutile étant donné que le MDN l’engagerait, mais qu’il fallait plus de temps. Le 5 novembre 2006, M. Balogun a reçu une autre lettre de M. Steacy, en date du 2 novembre 2006, qui comprenait les réponses du MDN l’informant du refus de répondre aux questions. Après qu’il eut reçu la lettre, M. Steacy a appelé M. Balogun et lui a dit qu’il devrait accepter le poste d’officier d’infanterie.

 

[27]           Le 10 novembre 2006, M. Balogun a répondu à la lettre du 2 novembre 2006 de M. Steacy. M. Balogun allègue avoir reçu une série d’appels téléphoniques de M. Steacy, lui conseillant d’accepter l’offre du MDN, parce qu’il ne croyait pas qu’une enquête soit nécessaire. M. Steacy a demandé des documents et des demandes écrites de M. Balogun en vue de faciliter la médiation.

 

[28]           Le 8 mars 2007, M. Balogun a refusé de suivre les conseils de M. Steacy, à savoir accepter l’offre du MDN, et M. Steacy a rédigé son rapport. M. Balogun allègue que M. Steacy l’a contraint à répondre le plus brièvement possible à son rapport. M. Balogun a déposé ses observations auprès de la CCDP au mois de mars 2007.

 

[29]           Le 30 mars 2007, M. John Chamberlin, un employé à la CCDP, a envoyé à M. Balogun une lettre à laquelle était jointe la lettre de deux pages du MDN, renfermant les observations. M. Balogun a répondu à M. Chamberlin le 4 avril 2007.

 

[30]           Le 10 avril 2007, M. Sean Davy, employé à la CCDP, a été chargé par la CCDP de la conciliation. M. Balogun allègue qu’on a procédé de façon inhabituelle, parce que les parties ne se sont jamais rencontrées ou qu’elles n’ont jamais eu de discussions directes. De plus, l’affaire a été discutée environ trois fois au cours d’une période de cinq mois. Le rapport du conciliateur a été remis à M. Balogun avec une lettre datée du 23 octobre 2007. M. Balogun a répondu au moyen d’observations le 24 octobre 2007. Le 9 novembre 2007, la CCDP a envoyé à M. Balogun une lettre à laquelle était jointe une copie des observations du MDN. M. Balogun a répondu le 9 novembre 2007, au moyen d’observations datées du 13 novembre 2007. La CCDP a envoyé une lettre datée du 18 décembre 2007 à M. Balogun, à laquelle étaient joints des renseignements additionnels du défendeur au sujet du rapport de conciliation préparé relativement à la plainte du demandeur.

 

[31]           Le 28 mars 2007, M. Steacy a rédigé un rapport au sujet de la plainte. Par la suite, la CCDP a chargé un conciliateur d’entamer des discussions en vue du règlement. Les parties ne pouvaient pas s’entendre. L’affaire a ensuite été renvoyée au Tribunal canadien des droits de la personne (le TCDP).

 

La politique du gouvernement sur la sécurité

 

[32]           La politique du gouvernement du Canada sur la sécurité (la PGS) est mise en œuvre par le Conseil du Trésor du Canada; elle s’applique à tous les ministères gouvernementaux, à certaines commissions et aux FC. Selon la PGS, les entités visées par la politique sont tenues de procéder à leurs propres évaluations du risque en vue de déterminer s’il faut des protections en sus du niveau de base. Le MDN a procédé à une évaluation du risque et a conclu à la nécessité d’avoir des protections en sus du niveau de base, de sorte qu’il a adopté une politique de sécurité du ministère de la Défense nationale et une directive de recrutement en vue d’établir des vérifications de fiabilité aux fins de l’enrôlement dans les FC. La directive de recrutement prévoit qu’il est obligatoire pour l’admissibilité à l’enrôlement dans les FC que les recrues obtiennent une cote de fiabilité approfondie, qui peut comprendre la vérification des antécédents criminels, du nom et de la solvabilité.

 

[33]           La directive de recrutement prévoit que lorsque la vérification de la solvabilité d’une recrue est faite, les facteurs suivants doivent être pris en considération : a) le degré d’endettement; b) la raison de l’endettement; c) la question de savoir si la situation est stable ou si elle est changeante; d) la réaction du candidat au problème; e) la nature des fonctions et l’accès à des renseignements et à des actifs désignés.

 

LA DÉCISION VISÉE PAR L’EXAMEN

 

[34]           La CCDP a conclu qu’aucun examen par le Tribunal n’était justifié. Le dossier de M. Balogun a été fermé et la plainte a été rejetée.

 

[35]           L’enquêteur n’a examiné qu’une seule question dans son rapport : à savoir si M. Balogun s’était vu refuser des chances d’emploi à cause de sa race (africaine), de sa religion (musulmane) et de son origine nationale ou ethnique (nigériane).

 

[36]           L’enquêteur a conclu que M. Balogun avait uniquement fourni les relevés se rapportant à son baccalauréat en sciences et que ce diplôme correspondait à un baccalauréat de quatre ans dans une université canadienne reconnue. M. Balogun avait également fourni son passeport et sa carte de citoyenneté, qui avaient tous deux été versés au dossier de recrutement.

 

[37]           Différents cheminements de carrière sont habituellement examinés avec les candidats, notamment celles d’officier et de MR. La demande de M. Balogun avait été traitée aux fins du recrutement à titre d’officier. Il y avait eu d’importants retards dans le traitement de la demande; toutefois, ces retards n’étaient pas tous attribuables aux FC. Ainsi, il y avait eu un retard occasionné par le temps qu’il avait fallu pour évaluer les relevés de M. Balogun. La preuve qui avait été versée au rapport de l’Ombudsman des FC révélait que le traitement des demandes présentées par des recrues n’était pas effectué le plus rapidement possible, ce qui occasionnait de longs retards dans le traitement même des demandes. Il y avait eu des retards dans le traitement de la demande d’enrôlement de M. Balogun, mais ces retards n’avaient rien à voir avec un motif de distinction illicite.

 

[38]           L’enquêteur s’est fondé sur la politique du Conseil du Trésor, selon laquelle « [l]a présence de renseignements défavorables dans un rapport de crédit peut constituer, mais ne constitue pas nécessairement une raison suffisante pour refuser la cote de fiabilité approfondie. Quand le rapport de crédit contient des renseignements défavorables, l’agent responsable doit déterminer : Dans quelle mesure la personne a modifié ses habitudes financières qui affectent sa fiabilité sur ce plan. La probabilité que la personne connaisse de nouvelles difficultés financières et l’effet que cela pourrait avoir sur la fiabilité dans l’emploi ». L’enquêteur a noté que le processus d’enrôlement de M. Balogun avait été laissé en suspens à cause de problèmes de dettes. Toutefois, la demande d’enrôlement n’a pas été rejetée à cause des dettes existantes. Avant que les FC puissent poursuivre le processus d’enrôlement, M. Balogun devait fournir des documents montrant qu’il avait remédié à la situation en ce qui concerne les dettes. M. Balogun a fourni les documents requis le 26 janvier 2005 seulement.

 

[39]           Les FC exigent que tous les candidats fassent l’objet d’une vérification approfondie de la fiabilité (sécurité), dans le cadre de laquelle une vérification de la solvabilité est effectuée. Les FC suivaient la politique du Secrétariat du Conseil du Trésor pour faire cette vérification, qui fait partie de la procédure d’évaluation permettant de déterminer l’aptitude d’un candidat. Les problèmes de solvabilité n’empêchent pas un candidat de s’enrôler dans les FC; il s’agit plutôt de savoir comment les candidats s’occupent de leurs dettes.

 

[40]           L’enquêteur a conclu que la preuve n’étayait pas l’allégation de M. Balogun selon laquelle la politique de sécurité et la vérification de la solvabilité avaient été utilisées en vue de laisser temporairement la candidature de M. Balogun en suspens. Selon la documentation fournie par M. Balogun et par les défendeurs, la demande de recrutement de M. Balogun avait été laissée en suspens parce que M. Balogun n’avait pas fourni de documents montrant que le problème se rattachant aux dettes avait été réglé. M. Balogun a signé son formulaire de plainte contre les FC le 26 février 2004 et les problèmes de dette ont été réglés le 26 janvier 2005.

 

[41]           De l’avis de l’enquêteur, aucun élément de preuve n’indiquait l’existence d’un lien entre l’application de la politique de sécurité par les FC et les motifs de distinction illicite.

 

[42]           L’enquêteur a recommandé qu’un conciliateur tente d’en arriver à un règlement de la plainte, parce que la preuve n’étayait pas les allégations de discrimination fondées sur la race, sur l’origine nationale ou ethnique et sur la religion; la preuve révélait que le plaignant avait été victime d’une mauvaise administration et que les parties étaient disposées à en arriver à un règlement.

 

LES POINTS LITIGIEUX

 

[43]           Dans la présente demande, M. Balogun soumet les questions suivantes :

1)                  Une enquête indépendante a‑t‑elle été menée en vertu de l’article 43 de la Loi et, dans l’affirmative, l’enquête était‑elle neutre et rigoureuse?

2)                  L’enquête indépendante était‑elle compatible avec la médiation en vertu de l’article 43 de la Loi et un enquêteur peut‑il procéder à une médiation entre les parties tout en menant une enquête?

3)                  La CCDP et le MDN ont‑ils violé les principes fondamentaux de justice naturelle et d’équité procédurale?

4)                  Les vérifications de la solvabilité constituent‑elles une exigence professionnelle justifiée pour une occupation militaire?

5)                  La CCDP a‑t‑elle commis une erreur de droit?

6)                  La PGS est‑elle assujettie à la Loi? Dans l’affirmative, existait‑il suffisamment d’éléments de preuve pour justifier le renvoi au TCDP compte tenu des articles 7 et 10 de la Loi?

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES

 

[44]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent à la présente instance :

7. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

 

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

 

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

 

(a) to refuse to employ or continue to employ any individual, or

 

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

 

(b) in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee,

on a prohibited ground of discrimination.

 

10. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, l’association patronale ou l’organisation syndicale :

 

10. It is a discriminatory practice for an employer, employee organization or employer organization

 

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite;

 

(a) to establish or pursue a policy or practice, or

 

b) de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel.

 

(b) to enter into an agreement affecting recruitment, referral, hiring, promotion, training, apprenticeship, transfer or any other matter relating to employment or prospective employment,

that deprives or tends to deprive an individual or class of individuals of any employment opportunities on a prohibited ground of discrimination.

 

Nomination de l’enquêteur

 

43. (1) La Commission peut charger une personne, appelée, dans la présente loi, « l’enquêteur », d’enquêter sur une plainte.

 

Designation of Investigator

 

43. (1) The Commission may designate a person, in this Part referred to as an “Investigator”, to investigate a complaint.

 

Procédure d’enquête

 

(2) L’enquêteur doit respecter la procédure d’enquête prévue aux règlements pris en vertu du paragraphe (4).

 

Manner of investigation

 

(2) An Investigator shall investigate a complaint in a manner authorized by regulations made pursuant to subsection (4).

