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Date : 20090415

Dossier : T‑1514‑06

Référence : 2009 CF 374

Ottawa (Ontario), le 15 avril 2009

En présence de monsieur le juge Harrington

 

ENTRE :

HARRY WAWATIE, TOBY DECOURSAY,

JEANNINE MATCHEWAN ET LOUISA PAPATIE,

EN LEUR QUALITÉ DE MEMBRES DU

CONSEIL DES ANCIENS DES MITCHIKANIBIKOK INIK

(également appelés les ALGONQUINS DU LAC BARRIÈRE)

 

demandeurs

 

et

 

 

LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET

DU NORD CANADIEN

 

défendeur

 

et

 

 

 

LE CONSEIL DES ANCIENS DES MITCHIKANIBIKOK INIK

(ALGONQUINS DU LAC BARRIÈRE)

SOUS LE CHEF DU CONSEIL, CASEY RATT

 

intervenants

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Tout n’est pas rose chez les Mitchikanibikok Inik, connus en français sous le nom d’Algonquins du Lac Barrière. Depuis au moins le milieu des années 1990, cette bande passe d’une crise de leadership à une autre; sa relation avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (MAINC) a tourné au vinaigre; le financement du gouvernement fédéral a été refusé ou interrompu; des sommes ont été saisies par des créditeurs et tout cela, alors que le peuple de cette bande souffre d’un niveau extrêmement élevé de chômage (plus de 60 %) et a des logements et une éducation inadéquats. Les conditions de vie sont déplorables et les ressources limitées de la bande pourraient être mieux utilisées qu’elles le sont présentement, alors que la bande passe d’une procédure judiciaire à une autre.

 

[2]               Bien que le territoire traditionnel de la bande comporte près de 10 000 kilomètres carrés, dans l’Ouest du Québec, au nord de Maniwaki, la réserve, qui a été établie à Rapid Lake en 1961, ne s’étend que sur environ 24 hectares. La bande est constituée d’environ 600 membres, a le plus haut niveau de chômage de toutes les bandes du Québec et est aussi la seule bande qui n’est pas desservie par Hydro Québec.

 

[3]               Il s’agit en l’espèce du contrôle judiciaire d’une décision du ministre, rendue en juillet 2006, d’imposer un séquestre‑administrateur à la bande. Conformément aux ententes de financement et à la politique d’intervention nationale qui fait partie de ces ententes, si, entre autres, la bande atteint un déficit cumulatif d’au moins 8 %, le ministre a le pouvoir de prendre des mesures correctives, la plus sévère de ces mesures étant le fait de gérer les fonds accordés par le MAINC et de les placer dans les mains d’un tiers de séquestre.

 

[4]               Bien que l’article 2 de la Loi sur les Indiens prévoie précisément qu’une bande agit par l’entremise de son Conseil, qui en l’espèce est un conseil coutumier, les demandeurs n’en font pas partie. Ils sont trois membres de ce qu’ils appellent le Conseil des anciens. Harry Wawatie, ancien chef et membre du Conseil des anciens, est décédé au cours de la procédure. Les demandeurs demandent une ordonnance annulant la décision du ministre de nommer un tiers de séquestre comme gestionnaire et souhaitent que l’affaire soit renvoyée au ministre avec la directive de clarifier la position financière de la bande avant de prendre des mesures correctives. Ils prétendent que, si le MAINC avait négocié de bonne foi dans le cadre des ententes précédentes, la bande n’aurait pas accumulé un déficit de 8 %. De cette façon, ces anciens souhaitent réparer ce qui, à leur avis, était un tort et ressusciter deux demandes de contrôle judiciaire qui ont été déposées dans les années 1990 et qui ont été rejetées pour défaut de poursuite.

 

[5]               Les demandeurs font aussi valoir que le ministre ne les a pas consultés correctement, comme l’exigent non seulement l’équité procédurale, mais aussi l’honneur de la Couronne dans les cas concernant les autochtones.

