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Cour fédérale

 

Federal Court


 

 

Date : 20090409

Dossier : IMM-3991-08

Référence : 2009 CF 360

Ottawa (Ontario), le 9 avril 2009

En présence de monsieur le juge Kelen

 

 

ENTRE :

CHRISTINA SANTOS

demanderesse

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision datée du 22 août 2008 rejetant la demande de résidence permanente de Christina Santos au motif qu’elle n’a pas satisfait aux  exigences en matière d’admissibilité prévues au sous-alinéa 72(1)e)(i) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/ 2002-227 (le Règlement).

 

 

CONTEXTE

[2]               Mme Santos est citoyenne des Philippines. Elle a fait une demande de résidence permanente en vertu du Programme concernant les aides familiaux résidants (le PAFR) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR). Mme Santos a terminé le PAFR en juillet 2004 et a alors déposé une demande de résidence permanente qui a été approuvée en principe en janvier 2005.

 

[3]               En 2005, Mme Santos a appris que son mari vivait avec une autre femme et avait eu un enfant avec elle. Mme Santos est retournée aux Philippines en 2006 pour visiter ses enfants. Elle a supplié son mari de revenir auprès d’elle, mais il a refusé.

 

[4]               En 2007, Citoyenneté et Immigration Canada a demandé des informations à la demanderesse concernant l’état de sa relation avec son mari. Mme Santos a rédigé une lettre dans laquelle elle déclarait qu’ils étaient toujours mariés. En 2008, elle a appris que M. Santos avait eu un autre enfant avec sa nouvelle conjointe.

 

[5]               Le 24 juin 2008, Citoyenneté et Immigration Canada a envoyé à Mme Santos une [traduction] « lettre requise par l’équité » l’informant que M. Santos avait commis un acte criminel et qu’il était donc interdit de territoire au Canada, ce qui la rendait par le fait même interdite de territoire. La lettre invitait Mme Santos à fournir une réponse. Mme Santos a contacté M. Santos et a convenu de mettre fin à leur relation. Il lui a envoyé son dossier judiciaire et un affidavit dans lequel il lui confiait la garde et la tutelle de leurs enfants.

 

[6]               Mme Santos a interprété la lettre du 24 juin 2008 comme exigeant qu’elle dépose une nouvelle demande de résidence permanente et c’est donc ce qu’elle a fait. Sa deuxième demande incluait ses trois enfants à titre de demandeurs, mais excluait son mari. Elle a inclus une lettre de présentation datée du 7 juillet 2008 expliquant que la relation avec son mari était terminée ainsi que l’affidavit dans lequel ce dernier renonçait à la garde et à la tutelle de leurs enfants. Elle a aussi déposé le dossier judiciaire de son époux qui indiquait qu’il n’avait pas de casier judiciaire. Sa demande de résidence permanente a été refusée le 22 août 2008. Mme Santos a déposé une demande en réexamen de sa nouvelle demande de résidence permanente le 27 août 2008.

 

[7]               Mme Santos a demandé le divorce en Ontario le 3 septembre 2008.

 

DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[8]               L’agent d’immigration a conclu que Mme Santos n’avait pas satisfait aux exigences du PAFR en matière de résidence permanente parce que son mari avait été déclaré interdit de territoire en vertu de l’alinéa 36(1)c) de la LIPR.

 

[9]               L’agent d’immigration a indiqué que la demande de résidence permanente de Mme Santos avait été approuvée en principe le 26 janvier 2005, laquelle incluait ses trois enfants et son mari qui habitaient aux Philippines.

 

[10]           L’agent d’immigration a souligné dans sa décision que Mme Santos avait déposé une nouvelle demande qui mentionnait ses trois enfants, comme membres de sa famille qui l’accompagnaient, et son mari, comme membre de sa famille qui ne l’accompagnait pas. Toutefois, l’agent d’immigration a refusé la nouvelle demande car les [traduction] « informations soumises contredis[aient] des déclarations faites précédemment par la demanderesse ».