 

Pouvoir de visite

 

(2.1) Sous réserve des restrictions que le gouverneur en conseil peut imposer dans l’intérêt de la défense nationale ou de la sécurité, l’enquêteur muni du mandat visé au paragraphe (2.2) peut, à toute heure convenable, pénétrer dans tous locaux et y perquisitionner, pour y procéder aux investigations justifiées par l’enquête.

 

Power to enter

 

(2.1) Subject to such limitations as the Governor in Council may prescribe in the interests of national defence or security, an Investigator with a warrant issued under subsection (2.2) may, at any reasonable time, enter and search any premises in order to carry out such inquiries as are reasonably necessary for the investigation of a complaint.

 

Délivrance du mandat

 

(2.2) Sur demande ex parte, un juge de la Cour fédérale peut, s’il est convaincu, sur la foi d’une dénonciation sous serment, qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la présence dans des locaux d’éléments de preuve utiles à l’enquête, signer un mandat autorisant, sous réserve des conditions éventuellement fixées, l’enquêteur qui y est nommé à perquisitionner dans ces locaux.

 

Authority to issue warrant

 

(2.2) Where on ex parte application a judge of the Federal Court is satisfied by information on oath that there are reasonable grounds to believe that there is in any premises any evidence relevant to the investigation of a complaint, the judge may issue a warrant under the judge’s hand authorizing the Investigator named therein to enter and search those premises for any such evidence subject to such conditions as may be specified in the warrant.

 

Usage de la force

 

(2.3) L’enquêteur ne peut recourir à la force dans l’exécution du mandat que si celui-ci en autorise expressément l’usage et que si lui‑même est accompagné d’un agent de la paix.

 

Use of force

 

(2.3) In executing a warrant issued under subsection (2.2), the Investigator named therein shall not use force unless the Investigator is accompanied by a peace officer and the use of force has been specifically authorized in the warrant.

 

Examen des livres

 

(2.4) L’enquêteur peut obliger toute personne se trouvant sur les lieux visés au présent article à communiquer, pour examen, ou reproduction totale ou partielle, les livres et documents qui contiennent des renseignements utiles à l’enquête.

 

Production of books

 

(2.4) An Investigator may require any individual found in any premises entered pursuant to this section to produce for inspection or for the purpose of obtaining copies thereof or extracts therefrom any books or other documents containing any matter relevant to the investigation being conducted by the Investigator.

 

Entraves

 

(3) Il est interdit d’entraver l’action de l’enquêteur.

 

Obstruction

 

(3) No person shall obstruct an Investigator in the investigation of a complaint.

 

Règlements

 

(4) Le gouverneur en conseil peut fixer, par règlement :

 

Regulations

 

(4) The Governor in Council may make regulations

 

a) la procédure à suivre par les enquêteurs;

 

(a) prescribing procedures to be followed by Investigators;

 

b) les modalités d’enquête sur les plaintes dont ils sont saisis au titre de la présente partie;

 

(b) authorizing the manner in which complaints are to be investigated pursuant to this Part; and

 

c) les restrictions nécessaires à l’application du paragraphe (2.1).

(c) prescribing limitations for the purpose of subsection (2.1).

 

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[45]           M. Balogun n’a pas traité de la question de la norme de contrôle.

 

[46]           Les défendeurs font valoir que la CCDP est tenue de rejeter une plainte en matière de droits de la personne conformément au sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi si elle est convaincue que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l’examen de celle‑ci par le Tribunal n’est pas justifié. Cela permet à la CCDP d’éliminer les plaintes qui, à son avis, ne sont pas fondées.

 

[47]           Les défendeurs affirment que la Cour a fait preuve d’énormément de déférence à l’égard de la CCDP en examinant des décisions fondées sur le sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi. Ils citent l’arrêt Sketchley c. Canada (Procureur général), [2005] A.C.F. no 2056 (C.A.F.), paragraphe 38, (Sketchley) :

[...] En vertu de cette approche, une cour de révision doit, en fin de compte, se pencher sur l’examen de la Commission et faire preuve de beaucoup de déférence à l’égard de l’appréciation des faits; ce n’est que si la Commission a commis une erreur de droit, a apprécié les faits d’une manière manifestement déraisonnable ou a contrevenu aux principes d’équité procédurale qu’il sera justifié d’intervenir lors d’un contrôle (Bell Canada, au paragraphe 38; Connolly c. Société canadienne des postes, 2002 CFPI 185, au paragraphe 28, confirmée par 2003 CAF 47 (Connolly)). Presque par définition, ces erreurs appartiennent à la catégorie des erreurs d’enquête qui sont à ce point fondamentales que les observations complémentaires des parties ne peuvent y remédier. [...]

 

 

[48]           Les défendeurs soutiennent que les conclusions de fait et les conclusions relevant de la compétence et de l’expertise de l’enquêteur doivent être examinées selon la norme de raisonnabilité, et que c’est la décision correcte qui doit s’appliquer comme norme de contrôle aux questions de droit et d’équité procédurale.

 

[49]           La norme de contrôle à appliquer à une décision générale de la Commission est la décision raisonnable simpliciter : Corbiere c. Wikwemikong Tribal Police Services Board, 2007 CAF 97; Garvey c. Meyers Transport Ltd., [2005] A.C.F. no 1684 (C.A.F.), et Lindo c. Banque Royale du Canada, [2000] A.C.F. no 1101 (C.F. 1re inst.) (Lindo).

 

[50]           Le rapport de l’enquêteur constitue les motifs de la Commission. Par conséquent, si le rapport est défectueux, la décision de la Commission est également défectueuse parce que la Commission n’avait pas en sa possession d’autres renseignements pertinents lui permettant d’exercer son pouvoir discrétionnaire de la façon appropriée : Forster c. Canada (Procureur général), 2006 CF 787, paragraphe 37, et Canada (Procureur général) c. Grover, [2004] A.C.F. no 865 (C.F.), paragraphe 25 (Grover).

 

[51]           Le pouvoir discrétionnaire conféré à la Commission, lorsqu’il s’agit de déterminer si une plainte doit être rejetée ou si elle doit être renvoyée à l’arbitrage devant le Tribunal, ne lui permet pas de contourner la procédure d’enquête ou de ne faire aucun cas d’un témoin essentiel. Aucun fait pertinent ne devrait être omis, en particulier lorsque les renseignements nuisent à la position du plaignant, étant donné que cela laisse planer un doute sérieux sur la neutralité de l’enquêteur : Grover et Société Radio‑Canada c. Paul, [1998] A.C.F. no 1823 (C.F. 1re inst.), paragraphe 63 (Paul).

 

[52]           La Commission doit rejeter la plainte dans « les cas où la preuve ne suffit pas pour justifier la constitution d’un tribunal » et déterminer si « la preuve fournit une justification raisonnable pour passer à l’étape suivante » : Paul, paragraphe 62.

 

[53]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a reconnu que, bien que la décision raisonnable simpliciter et la décision manifestement déraisonnable soient en théorie des normes différentes, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » : Dunsmuir, paragraphe 44. Elle a donc décidé que les deux normes de contrôle relatives au caractère raisonnable de la décision devaient être fusionnées pour en former une seule : « la raisonnabilité ».

 

[54]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a également décidé qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. Lorsque la norme de contrôle applicable à la question particulière dont la cour est saisie est bien établie par la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’analyse des quatre facteurs qui permettent de déterminer la bonne norme de contrôle.

 

[55]           Par conséquent, compte tenu de l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dunsmuir et de la jurisprudence de la Cour, je conclus que la norme de contrôle applicable à des questions de nature non procédurale et à des questions ne comportant pas d’erreur de droit est la raisonnabilité. Lorsqu’une décision est examinée selon la norme de raisonnabilité, l’analyse se rapportera « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, paragraphe 47. Autrement dit, la Cour doit uniquement intervenir si la décision était déraisonnable, en ce sens qu’elle ne faisait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[56]           C’est la décision correcte qui s’applique comme norme de contrôle aux questions d’équité procédurale : Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1.

 

L’ARGUMENTATION

            M. Balogun

                        La CCDP n’a pas enquêté

 

[57]           M. Balogun avance les arguments suivants :

1)                  La CCDP n’a pas enquêté sur sa plainte parce qu’elle n’a pas communiqué avec les personnes dont il avait fourni les noms;

2)                  La CCDP n’a pas examiné des statistiques que la Cour suprême du Canada a acceptées comme preuve montrant que les gens qui partagent les mêmes caractéristiques que M. Balogun vivent en général sous le seuil de la pauvreté;

3)                  La CCDP n’a pas divulgué que le MDN avait reçu plus de 25 pages de [traduction] « preuve documentée » montrant que le rapport de crédit était faux;

4)                  La CCDP n’a pas communiqué avec le vérificateur général du Canada au sujet de son rapport révélant que 26 000 employés des FC n’avaient pas d’habilitation de sécurité ou de cote de fiabilité approfondie;

5)                  La CCDP a refusé de divulguer des questions importantes soulevées dans les observations de M. Balogun;

6)                  La CCDP n’a pas enquêté sur des questions se rapportant aux critères relatifs à l’exigence professionnelle justifiée et sur leur effet sur les critères de rendement professionnel;

7)                  La CCDP n’ pas enquêté sur des questions se rapportant aux contraintes excessives au sens du paragraphe 15(2) de la Loi qui peuvent être occasionnées si des mesures d’accommodement sont prises à l’égard de M. Balogun;

8)                  La CCDP n’a pas enquêté sur la question de savoir si la personne embauchée partageait des caractéristiques semblables à celles de M. Balogun, tout en ayant de meilleures qualifications;

9)                  La CCDP n’a pas enquêté sur la mesure dans laquelle des membres de minorités visibles étaient des officiers au sein du MDN;

10)              La CCDP n’a pas assuré le suivi en ce qui concerne d’importantes inexactitudes de la part du MDN, que ce soit oralement ou par écrit.

 

[58]           M. Balogun affirme en outre que la CCDP n’a pas enquêté sur les déclarations inexactes du MDN ou qu’elle n’a pas souligné ces déclarations dans son rapport. De plus, M. Balogun allègue que la CCDP n’a pas tenu compte de plusieurs [traduction] « faits admis » par le MDN et il énumère ensuite ces [traduction] « faits admis » ainsi que la preuve du MDN et de la CCDP.

 

                        L’enquête

 

[59]           M. Balogun fait valoir que, dans le dictionnaire Webster, le mot [traduction] « enquêter » est défini comme suit : [traduction] « chercher ou se renseigner; examiner minutieusement ». M. Balogun déclare que tous les actes de la CCDP et notamment la conduite de ses enquêteurs doivent être indépendants. L’enquêteur est tenu d’enquêter de façon neutre et rigoureuse : Watt c. Canada (Procureur général), 2006 CF 619 (Watt), et article 43 de la Loi. M. Balogun dit également que l’enquête prévue par la Loi doit être menée d’une façon neutre et rigoureuse, de façon à ce que la Commission dispose de suffisamment de renseignements pour décider des critères à appliquer compte tenu des circonstances de l’affaire.