 

[6]               Le ministre défend fermement les actions du MAINC contestées, qui remontent au moins à 1991, et il est d’humeur combative. Il fait valoir que le MAINC a été injustement vilipendé au cours des années. Il soutient que tant la conclusion au sujet du déficit de 8 % que la décision de nommer un séquestre‑administrateur étaient raisonnables. De plus, la demande devrait être rejetée au motif que les demandeurs n’ont pas qualité pour agir.

 

[7]               Environ un mois avant l’audience, un autre groupe d’anciens a obtenu le statut d’intervenants. Dans ce groupe se trouvent Casey Ratt, qui prétend être le chef actuel de la bande, et les membres de son Conseil. Ils sont aussi d’avis que les demandeurs n’ont pas qualité pour agir et ils font valoir que de toute façon, la demande de contrôle judiciaire est théorique parce qu’ils négocient avec le MAINC pour faire retirer la gestion par séquestre‑administrateur. Cependant, un autre groupe qui prétend être le vrai chef de bande et le vrai Conseil, présentement représenté par Benjamin Nottaway, soutient les demandeurs depuis le début.

 

LA DÉCISION

[8]               J’ai conclu que, compte tenu des circonstances en l’espèce, les demandeurs n’ont pas qualité pour introduire une procédure de contrôle judiciaire. J’ai aussi conclu que la décision du ministre de nommer un séquestre‑administrateur survit au contrôle judiciaire. La décision était raisonnable tant pour l’évaluation du déficit de la bande, qui dépassait 8 %, qu’au niveau de l’intervention, qui a été de passer de la cogestion à la gestion par séquestre‑administrateur. Il n’y a eu aucun manquement au principe de justice naturelle, qu’il s’agisse d’équité procédurale ou de manquement aux attentes légitimes. L’honneur de la Couronne ne s’appliquait pas. La bande a précipité la décision en congédiant de façon unilatérale son cogestionnaire, ce qui a mis indûment en péril les ententes avec les créditeurs. La bande n’a aucun droit, que ce soit constitutionnel ou autre, de mal gérer les deniers publics.

 

LA QUALITÉ POUR AGIR

[9]               L’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales prévoit qu’une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par quiconque est « directement touché par l’objet de la demande ».

 

[10]           À première vue, les demandeurs prétendent qu’ils ont qualité pour agir. Les Algonquins du Lac Barrière sont une bande gouvernée par la coutume, dans laquelle les anciens jouent un rôle important. De plus, les demandeurs soutiennent qu’à titre de membres individuels de la bande, ils ont souffert de la perte de services découlant de l’imposition d’une gestion par séquestre‑administrateur, ou qu’ils auraient pu en souffrir. Enfin, ils font valoir qu’ils ont qualité pour agir dans l’intérêt public, parce qu’il n’y avait aucun autre moyen de présenter la décision aux cours.

 

[11]           Comme je l’ai déjà mentionné, l’article 2 de la Loi sur les Indiens prévoit qu’une bande agit par l’entremise de son Conseil, qui en l’espèce, est constitué d’un chef coutumier et de quatre conseillers.

 

[12]           Lorsque la décision a été prise de nommer un séquestre‑administrateur, Harry Wawatie était le chef incontesté. Il a démissionné en guise de protestation et, par conséquent, il n’a pu prétendre avoir qualité pour agir en l’espèce qu’à titre d’ancien et de membre de la bande. Cela a entraîné une autre crise, alors que deux factions ont prétendu avoir le pouvoir. La personne qui a remplacé le chef Wawatie, et le Conseil de cette personne, ont décidé, peu de temps après le début de la présente demande de contrôle judiciaire, d’appuyer la demande. Il n’y a eu aucune explication satisfaisante quant à savoir pourquoi ce Conseil de bande en particulier ne s’est pas fait ajouter comme demandeur en l’espèce. Peut‑être est‑ce parce que, à la même époque, une autre faction a écrit au ministre en soutenant qu’elle était le nouveau chef coutumier et le nouveau Conseil. Quoi qu’il en soit, il n’y avait aucune raison de se soustraire à l’article 2 de la Loi sur les Indiens.

