Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20090409

Dossier : IMM-3642-08

Référence : 2009 CF 363

Montréal (Québec), le 9 avril 2009

En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

VICTOR AIMÉ KOUKA

demandeur

 

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire déposée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi) à l’encontre d’une décision rendue le 13 juin 2008 par l’agente ERAR (agente) et dans laquelle elle refuse la demande de résidence permanente du demandeur fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (CH) selon le paragraphe 25(1) de la Loi.

 

I.          Les faits

 

[2]               Citoyen de la République du Congo (RC), le demandeur arrive au Canada en mars 2003 et demande le statut de réfugié. Sa demande est rejetée par la Section de la protection des réfugiés (SPR) en décembre 2003, et sa demande de contrôle judiciaire de cette décision est rejetée le 1er octobre 2004.

 

[3]               Entre-temps, soit le 5 mai 2004, le demandeur soumet une première demande de CH qui sera rejetée le 18 octobre 2004, tout comme le sera un peu plus tard sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision par décision de cette Cour en date du 1er octobre 2004 (Kouka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1358).

 

[4]               Le 13 avril 2007, le demandeur dépose une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), qui sera traitée en parallèle avec une deuxième demande CH déposée le 16 mai 2007.

 

[5]               Le 4 février 2008, l’agente écrit au demandeur pour l’informer que sa demande CH sera étudiée bientôt et l’invite à mettre à jour celle-ci au plus tard le 4 mars 2008, ce que le demandeur fera.

 

[6]               Les deux demandes sont entendues par la même agente qui les rejette le 13 juin 2008. Le demandeur loge une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de ces deux décisions qui lui sont communiquées le 31 juillet 2008.

 

[7]               La requête du demandeur pour obtenir un sursis de l’ordonnance de déportation émise contre lui et prévue pour le 3 novembre 2008 est rejetée le même jour.

 

[8]               Le présent recours vise uniquement le rejet de la deuxième demande CH.

 

II.         La décision CH

 

[9]               Après une analyse exhaustive des motifs invoqués par le demandeur dans sa deuxième demande CH, l’agente conclut qu’essentiellement le demandeur soulève les mêmes allégations que dans ses demandes antérieures, qu’il ne lui appartient pas de siéger en appel de la décision de la SPR, et que la preuve au dossier n’établit pas de motifs humanitaires suffisants pour exempter le demandeur de l’obligation de faire sa demande de visa d’immigrant à l’étranger, et que celui-ci n’a ajouté au dossier, depuis la décision de la SPR, aucun élément de preuve additionnel pour démontrer qu’un retour en RC pour déposer sa demande , tel que l’exige la Loi, comporterait des risques qui constitueraient des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives.

 

III.       Question en litige

 

[10]           La décision négative de l’agente est-elle déraisonnable au regard des faits et du droit ?

 

 

IV.       Analyse

 

Norme de contrôle applicable aux décisions CH

[11]           La norme de contrôle judiciaire applicable au rejet par un agent du ministre d’une demande CH est celle de la décision raisonnable et n’a pas changé depuis l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

 

La Loi

[12]           La Loi prévoit au paragraphe 11(1) que la demande de visa et de résidence permanente de l’étranger doit normalement se faire préalablement à son entrée au Canada.

 

[13]           Ce n’est qu’exceptionnellement (Baker, précité; Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 125, aux paragraphes 16 et 17) que le ministre s’autorisera du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 25(1) de la Loi pour permettre à l’étranger de faire sa demande de résidence permanente à partir du Canada. Le demandeur n’ayant aucun statut en sol canadien demeure un étranger aux termes de la Loi.

 

[14]           Le fardeau revient à l’étranger, qui demande l’autorisation de faire sa demande à partir du Canada, de faire la preuve à l’agent que l’obligation de faire sa demande de l’extérieur du Canada lui créerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives (Legault , précité, au paragraphe 23).

 

Le demandeur s’est- il déchargé de son fardeau de preuve ?

[15]           Essentiellement, le demandeur reproche à l’agente d’avoir conclu à tort que ses prétentions n’étaient pas suffisamment étayées par la preuve. Il soutient que l’agente aurait dû lui fournir l’occasion de faire une mise à jour de sa demande CH pour soumettre d’autres renseignements ou preuves corroboratives ou lui accorder une entrevue à cette fin. Le demandeur oublie ici que l’agente lui a offert de produire une mise à jour de sa demande avant d’étudier celle-ci, ce que le demandeur a d’ailleurs fait le 5 mars 2008. Le demandeur a eu tout le loisir de soumettre la preuve qu’il désirait au soutien de ses allégations et, s’il ne l’a pas fait, il n’a qu’à s’en prendre à lui-même.

