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Date : 20090414

Dossier : IMM-3309-08

Référence : 2009 CF 371

Ottawa (Ontario), le 14 avril 2009

En présence de monsieur le juge Russell

 

 

ENTRE :

JAYANTHAN PALAGURU

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue le 6 juin 2008 par un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent d’ERAR), dans laquelle l’agent d’ERAR a rejeté la demande d’ERAR du demandeur.

 

LE CONTEXTE

 

[2]                 Le demandeur est un citoyen du Sri‑Lanka âgé de 27 ans qui est venu au Canada en tant que résident permanent en 1996 après avoir été parrainé par son père, un réfugié qui avait été ciblé par les Tigres de libération de l’Eelam tamoule (les TLET) parce qu’il était opposé aux TLET et à la création d’un État tamoul indépendant. 

 

[3]               Le demandeur a été déclaré interdit de territoire le 25 novembre 2004, parce qu’il avait commis des crimes au Canada. Il a interjeté appel de cette décision auprès de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, mais l’appel a été rejeté le 26 janvier 2006. Le 2 août 2006, la Cour fédérale a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire présentée par le demandeur qui contestait la décision de la SAI. Le demandeur a par la suite présenté une demande d’ERAR le 5 avril 2006, laquelle a été rejetée dans une décision rendue le 6 juin 2008; le présent contrôle judiciaire porte sur cette dernière décision.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[4]               Le demandeur allègue que, s’il devait retourner au Sri Lanka, il aurait un certain nombre de craintes, notamment la crainte que les TLET l’obligent à s’enrôler, la crainte que les militants tamouls lui fassent subir différentes formes de persécution – à savoir qu’ils le torturent, l’enlèvent ou le tuent – ainsi que la crainte d’être victime d’extorsion par les TLET, la police, les forces armées, les gangs criminels et les organisations paramilitaires. Ses craintes sont fondées sur ses liens familiaux et sur le fait qu’il est un jeune tamoul originaire de l’Est du pays.

 

[5]               L’agent a examiné la décision rendue par la SAI ainsi que la preuve documentaire présentée par le demandeur, et il a effectué une analyse indépendante de la situation qui avait cours au Sri Lanka au moment de la décision de la SAI.

 

[6]               L’agent a conclu qu’il n’y avait pas plus qu’une simple possibilité qu’il existe un risque de persécution ou que, selon la prépondérance de la preuve, le demandeur serait exposé à un risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités ou bien à une menace à sa vie. L’agent a également conclu que le demandeur serait capable de bénéficier de la protection de l’État et qu’il y avait une possibilité de refuge intérieur (la PRI) dans la capitale, Colombo.

 

LES DISPOSITIONS LÉGALES

 

[7]               Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

 

112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n’est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

(2) Elle n’est pas admise à demander la protection dans les cas suivants :

 

a) elle est visée par un arrêté introductif d’instance pris au titre de l’article 15 de la Loi sur l’extradition;

 

b) sa demande d’asile a été jugée irrecevable au titre de l’alinéa 101(1)e);

 

 

 

c) si elle n’a pas quitté le Canada après le rejet de sa demande de protection, le délai prévu par règlement n’a pas expiré;

 

d) dans le cas contraire, six mois ne se sont pas écoulés depuis son départ consécutif soit au rejet de sa demande d’asile ou de protection, soit à un prononcé d’irrecevabilité, de désistement ou de retrait de sa demande d’asile.

 

 

 

 

(3) L’asile ne peut être conféré au demandeur dans les cas suivants :

 

a) il est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux ou criminalité organisée;

 

b) il est interdit de territoire pour grande criminalité pour déclaration de culpabilité au Canada punie par un emprisonnement d’au moins deux ans ou pour toute déclaration de culpabilité à l’extérieur du Canada pour une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans;

 

 

c) il a été débouté de sa demande d’asile au titre de la section F de l’article premier de la Convention sur les réfugiés;

 

d) il est nommé au certificat visé au paragraphe 77(1).

 

 

112. (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).

 

2) Despite subsection (1), a person may not apply for protection if

 

(a) they are the subject of an authority to proceed issued under section 15 of the Extradition Act;

 

(b) they have made a claim to refugee protection that has been determined under paragraph 101(1)(e) to be ineligible;

 

(c) in the case of a person who has not left Canada since the application for protection was rejected, the prescribed period has not expired; or

 

(d) in the case of a person who has left Canada since the removal order came into force, less than six months have passed since they left Canada after their claim to refugee protection was determined to be ineligible, abandoned, withdrawn or rejected, or their application for protection was rejected.