 

[13]           Accorder qualité pour agir à ces anciens signifierait accorder qualité pour agir à tous les anciens. En effet, j’ai donné à d’autres anciens le statut d’intervenants pour qu’ils puissent contester la qualité pour agir des demandeurs, qui sont aussi des anciens. En ne prenant pas charge de la demande, le Conseil s’est gardé la possibilité de prétendre ne pas être visé par une décision défavorable ou une ordonnance quant aux dépens. Si, à date ultérieure, un nouveau Conseil de bande entrait en fonction, ce qui pourrait être le cas, des instructions auraient pu être données pour la substitution des avocats inscrits au dossier et pour l’abandon de la demande. En fait, c’est là la position des intervenants, qui soutiennent qu’ils sont le seul Conseil de bande légitime et qui font aussi valoir que la demande est maintenant théorique parce qu’ils participent à des négociations sérieuses avec le MAINC afin de mettre fin à la mesure temporaire de la gestion par séquestre‑administrateur. La plupart du temps, chacun des deux conseils de bande agit comme si l’autre n’existait pas. Le processus au cours duquel le chef Ratt et son Conseil ont été élus n’a pas été contesté en cour. Le dossier dont la Cour est saisie sous le numéro T‑462‑08, dont je ne suis pas saisi, porte sur la décision du MAINC d’inscrire les résultats du processus de sélection des dirigeants et de traiter avec le Conseil présidé par le chef Casey Ratt (voir Conseil de Mitchikanibikok Inik c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2009 CF 8, [2009] A.C.F. no 12 (QL)), plutôt qu’avec le Conseil présidé par le chef Benjamin Nottaway.

 

[14]           Les ententes globales de financement ont été prises par le Conseil de bande, et non par le Conseil des anciens. Il n’existe pas suffisamment de preuve pour déterminer que tout ancien a été directement affecté par la nomination d’un séquestre‑administrateur. Si un membre individuel de la bande, qu’il soit un ancien ou non, avait été affecté, il n’a été affecté qu’indirectement en refusant les services qui sont restés disponibles, services qui, selon toute probabilité, auraient été interrompus si le séquestre‑administrateur n’avait pas été nommé.

 

LE DÉFICIT DE 8 %

[15]           Heureusement, nous vivons dans une société suffisamment riche et bien gérée qui nous permet de compter des questions telles que la santé, l’éducation, le logement et un niveau de vie minimal comme étant essentielles. Par l’entremise du régime de gouvernement fédéral, beaucoup de ces programmes sont fournis et financés par les provinces. Cependant, en ce qui a trait aux Premières nations, l’article 91 de la Constitution déclare que la compétence exclusive du Parlement s’étend aux « Indiens et [aux] terres réservées pour les Indiens ». Pendant un certain temps, le MAINC fournissait directement les services. Cependant, dans l’intérêt de l’autonomie gouvernementale des Premières nations, des ententes de financement ont été mises en place avec les diverses bandes depuis un certain temps. L’Entente globale de financement en vigueur au Lac Barrière en juillet 2006 fait état d’un certain nombre d’événements qui ont constitué des manquements de la part du Conseil. Le manquement invoqué en l’espèce porte sur le fait que le Conseil a accumulé un déficit équivalent à 8 % ou plus de ses revenus annuels totaux. En cas de manquement, le ministre a le choix parmi plusieurs options. Les trois seules options qui méritent un examen sont : 1) son droit d’exiger du Conseil l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan de redressement dans les 60 jours civils, qu’il doit approuver; 2) son droit d’exiger du Conseil la conclusion d’une entente de cogestion; 3) son droit de nommer, sur présentation d’un avis au Conseil, un séquestre‑administrateur. Les trois options ont été utilisées à divers moments dans le passé. En effet, les deux premières mesures étaient en place juste avant la nomination du séquestre‑administrateur.