 

[60]           M. Balogun fait remarquer que le critère permettant de conclure à la discrimination est le suivant :

1)                  Le plaignant était qualifié pour occuper l’emploi en question;

2)                  Le plaignant n’a pas été embauché;

3)                  Une personne qui n’était pas mieux qualifiée mais qui ne partageait pas les caractéristiques distinctives du plaignant a été embauchée.

 

[61]           M. Balogun fait également remarquer que les critères applicables à la justification sont les suivants :

1)                  L’adoption de la norme par l’employeur avait un objectif rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;

2)                  L’employeur a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire à la réalisation d’un objectif légitime lié au travail;

3)                  La norme est raisonnablement nécessaire à la réalisation de cet objectif légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.

 

Voir : Ontario (Commission des droits de la personne) c. Simpsons‑Sears Ltd., [1985] A.C.S. no 74; Basi c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, [1988] D.C.D.P. no 2 (T.C.D.P.), et Watt.

 

La preuve

 

[62]           M. Balogun affirme que l’[traduction] « évaluation du candidat » datée du 16 mai 2001 lui a été présentée le 17 mars 2008 seulement. Il affirme que la CCDP était au courant de l’existence de ce document, mais qu’elle ne lui a pas révélé son contenu ou qu’il n’en a pas été fait mention dans le rapport de l’enquêteur. M. Balogun allègue qu’étant donné que le capitaine Thompson était la seule personne présente au cours de son entrevue, des officiers supérieurs, notamment le ministre David Pratt, le major Orfankos, le colonel Tremblay et le major‑général Arp se sont fondés sur ce document sans le lui communiquer.

 

[63]           M. Balogun allègue que les commentaires du capitaine Thompson, à savoir qu’il [traduction] « ne pouvait pas faire de commentaires au sujet de l’une ou l’autre dette » était un mensonge parce que le capitaine Thompson avait admis aux autres officiers supérieurs et à la CCDP qu’il avait fait des commentaires. L’enquêteur ne s’est pas renseigné plus à fond sur ce document, et ce, même si, selon M. Balogun, le document ne comportait aucune justification.

 

[64]           M. Balogun conclut en disant que la CCDP n’a mené aucune enquête sur sa plainte fondée sur l’alinéa 10a) de la Loi, parce que le capitaine Wade Sett, le caporal‑chef Cook, l’ancien capitaine responsable du recrutement au 25e Bataillon des services, le major Orfankos, le colonel Tremblay et le major‑général Arp n’ont jamais eu d’entrevue avec la CCDP, qui n’a jamais communiqué avec eux.

 

L’enquête sur la politique du gouvernement en matière de sécurité

 

[65]           M. Balogun affirme également que la CCDP n’a pas enquêté sur la question de savoir pourquoi le MDN n’avait pas procédé à une évaluation conformément aux exigences de la Loi ou n’avait pas fourni de preuves montrant qu’il avait procédé à une évaluation fondée sur les facteurs d’appréciation de la solvabilité énoncés dans la politique de la Défense nationale. La CCDP n’a pas enquêté sur cette évaluation.

 

L’enquête en tant que médiation

 

[66]           M. Balogun affirme également que M. Steacy, de la CCDP, lui a dit plus de trois fois qu’il voulait procéder à la médiation entre les parties parce que les FC étaient prêtes à l’embaucher, mais qu’il n’y aurait pas de poste dans sa catégorie professionnelle jusque vers le mois de janvier 2007, à moins qu’il soit prêt à accepter un poste d’officier d’infanterie à Toronto ou dans les environs. M. Balogun allègue que M. Steacy était avant tout chargé de mener une enquête et non de procéder à la médiation, étant donné que la CCDP avait à son service d’autres membres du personnel pour s’occuper des médiations.

 

[67]           M. Balogun déclare que M. Steacy n’a pas tenu compte des retards qui justifieraient sa plainte, et qu’il n’a pas non plus tenu compte du fait qu’il y avait des différences entre le traitement des demandes des recrues et celui des demandes d’officiers. De plus, M. Steacy n’a pas enquêté sur la raison pour laquelle, si les règles relatives aux habilitations de fiabilité étaient appliquées d’une façon aussi stricte, le rapport du vérificateur général du Canada faisait état de 26 000 membres des Forces canadiennes qui n’avaient pas d’habilitation de fiabilité. M. Balogun déclare que le rapport de M. Steacy devrait être rejeté parce que M. Steacy n’a pas parlé à toutes les personnes en cause et que sa conduite laissait fortement à désirer et n’avait aucune force ni aucun effet.

 

            La violation des principes de justice naturelle et d’équité procédurale

 

[68]           M. Balogun fait valoir que, dans l’arrêt Therrien (Re), [2001] 2 R.C.S. 3, la Cour suprême du Canada a conclu que l’obligation d’agir équitablement comporte deux volets, soit le droit d’être entendu et le droit à une audition impartiale. M. Balogun cite également la décision Timpauer c. Air Canada (1986), 11 C.C.E.L. 81, page 97, dans laquelle il a été conclu que le refus d’entendre la preuve du demandeur constituait, dans ce cas‑là, un déni de justice naturelle et que « [l]e fait qu’une telle preuve n’aurait peut‑être pas aidé le requérant ne justifiait pas le refus de l’entendre ».

 

L’omission de divulguer des éléments cruciaux au demandeur

 

[69]           M. Balogun déclare que la CCDP a mené une enquête en vertu de l’article 43 de la Loi et que, dans le cadre de ce processus, elle a demandé à obtenir des documents et des déclarations du MDN. Or, le seul document fourni à M. Balogun était le refus du MDN de répondre à des questions ou de fournir quelque document que ce soit. M. Balogun n’a jamais eu la possibilité d’être entendu au sujet de déclarations verbales ou de documents qui ne lui avaient pas été fournis.

 

[70]           M. Balogun déclare avoir reçu le document d’évaluation du candidat le 17 mars 2008 seulement. On ne lui a pas donné la possibilité de faire des commentaires au sujet de ce document avant que le MDN et la CCDP rendent une décision.

 

L’équité

 

[71]           M. Balogun affirme que la CCDP n’a pas enquêté sur sa plainte d’une façon équitable. Il allègue que le MDN a ourdi un [traduction] « plan secret » en vue d’éviter de s’acquitter de l’obligation qui lui incombait de l’évaluer, en déclarant délibérément qu’il n’avait pas fait de commentaires au sujet de ses dettes et qu’il devait prouver hors de tout doute raisonnable que les fausses dettes n’étaient pas les siennes. M. Balogun affirme avoir fait des commentaires au sujet des dettes en question et avoir allégué qu’il y avait peut‑être eu vol d’identité, que des erreurs avaient peut‑être été commises ou qu’il y avait peut‑être d’autres raisons expliquant les dettes.

 

[72]           M. Balogun fait remarquer que M. Steacy a affirmé que le MDN avait déclaré que son processus d’enrôlement avait fait l’objet d’un grand nombre de retards administratifs, mais que ces retards n’entraînaient pas d’aveu de la part du MDN au sujet du traitement défavorable dont il aurait fait l’objet. M. Balogun soutient que M. Steacy n’a pas tenu compte du fait que le MDN n’avait pas de documents concernant les minorités visibles en ce qui concerne certaines questions que celui‑ci avait posées au MDN, et que M. Steacy ne s’était pas renseigné davantage au sujet des autres préposés à l’accueil au moment où il avait présenté sa demande.

 

La vérification de la solvabilité

 

[73]           M. Balogun fait valoir que, dans la décision DeJager c. Canada (Ministère de la Défense nationale), [1986] D.C.D.P. no 3 (T.C.D.P.), le Tribunal a conclu que, pour constituer une exigence ou une compétence professionnelle, la restriction doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d’assurer la bonne exécution du travail en question. Elle doit en outre se rapporter objectivement à l’exercice de l’emploi en question.

 

[74]           M. Balogun rejette l’idée selon laquelle une bonne évaluation de la solvabilité est une exigence en vertu de la PGS. De plus, il affirme qu’une vérification de la solvabilité ne constitue pas une exigence ou une compétence professionnelle justifiée. Il affirme que le MDN n’a pas fourni de preuve montrant que la solvabilité est rationnellement liée à l’exécution du travail, ou qu’elle est liée à des critères d’honnêteté et de bonne foi. De l’avis de M. Balogun, cela est déraisonnable puisque 26 000 membres servant dans les FC n’ont pas fait l’objet d’une évaluation de leur solvabilité.

 

[75]           M. Balogun soutient que la CCDP et le MDN ont commis une erreur en interprétant la disposition relative à la solvabilité comme voulant dire qu’il doit prouver hors de tout doute raisonnable qu’il n’avait pas de dettes, plutôt que de chercher à savoir s’il était probable qu’il connaisse de nouvelles difficultés financières susceptibles d’influer sur son travail.

 

Les défendeurs

            Le rapport de l’enquêteur

 

[76]           Les défendeurs affirment qu’après avoir interrogé un certain nombre de témoins (notamment M. Balogun et le capitaine Thompson) et après avoir examiné une multitude de documents (y compris le dossier de recrutement de M. Balogun), l’enquêteur est arrivé aux conclusions suivantes :

1)                  M. Balogun ne s’était pas vu refuser des chances d’emploi au sein des FC; sa demande avait plutôt été temporairement laissée en suspens en vue de lui donner la possibilité de fournir des documents montrant qu’il avait réglé ses problèmes de dette;

2)                  Il y avait eu d’importants retards dans le traitement de la demande de M. Balogun, mais les retards n’étaient pas liés à la race de M. Balogun, à son origine nationale ou ethnique ou à sa religion. Certains retards étaient plutôt attribuables aux exigences en matière de recrutement (comme le temps qu’il avait fallu à M. Balogun pour faire évaluer ses relevés de notes étrangers par l’Université de Toronto), et certains retards étaient attribuables à des inefficiences administratives du système (telles que celles qui étaient mentionnées dans le rapport de l’Ombudsman des FC au sujet des problèmes de recrutement);

3)                  Différents cheminements de carrière étaient couramment examinés avec les recrues (par exemple, les avantages et les inconvénients se rattachant aux postes d’officiers et de militaires du rang) et la demande de M. Balogun avait été traitée à l’égard d’un poste d’officier;

4)                  Étant donné que la vérification de la solvabilité était une exigence d’emploi dans les FC et que M. Balogun avait établi le 26 janvier 2005 seulement que son problème de solvabilité avait été réglé, M. Balogun n’était pas qualifié à l’époque en cause pour occuper les emplois auxquels il se portait candidat.