 

(3) Refugee protection may not result from an application for protection if the person

 

(a) is determined to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights or organized criminality;

 

(b) is determined to be inadmissible on grounds of serious criminality with respect to a conviction in Canada punished by a term of imprisonment of at least two years or with respect to a conviction outside Canada for an offence that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years;

 

(c) made a claim to refugee protection that was rejected on the basis of section F of Article 1 of the Refugee Convention; or

 

(d) is named in a certificate referred to in subsection 77(1).

LES QUESTIONS EN LITIGE

 

[8]               Le demandeur a soulevé les questions suivantes :

1.                  L’agent a-t-il commis une erreur en négligeant des éléments de preuve ou en tenant compte d’éléments de preuve non pertinents?

2.                  L’agent a-t-il commis une erreur en se fondant sur des éléments de preuve extrinsèques sans donner l’occasion au demandeur de présenter des observations?

3.                  L’agent a-t-il commis une erreur en omettant de donner l’occasion au demandeur de   faire valoir son point de vue sur la question de la PRI?

4.                  L’agent a-t-il commis une erreur en appliquant la norme de certitude dans le cadre de l’analyse des risques auxquels faisait face le demandeur?

 


ANALYSE

 

[9]               Dans la présente demande, le demandeur se plaint essentiellement du fait qu’il n’a pas eu l’occasion de faire valoir son point de vue au sujet des conclusions relatives à la PRI tirées par la SAI, lesquelles constituent le fondement de la décision de l’agent d’ERAR.

 

[10]           Dans le contexte d’une demande d’asile, le ministre et la SAI ont l’obligation d’informer le demandeur que la question de la PRI sera soulevée. Le juge Linden a expliqué le fondement de cette obligation dans l’arrêt Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.F.), paragraphes 9 à 12 :

9     D’une part, pour établir le bien-fondé de sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention, le demandeur, comme je l’ai dit plus haut, doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il risque sérieusement d’être persécuté dans son pays. Si la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est soulevée, il doit prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’il risque sérieusement d’être persécuté dans cette partie de son pays qui offre prétendument une possibilité de refuge. Je reconnais que le demandeur, dans certains cas, peut ne pas avoir une connaissance personnelle des autres parties du pays, mais, en toute vraisemblance, il existe une preuve documentaire et, en outre, le ministre produira normalement des éléments de preuve tendant à établir l’existence de la possibilité de refuge si cette question est soulevée à l’audience

 

10     D’autre part, il appartient au ministre ou à la Commission d’avertir le demandeur si la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays doit être soulevée. Le demandeur du statut de réfugié bénéficie des principes de justice naturelle devant la section du statut. L’un des éléments fondamentaux et bien établis du droit d’une partie d’être entendue est l’obligation de lui donner avis de la preuve réunie contre elle (voir, par exemple, Kane c. Conseil d’administration (Université de la Colombie-Britannique), [1980] 1 R.C.S. 1105, à la page 1114). Le but d’un tel avis est de lui permettre de préparer, à son tour, une réponse adéquate à cette preuve. Le droit d’un demandeur du statut de réfugié d’être avisé de la preuve réunie contre lui est extrêmement important lorsque ce demandeur peut être requis de réfuter l’allégation du ministre en prouvant qu’il n’existe pas vraiment de possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. Par conséquent, il n’est pas permis au ministre ou à la Commission d’alléguer à l’improviste contre le demandeur la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays sans lui donner avis que cette question sera soulevée à l’audience. Comme l’a expliqué le juge Mahoney dans l’arrêt Rasaratnam, précité, aux pages 710 et 711 :

 

[…] on ne peut s’attendre à ce que le demandeur de statut soulève la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ni à ce qu’on puisse simplement déduire de la demande elle‑même la prétention que cette possibilité est inexistante. La question doit être expressément soulevée lors de l’audience par l’agent d’audience ou par la Commission, et le demandeur doit avoir l’occasion d’y répondre en présentant une preuve et des moyens.

 

Il importe, par conséquent, de distinguer entre ces deux obligations de nature très différente.