 

[16]           Bien que la vérification du MAINC, et même les rapports du Conseil, indiquent un déficit beaucoup plus grand que 8 %, les demandeurs soutiennent que, si le MAINC avait respecté ses engagements antérieurs, des fonds beaucoup plus importants auraient été accordés au Conseil et le déficit, sous forme de pourcentage, aurait été de moins de 8 %. De plus, en vertu d’une « disposition spéciale », qui était en place dans les ententes de financement depuis 1997, mais qui a été effacée par erreur de l’entente en vigueur après la nomination du séquestre‑administrateur, la disposition portant sur le déficit de 8 % était sans effet.

 

[17]           Essentiellement, le financement du MAINC à la bande ou visant les membres de la bande se présente sous trois formes. La première forme s’appelle « Entente de transferts souples ». Malgré ce nom, ces fonds couvrent des services essentiels tels que les soins de santé, l’éducation, le logement et d’autres besoins du même type. La deuxième forme est composée de subventions qui peuvent être utilisées pour l’administration de la bande, tel que le paiement des salaires. La troisième forme est un financement spécial ou des contributions pour des projets précis. Les demandeurs soutiennent que le MAINC a omis de financer certains projets et que c’est cette turpitude qui a entraîné le déficit.

 

[18]           Par exemple, si les fonds attribués par le MAINC sont d’une somme de 1 million de dollars et que les dépenses sont de 1,1 million de dollars, le déficit serait de 100 000 $ ou 10 %. Par contre, si une subvention additionnelle de 2 millions de dollars avait été fournie pour construire une école, et que cet argent avait été dépensé, le revenu aurait été de 3 millions de dollars et les dépenses auraient été de 3,1 millions de dollars. Exprimés en pourcentage, les 100 000 $ auraient constitué une dette de seulement 3,2 %. Pour examiner cet argument, il est nécessaire de tenir compte de la relation entre la bande et le MAINC de 1991 jusqu’à la nomination du séquestre‑administrateur en 2006.

 

UNE RÉTROSPECTIVE DE QUINZE ANS

[19]           Les demandeurs ont soulevé trois événements qui, à leur avis, devraient affecter le calcul du déficit de 8 % : 1) un accord trilatéral entre la bande, le gouvernement du Québec et le gouvernement du Canada qui a été signé en 1991; 2) les dispositions spéciales prises après la décision du MAINC de traiter avec un conseil de bande intérimaire en 1996, lesquelles dispositions font partie des ententes de contributions annuelles subséquentes; 3) une déclaration d’intention réciproque signée en 1997. Comme je l’ai déjà mentionné, les demandeurs sont d’avis que, si le MAINC avait fait ce qu’il devait faire, il n’y aurait pas eu de déficit de 8 %. Le MAINC conteste cet argument et ajoute que même s’il y avait eu manquement à l’accord trilatéral, ce qu’il nie avec véhémence, toute demande aurait été forclose. Il soutient que les dispositions spéciales sont une question réglée et que la déclaration d’intention réciproque n’a jamais créé de lien légal. Sauf pour l’allégation selon laquelle les demandeurs n’ont pas qualité pour agir et que la demande est maintenant théorique, les intervenants ne prennent pas position au sujet de ces événements, bien que par le passé, ils aient informé le MAINC qu’ils étaient inquiets au sujet de la nomination d’un séquestre‑administrateur.

 

[20]           L’accord trilatéral visait à garantir, dans le territoire traditionnel de la bande, la gestion rationnelle des ressources renouvelables et la poursuite des activités traditionnelles de la bande. La bande et le Québec ont déclaré qu’ils souhaitaient préparer une ébauche de plan de gestion intégrée et que [traduction] « […] le Canada, qui a des responsabilités fiduciaires spéciales envers les Algonquins du Lac Barrière, souhaite les appuyer dans cette entreprise ». Le processus comportait trois phases, et un certain financement devait être assuré par le Québec et le Canada. L’entente devait prendre fin en 1995. À cette date, les trois phases n’étaient pas terminées. Les demandeurs soutiennent que le contrat s’est poursuivi. Le MAINC fait valoir que le contrat ne s’est poursuivi que comme entente entre la bande et le Québec. Le MAINC n’avait pas accepté d’extension, mais il a néanmoins accepté de financer la bande pendant cinq ans supplémentaires, à titre de financement sous forme de contributions. Selon le MAINC, il y a toujours eu une enveloppe budgétaire, c’est‑à‑dire un plafond. Lorsqu’il a contribué 5 millions de dollars, il a cessé son financement.