 

La plainte fondée sur l’article 10

 

[77]           Les défendeurs affirment que les FC exigent que tous les candidats fassent l’objet d’une vérification approfondie de la fiabilité (sécurité) et que la vérification de la solvabilité fait partie de ce processus. De plus, les FC utilisent la vérification de la solvabilité (ainsi que d’autres vérifications) pour évaluer l’aptitude du candidat à faire partie des FC et pour déterminer comment le candidat s’occupe de ses dettes. La demande de M. Balogun a été laissée en suspens, non à cause de la race de M. Balogun, de son origine nationale ou ethnique ou de sa religion, mais en vue de donner à celui‑ci la possibilité de fournir des documents montrant que le problème de dette avait été réglé, ce qu’il n’a fait que le 26 janvier 2005.

 

Le caractère raisonnable de la décision de la CCDP

 

[78]           En examinant la décision à prendre en vertu du sous‑alinéa 44(3)b)(i) de la Loi, la CCDP adopte habituellement le raisonnement de l’enquêteur et ne fournit elle‑même aucun motif. Les motifs que l’enquêteur énonce dans son rapport sont considérés comme étant les motifs de la CCDP : Sketchley.

 

[79]           Les défendeurs soutiennent que les motifs donnés par l’enquêteur en l’espèce sont fondés sur la preuve dont celui‑ci disposait et qu’ils étayent la conclusion selon laquelle il n’y avait pas eu discrimination fondée sur la race, sur l’origine nationale ou ethnique ou sur la religion, et ce, pour les raisons suivantes :

1)                  Le gouvernement et le MDN ont établi des exigences à l’égard des recrues en matière de sécurité et la vérification de la solvabilité fait partie de ces exigences;

2)                  Les recherches indiquaient que M. Balogun avait des problèmes de dettes à l’époque en cause;

3)                  La demande de M. Balogun a été laissée en suspens afin de permettre à celui‑ci de fournir des documents montrant que les problèmes de dette avaient été réglés;

4)                  M. Balogun n’a fourni des documents au sujet des dettes que bien après que son dossier de recrutement eut été fermé et qu’il eut déposé sa plainte en matière de droits de la personne.

 

[80]           Les défendeurs soutiennent également que la preuve assez mince fournie par M. Balogun au sujet de l’incidence des faibles revenus parmi les groupes de minorités visibles au Canada entre 1995 et 1999 ainsi qu’au sujet de la population active de race noire au Canada en 2001 est bien loin de démontrer que les Noirs ont plus de dettes que d’autres groupes ou que les vérifications de solvabilité constituent une discrimination ayant un effet préjudiciable. Les défendeurs affirment que personne ne se voit refuser un emploi dans les FC simplement à cause de dettes; s’il est constaté qu’une recrue a des dettes, un certain nombre de facteurs sont pris en considération lorsqu’il s’agit de décider si la recrue est apte à faire partie des FC.

 

[81]           Les défendeurs concluent qu’ils sont tenus de démontrer qu’une condition d’emploi est une exigence professionnelle justifiée qu’après qu’une preuve prima facie de discrimination a été établie : Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. British Columbia Government and Service Employee’s Union (B.C.G.S.E.U.) (grief Meiorin), [1999] A.C.S. no 46, paragraphes 19, 20, 22 et 54. Les défendeurs affirment que l’enquêteur n’a pu constater aucune preuve prima facie de discrimination dans ce cas‑ci; par conséquent, il n’avait pas à se demander si la vérification de la solvabilité était une exigence professionnelle justifiée.

 

L’équité procédurale

 

[82]           Les défendeurs invoquent la décision Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] A.C.F. no 181 (C.F. 1re inst.) (Slattery), paragraphes 47 à 49, pour affirmer ce qui doit arriver pour qu’une décision fondée sur le sous‑alinéa 44(3)b)(i) soit considérée comme équitable sur le plan de la procédure :

1)                  L’enquête menée avant que la CCDP rende sa décision doit être rigoureuse et neutre;

2)                  La CCDP doit informer les parties de la substance de la preuve obtenue par l’enquêteur, elle doit donner aux parties l’occasion de répondre à cette preuve et elle doit rendre sa propre décision en se fondant sur la preuve et sur les observations qui ont été soumises.

 

[83]           Les défendeurs ajoutent que, pour déterminer le degré de « rigueur » de l’enquête, la Cour doit mettre en balance l’équité procédurale et le maintien d’un système qui fonctionne et qui est efficace sur le plan administratif. Par conséquent, il faut faire preuve de déférence à l’égard de l’enquêteur lorsqu’il examine la valeur probante de la preuve et qu’il décide si une enquête plus poussée est justifiée : Slattery, paragraphes 55 et 56.

 

[84]           Les défendeurs affirment ce qui suit en citant le paragraphe 69 de la décision Slattery :

Le fait que l’enquêteu[r] n’ait pas interrogé chacun des témoins recommandés par [M. Balogun] et le fait que la conclusion tirée par l’enquêteu[r] ne mentionne pas chacun des prétendus incidents de discrimination n’ont pas non plus de conséquence absolue. Cela est encore plus vrai lorsque [M. Balogun] a l’occasion de combler les lacunes laissées par l’enquêteu[r] en présentant subséquemment ses propres observations. En l’absence de règlements qui lui donnent des lignes directrices, l’enquêteu[r], tout comme la CCDP, doit être maître de sa propre procédure, et le contrôle judiciaire d’une enquête prétendument déficiente ne devrait être justifié que lorsque l’enquête est manifestement déficiente.

 

 

[85]           Les défendeurs font remarquer qu’afin de déterminer si une enquête est « neutre », il faut mettre l’accent sur la question de savoir si l’enquêteur avait un parti pris. En jugeant un enquêteur, la cour ne détermine pas si l’on peut raisonnablement discerner un parti pris, mais plutôt si l’enquêteur s’est tellement écarté de la norme d’ouverture d’esprit que l’on peut avec raison affirmer qu’il y a eu préjugement de la question portée devant lui : Société Radio‑Canada c. Canada (Commission des droits de la personne), [1993] A.C.F. no 1334 (C.F. 1re inst.), paragraphe 47.

 

[86]           Les défendeurs affirment que les témoins que l’enquêteur a interrogés dans ce cas‑ci, et notamment M. Balogun, le capitaine Thompson, le capitaine de corvette Scott et le capitaine de corvette MacGregor, ont donné à l’enquêteur des renseignements suffisants pour qu’il puisse mener une enquête rigoureuse.

 

La preuve

 

[87]           Les défendeurs font remarquer que M. Balogun affirme que la CCDP n’a pas tenu compte d’un article du Globe and Mail du 11 avril 2007 dans lequel on faisait état d’un arriéré de 26 000 employés du MDN à l’égard desquels l’enquête de sécurité n’avait pas été effectuée. Les défendeurs font valoir qu’un article portant sur l’enquête de sécurité (ce qui est différent de la vérification de la fiabilité) de personnes qui exercent déjà un emploi n’a rien à voir avec un jugement sur la vérification de la fiabilité d’une personne qui cherchait à s’enrôler dans les CF en 2002. De plus, l’article ne constitue pas une preuve montrant qu’il a été renoncé aux exigences en matière de sécurité; il indique seulement l’existence d’un arriéré à l’égard de ces exigences. Troisièmement, l’article a été fourni à la CCDP après que l’enquêteur eut rédigé son rapport. L’enquêteur n’était pas tenu de procéder à une enquête supplémentaire en se fondant sur de nouveaux renseignements. Sa tâche consistait à fournir les réponses soumises par les parties à la CCDP pour examen avant qu’une décision soit prise en vertu du sous‑alinéa 44(3)b)(ii) de la Loi. Les défendeurs affirment que la CCDP a tenu compte des articles ainsi que des observations de M. Balogun en rendant sa décision.

 

La divulgation

 

[88]           Les défendeurs font remarquer que M. Balogun a soutenu que l’enquêteur a refusé à tort de lui communiquer des documents. Ils affirment que l’enquêteur n’est pas tenu de communiquer tous les documents au plaignant, mais uniquement la « substance de la preuve obtenue », de façon que les parties aient « l’occasion de répondre à cette preuve », Slattery, paragraphes 47 à 49. Les défendeurs affirment que la substance de la preuve obtenue en l’espèce, notamment la substance du rapport du capitaine Thompson, a été incluse dans le rapport de l’enquêteur, qui a ensuite été remis aux parties pour commentaires.

 

La partialité

 

[89]           Les défendeurs font remarquer que M. Balogun a également soutenu que l’enquêteur avait un parti pris parce qu’il lui avait dit qu’il espérait être en mesure de procéder à la médiation. Ils déclarent que la CCDP essaie en vertu de la Loi, au moyen de mécanismes formels et informels, de régler le différend opposant les parties. L’enquêteur peut à bon droit discuter avec les parties, si elles le veulent, des choix qui s’offrent en vue du règlement. Rien ne montre que l’enquêteur n’ait pas eu l’esprit ouvert en rédigeant son rapport.

 

ANALYSE

 

[90]           M. Balogun a échoué dans les tentatives qu’il a faites pour obtenir un emploi auprès des FC. Ses sentiments de contrariété et de mécontentement sont parfaitement compréhensibles. Même les FC ont reconnu qu’il y avait, au cours du processus de recrutement, des retards qui [traduction] « mécontentaient grandement » certains candidats quant à la façon dont leurs demandes étaient traitées. L’enquêteur a également conclu que des retards importants avaient été accusés dans le traitement de la demande de M. Balogun.

 

[91]           Cependant, il s’agit de savoir si les difficultés et le mécontentement de M. Balogun, indépendamment du temps et des ressources qu’il a inutilement consacrés à l’affaire, peuvent être attribués à un motif de distinction illicite. L’enquêteur et la Commission ne le croyaient pas et ils ont décidé qu’il était inutile de renvoyer l’affaire au Tribunal. M. Balogun n’est pas d’accord; il croit que des erreurs susceptibles de révision ont été commises par la Commission dans son enquête sur la plainte ainsi que dans le rapport et dans la décision qui en ont résulté.

 

[92]           M. Balogun soulève ce qu’il estime être un certain nombre d’erreurs importantes, mais ces erreurs semblent se rapporter à des inexactitudes et à des omissions dans le rapport ainsi qu’au manque d’équité procédurale.

 

La plainte

 

[93]           M. Balogun affirme qu’on lui a refusé des chances d’emploi auprès des FC à cause de sa race, de son origine nationale ou ethnique ou de sa religion, en violation de l’article 7 de la Loi. Il affirme en outre que les FC ont appliqué des lignes de conduite qui annihilent les chances d’emploi des gens de sa race, de son origine nationale ou ethnique ou de sa religion, en violation de l’article 10 de la Loi.

 

La plainte fondée sur l’article 7

 

[94]           M. Balogun signale un certain nombre de faits qui, dit‑il, établissent que l’article 7 a été violé. Ainsi, son dossier de recrutement a été à maintes reprises fermé et il a fait face à des difficultés lorsqu’il s’est agi de le rouvrir. Il affirme également que le personnel des FC l’a découragé de s’enrôler à titre d’officier et que quelqu’un lui a même dit que les FC découragent les membres de minorités visibles de présenter une demande en tant qu’officiers, de sorte qu’il devait s’attendre à de la résistance face à ses ambitions. Il signale des erreurs commises dans le processus de recrutement qui, selon lui, révèlent un effort systémique pour faire échouer les tentatives qu’il a faites afin de s’enrôler à titre d’officier; il s’oppose en particulier à la façon dont les FC ont utilisé certaines dettes comme excuse pour l’écarter des FC.