 

11     Enfin, quelles sont les conditions suffisantes que doit remplir la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays pour que les demandeurs du statut de réfugié soient tenus de se réclamer de cette possibilité plutôt que de la protection internationale? Selon le Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié (à la page 23) du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, une personne ne se verra pas refuser le droit de revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention « si, compte tenu de toutes les circonstances, on ne pouvait raisonnablement attendre d’elle » qu’elle cherche un refuge dans une autre partie du même pays. Cependant, le critère du caractère raisonnable fait l’objet, dans le Guide, d’une mention très brève qui, à mon avis, n’exprime pas de façon suffisamment claire le fondement de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. Le professeur Hathaway, dans son ouvrage The Law of Refugee Status, a écrit ceci, à la page 134 :

 

[Traduction] Il faut reconnaître cependant que la logique du principe de la protection nationale découle de l’absence de nécessité de chercher asile à l’étranger. L’application de ce principe doit se limiter aux personnes qui ont vraiment accès à la protection nationale et pour qui cette protection est réaliste. Lorsque, par exemple, des obstacles d’ordre financier, logistique ou autre empêchent le demandeur du statut d’atteindre la partie du pays où il sera en sécurité, lorsque la qualité de la protection nationale ne satisfait pas aux normes élémentaires des droits de la personne dans les domaines civil, politique et socio-économique ou lorsque la sécurité dans cette partie du pays est par ailleurs illusoire ou imprévisible, la responsabilité de l’État à l’égard du danger qui menace le demandeur est prouvée et il convient de reconnaître à celui-ci le statut de réfugié.

 

L’explication du professeur Hathaway est utile, mais elle n’établit pas tout à fait un juste équilibre entre les buts de la protection internationale des réfugiés et l’existence d’une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays.

 

12     Le juge Mahoney, J.C.A., a donné une explication plus exacte dans l’arrêt Rasaratnam, précité, à la page 711 :

 

À mon avis, en concluant à l’existence d’une possibilité de refuge, la Commission se devait d’être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant ne risquait pas sérieusement d’être persécuté à Colombo et que, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles lui étant particulières, la situation à Colombo était telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour l’appelant d’y chercher refuge.

 

Ainsi, le demandeur du statut est tenu, compte tenu des circonstances individuelles, de chercher refuge dans une autre partie du même pays pour autant que ce ne soit pas déraisonnable de le faire. Il s’agit d’un critère souple qui tient compte de la situation particulière du demandeur et du pays particulier en cause. C’est un critère objectif et le fardeau de la preuve à cet égard revient au demandeur tout comme celui concernant tous les autres aspects de la revendication du statut de réfugié. Par conséquent, s’il existe dans leur propre pays un refuge sûr où ils ne seraient pas persécutés, les demandeurs de statut sont tenus de s’en prévaloir à moins qu’ils puissent démontrer qu’il est objectivement déraisonnable de leur part de le faire.

 

 

[11]           Autrement dit, le demandeur en l’espèce affirme que son droit d’être entendu comprend l’obligation de l’aviser de la preuve réunie contre lui et qu’étant donné qu’il n’avait pas été informé que la question de la PRI serait soulevée, il n’avait aucune idée de la preuve réunie contre lui.

 

[12]           Le défendeur affirme qu’une demande d’ERAR se distingue d’une audience devant la Section de la protection des réfugiés (la SPR). Une audience devant la SPR est de nature contradictoire, et il est nécessaire d’aviser le demandeur que la question de la PRI sera soulevée seulement dans une situation où il y a un contre­‑interrogatoire portant sur un témoignage donné de vive voix. Cependant, le processus relatif à l’ERAR s’effectue presque entièrement par écrit et il incombe au demandeur de fournir toute la preuve documentaire nécessaire pour établir le bien‑fondé de sa demande.

 

[13]           Le défendeur prétend également qu’en l’espèce le demandeur était bel et bien informé qu’il était nécessaire de traiter la question de la PRI dans le cadre de sa demande d’ERAR. Tout d’abord, le guide opérationnel sur l’examen des risques avant renvoi (guide PP3) traite explicitement de cette question au point 10, Procédures et directives, où il est énoncé que « [l]ors de l’étude d’une demande, il faut étudier et appliquer tous les motifs de protection applicables ». Il est ajouté au point 10.8 que « [l]ors de l’examen d’une demande de protection, le décideur doit être au fait de la possibilité que le demandeur, bien qu’exposé à des risques dans une autre partie de son pays de retour, puisse raisonnablement s’attendre à obtenir une protection dans une autre localité du pays. Dans un tel cas, le demandeur peut se voir refuser la protection, car il peut se prévaloir de la “possibilité de refuge intérieur”. »

 

[14]           Le défendeur affirme que le demandeur était représenté par un avocat à toutes les étapes importantes, et qu’on doit donc présumer qu’il savait qu’il devait faire valoir son point de vue sur la question de la PRI dans sa demande d’ERAR.