 

[16]           Il incombait au demandeur d’offrir à l’agente la preuve de ses prétentions et de s’acquitter de son fardeau de preuve en produisant toute l’information pertinente en temps utile, et ce, d’autant plus qu’il s’agissait en l’espèce de sa deuxième demande CH. Or, ici l’agente conclut avec raison qu’essentiellement le demandeur soulève les mêmes allégations que dans ses demandes antérieures. L’agente n’avait aucune obligation de requérir du demandeur une preuve additionnelle à celle déjà fournie.

 

[17]           Le demandeur ne peut reprocher à l’agente de ne pas lui avoir accordé une entrevue pour lui permettre d’être entendu avant de décider comme l’agente l’a fait. Il appartenait cependant au demandeur de produire toute la preuve de ses prétentions. Dans l’arrêt Baker, précité, la Cour suprême du Canada a statué qu’une audience n’est pas toujours nécessaire pour veiller à ce qu’un demandeur ait une occasion significative de présenter les divers genres de preuves pertinentes à son dossier et pour qu’elles soient examinées de manière complète et équitable. La possibilité offerte au demandeur de produire une mise à jour de sa demande avec une documentation écrite nouvelle relativement à tous les aspects de sa demande remplit les exigences en matière de droits de participation que commande l’obligation d'équité (voir Buio c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 157, au paragraphe 22), et ce, d’autant plus qu’il s’agissait ici de sa deuxième demande CH.

 

Meilleur intérêt des enfants

[18]           Le demandeur reproche à l’agente de ne pas avoir adéquatement considéré l’intérêt de ses enfants. Il prétend que sa demande repose essentiellement sur le regroupement familial et que l’analyse faite par l’agente de l’intérêt supérieur des enfants est manifestement bâclée sans tenir compte de l’intérêt des enfants.

 

[19]           La Cour ne voit pas le bien-fondé de tels reproches puisqu’il ressort clairement des motifs de la décision attaquée que l’agente considère dans ceux-ci l’intérêt supérieur des enfants, tous majeurs, dans le contexte des éléments de preuve auxquels le demandeur a jugé bon de se limiter.

 

[20]           Puisque le demandeur indique dans sa demande s’occuper du quotidien de ses enfants, tant au niveau de leurs études que de leur subsistance, encore aurait-il fallu qu’il démontre par une preuve suffisamment convaincante le soutien qu’il affirme fournir. Il ne peut ignorer l’importance d’une telle preuve d’autant plus que la décision négative sur sa première demande CH fait état de telles lacunes.

 

[21]           Malheureusement pour le demandeur, la preuve ne permet pas à la Cour de conclure autrement que l’agente, quant au fait que les enfants du demandeur auraient développé des liens de dépendance tels, qu'une séparation entre le père et ceux-ci occasionnerait des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives advenant le retour du demandeur en RC pour se soumettre à l’exigence de la Loi.

 

[22]           Soulignons de plus que les deux enfants du demandeur, âgés respectivement de 25 ans et 30 ans lors de la décision de l’agente, étaient au Canada depuis plus de cinq ans et demi avant l’arrivée de leur père. La preuve ne permet pas d’évaluer, même de façon approximative, l’ampleur de l’aide que leur a accordée leur père pendant cette période pour leur soutien.

 

[23]           Bien que les enfants allèguent être à la charge de leur père, la preuve ne permet pas de conclure dans quelle mesure celui-ci a contribué et continué à contribuer à leurs frais d’inscriptions et d’entretien, et ce, d’autant plus que les revenus déclarés par le demandeur suffisent à peine à pourvoir à ses besoins personnels. Il est important de rappeler que le demandeur sollicite un privilège déjà refusé lorsqu’il demande pour la deuxième fois une dispense aux termes du paragraphe 25(1) de la Loi.

 

[24]           Le demandeur se devait de présenter sa cause à l’agente sous son meilleur jour et d’expliquer avec preuve à l’appui en quoi sa situation personnelle et les risques qu’il courait différaient des faits mis en preuve lors de sa première demande CH et sa demande de protection. Le fait par le demandeur de renouveler sa demande CH devant un autre agent et d’appuyer sa demande sur une preuve non bonifiée ne lui confère pas plus de droit que lors de sa première demande CH et justifie cet agent de refuser d’utiliser son pouvoir discrétionnaire pour l’exempter des dispositions de la Loi.