 

[95]           En ce qui concerne cet aspect du processus de recrutement, l’enquêteur a fait les constatations suivantes :

[traduction]

39. Il ressort de l’examen du rapport d’équivalence que l’Université de Toronto a effectué que le plaignant a fourni les relevés de notes pour son baccalauréat en sciences seulement et que, selon ce rapport, ce baccalauréat correspond à un baccalauréat de quatre ans dans une université canadienne reconnue. Selon le rapport, le plaignant ne semble pas avoir soumis, à des fins d’évaluation, des relevés de notes pour sa maîtrise en administration des affaires ou pour son doctorat.

 

40. La preuve montre qu’il faut absolument que les relevés d’études postsecondaires soient soumis dans le cadre du processus de demande applicable aux officiers. Il faut également que les relevés qui proviennent d’un établissement d’enseignement étranger soient évalués par une université canadienne. Dans ce cas‑ci, le plaignant était tenu de faire évaluer ses relevés de notes par l’Université de Toronto.

 

41. Il ressort de l’examen du processus de recrutement du site Web des FC indique que la preuve de la citoyenneté canadienne est nécessaire et qu’un certificat de naissance canadien ou une carte de citoyenneté canadienne sont des documents acceptables. Toutefois, ni le site Web ni les FC n’ont expliqué pourquoi un passeport canadien ne serait pas considéré comme un document acceptable. Sur ce point, la preuve montre que le plaignant a fourni et son passeport et sa carte de citoyenneté canadienne et que les deux documents ont été versés au dossier de recrutement.

 

42. Il ressort de la preuve qu’au cours du processus de recrutement, différents cheminements de carrière sont examinés avec chaque candidat, ce qui comprendrait tant les postes d’officier que les postes de MR. Dans le cas de M. Balogun, la preuve montre que la demande a été traitée aux fins du recrutement en tant qu’officier.

 

43. Selon la preuve, il y a eu d’importants retards dans le traitement de la demande du plaignant; toutefois, ces retards ne sont pas tous attribuables aux FC. Ainsi, l’un des retards a été occasionné par le fait que le plaignant devait faire évaluer ses relevés de notes. La preuve montre que, comme l’Ombudsman des FC l’a expliqué dans son rapport, l’examen des demandes des recrues n’était pas effectué le plus rapidement possible, ce qui causait de longs regards dans le traitement même des demandes. Selon la preuve, il y a eu certains retards dans le traitement de la demande d’enrôlement du plaignant, mais ces retards ne résultaient pas d’un motif de distinction illicite.

 

44. Étant donné que la preuve ne semble pas étayer l’allégation de traitement différent défavorable que le plaignant a faite, il n’est pas nécessaire d’examiner les critères en cause.

 

 

[96]           J’ai examiné tous les facteurs invoqués par M. Balogun au sujet de cet aspect de la décision. Je puis voir que l’effet cumulatif était fort décourageant et que M. Balogun a bien pu finalement croire que l’on a frustré les ambitions qu’il avait d’être enrôlé à titre d’officier, et ce, à cause de motifs énoncés à l’article 7, mais je ne puis dire que les constatations et conclusions de l’enquêteur étaient déraisonnables.

 

[97]           Comme le rapport du capitaine Thompson du 18 juillet 2002 le montre clairement, malgré les retards et les difficultés auxquels il a fait face, M. Balogun a finalement obtenu une évaluation selon laquelle il était tout à fait qualifié pour occuper un poste d’officier, et qu’il restait simplement à régler les problèmes de dettes qui avaient été découverts dans le cadre du processus de recrutement :

[traduction]

M. Balogun a manifesté une bonne compréhension des qualités exigées d’un chef, et son assiduité dans ses activités éducatives et sportives ainsi que sa capacité d’exercer un emploi à titre de conseiller indiquent un degré élevé de discipline et d’engagement. M. Balogun a été informé de l’obligation de régler les problèmes de dettes avant l’enrôlement. M. Balogun est temporairement non admissible tant qu’il ne prouvera pas que la question des dettes a été réglée; si ce n’était cette exigence, il obtiendrait une évaluation supérieure à la moyenne (MP7) pour le programme d’enrôlement direct en qualité d’officier de la Réserve à titre d’officier LOG R69, auprès du 25e Bataillon des services.

 

 

[98]           Par conséquent, peu importe ce qui a été dit à M. Balogun ou ce qu’on a écrit avant que ce rapport soit rédigé, cela n’a pas empêché le capitaine Thompson d’effectuer une évaluation fort flatteuse. Le seul facteur qui rendait M. Balogun [traduction] « temporairement non admissible » se rattachait à la question des dettes; je crois qu’il faut faire des remarques distinctes à ce sujet.

 

La question des dettes

 

[99]           M. Balogun signale que la façon dont les FC ont traité la question « dettes » n’est pas très sensée; c’est peut‑être vrai, mais il s’agit de savoir si les FC ont utilisé des dettes apparentes comme excuse pour écarter M. Balogun des FC parce qu’il est de race noire, qu’il est musulman et qu’il est d’origine africaine.

 

[100]       Le facteur « dette » entre en ligne de compte à cause d’une politique de sécurité du ministère de la Défense nationale et d’une directive de recrutement qui portent sur les vérifications de la fiabilité aux fins de l’enrôlement dans les FC. La directive de recrutement prévoit qu’il est obligatoire pour l’admissibilité à l’enrôlement que les recrues obtiennent la cote de fiabilité approfondie. La vérification de la fiabilité approfondie utilisée par les FC comprend ce qui suit :

[traduction]

[...] une évaluation de la fiabilité, dans la mesure du possible, au moyen de références à d’anciens employeurs ainsi que la vérification des antécédents criminels, du nom et la vérification de la solvabilité.

 

 

[101]       Selon la directive de recrutement, en évaluant la vérification de la solvabilité d’une recrue, il faut tenir compte des facteurs suivants :

a.       Le degré d’endettement;

b.       La raison de l’endettement;

c.       La question de savoir si la situation est stable ou si elle est changeante;

d.       La réaction du candidat au problème;

e.       La nature des fonctions et l’accès à des renseignements ou à des actifs désignés.

 

[102]       Lors de l’entrevue qu’il a eue avec le capitaine Thompson, le 17 juillet 2002, on a dit à M. Balogun qu’une vérification de la solvabilité avait révélé qu’il devait de l’argent chez Zeller et chez Eaton.

 

[103]       Dans son rapport, le capitaine Thompson fait de deux façons mention de la question des dettes :

            [traduction]

a.       Un compte de M. Balogun avait été radié à titre de créance irrécouvrable et un autre compte avait été envoyé pour recouvrement. Il ne pouvait pas faire de commentaires au sujet de l’une ou l’autre dette et il a déclaré être en mesure de faire face à ses obligations financières compte tenu de l’échelle des salaires actuelle des FC;

b.       M. Balogun a été informé de l’obligation de régler les problèmes de dettes avant l’enrôlement. M. Balogun est temporairement non admissible tant qu’il ne prouvera pas que la question des dettes a été réglée; si ce n’était cette exigence, il obtiendrait une évaluation supérieure à la moyenne (MP7) pour le programme d’enrôlement direct en qualité d’officier de la Réserve à titre d’officier LOG R69, auprès du 25e Bataillon des services.

 

[104]       M. Balogun a fait grand cas du commentaire du capitaine Thompson selon lequel : [traduction] « Il ne pouvait pas faire de commentaires au sujet de l’une ou l’autre dette [...]. » Il affirme avoir fait des commentaires et avoir clairement dit que les dettes n’étaient pas les siennes et qu’il y avait une erreur. Il croit que les inexactitudes, dans le compte rendu que le capitaine Thompson a fait au sujet de sa position à l’égard des dettes, font partie de l’effort systémique, pour des motifs de distinction illicite visés à l’article 7, de l’écarter des FC.

 

[105]       Toutefois, il semble passablement certain que la vérification à laquelle les FC ont procédé avait révélé des dettes enregistrées chez Zeller et chez Eaton. La preuve montre également que M. Balogun ne pouvait pas expliquer ces dettes et que, lors de l’entrevue qu’il a eue avec le capitaine Thompson et par la suite, il a fait des conjectures au sujet de la raison pour laquelle les dettes lui avaient été imputées. Il a soutenu que Zeller et Eaton avaient falsifié leurs comptes ou qu’il devait y avoir eu un vol d’identité quelconque. Il a effectué ses propres recherches et Equifax Canada a confirmé l’existence d’une dette chez Zeller, au montant de 1 794 $, et d’une dette chez Eaton, au montant de 1 183 $. Il a ensuite menacé d’engager des poursuites contre Equifax, contre Eaton et contre Zeller.

 

[106]       Nous ne connaissons toujours pas les circonstances dans lesquelles ces dettes ont été imputées à M. Balogun. Une recherche ultérieure, le 26 janvier 2005, a révélé qu’elles avaient été supprimées. Cependant, nous ne savons pas comment ou pourquoi le dossier a été modifié.

 

[107]       Je ne crois pas que le capitaine Thompson et les FC puissent être blâmés pour avoir porté la question des dettes à l’attention de M. Balogun. Les CF savaient simplement que les dettes avaient été enregistrées dans un système et que M. Balogun niait être endetté, mais qu’il pouvait uniquement faire des conjectures au sujet de la raison pour laquelle les dettes lui avaient été imputées.

 

[108]       Dans le contexte du rapport du capitaine Thompson dans son ensemble, je crois que M. Balogun accorde trop d’importance aux mots : [traduction] « Il ne pouvait pas faire de commentaires au sujet de l’une ou l’autre dette [...]. » Cela me semble être une tentative plutôt maladroite du capitaine Thompson pour dire que M. Balogun ne pouvait pas expliquer comment les dettes chez Zeller et chez Eaton lui avaient été imputées. Il en est encore ainsi. D’une part, il reste que les dettes ont été enregistrées et il y a le rapport d’Equifax; d’autre part, M. Balogun a nié être endetté et il y a les conjectures qu’il a faites au sujet des circonstances dans lesquelles des dettes avaient peut‑être été enregistrées. Le capitaine Thompson a informé M. Balogun que la question des dettes devait être réglée avant l’enrôlement.

 

[109]       À mon avis, ce qui est moins satisfaisant, c’est la raison pour laquelle ces dettes devaient entraîner la suspension de l’enrôlement de M. Balogun, compte tenu de la situation financière générale de celui‑ci et de la position qu’il avait prise, comme l’a reconnu le capitaine Thompson lorsqu’il a dit que M. Balogun [traduction] « a déclaré être en mesure de faire face à ses obligations financières compte tenu de l’échelle des salaires actuelle des FC ».