 

[15]           En outre, le défendeur souligne que le demandeur en l’espèce – même s’il n’y a pas eu d’audience relative à une demande d’asile lors de laquelle il aurait été avisé que la question de la PRI serait soulevée – a bien interjeté appel à la SAI où la question de la PRI a été soulevée et traitée, ce qui a été mentionné par l’agent d’ERAR dans sa décision : [traduction] « La SAI a également conclu qu’“[i]l n’existe pas de raison valable l’empêchant de vivre à Colombo”. » La SAI abordait alors les difficultés plutôt que le risque, mais elle a bien mentionné et traité la question de la PRI à Colombo, le demandeur savait donc qu’il devait faire valoir son point de vue sur la question de la PRI à Colombo dans sa demande d’ERAR.

 

[16]           Comme le souligne le demandeur, être avisé que la question de la PRI va être soulevée est important dans le contexte du droit des réfugies parce qu’un demandeur ne peut pas prévoir tous les endroits, dans un pays donné, que la SPR pourrait considérer comme étant une PRI valable. En l’espèce, étant donné qu’il n’a pas pris part à un processus de demande d’asile, le demandeur soutient qu’il est dans la même position et qu’on ne peut pas s’attendre à ce qu’il sache ce qu’un agent d’ERAR pourrait considérer être une PRI valable. La seule différence est que, dans la présente affaire, la SAI avait mentionné que Colombo pourrait constituer une PRI; mais le demandeur se demande si l’on peut considérer qu’il avait été suffisamment informé du fait qu’il allait devoir faire valoir son point de vue sur la PRI à Colombo dans sa demande d’ERAR. Il affirme que le lien n’est pas assez fort pour être conforme au principe de justice naturelle selon lequel un demandeur doit connaître la preuve réunie contre lui.

 

[17]           Les parties affirment qu’il n’y a aucun précédent portant sur la question fondamentale, soit la question de savoir si, dans le cadre d’une demande d’ERAR, il est nécessaire d’informer le demandeur que la question de la PRI sera soulevée.

 

[18]           Dans la décision Demirovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1560, la juge Dawson a contrôlé une décision d’ERAR dans le cadre d’une instance où une revendication du statut de réfugié avait été rejetée de façon expéditive parce que le demandeur avait été déclaré interdit de territoire en application de l’alinéa 35(1)a) de la Loi. La juge Dawson a tenu les propos suivants aux paragraphes 31 et 32 :

31     M. Demirovic signale que, dans sa décision, l’agente a conclu que même s’il craignait les extrémistes ou groupes paramilitaires serbes à Banja Luka, il pouvait trouver un lieu de résidence sûr ailleurs en Bosnie. M. Demirovic soutient que cela constitue une conclusion selon laquelle il disposait d’une PRI à l’extérieur de Banja Luka. Il soutient aussi que le décideur qui veut rendre une décision fondée sur une PRI doit d’abord donner préavis au demandeur d’asile que cette question fera peut-être l’objet de débats et ainsi lui donner la possibilité de produire des éléments de preuve afin de contester l’existence d’une PRI. Aucun élément du dossier ne donne à penser qu’un tel préavis avait été donné à M. Demirovic. Par conséquent, il soutient que l’absence d’un tel préavis constitue une atteinte aux principes de justice naturelle qui justifie l’intervention de la Cour, et il invoque l’arrêt Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706, rendu par la Cour d’appel fédérale.

 

32     En l’espèce, il me suffit de constater que, avant de dire que M. Demirovic serait sans doute en sécurité ailleurs en Bosnie, l’agente avait déjà conclu que, s’il pouvait éventuellement être exposé à des problèmes comme des actes de harcèlement ou de discrimination à Banja Luka ceux-ci ne constitueraient pas des traitements ou peines cruels et inusités ou ne l’exposeraient pas au risque d’être tué ou d’être torturé. Je conclus donc que, lorsque l’agente a estimé qu’il était possible à M. Demirovic de vivre en sécurité ailleurs, elle a fait une observation hors de propos qui est sans conséquence sur la validité de la conclusion selon laquelle M. Demirovic n’était exposé en Bosnie-Herzégovine à aucun des risques visés par l’article 97.