 

[21]           Ce n’est pas à moi de déterminer, dans le cadre du présent contrôle judiciaire, si la bande peut faire une réclamation et, le cas échéant, si cette réclamation est forclose. J’ai mentionné pendant l’audience l’arrêt Saint-John Tug Boat Co. Ltd. c. Irving Refining Ltd., [1964] R.C.S. 614, qui portait sur la poursuite des services après la fin d’une période contractuelle et si l’on pouvait supposer de l’assentiment d’une partie que l’entente se poursuivait. Il serait trop hypothétique de tenir compte de l’accord trilatéral. La décision du MAINC de ne pas en tenir compte relevait des issues possibles raisonnables et ne devrait pas être modifiée (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190).

 

[22]           Il en va de même pour les dispositions spéciales qui, selon les demandeurs, remplacent et limitent le droit du ministre d’intervenir dans les affaires de la bande en nommant un séquestre‑adminsitrateur. Ces ententes découlent de la débâcle du leadership de 1996 au cours de laquelle le MAINC a décidé de faire affaire avec un « conseil de bande intérimaire » et de nommer un séquester‑administrateur. Le conseil de bande intérimaire a présenté une demande de reconnaissance à la Cour fédérale, au dossier T‑2590‑95, et le chef coutumier à l’époque, Matchewan, a contesté la décision du MAINC de reconnaître le conseil de bande intérimaire dans le dossier T‑357‑96. Aucun jugement n’a été rendu dans ces deux dossiers. Le juge Réjean Paul de la Cour supérieure du Québec a présidé à la médiation et il y a eu de la facilitation par d’autres personnes. Les procédures n’ont jamais été tranchées sur le fond, mais le résultat évident est que la coutume a été écrite et que le Conseil de bande coutumier, alors dirigé par Harry Wawatie, a ensuite été reconnu. Le chef Wawatie a refusé de coopérer avec le MAINC de janvier 1996 à avril 1997. En fait, jusqu’en septembre 1997, il y a eu interruption des services et du financement, le chef Wawatie et son Conseil ont pointé du doigt le ministère et ont demandé au MAINC de présenter des excuses pour avoir traité avec le conseil de bande intérimaire, excuses qui n’ont jamais été présentées.

 

[23]           Les parties ont convenu de leur désaccord au sujet de cette interruption de services de 18 mois.

 

[24]           En vertu des dispositions spéciales, le ministre et son conseil ont accepté de participer à un processus visant à clarifier la situation financière de la bande et à trouver une solution avant la fin mars 1998. Néanmoins, ce désaccord s’est envenimé année après année, jusqu’après la nomination du séquestre‑administrateur par le ministre en juillet 2006. Dans l’entente de financement qui a suivi cette nomination, les dispositions spéciales ont disparu. Le MAINC était d’avis que le désaccord se limitait à un prêt d’environ 250 000 $, que le séquestre‑administrateur à l’époque avait dû prendre en 1996, qui a ensuite été facturé à la bande. Dans un « plan de gestion corrective » présenté à la bande en janvier 2006, il était proposé que le montant soit effacé par le MAINC à la fin d’un plan de cinq ans fructueux, proposition que le MAINC a acceptée. Par conséquent, selon le MAINC, la question était résolue. Les demandeurs soutiennent que le conflit était beaucoup plus large. Une fois de plus, je ne me laisserai pas tenter à faire des commentaires sur le bien‑fondé des positions des deux parties. Je suis convaincu, en fonction de la preuve de Stephane Villeneuve, conseiller, Vérification et Plans de mesures correctives du MAINC, ainsi que de ses calculs, que même s’il tenait compte du prêt, le déficit dépassait 8 %.