 

[110]       Les dettes pouvaient difficilement être considérées comme importantes et pourtant, c’est ce facteur qui a rendu M. Balogun [traduction] « temporairement non admissible » aux fins de l’enrôlement.

 

[111]       Comme la preuve le montre également, les FC ont par la suite pris la position selon laquelle le processus d’enrôlement resterait en suspens tant que M. Balogun ne démontrerait pas hors de tout doute raisonnable qu’il n’était pas endetté. En d’autres termes, il incombait à M. Balogun de résoudre la question des dettes, et M. Balogun a finalement menacé de poursuivre Equifax, Zeller et Eaton. Il semble que seule la suppression des dettes du système d’enregistrement pouvait satisfaire les FC.

 

[112]       Selon les explications données par les FC, un candidat ne se voit pas refuser un emploi dans les FC simplement parce qu’il a contracté des dettes. S’il existe une dette, un certain nombre de facteurs sont pris en considération lorsqu’il s’agit de décider si la recrue est apte à faire partie des FC, notamment la façon dont elle s’occupe de ces dettes.

 

[113]       Dans ce cas‑ci, M. Balogun s’est occupé des dettes qui lui étaient imputées en niant qu’elles étaient les siennes, en faisant des conjectures au sujet de faux enregistrements et d’un vol d’identité et en menaçant d’engager des poursuites.

 

[114]       Encore une fois, je puis fort bien comprendre pourquoi M. Balogun doit avoir cru que la question des dettes était utilisée comme excuse en vue de l’empêcher de s’enrôler dans les FC, étant donné le faible montant des dettes, sa solvabilité financière générale et le fait qu’il niait que les dettes étaient bien les siennes. D’autre part, une recherche courante et un rapport du Grand prévôt adjoint Sécur 2 des FC en ce qui concerne l’analyse des antécédents en matière de crédit avaient permis de découvrir les dettes enregistrées et il n’y avait aucune façon pour les FC de savoir dans quelles circonstances ces dettes avaient été contractées, ou si les conjectures de M. Balogun étaient en réalité fondées, ou encore si M. Balogun refusait tout simplement d’admettre la réalité.

 

[115]       Il est facile de voir, eu égard aux circonstances de l’espèce, pourquoi la question des dettes a acquis encore plus d’importance que celle qui lui aurait normalement été accordée. Le mystère n’est toujours pas éclairci, bien qu’il soit maintenant clair qu’au 26 janvier 2005, les enregistrements effectués par Zeller et Eaton avaient été supprimés.

 

[116]       C’est dans ce climat de confusion et de conjectures que l’enquêteur a dû procéder à son évaluation de la situation dans son rapport. L’enquêteur a examiné fort minutieusement la preuve et les arguments avancés par les deux parties et il a tiré les conclusions suivantes :

[traduction]

67. La politique du Conseil du Trésor dit ce qui suit : « La présence de renseignements défavorables dans un rapport de crédit peut constituer, mais ne constitue pas nécessairement une raison suffisante pour refuser la cote de fiabilité approfondie. Quand le rapport de crédit contient des renseignements défavorables, l’agent responsable doit déterminer : Dans quelle mesure la personne a modifié ses habitudes financières qui affectent sa fiabilité sur ce plan. La probabilité que la personne connaisse de nouvelles difficultés financières et l’effet que cela pourrait avoir sur la fiabilité dans l’emploi. »

 

68. La preuve montre que le processus d’enrôlement du plaignant a été temporairement laissé en suspens à cause des dettes que celui‑ci avait contractées. Il ressort de la preuve que la demande d’enrôlement du plaignant n’a pas été rejetée à cause des dettes; avant que le processus d’enrôlement puisse se poursuivre, le plaignant devait plutôt fournir des documents montrant qu’il avait remédié à la situation.

 

69. La preuve montre que le plaignant a fourni les documents requis le 26 janvier 2005 seulement.

 

[...]

 

76. La preuve montre que les FC exigent que tous les candidats fassent l’objet d’une vérification approfondie de la fiabilité (sécurité), dans le cadre de laquelle une vérification de la solvabilité est effectuée. Les CF utilisent la politique du Secrétariat du Conseil du Trésor pour faire cette vérification.

 

77. La preuve montre que, dans le cadre de l’application de cette politique, la vérification de la solvabilité fait partie de l’évaluation de l’aptitude du candidat. Toutefois, lorsque le candidat fait face à un problème de solvabilité, cela ne l’empêche pas pour autant de s’enrôler dans les FC; il s’agit plutôt de savoir comment il s’occupera de ce problème.

 

78. La preuve n’étaye pas l’allégation du plaignant selon laquelle la politique de sécurité et la vérification de la solvabilité ont été utilisées en vue de laisser temporairement sa candidature en suspens. Selon les documents fournis par le plaignant et par le défendeur, il semble que le recrutement ait été mis en suspens parce que le plaignant n’avait pas fourni de documents montrant que le problème des dettes avait été réglé. Le plaignant a signé son formulaire de plainte contre les FC le 26 février 2004 et il a finalement fourni le 26 janvier 2005 aux FC les documents montrant que le problème des dettes avait été réglé.

 

[117]       Le rapport révèle que la preuve et les arguments des deux parties ont minutieusement été examinés sur ce point. Il est toujours possible de ne pas être d’accord, mais je ne puis dire que l’enquête ou les conclusions de l’enquêteur sur ce point étaient déraisonnables.

 

La plainte fondée sur l’article 10

 

[118]       L’enquêteur est arrivé à la conclusion selon laquelle il n’était pas nécessaire d’enquêter sur la partie de la plainte qui était fondée sur l’article 10 :

[traduction]

70. Étant donné que la preuve semble indiquer que le plaignant n’était pas admissible à un emploi parce qu’il n’avait pas passé la vérification de la solvabilité, il est inutile de procéder à l’examen du critère i., à savoir si le défendeur se fonde sur une politique, sur une règle, sur une pratique ou sur une norme comme fondement du présumé acte discriminatoire.

 

 

[119]       M. Balogun affirme qu’en arrivant à cette conclusion, l’enquêteur et la Commission ont commis une erreur de droit. Il affirme qu’une vérification de la solvabilité n’est pas une exigence fonctionnelle pour un poste dans les FC et qu’il incombe aux FC de justifier cette exigence. Il affirme que l’enquêteur a commis une erreur de droit parce qu’il n’a pas enquêté sur ce point et demandé aux FC de justifier cette exigence.

 

[120]       Les défendeurs font valoir que, selon le formulaire de plainte de M. Balogun et les lettres qui ont été échangées, la plainte fondée sur l’article 10 était initialement axée sur l’allégation selon laquelle les FC avaient utilisé leur politique de vérification approfondie de la fiabilité en vue de l’écarter des FC, et ce, d’une façon inéquitable. Les défendeurs disent également qu’un employeur n’est tenu de démontrer qu’une condition d’emploi est une exigence professionnelle justifiée qu’après qu’une preuve prima facie de discrimination a été établie. Étant donné que l’enquêteur n’a pas conclu à l’existence d’une preuve prima facie de discrimination, il n’avait pas à se demander si une vérification de la solvabilité était une exigence professionnelle justifiée.

 

[121]       La déclaration de l’enquêteur, au paragraphe 70 du rapport, était que [traduction] « le plaignant n’était pas admissible à un emploi parce qu’il n’avait pas passé la vérification de la solvabilité [...] ».

 

[122]       Le rapport du capitaine Thompson révèle que l’évaluation de M. Balogun était [traduction] « supérieure à la moyenne », mais que M. Balogun était [traduction] « temporairement non admissible tant qu’il ne prouvera[it] pas que les dettes [avaient] été réglées [...] ».

 

[123]       Or, M. Balogun a prouvé le 26 janvier 2005 seulement que son problème de solvabilité avait été réglé. L’enquêteur a donc conclu qu’à l’époque en cause, M. Balogun n’était pas admissible à l’emploi auquel il s’était porté candidat.

 

[124]       Toutefois, il importe de se rappeler que ce n’étaient pas simplement les dettes actives qui rendaient M. Balogun non admissible. C’est plutôt parce que M. Balogun n’avait pas réglé la question des dettes dans le cadre d’une évaluation de la fiabilité. M. Balogun a simplement nié que les dettes étaient les siennes et il s’attendait à ce que cela soit suffisant. Il a ensuite eu recours à des conjectures et à des mesures judiciaires extrêmes, ce qui a simplement eu pour effet d’aggraver la situation parce que cela ne facilitait pas l’évaluation de sa fiabilité, dans le cadre de laquelle la question des dettes n’était qu’un facteur. Comme le capitaine Thompson l’a signalé à l’enquêteur, ce n’est pas l’existence de dettes qui était en cause. La question de la fiabilité se rapportait plutôt à la façon dont M. Balogun allait remédier à la situation. M. Balogun s’est contenté de nier que les dettes étaient les siennes. Cependant, il ne proposait pas de remédier à la situation. Une simple dénégation n’a rien à voir avec la question de la fiabilité à moins, bien sûr, que M. Balogun puisse fournir une preuve objective quelconque ou qu’il puisse confirmer qu’une erreur a été commise. La preuve objective que les dettes n’étaient pas celles de M. Balogun au moment où celui‑ci a eu son entrevue avec le capitaine Thompson n’a jamais été fournie. M. Balogun a simplement produit un rapport de crédit d’Equifax en 2005, lequel montrait que les enregistrements avaient été supprimés.

 

[125]       M. Balogun affirme qu’une vérification de la solvabilité n’est pas une exigence fonctionnelle pour occuper un poste dans les FC. Toutefois, telle n’est pas la question. C’est la fiabilité qui est en cause; or, je ne dispose d’aucun argument montrant que la fiabilité n’est pas une exigence fonctionnelle pour un officier. La vérification des antécédents criminels et la vérification de la solvabilité, ainsi que la réaction du candidat face à ce que ces vérifications ont révélé, ne constituent qu’un aspect de la détermination de la fiabilité.

 

[126]       À mon avis, M. Balogun n’a pas raison d’affirmer que [traduction] « le MDN a affirmé que la solvabilité fait partie des qualités requises pour exercer un emploi d’officier dans les FC [...] ». La fiabilité fait partie des qualités requises et les FC utilisent simplement divers moyens pour établir la fiabilité, notamment en procédant à une vérification de la solvabilité et en discutant ensuite avec le candidat de la façon dont celui‑ci envisage de remédier à la situation. Or, M. Balogun a simplement nié que les deux dettes en question étaient les siennes. De toute évidence, il ne suffisait pas de nier la chose pour permettre aux FC d’apprécier la fiabilité de M. Balogun pour ce qui est de sa solvabilité. Les dénégations, les conjectures et les menaces de poursuites ne sont pas des indices de fiabilité. Pourtant, M. Balogun a fourni fort peu d’autres preuves tant qu’il n’a pas produit le rapport de crédit d’Equifax en 2005.

 

[127]       M. Balogun affirme avoir [traduction] « établi une preuve prima facie de discrimination et que le MDN n’a pas fourni la moindre preuve à l’appui de sa justification ».