 

 

[19]           Dans la présente affaire, la conclusion relative à la PRI est au cœur de la décision et ne peut être estimée hors de propos. En outre, l’agent a conclu qu’il serait raisonnable que le demandeur déménage à Colombo parce qu’on y trouve une grande population tamoule et que le demandeur a vécu au Sri Lanka pendant 14 ans et y est né.

 

[20]           Le demandeur affirme que, s’il avait su que la question de la PRI serait examinée, il aurait mentionné des faits importants et pertinents quant à la conclusion de l’agent portant sur l’existence d’une PRI viable à Colombo.

 

[21]           Je pense que la décision relative à la question de la PRI dont je suis saisi est de nature factuelle. Nous savons, grâce au paragraphe 10 de l’arrêt Thirunavukkarasu, qu’il est important, dans le cadre d’une demande d’asile, d’avertir le demandeur que la question de la PRI sera soulevée parce que « [l]e demandeur du statut de réfugié bénéficie des principes de justice naturelle devant la section du statut. L’un des éléments fondamentaux et bien établis du droit d’une partie d’être entendue est l’obligation de lui donner avis de la preuve réunie contre elle […]. »

 

[22]           Dans le cadre d’une demande d’ERAR, le demandeur bénéficie également des principes de justice naturelle et du droit d’être entendu. Cependant, une demande d’ERAR est différente d’une demande d’asile et est habituellement précédée d’autres instances qui peuvent, selon leur nature et l’ensemble des faits de l’affaire, informer le demandeur de l’importance de la question de la PRI dans le cadre de l’analyse du risque. En l’espèce, on doit tenir pour acquis que le demandeur savait ce qui suit :

a.                   que, dans une demande d’ERAR, il lui incombe de déposer tout renseignement et élément de preuve nécessaire pour établir les risques auxquels il serait exposé (normalement, il ne s’agira que de nouveaux éléments de preuve parce qu’une demande d’asile précède habituellement, mais pas toujours, une demande d’ERAR);

b.                  que selon le guide opérationnel de CIC (PP3) il pourrait se voir refuser la protection s’il disposait d’une PRI, bien que, à mon avis, cela ne veuille pas dire qu’il saurait, ou qu’il pourrait savoir, qu’elle pourrait être cette PRI, à moins qu’il en ait été informé dans les instances antérieures;

c.                   que, dans son examen des difficultés, la SAI avait déjà soulevé la question de la PRI auprès du demandeur lors de l’audience d’appel et qu’elle avait conclu qu’« [i]l n’existe pas de raison valable l’empêchant de vivre à Colombo ».

 

[23]           Le demandeur était représenté par avocat à toutes les étapes importantes. Par conséquent, au vu des faits de l’affaire, je ne peux pas voir comment le demandeur pouvait ne pas savoir qu’il devait faire valoir son point de vue sur la question de la PRI à Colombo lorsqu’il a présenté ses arguments quant au risque dans sa demande d’ERAR. Il devait savoir que la décision de la SAI faisait partie du dossier de l’agent d’ERAR et que la SAI avait déjà conclu qu’il n’existait pas de raison valable l’empêchant de vivre à Colombo. On doit également tenir pour acquis que le demandeur savait que le processus relatif à l’ERAR se déroule par écrit, sauf si la crédibilité est un enjeu, et qu’il lui incombait de présenter par écrit l’ensemble de ses arguments quant au risque. Autrement dit, compte tenu de ces faits, je pense que le demandeur avait été raisonnablement avisé qu’il aurait besoin d’expliquer pourquoi il ne pouvait pas aller à Colombo, à savoir pour ne pas être exposé aux risques qu’il avait allégués devant l’agent d’ERAR.

 

[24]           Le demandeur a soulevé en l’espèce plusieurs autres questions que j’ai examinées. Si l’on tient compte de l’ensemble de la décision de l’agent d’ERAR, je ne pense pas que l’agent a appliqué une norme de preuve trop élevée en utilisant les expressions [traduction] « ne m’a pas convaincu », « les TLET en auraient eu connaissance » et d’autres expressions semblables. Ces expressions sont nuancées et elles sont appuyées par le fait qu’il est évident que l’agent connaissait la norme appropriée à appliquer, comme il le mentionne ailleurs dans la décision.