 

[25]           La déclaration d’intention réciproque prévoit précisément qu’elle n’est pas juridiquement contraignante et donc, la décision de ne pas tenir compte de sommes qui, selon la bande, auraient dû leur être accordées en vertu de la déclaration était raisonnable. De toute façon, il existait un certain financement qui pouvait être attribué à cette déclaration, y compris des fonds pour la construction d’un bureau de Conseil de bande, qui a par la suite été brûlé.

 

[26]           Il convient de noter que lorsque le chef Wawatie a été reconnu comme chef en 1997, il a hérité d’une dette de 900 000 $. Avec la présence du séquestre‑administrateur, la dette a rapidement été réduite de moitié, et en 2000, il ne restait plus du tout de dettes.

 

[27]           Cependant, à ce moment‑là, les choses se sont détériorées. La bande a repris le contrôle de ses propres affaires. Elle a nommé un comptable externe qui semble ne pas avoir respecté les exigences en matière de comptabilité du MAINC. Naturellement, il a fallu un certain temps pour que ces problèmes apparaissent dans les vérifications. Par exemple, si la bande avait trop dépensé, ces dépenses étaient inscrites comme étant des créances du MAINC. Cela n’avait aucun sens. Si le MAINC avait attribué 100 000 $ pour une dépense, et que 200 000 $ avaient été utilisés, cet excès ne pouvait pas être inscrit aux registres comptables comme étant une créance. De plus, certains programmes n’ont pas du tout été offerts et les sommes ont été dépensées ailleurs. La prévention des incendies et le logement en sont des exemples. Si les sommes n’étaient pas dépensées sur les programmes prévus, elles auraient dû être remboursées au MAINC.

 

[28]           En 2003 et 2004, de nombreux créditeurs se plaignaient. La bande ne payait pas les frais scolaires aux commissions scolaires externes, qui ont menacé de refuser aux enfants de la bande l’accès à leurs écoles. Le MAINC a dû intervenir directement. La bande devait de l’argent à la banque, qui s’est remboursée dans le compte de la bande et qui a annulé sa marge de crédit. Deux créditeurs importants ont menacé d’entreprendre une procédure de saisie‑arrêt.

 

[29]           Cela a entraîné, avec un certain retard, mais par entente mutuelle, la nomination d’un cogestionnaire. Le cogestionnaire est choisi par la bande, mais il doit satisfaire aux exigences établies par le MAINC.

 

[30]           Les calculs de M. Villeneuve démontrent que la bande avait une dette d’environ 208 683 $, ou 2,52 % en date du 31 mars 2000. L’année suivante, elle avait accumulé un déficit de 66 340 $, l’année suivante, de 461 844 $ et, en date du 31 mars 2003, de 578 121 $, soit un déficit de 9,43 %. La situation a continué à se détériorer, au point tel qu’à la fin de l’année financière au cours de laquelle le séquestre‑administrateur a été nommé, le déficit s’élevait à 1 672 287 $ ou 32,07 %. Même d’après les calculs de la bande, si l’on ne tient pas compte des arguments soulevés et rejetés ci‑dessus, le déficit était de 1 505 703 $ ou de 28,87 %.

 

[31]           La décision de nommer un séquestre‑administrateur a été précipitée par la décision de la bande de congédier son cogestionnaire. La bande avait certainement ce droit. En prenant cette décision, le Conseil s’est fié à des conseils de Clifford Lincoln, qui de temps à autre agissait à titre de conseiller spécial. Comme ancien membre de l’Assemblée nationale du Québec, ministre de cabinet du Québec et député au Parlement fédéral, M. Lincoln avait de bons liens, était bien connu et était grandement respecté.