 

[11]           L’agent d’immigration a résumé l’historique de la demande en ce qui a trait à l’époux de Mme Santos. L’agent d’immigration a noté que lorsque M. Santos avait passé une entrevue au bureau de Manille, il avait déclaré que sa femme ne subvenait plus à ses besoins et qu’il n’était plus le tuteur légal de leurs enfants. L’agent ne semble avoir accordé aucune importance au fait que ce témoignage correspondait exactement à la preuve produite par Mme Santos dans sa nouvelle demande. L’agent a procédé à une analyse sélective de la preuve en relevant des éléments de preuve antérieurs qui contredisaient la preuve de Mme Santos quant à l’échec de son mariage, tout en omettant de tenir compte d’éléments de preuve qui corroboraient les déclarations de celle-ci en date du 7 juillet 2008 pour expliquer l’échec de son mariage.

 

[12]           La décision refuse la demande de Mme Santos en se fondant sur l’interdiction de territoire de son mari, dont elle était séparée.

 

DROIT

[13]           L’alinéa 42a) de la LIPR énonce :

Inadmissibilité familiale

42. Emportent, sauf pour le résident permanent ou une personne protégée, interdiction de territoire pour inadmissibilité familiale les faits suivants :

a) l’interdiction de territoire frappant tout membre de sa famille qui l’accompagne ou qui, dans les cas réglementaires, ne l’accompagne pas;

 

Inadmissible family member

42. A foreign national, other than a protected person, is inadmissible on grounds of an inadmissible family member if

(a) their accompanying family member or, in prescribed circumstances, their non‑accompanying family member is inadmissible; or

 

 

 

[14]           L’alinéa 36(1)c) de la LIPR énonce :

Grande criminalité

36. (1) Emportent interdiction de territoire pour grande criminalité les faits suivants :

[…]

c) commettre, à l’extérieur du Canada, une infraction qui, commise au Canada, constituerait une infraction à une loi fédérale punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans.

Serious criminality

36. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of serious criminality for

(c) committing an act outside Canada that is an offence in the place where it was committed and that, if committed in Canada, would constitute an offence under an Act of Parliament punishable by a maximum term of imprisonment of at least 10 years.

 

 

[15]           Le sous-alinéa 72(1)e)(i) du Règlement énonce :

Obtention du statut

72. (1) L’étranger au Canada devient résident permanent si, à l’issue d’un contrôle, les éléments suivants sont établis :

e) sauf dans le cas de l’étranger ayant fourni un document qui a été accepté aux termes du paragraphe 178(2) ou de l’étranger qui fait partie de la catégorie des résidents temporaires protégés :

(i) ni lui ni les membres de sa famille — qu’ils l’accompagnent ou non — ne sont interdits de territoire,

Obtaining status

72. (1) A foreign national in Canada becomes a permanent resident if, following an examination, it is established that

(e) except in the case of a foreign national who has submitted a document accepted under subsection 178(2) or of a member of the protected temporary residents class,

(i) they and their family members, whether accompanying or not, are not inadmissible,

 

 

[16]           L’article 23 du Règlement énonce :

Cas réglementaires : membres de la famille

23. Pour l’application de l’alinéa 42a) de la Loi, l’interdiction de territoire frappant le membre de la famille de l’étranger qui ne l’accompagne pas emporte interdiction de territoire de l’étranger pour inadmissibilité familiale si :

b) le membre de la famille en cause est, selon le cas :

(i) l’époux de l’étranger, sauf si la relation entre celui-ci et

 

l’étranger est terminée, en droit ou en fait,

[Non souligné dans l’original.]