 

[25]           Je ne crois pas non plus que l’omission de l’agent d’examiner en particulier une déclaration du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (l’UNHCR), qui portait sur [traduction] « la capacité des TLET de trouver et de cibler ses opposants dans tout le pays », constitue une erreur susceptible de contrôle étant donné que l’agent a bien tenu compte d’une grande quantité d’éléments de preuve et qu’il ne s’agit que d’une seule phrase, laquelle a été nuancée dans le rapport de l’UNHCR par les mots [traduction] « ne veut pas nécessairement dire […] ». En outre, je ne pense pas qu’on puisse tenir pour acquis que l’agent n’a pas tenu compte d’autres éléments de preuve pertinents dont il disposait.

 

[26]           À mon avis, l’allégation selon laquelle l’agent s’est fondé sur une preuve extrinsèque – en particulier sur des articles tirés du South Asia Terrorism Portal [le portail du terrorisme en Asie du Sud] mentionnés dans la décision de l’agent d’ERAR, à savoir dans la partie sur les sources consultées – est plus importante.

 

[27]           Dans sa décision, l’agent s’est fondé sur des documents de fraîche date, en application de son obligation de consulter les sources de renseignements les plus récentes : Lima c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 222, paragraphe 13. Il est bien établi qu’un agent n’est pas limité à la preuve documentaire fournie par un demandeur et qu’il n’a pas l’obligation de divulguer, avant de prendre une décision, toutes les sources d’information consultées lorsqu’elles constituent de l’information publique couramment consultée par opposition à de l’information inédite et importante qui risque d’avoir une incidence sur l’issue du dossier : Mancia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] 3 C.F. 461 (CAF) (l’arrêt Mancia), paragraphe 22.

 

[28]           Étant donné qu’il incombe au demandeur de déposer la preuve étayant sa position, rien ne l’empêchait de fournir des éléments de preuve plus récents à l’agent d’ERAR avant qu’il ne rende sa décision le 5 juin 2008.

 

[29]           Il ressort clairement de l’arrêt Mancia que l’agent d’ERAR n’était pas obligé de divulguer les documents portant sur la situation au pays tirés de sources publiques sur lesquels il s’est fondé.

 

[30]           Je ne dispose d’aucune preuve selon laquelle une ou l’autre des sources consultées par l’agent d’ERAR en l’espèce ne pouvaient pas être tirées de sources publiques. Certaines des sources me semblent bien connues, et même le South Asia Terrorism Portal n’a pas été montré comme ne pouvant pas être consulté à partir de sources publiques. En outre, même s’il est évident que les renseignements trouvés dans ces documents ont été utilisés par l’agent d’ERAR pour tirer ces conclusions relatives à la PRI, je ne suis pas convaincu que la décision a été influencée par ces renseignements qui ne révèlent rien d’inusité ou d’important et qui ne font pas état de changements dans la situation générale au pays.

 

[31]           Le demandeur a admis dans ses observations que, en l’espèce, son argument fondamental portait sur la question de savoir s’il avait été informé que la question de la PRI allait être soulevée et que, s’il ne réussissait pas à faire valoir son point de vue sur cette question, ses autres contestations ne suffiraient pas à faire déclarer déraisonnable la décision de l’agent d’ERAR. Je suis d’accord avec le demandeur à cet égard. Cependant, pour les motifs susmentionnés, je ne peux accepter, au vu des faits en l’espèce, la position du demandeur quant à la question de savoir s’il avait été informé que la question de la PRI allait être soulevée. Par conséquent, je ne pense pas que la décision de l’agent d’ERAR était déraisonnable au sens de l’arrêt Dunsmuir ou qu’elle était erronée parce qu’il y aurait eu manquement à l’équité procédure à l’égard du demandeur.

 

[32]           Les avocats doivent signifier et déposer toute observation aux fins de la certification d’une question de portée générale dans les sept jours de la réception des motifs de la présente décision. Les parties auront alors une période supplémentaire de trois jours pour signifier et déposer toute réponse aux observations à la partie adverse, à la suite de quoi, une décision sera rendue.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Jean-François Martin, LL.B., M.A.Trad.jur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3309-08

 

INTITULÉ :                                                   Jayanthan Palaguru  c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 27 JANVIER 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 14 AVRIL 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Ronald Poulton

 

POUR LE DEMANDEUR

Judy Michaely

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ronald Poulton

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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