 

[32]           Le Conseil, sans avertir le MAINC, a congédié son cogestionnaire aux motifs qu’il était un mangeur de chiffres et qu’il ne s’intéressait pas aux questions plus importantes, telles que la résurrection de l’accord trilatéral et de l’expansion de la réserve sur 10 kilomètres carrés (questions qui, d’après le MAINC, auraient pu être tranchées par une simple résolution du Conseil). Le Conseil n’a pas tenu compte du fait que le MAINC et le cogestionnaire s’étaient entendus avec les créditeurs pour qu’il y ait un cogestionnaire sur place. Sans cogestionnaire, on craignait grandement que les procédures de saisie‑arrêt reprendraient, crainte très réaliste à mon avis. Dans ce cas, des sommes, ou certainement des sommes externes à la réserve, peuvent être saisies si elles sont attribuées à la bande ou même au cogestionnaire. Cependant, les fonds attribués au séquestre‑administrateur restent des fonds du gouvernement qui ne peuvent pas être saisis par une tierce partie (McDiarmid Lumber Ltd. c. Première nation de God’s Lake, 2006 CSC 58, [2006] 2 R.C.S. 846).

 

[33]           Le renvoi du cogestionnaire a entraîné des discussions urgentes et intenses. M. Lincoln a proposé que la bande nomme un autre non‑membre pour l’aider à établir un système de comptabilité acceptable. Cependant, cette personne n’a jamais été nommée comme cogestionnaire et je ne peux que supposer que la bande savait que la personne ne satisfaisait pas aux exigences du MAINC. La bande prétend qu’elle n’a eu que six jours, quatre jours de travail, pour trouver un nouveau cogestionnaire. Ce court délai, selon la bande, était inéquitable d’un point de vue procédural et contraire aux attentes légitimes de la bande. Je remarque au contraire que le MAINC, qui a pu être trop optimiste par le passé, a dû prendre une décision de façon urgente, non seulement dans l’intérêt des membres de la bande comme tels, mais aussi à titre de protecteur des deniers publics. Il avait toutes les raisons de croire que les fonds seraient saisis tant par Revenu Canada que par la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec. Cela aurait enlevé à la bande des services essentiels.

 

[34]           De plus, la nomination d’un séquestre‑administrateur est une solution provisoire qui vise à aider la bande à s’organiser, puis à établir une relation de cogestion et, finalement, à gérer ses propres affaires, ce qui est arrivé dans les années 1990. Cependant, l’animosité entre le chef Wawatie et ses successeurs d’un côté, et le MAINC de l’autre, s’est poursuivie. Le MAINC a clairement indiqué qu’il préfère traiter avec d’autres personnes, en l’espèce le chef Casey Ratt. Il semble que le passé soit destiné à se répéter.

 

[35]           L’article 74 de la Loi sur les Indiens permet au ministre de soulever des élections afin de déterminer le leadership de la bande. Cependant, la politique des gouvernements successifs a été de ne pas le faire.

 

[36]           Les allégations de faute ne sont pas plus justifiées lorsqu’on examine si elles ont entraîné une crainte de partialité et si les motifs étaient inappropriés. La décision était justifiée et a été correctement divulguée. Il existait un déficit financier important, le congédiement du cogestionnaire menaçait les programmes et les services essentiels fournis à la collectivité et il existait un manque de volonté de corriger les difficultés financières.

 

L’HONNEUR DE LA COURONNE

[37]           Le paragraphe 35(1) de la Loi constitutionnelle prévoit :

35. (1) Les droits existants — ancestraux ou issus de traités — des peuples autochtones du Canada sont reconnus et confirmés.

35. (1) The existing aboriginal and treaty rights of the aboriginal peoples of Canada are hereby recognized and affirmed.

 

 

[38]           Les demandeurs soutiennent que le défendeur a manqué à l’honneur de la Couronne, en particulier à un devoir de consulter et d’accommoder, en imposant un régime de séquestre‑administrateur qui enfreint leur droit autochtone, protégé par la Constitution, de pratiquer une gouvernance coutumière.

 

[39]           Comme il l’a été conclu dans l’arrêt R. c. Van der Peet, [1996] 2 R.C.S. 507, pour qu’elle soit qualifiée de droit autochtone, une activité doit faire partie d’une pratique, d’une coutume ou d’une tradition intégrale à la culture distincte du groupe autochtone qui réclame ce droit.