 

Prescribed circumstances — family members

23. For the purposes of paragraph 42(a) of the Act, the prescribed circumstances in which the foreign national is inadmissible on grounds of an inadmissible non-accompanying family member are that

 (b) the non-accompanying family member is

(i) the spouse of the foreign national, except where the relationship between the spouse and foreign national

 

has broken down in law or in fact,

 

QUESTIONS EN LITIGE

[17]           Les questions en litige dans la présente demande sont les suivantes :

a.       La décision de l’agent d’immigration était-elle déraisonnable en ce qui a trait à la question de la relation entre la demanderesse et M. Santos?

b.      Les droits de la demanderesse en matière d’équité procédurale ont-ils été violés?

c.       L’agent a-t-il limité son pouvoir discrétionnaire en ne tenant pas compte des considérations humanitaires?

d.      La décision de l’agent d’immigration était-elle déraisonnable en ce qui a trait à la question de l’interdiction de territoire de M. Santos pour des raisons d’ordre criminel?

 

NORME DE CONTRÔLE

[18]           La norme de contrôle applicable aux décisions d’agents d’immigration est la décision raisonnable simpliciter : voir Ram c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 671.

 

ANALYSE

Question n1 :            La décision de l’agent d’immigration était-elle déraisonnable en ce qui a trait à la question de la relation entre la demanderesse et M. Santos?

 

 

[19]           La demanderesse soutient que l’agent d’immigration a commis une erreur en concluant qu’elle était interdite de territoire en raison de l’interdiction de territoire de son époux, parce que leur mariage était en fait terminé au moment où la décision a été rendue.

 

[20]           La demanderesse soutient que la conclusion de l’agent d’immigration selon laquelle elle  continuait à entretenir une relation avec son mari était déraisonnable. L’agent s’est uniquement fondé sur la lettre de Mme Santos de décembre 2007 selon laquelle la relation persistait. Toutefois, l’agent n’a pas tenu compte, comme il aurait dû le faire, des nouveaux éléments de preuve produits ni de la lettre de Mme Santos du 7 juillet 2008 ,et, conséquemment, sa décision était déraisonnable.

 

[21]           La preuve présentée à l’agent concernant l’échec du mariage est la suivante :

  1. Le témoignage produit par M. Santos lors de son entrevue à Manille, dans lequel il a déclaré que Mme Santos [traduction] « ne subvenait plus à ses besoins et qu’il n’était pas le tuteur légal de leurs enfants »;
  2. En juillet 2008, Mme Santos a déposé une nouvelle demande de résidence permanente [traduction] « afin d’annuler la demande de parrainage de son mari »;
  3. L’explication suivante fournie par Mme Santos : [traduction] « Pour le bien de mes trois enfants, j’avais déposé une demande en faveur de mon mari pour qu’il me rejoigne ici au Canada. Mais, en fait, il a commis un adultère et je viens d’apprendre qu’il a maintenant deux autres enfants »;
  4. L’affidavit de M. Santos selon lequel il a donné [traduction] « la permission à son épouse […] d’avoir la garde ou la tutelle permanente de leurs enfants à temps plein »;
  5. La lettre du 7 juillet 2008 dans laquelle la demanderesse déclare, notamment : [traduction] « […] Je veux qu’il sorte de ma vie et je ne veux pas qu’il me rejoigne ici au Canada. »

 

[22]           Il était déraisonnable pour l’agent de conclure que la relation entre la demanderesse et M. Santos persistait alors que, dans les faits, elle était terminée.

 

[23]           Le défendeur n’a pas traité de l’omission de l’agent d’aborder la question de la preuve contradictoire quant à la déclaration faite par M. Santos, lors de son entrevue à Manille, selon laquelle Mme Santos avait cessé de subvenir à ses besoins et qu’il n’avait plus la garde ou la tutelle de leurs enfants.