 

[25]           La Cour ne voit pas pourquoi l'intérêt supérieur des enfants, ou l'objectif du regroupement familial est plus important aujourd’hui qu’il ne l’était lors de la première demande CH. L’analyse du dossier démontre que l’agente a été réceptive, attentive et sensible aux meilleurs intérêts des enfants et, malheureusement pour le demandeur, dans le présent recours il ne s’est toujours pas déchargé de son fardeau de convaincre l’agente et n’a pas plus convaincu la Cour de l’existence d’erreurs suffisantes dans la décision CH en litige ici pour justifier la Cour d’intervenir au motif qu’elle serait déraisonnable.

 

Établissement du demandeur

[26]           Si le demandeur est demeuré au Canada sans statut depuis le 23 décembre 2003 jusqu’au rejet de sa demande de sursis le 3 novembre 2008, ce n’est pas pour un motif hors son contrôle, mais bien parce qu’il a choisi de multiplier les procédures pour se donner un statut qu’il n’a pas obtenu. Il ne saurait invoquer la longueur de son séjour au Canada pour conclure à son établissement.

 

[27]           La preuve soumise à l’agente ne lui permettait pas d’évaluer la situation financière du demandeur avec précision et laisse même l’analyste de cette preuve songeur à l’égard de l’autonomie financière de celui-ci. L’agente a par contre considéré comme facteur positif l’implication du demandeur auprès de son église et de deux organismes, mais l’agente relève avec raison que le demandeur n’a soumis aucune preuve sur les difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives qu’il pourrait éprouver dans le cadre de ces activités pour justifier l’exemption requise. La Cour ne relève aucune erreur dans l’analyse et la conclusion faites par l’agente sur l’établissement insuffisant du demandeur.

 

Risque en République du Congo

[28]           L’agente n’erre pas en affirmant qu’une deuxième demande CH ne doit pas servir d’appel d’une décision négative sur une demande d’asile (Hussain c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 751, par. 12 (QL); Kouka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1236, par. 26 à 28). Elle pouvait cependant se référer aux conclusions de la SPR.

 

[29]           Comme l’agente le note avec raison dans sa décision, les risques invoqués par le demandeur dans la demande CH faisant l’objet du présent recours sont substantiellement les mêmes que ceux invoqués devant la SPR et dans la première demande CH qui ont été rejetées. Le demandeur ajoute maintenant pour justifier sa deuxième demande CH avoir besoin de la protection du Canada en raison de son implication dans des évènements lointains survenus en RC, mais évènements qu’il n’a pas cru bon de mentionner ni devant la SPR et ni devant le premier agent CH. Il ne s’agit pas là de faits nouveaux survenus depuis les demandes antérieures, de sorte que la Cour peut difficilement blâmer l’agente d’accorder peu de poids à une preuve de dernière minute présentée tardivement sans excuse valable.

 

[30]           Par ailleurs, le demandeur ne conteste pas la conclusion de l’agente qui partage celle de la SPR et du premier agent CH quant au fait que son ethnie Lari ne le met pas à risque.

 

[31]           Il ressort clairement de la lecture de la décision que l’agente ne se contente pas de faire siennes l’évaluation de la SPR sur la demande de protection et celle de l’agent sur la première demande CH. L’agente ici fait sa propre évaluation et procède à une analyse indépendante de la situation du demandeur face à la preuve documentaire soumise, de sorte que les reproches dirigés contre l’agente par le demandeur à cet égard s’avèrent manifestement mal fondés.

 

[32]           L’agente conclut que le demandeur n’a pas démontré qu’il serait personnellement exposé à un risque susceptible de lui causer des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives advenant son retour en RC pour y déposer sa demande de résidence permanente; le demandeur n’a pas su démontrer à la Cour en quoi cette conclusion est erronée au regard des faits mis en preuve et du droit.

 

V.        Conclusion

 

[33]           Le demandeur demande essentiellement à cette Cour de réévaluer l’ensemble de la preuve et de rendre une décision différente sans démontrer en quoi l’agente a pu errer. Les conclusions de l’agente sont raisonnables et appuyées sur la preuve, de sorte qu’il n’y a pas lieu pour cette Cour d’intervenir. La demande sera donc rejetée, et puisqu’aucune question importante de portée générale n’a été proposée, et que la Cour n’en voit aucune à certifier, aucune question ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3642-08

 

INTITULÉ :                                       VICTOR AIMÉ KOUKA c. MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 25 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      le 9 avril 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Luc Desmarais

 

POUR LE DEMANDEUR

Patricia Nobl

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Luc Desmarais

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.