 

[40]           Les pratiques, coutumes et traditions qui constituent les droits autochtones sont celles qui poursuivent les pratiques, les coutumes et les traditions qui existaient avant le contact avec la société européenne. Je n’interprète pas la nomination d’un séquestre‑administrateur comme étant une interférence dans les droits que la bande peut avoir en ce qui a trait à l’autonomie gouvernementale et au choix de son propre chef. À mon avis, il n’existe aucun lien entre la nomination d’un séquestre‑administrateur et l’autonomie gouvernementale. La conséquence de la nomination d’un séquestre‑administrateur a été de retirer temporairement les responsabilités administratives du conseil de bande en ce qui a trait à la prestation de programmes et de services à la communauté. Cette nomination visait à protéger les deniers publics et à garantir que les programmes et services essentiels n’étaient pas interrompus, comme ils l’ont été dans les années passées. Les biens et les responsabilités qui ne relèvent pas des ententes de financement ne sont pas affectés par la nomination d’un séquestre‑administrateur et sont toujours contrôlés par la bande.

 

[41]           S’il existait un devoir de consultation en l’espèce, ce devoir a été acquitté. Le MAINC a travaillé avec la bande, a eu de nombreuses réunions en personne avec le Conseil et a dû réagir de façon urgente à la décision de la bande de congédier son cogestionnaire.

 

[42]           Comme la juge en chef McLachlin l’a déclaré au nom d’une formation unanime de la Cour suprême dans l’arrêt Nation Haïda c. Colombie‑Britannique (Ministre des Forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 R.C.S. 511, qui portait sur le devoir de consulter et d’accommoder les peuples autochtones au sujet de décisions qui pourraient affecter négativement leurs droits et leurs revendications, qui n’avaient pas encore été prouvés, au paragraphe 39 :

Le contenu de l’obligation de consulter et d’accommoder varie selon les circonstances.  La nature précise des obligations qui naissent dans différentes situations sera définie à mesure que les tribunaux se prononceront sur cette nouvelle question.  En termes généraux, il est néanmoins possible d’affirmer que l’étendue de l’obligation dépend de l’évaluation préliminaire de la solidité de la preuve étayant l’existence du droit ou du titre revendiqué, et de la gravité des effets préjudiciables potentiels sur le droit ou le titre.

 

[43]           La bande, par l’entremise de son Conseil coutumier, a violé son contrat. Le ministre a pris, de façon juste et raisonnable, la mesure corrective qui était justement prévue dans ce contrat.

 

CONCLUSION

[44]           La demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Pendant l’audience, les parties ont convenu qu’elles préféreraient discuter des dépens après que la décision soit rendue. Les parties peuvent demander des directives dans les 20 jours suivant la présente décision.


ORDONNANCE

            LA COUR ORDONNE :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.      Les dépens pourront être débattus.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                          T‑1514‑06

 

INTITULÉ :                                        HARRY WAWATIE, TOBY DECOURSAY, JEANNINE MATCHEWAN ET LOUISA PAPATIE, EN LEUR QUALITÉ DE MEMBRES DU CONSEIL DES ANCIENS DES MITCHIKANIBIKOK INIK (également appelés les ALGONQUINS DU LAC BARRIÈRE) c. MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD CANADIEN et

                                                           LE CONSEIL DES ANCIENS DES MITCHIKANIBIKOK INIK (ALGONQUINS DU LAC BARRIÈRE) SOUS LE CHEF CASEY RATT

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                    Ottawa (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :                Les 16 et 17 mars 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                         LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :                         Le 15 avril 2009

 

COMPARUTIONS :

 

David C. Nahwegahbow

Nicole Richmond

POUR LES DEMANDEURS

 

 

Tania Hernandez

Virginie Cantave

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

Michael Swinwood

Liza K. Swale

POUR LES INTERVENANTS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

NAHWEGAHBOW, CORBIERE

Avocats

Rama (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

MINISTÈRE DE LA JUSTICE DU CANADA

Bureau régional du Québec

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

ELDERS WITHOUT BORDERS

Ottawa (Ontario)

POUR LES INTERVENANTS

 

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