 

[128]       Toutefois, les FC ont fourni des éléments de preuve et une explication au sujet de l’évaluation de la fiabilité et de la façon dont elles utilisent les recherches en matière de solvabilité pour apprécier la fiabilité des candidats à des postes d’officiers.

 

[129]       L’enquêteur n’a pas ensuite procédé à un examen des questions de justification parce que, en fait, il n’existait aucune preuve prima facie de discrimination eu égard aux faits. La demande de M. Balogun a simplement été laissée en suspens en attendant que la question de la solvabilité soit réglée. Or, la question de la solvabilité soulève des préoccupations quant à la fiabilité. M. Balogun n’a pas réglé la question de sa solvabilité de façon que sa fiabilité puisse être pleinement appréciée.

 

[130]       Il n’existait aucune preuve prima facie de discrimination et, par conséquent, rien ne permettait à l’enquêteur d’examiner les questions de justification. Dans l’arrêt Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. British Columbia Government and Service Employees’ Union (B.C.G.S.E.U.) (grief Meiorin), [1999] A.C.S. no 46, paragraphes 69 et 70, la cour dit que Mme Meiorin « s’est acquittée de l’obligation d’établir qu’à première vue la norme aérobique est discriminatoire envers elle en tant que femme » et que, cela étant, « il appartient au gouvernement de démontrer que la norme aérobique est une EPJ ».

 

[131]       En l’espèce, il n’existait aucune preuve prima facie montrant que M. Balogun avait été victime de discrimination et, en particulier, qu’un critère de fiabilité utilisant, entre autres, une vérification de la solvabilité et la façon de s’occuper de dettes actives apparentes comme moyen d’apprécier la fiabilité constituait de la discrimination à l’endroit de M. Balogun, en sa qualité de candidat de race noire, de musulman et de personne d’origine africaine.

 

[132]       Eu égard aux faits de l’espèce, il n’y a pas eu refus d’engager M. Balogun pour un motif de distinction illicite. M. Balogun a été évalué comme étant [traduction] « temporairement non admissible tant qu’il ne prouvera[it] pas que les dettes [avaient] été réglées » et il savait que son dossier serait finalement fermé s’il ne s’occupait pas de cette question. Je ne puis constater aucune erreur de droit de la part de l’enquêteur et de la Commission sur ce point.

 

Les questions d’équité procédurale

 

[133]       J’ai examiné chacune des questions d’équité procédurale soulevées par M. Balogun par rapport à la norme applicable : la décision correcte. Pour qu’une décision fondée sur le sous‑alinéa 44(3)b)(i) soit équitable sur le plan de la procédure, les conditions générales suivantes doivent être remplies :

a.       L’enquête doit être rigoureuse et neutre;

b.       La Commission doit informer les parties de la substance de la preuve obtenue dans le cadre de l’enquête, elle doit donner aux parties l’occasion de répondre à cette preuve et elle doit ensuite rendre sa propre décision en se fondant sur la preuve et sur les observations qui ont été soumises.

 

[134]       Ces règles générales sont énoncées dans la décision Slattery c. Canada (CDP), [1994] A.C.F. no 181 (C.F. 1re inst.), paragraphes 47 à 49. La décision Slattery montre également clairement qu’en décidant si une enquête est équitable, la Cour doit tenir compte de la nécessité de maintenir un système qui fonctionne et qui est efficace sur le plan administratif. Voir Slattery, paragraphes 55 et 56.

 

Les témoins

 

[135]       M. Balogun soutient que tous les témoins possibles qu’il a proposés auraient dû être interrogés. On ne sait pas trop, d’après les noms qui ont été soumis, comment ces témoins auraient pu amener l’enquêteur à modifier ses conclusions, ou comment la décision de l’enquêteur de ne pas interroger les témoins l’a empêché d’évaluer à fond ce qui était arrivé à M. Balogun dans les tentatives que celui‑ci avait faites pour s’enrôler dans les FC.

 

[136]       Les témoins que l’enquêteur a interrogés ont donné à celui‑ci suffisamment de renseignements, en plus de la preuve documentaire, pour qu’il puisse avoir une idée objective et claire de ce qui s’était passé. Rien ne donne à penser que le fait d’interroger tous les témoins désignés par M. Balogun aurait vraiment changé la situation. La décision Slattery montre clairement qu’il n’est pas nécessaire d’interroger tous les témoins proposés par l’une ou l’autre partie :

69. Le fait que l’enquêteu[r] n’ait pas interrogé chacun des témoins recommandés par [M. Balogun] et le fait que la conclusion tirée par l’enquêteu[r] ne mentionne pas chacun des prétendus incidents de discrimination n’ont pas non plus de conséquence absolue. Cela est encore plus vrai lorsque [M. Balogun] a l’occasion de combler les lacunes laissées par l’enquêteu[r] en présentant subséquemment ses propres observations. En l’absence de règlements qui lui donnent des lignes directrices, l’enquêteu[r], tout comme la CCDP, doit être maître de sa propre procédure, et le contrôle judiciaire d’une enquête prétendument déficiente ne devrait être justifié que lorsque l’enquête est manifestement déficiente.

 

 

[137]       Je ne puis dire, eu égard à la preuve mise à ma disposition, que l’enquête était clairement déficiente. De fait, il me semble que l’enquêteur a fait ce qu’il fallait pour déterminer ce qui était arrivé à M. Balogun, pourquoi cela était arrivé, et si cela constituait une certaine forme de discrimination.

 

L’omission de tenir compte de la preuve

 

[138]       En plus d’alléguer l’omission générale de l’enquêteur d’interroger tous les témoins qu’il a proposés et de recueillir des renseignements additionnels, M. Balogun affirme que la Commission n’a pas tenu compte d’un article du Globe and Mail du 11 avril 2007 selon lequel une vérification du MDN avait révélé un arriéré de 26 000 employés pour lesquels aucune enquête de sécurité n’avait été effectuée. M. Balogun affirme qu’on lui a refusé un emploi à cause d’un problème de dettes non résolu, alors que l’absence d’enquête de sécurité n’avait pas empêché 26 000 personnes de devenir des employés du MDN.

 

[139]       Cet article a été fourni à la Commission après que l’enquêteur eut terminé son rapport. Rien ne donne à penser que l’article du Globe and Mail n’a pas été pris en considération par la Commission avec tous les autres commentaires que M. Balogun a soumis avant que la décision soit rendue. Je ne puis dire que la Commission n’a pas tenu compte de cette preuve.

 

[140]       Il est également difficile de voir comment cette preuve peut se rapporter à une vérification de la fiabilité de M. Balogun qui a eu lieu en 2002. La Cour ne dispose pas de suffisamment d’éléments pour établir l’existence d’un lien entre la vérification du MDN ou l’enquête de sécurité et le fait que le capitaine Thompson a déclaré que M. Balogun était [traduction] « temporairement non admissible tant qu’il ne prouvera[it] pas que les dettes [avaient] été réglées ». Quant à moi, le problème découle en réalité du fait que M. Balogun n’a pas reconnu l’existence des dettes et n’a pas réglé le problème, comme ce serait normalement le cas. M. Balogun a nié avec véhémence l’existence des dettes, il a fait des conjectures au sujet de ce qui était arrivé, et il a finalement eu recours à des poursuites. En d’autres termes, il s’agissait d’une situation fort singulière et ni l’une ni l’autre partie ne semble avoir su quelle était l’importance réelle de ces dettes en ce qui concerne la fiabilité de M. Balogun à titre d’officier. M. Balogun ne voulait pas reconnaître sa responsabilité à l’égard des dettes et les FC ne pouvaient aucunement savoir si les assertions de M. Balogun étaient exactes. Le capitaine Thompson a donc conseillé à M. Balogun de remédier à la situation. M. Balogun ne l’a fait qu’en 2005, lorsqu’il a finalement présenté un rapport de crédit d’Equifax qui montrait que les dettes chez Zeller et chez Eaton avaient été supprimées. Nous ne savons toujours pas comment cela est arrivé.

 

[141]       Il est difficile d’établir l’existence d’un lien entre cette question de dettes, qui sort plutôt de l’ordinaire, et qui se rapporte à la question de la fiabilité en 2002, d’une part, et une vérification du MDN se rattachant à l’enquête de sécurité, d’autre part. De bien des façons, la question des dettes a pris de l’ampleur et M. Balogun devait arriver à une solution.

 

[142]       Je ne crois donc pas qu’il soit possible de dire que la Commission n’a pas tenu compte de la vérification de 2007 ou que cette vérification avait, pour la conclusion tirée par la Commission, une si grande importance qu’il fallait la traiter expressément en tant qu’élément de preuve.

 

La communication

 

[143]       M. Balogun déclare que l’enquêteur a refusé à tort de lui communiquer des documents. En particulier, il affirme que le rapport du capitaine Thompson du 18 juillet 2002 aurait dû lui être remis.

 

[144]       M. Balogun n’a soumis à la Cour aucune décision faisant autorité disant qu’il a le droit de voir des documents particuliers ou de mettre en question les remarques générales qui ont été faites au paragraphe 47 de la décision Slattery, à savoir que « pour s’acquitter de l’obligation d’agir équitablement, la CCDP devait informer les parties de la substance de la preuve obtenue par l’enquêteur et produite devant la CCDP ». Cette exigence vise à donner aux parties l’occasion de répondre à la preuve et de « faire toutes les observations pertinentes ».

 

[145]       En l’espèce, M. Balogun n’a pas réussi à me convaincre qu’on ne lui a pas fourni la substance de la preuve à la suite d’une enquête neutre et rigoureuse et du rapport de l’enquêteur. M. Balogun considère le rapport du capitaine Thompson comme crucial parce qu’il renfermait une inexactitude sur laquelle il ne pouvait pas faire des commentaires puisqu’il n’avait pas vu le rapport même. M. Balogun affirme que cette inexactitude était [traduction] qu’« il ne pouvait pas faire de commentaires au sujet de l’une ou l’autre dette [...] ». Il déclare avoir fait des commentaires et avoir clairement fait expressément savoir que ces dettes n’étaient pas les siennes. Toutefois, dans le contexte du rapport dans son ensemble, je ne considère pas cette question comme importante. Il s’agit uniquement d’une façon maladroite de dire que M. Balogun ne pouvait pas expliquer pourquoi des dettes lui avaient été imputées; par conséquent, il s’agissait de toute évidence d’une question qu’il restait à régler dans le contexte d’une vérification de la fiabilité : [traduction] « Il a été informé de l’obligation de régler les problèmes de dettes avant l’enrôlement. »

 

[146]       L’examen du rapport de l’enquêteur montre clairement qu’on a fourni à M. Balogun la substance de la preuve obtenue lors qu’une enquête neutre et rigoureuse et, en particulier, que la portée et les conséquences des discussions qu’il avait eues avec le capitaine Thompson ont été portées à sa connaissance :

[traduction]

53. Au cours de la vérification de la solvabilité, les FC ont eu recours à des agences nationales d’évaluation du crédit qui ont indiqué que M. Balogun avait contracté des dettes. On a demandé à M. Balogun de fournir des documents montrant que la question des dettes avait été réglée; toutefois, M. Balogun n’a pas fourni de documents. Par conséquent, sa demande d’enrôlement dans les FC a été temporairement laissée en suspens.