 

[24]           La Cour conclut que la décision de l’agent est déraisonnable compte tenu de la preuve. L’agent s’est fondé sur certains éléments de preuve, mais n’a pas tenu compte de certains autres, sans fournir d’explication. M. Santos a clairement déclaré, lors de son entrevue à Manille, que Mme Santos et lui ne formaient plus un couple. De plus, Mme Santos a déposé une nouvelle demande dans laquelle elle indiquait qu’elle était mariée, puisqu’elle l’était, mais que son mari avait commis un adultère, qu’il avait eu deux enfants avec une autre femme, qu’il s’était complètement détaché d’elle et qu’elle voulait qu’il [traduction] « sorte de [s]a vie ».

 

Question no 2 :   Les droits de la demanderesse en matière d’équité procédurale ont-ils été violés?

 

[25]           La demanderesse soutient que les intérêts en jeu dans la présente demande sont importants et que les exigences en matière de justice naturelle sont donc considérables. La demanderesse soutient que Citoyenneté et Immigration Canada devrait adopter une approche souple et constructive lorsqu’elle rend une décision concernant une demande de résidence permanente déposée par un participant au PAFR.

 

[26]           Dans l’affaire Turingan c. Canada (M.E.I.), [1993] A.C.F. n1234 (QL), au paragraphe 8, le juge Jerome a déclaré :

Après avoir analysé minutieusement le Programme concernant les employés de maison étrangers, le juge a tiré les conclusions suivantes:

 

 

                    [...] (ii) l’E.M.E. [Programme concernant les employés de maison étrangers] a été créé pour reconnaître que les employés de maison accomplissent des services valables, qu’ils nouent souvent des liens solides au Canada, mais qu’ils ont en général moins de chances d’obtenir le statut de résident permanent que d’autres immigrants;

 

                    (iii) le Programme a donc pour objet de permettre aux employés de maison étrangers d’obtenir plus facilement la résidence permanente, sous réserve de certaines conditions;

             

                    (iv) le Programme doit être appliqué avec souplesse et une importance particulière doit être mise sur les conseils et services de counselling poussés qui sont disponibles, afin de permettre aux requérants d’améliorer le cas échéant leurs compétences et de remplir les conditions requises par le Programme;

 

                     (non souligné dans le texte)

Il ressort clairement de ce passage que le programme vise à faciliter l’obtention du statut, de résident permanent. Il incombe par conséquent au Ministère d’adopter une approche souple et constructive dans ses rapports avec les participants au programme. Le rôle du Ministère ne consiste pas à refuser le statut de résident permanent uniquement pour des questions de forme, mais de travailler et d’aider les participants à atteindre leur objectif qui est d’obtenir le statut de résident permanent.

 

[27]           La demanderesse soutient que l’approche rigide de l’agent d’immigration était inappropriée et déraisonnable. Étant donné qu’il y avait une question de crédibilité, comme l’a fait remarquer l’agent d’immigration, la Cour conclut qu’une entrevue aurait du être réalisée. Mme Santos aurait alors eu la chance de clarifier que la relation était, en fait, terminée au moment de l’entrevue.

 

[28]           Mme Santos a terminé avec succès le PAFR. Elle a satisfait aux exigences nécessaires pour pouvoir déposer une demande de résidence permanente et l’agent d’immigration aurait donc dû lui fournir l’occasion d’expliquer ce qu’il avait jugé être une [traduction] « preuve contradictoire ».

 

[29]           Compte tenu des conclusions de la Cour, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres questions en litige.

 

[30]           Aucune question n’est proposée par les parties ou la Cour aux fins de certification.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

La présente demande est accueillie, la décision de l’agent d’immigration datée du 22 août 2008 est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent d’immigration pour qu’il rende une nouvelle décision, en tenant compte de la directive de la Cour suivant laquelle la preuve démontre que le mariage de la demanderesse est, dans les faits, terminé.

 

 

 

« Michael A. Kelen »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3991-08

 

INTITULÉ :                                       CHRISTINA SANTOS c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 31 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Kelen

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 9 avril 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Rafael Fabregas

 

POUR LA DEMANDERESSE

Jamie Todd

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Rafael Fabregas

Mamann & Associates

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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