 

54. On a demandé au plaignant d’informer le défendeur par écrit de la façon dont il s’occuperait de la question des dettes. On l’a également informé qu’une fois que cette question serait réglée, le processus de demande serait réactivé. Le colonel Tremblay l’a également informé de la chose au moyen d’une lettre.

 

55. Par conséquent, le défendeur affirme que tant que la question des dettes n’était pas réglée, le plaignant n’était pas admissible à l’enrôlement dans les FC à titre d’officier de la Réserve de l’Armée.

 

56. Le défendeur déclare que le plaignant satisfait aux exigences, quant aux études, et qu’il est physiquement apte à s’enrôler comme officier de la Réserve de l’Armée. Il déclare que dans le cadre du processus d’enrôlement, le gouvernement du Canada exige une habilitation préalable de sécurité. Il déclare qu’avant que la date de l’entrevue d’enrôlement soit fixée, il faut obtenir l’habilitation préalable de sécurité. Dans le cadre du processus d’habilitation de sécurité, il faut procéder à une vérification de la solvabilité.

 

57. Le 18 juillet 2002, le rapport d’évaluation du plaignant renfermait les déclarations suivantes : le plaignant était fort motivé et intelligent et il avait de bonnes qualités de chef. La dernière déclaration figurant dans le rapport d’évaluation du plaignant est la suivante : « [...] il obtiendrait une évaluation supérieure à la moyenne (MP7) pour le programme d’enrôlement direct en qualité d’officier de la Réserve à titre d’officier LOG R69 auprès du 25e Bataillon des services. » Toutefois, au cours de la vérification de la solvabilité, il a été constaté que le plaignant avait contracté plusieurs dettes qui avaient été envoyées pour recouvrement. On a informé le plaignant de la chose et on lui a dit qu’il serait considéré comme « temporairement non admissible » à l’enrôlement tant que le problème des dettes ne serait pas réglé. Les FC déclarent qu’il s’agit d’instructions permanentes d’opération.

 

58. Les FC ont déclaré que le plaignant avait nié que les dettes étaient les siennes, mais elles l’ont informé que cela n’était pas suffisant pour qu’il soit considéré comme ayant remédié à la situation. Au mois d’août 2002, après consultation supplémentaire en ce qui concerne les problèmes de dettes, les FC ont conclu que le plaignant n’avait pas remédié à la situation à leur satisfaction et son dossier a donc été fermé. Au mois de septembre, le dossier du plaignant a de nouveau été examiné et les FC ont conclu que le dossier avait été traité conformément à la politique et à la procédure applicables et que le dossier continuerait à être fermé tant que la question des dettes n’était pas réglée.

 

59. Au mois de décembre 2003, les FC ont confirmé la réception d’une lettre envoyée au major‑général Arp, dans laquelle le plaignant maintenait que les dettes n’étaient pas les siennes; toutefois, le rapport de crédit que le plaignant a fourni indiquait que la dette envers un des créanciers avait augmenté, alors que la dette envers l’autre avait diminué. Par conséquent, les FC maintiennent que la dette était celle du plaignant même si celui‑ci niait la chose. Dans sa lettre, le major‑général Arp déclarait que cela n’était pas suffisant pour remédier à la situation.

 

60. Les FC ont indiqué que la [traduction] « solution proposée sur ce point – à savoir devenir avocat et agir pour son propre compte dans des poursuites civiles contre Sears et Zeller – ne peut pas être considérée comme une preuve indiquant une tentative pour acquitter les dettes, de sorte que le dossier continuera à être fermé ».

 

61. En conclusion, les FC nient que le processus d’enrôlement était fondé sur des politiques racistes; le refus temporaire d’enrôler le plaignant dans les FC était plutôt fondé sur les antécédents de celui‑ci en matière de crédit. Les FC disent qu’une fois que le plaignant aura réglé le problème de solvabilité, la demande qu’il a présentée à titre d’officier de la Réserve de l’Armée sera rouverte.

 

62. Le 20 février 2007, l’enquêteur a interrogé le major Thompson, qui était le conseiller de carrière militaire de M. Balogun. Le major Thompson a déclaré qu’au cours de l’entrevue qu’il avait eue avec M. Balogun, ils avaient discuté des résultats de l’enquête de sécurité et, plus précisément, du fait que la solvabilité de M. Balogun posait un problème. Le major Thompson a dit que le dossier n’avait pas été laissé temporairement en suspens à cause de l’existence de dettes actives.

 

63. Le major Thompson a déclaré que, dans bien des cas, les candidats ont des dettes et que, dans le cadre de la vérification de la fiabilité, la question est examinée avec le candidat en vue de déterminer la façon dont il sera remédié à la situation. Le major Thompson a déclaré que, par exemple, si un candidat a une grosse dette et des versements mensuels de 3 000 $ ou 4 000 $ et qu’il ne touche que 1 200 $ au sein des FC, les FC se demandent comment le candidat arrivera à s’occuper de la dette d’une façon responsable. Dans bien des cas, les candidats sont informés que tant qu’ils ne remédieront pas à la situation, leur demande sera temporairement laissée en suspens.

 

64. Le major Thompson a déclaré qu’en ce qui concerne M. Balogun, la question ne se rapportait pas au fait que le dossier avait été renvoyé pour recouvrement, mais qu’il s’agissait plutôt de savoir comment M. Balogun allait remédier à la situation. Le major Thompson a ajouté que M. Balogun avait affirmé avec insistance que les dettes n’étaient pas les siennes étant donné qu’il avait été victime d’un vol d’identité. Le major Thompson a indiqué que si c’était le cas, les FC auraient besoin de documents quelconques, comme une déclaration à cet effet de la banque ou de la police ou encore du créancier, montrant que c’était le cas.

 

65. Le major Thompson a dit que M. Balogun avait affirmé avec insistance qu’il incombait aux FC de prouver que les dettes n’étaient pas les siennes. Le major Thompson a dit qu’il avait essayé d’expliquer à M. Balogun qu’il lui incombait de le faire, que les FC n’étaient pas en mesure d’entamer pareil processus et que, tant qu’il ne fournirait pas de documents montrant comment il allait s’occuper des dettes, la demande d’enrôlement ne pouvait pas aller de l’avant.

 

[147]       Je ne puis dire que M. Balogun a subi un préjudice quelconque lorsqu’il s’est agi de répondre au rapport, du fait qu’il n’avait pas reçu de copie de la lettre du capitaine Thompson ou quelque autre document particulier.

 

Le parti pris

 

[148]       M. Balogun affirme que l’enquêteur avait un parti pris parce qu’il l’a informé qu’il espérait arriver à un règlement entre les parties au moyen de la médiation.

 

[149]       Je ne dispose d’aucun élément de preuve montrant que les efforts que l’enquêteur a faits pour procéder par médiation l’ont empêché de produire un rapport neutre et rigoureux. L’enquêteur peut à bon droit discuter avec les parties des solutions possibles en vue du règlement (et, dans ce cas‑ci, les deux parties ont fait savoir qu’elles voulaient arriver à un règlement). Rien ne montre que les discussions en vue du règlement aient de quelque façon influé sur le rapport final.

 

Conclusions

 

[150]       Je conclus que M. Balogun a eu une fort mauvaise expérience dans ses rapports avec les FC. Il y a eu des retards et des interruptions fâcheuses dans le processus de recrutement. Il est arrivé que différents membres du personnel des FC ont dit des choses incompatibles à M. Balogun et la question des dettes était si étrange qu’elle a pris une ampleur anormale, de sorte qu’il est difficile de l’apprécier par rapport aux procédures normales. Toutefois, l’enquêteur a examiné ces questions et il a fourni un rapport neutre et rigoureux. Je ne puis conclure que l’une ou l’autre de ses conclusions était déraisonnable ou que ses méthodes étaient inéquitables sur le plan de la procédure. La Commission ne pouvait tout simplement pas, eu égard à la preuve et après une enquête rigoureuse, établir un lien entre les expériences auxquelles M. Balogun avait fait face et un motif illicite. Il est toujours possible de ne pas souscrire à ces conclusions, mais il ne m’appartient pas de trancher à nouveau l’affaire et je ne puis constater aucune erreur susceptible de révision dans la décision.

 

[151]       M. Balogun est fort intelligent, fort instruit et il a la parole facile. Il possède en outre un grand nombre d’autres qualités qui ont amené le capitaine Thompson à lui donner une fort bonne évaluation. De toute évidence, M. Balogun était tout à fait apte à occuper un poste d’officier. Si l’on considère l’affaire en prenant du recul, il semble étrange que les ambitions d’un tel candidat aient été déçues à cause de deux dettes passablement minimes.

 

[152]       Selon moi, la preuve donne à penser que les deux parties auraient pu traiter le problème des dettes d’une meilleure façon. Les FC auraient pu examiner les dettes actives dans le contexte de la situation financière générale de M. Balogun. Toutefois, en même temps, la réaction de M. Balogun face à l’enregistrement des dettes et le fait qu’il considérait leur existence comme un affront personnel ont occasionné une certaine polarisation. Les FC ne pouvaient aucunement savoir pourquoi les dettes avaient été enregistrées ou si les protestations de M. Balogun et les conjectures que celui‑ci faisait étaient fondées. Il incombait à M. Balogun de résoudre les questions de fiabilité qui se posaient en raison des dettes qui lui avaient été imputées. Or, il ne l’a pas fait et nous ne connaissons toujours pas les circonstances dans lesquelles ces dettes lui ont été imputées, et ce, bien que les enregistrements eussent finalement été supprimés.

 

[153]       Il s’agit de fait d’une situation malheureuse et plutôt étrange. Cependant, la question que la Commission devait trancher était de savoir s’il était possible d’établir un lien avec un motif illicite. La Commission a conclu qu’il était impossible d’établir un tel lien. J’ai examiné l’affaire et je ne crois pas que la Commission puisse être blâmée d’avoir tiré cette conclusion, et ce, même si je comprends bien le mécontentement et les soupçons de M. Balogun.


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Les deux parties pourront s’adresser à la Cour quant à la question des dépens. Elles pourront initialement le faire par écrit et la Cour décidera si une audience s’avère nécessaire. Bien sûr, chaque partie devra signifier à l’autre partie les observations qu’elle aura soumises à la Cour au sujet des dépens.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        T‑152‑08

 

 

INTITULÉ :                                       ABDUR-RASHID BALOGUN

 

                                                            c.

 

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE et

                                                            LE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               LE 17 MARS 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                      LE 23 AVRIL 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Abdur-Rashid Balogun                                                 POUR SON PROPRE COMPTE

 

Liz Tinker                                                                     POUR LES DÉFENDEURS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Abdur-Rashid Balogun                                                 POUR SON PROPRE COMPTE

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada                               POUR LES DÉFENDEURS

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