Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20090415

Dossier : IMM-4052-08

Référence : 2009 CF 381

Ottawa (Ontario), le 15 avril 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

BUCHUNG

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande présentée conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) en vue du contrôle judiciaire d’une décision rendue par une agente d’examen des risques avant renvoi (l’ERAR) (l’agente) le 18 juillet 2008 (la décision), par laquelle était refusée la demande d’asile que le demandeur avait présentée en vertu des articles 96 et 97 de la Loi.

 

L’HISTORIQUE

 

[2]               Le demandeur est citoyen de la République populaire de Chine (la RPC). Il est né dans la région autonome du Tibet (la RAT), également appelée la région autonome de Xizang.

 

[3]               Le demandeur est entré aux États‑Unis au mois de juillet 2002. Sa demande d’asile aux États‑Unis a été refusée en 2003. Le 5 février 2005, le demandeur est entré au Canada depuis les États‑Unis et il a demandé l’asile au point d’entrée de Fort Erie. Le 23 décembre 2005, sa demande a été refusée. L’autorisation en vue du contrôle judiciaire par la Cour fédérale du Canada a également été refusée le 11 juillet 2006.

 

[4]               Le demandeur allègue craindre avec raison d’être persécuté et d’être exposé à des risques importants, du fait de sa race et de sa nationalité, dans le cas où il serait renvoyé au Tibet. Le demandeur est Tibétain et bouddhiste et il affirme qu’il ne peut pas se réclamer de la protection de l’État parce que l’État est l’agent de persécution.

 

[5]               Le 10 septembre 2008, le demandeur a été informé que son renvoi aux États‑Unis devait avoir lieu le 2 octobre 2008. Le 15 septembre 2008, le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision relative à l’ERAR.

 

[6]               Le 1er octobre 2008, le juge O’Reilly a accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi.

 

LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE JUDICIAIRE

 

[7]               L’agente a conclu que le demandeur ne serait pas exposé au risque d’être persécuté ou d’être soumis à la torture, et qu’il ne serait pas exposé à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé dans le pays dont il a la nationalité ou dans le pays où il a sa résidence habituelle.

 

Les nouveaux éléments de preuve

 

[8]               L’agente a conclu que les risques invoqués par le demandeur étaient fondés sur des allégations qu’il avait déjà formulées dans sa demande d’asile. L’agente a fait remarquer qu’une demande d’ERAR n’est pas un appel d’une décision défavorable rendue par la Section de la protection des réfugiés (la SPR), mais un examen fondé sur de nouveaux faits ou sur de nouveaux éléments de preuve qui démontrent que le demandeur d’asile est maintenant exposé au risque d’être persécuté ou d’être soumis à la torture, ou à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

 

[9]               L’agente a renvoyé à la décision initiale par laquelle la demande d’asile a été rejetée ainsi qu’au refus d’autorisation de la Cour fédérale. Elle a renvoyé à l’alinéa 113a) de la Loi, qui porte sur les nouveaux éléments de preuve, et elle a ensuite énuméré les éléments de preuve soumis par le demandeur, lesquels comprenaient plusieurs documents confirmant que celui‑ci était de nationalité tibétaine.

 

[10]           Le demandeur a soutenu que sa carte de réfugié et les documents concernant son père (une copie de la carte d’identité chinoise de son père) constituaient de nouveaux éléments de preuve et qu’on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’il présente ces documents à l’audience relative à sa demande d’asile étant donné son état mental à ce moment‑là et la dépression dont il était atteint. L’agente a conclu que le demandeur ou son conseil auraient pu soumettre ces documents n’importe quand au cours du processus, mais qu’ils ne l’avaient pas fait. La date de délivrance inscrite sur la carte de réfugié du demandeur était le 29/10/2051. L’agente n’a pas accepté ces documents comme nouveaux éléments de preuve et il n’en a pas été tenu compte dans l’ERAR.

 

[11]           Le demandeur a également soumis un formulaire d’admission rempli émanant du Bellevue Hospital Centre (l’hôpital Bellevue), à New York, en date du 11 octobre 2003. Or, cet élément de preuve était antérieur à la décision relative à la demande d’asile. Le demandeur a expliqué que le formulaire n’avait pas été produit en preuve lors de l’audience relative à sa demande d’asile parce qu’il n’avait pas reçu de traitement psychiatrique en raison de la liste d’attente du psychiatre. L’agente n’a pas jugé cette explication raisonnable et elle a fait remarquer qu’aucun motif n’était mentionné dans le document au sujet de la visite du demandeur. L’agente a accordé à ce document une faible valeur probante parce qu’il n’ajoutait rien aux renseignements concernant le risque personnel ou qu’il ne l’éclairait pas au sujet de nouveaux risques auxquels le demandeur serait peut‑être exposé.

 

[12]           Le demandeur a également soumis une copie d’une lettre de l’ami qui l’avait amené à l’hôpital Bellevue, le 11 octobre 2003. Cette lettre a été rédigée avant l’audience relative à la demande d’asile, laquelle a eu lieu le 9 octobre 2006. L’agente a conclu qu’aucune explication raisonnable n’avait été fournie quant à la raison pour laquelle la lettre n’avait pas été soumise lors de l’audience en question. Elle a donc accordé peu de poids à la lettre puisqu’elle n’ajoutait rien aux allégations de risque avancées dans la demande. De plus, la lettre avait été rédigée par quelqu’un qui n’était pas désintéressé quant à l’issue de l’examen.

 

[13]           Le demandeur a également soumis une copie des notes d’évaluation qui avaient été prises lors de sa deuxième visite chez M. Gerald Devins, le psychologue qui l’avait vu dans son cabinet, à Thornhill (Ontario). Cette deuxième visite a eu lieu le 9 mars 2007. L’agente a tenu compte du rapport, mais elle a fait remarquer que c’était le demandeur lui‑même qui avait donné les renseignements qui y figuraient. L’agente a conclu que le rapport était fondé sur du ouï‑dire étant donné que M. Devins n’avait pas été témoin des événements. L’agente a accepté le diagnostic posé par M. Devins, mais elle a accordé peu de poids aux explications le justifiant.

 

[14]           Une copie d’un certificat de résidence au Népal émanant du consulat général du Népal, à Toronto, en date du 10 août 2006, et une copie d’une lettre émanant de l’ambassade du Népal, à Washington (D.C.), en date du 27 juin 2007, ont également été produites par le demandeur. L’agente a conclu que, bien que les documents aient été postérieurs à l’audience relative à la demande d’asile, ils étaient fondés sur des renseignements auxquels le demandeur avait accès avant cette audience. Le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il n’aurait pas pu raisonnablement demander, obtenir et présenter ces lettres à l’audience. Par conséquent, l’agente a accordé une faible valeur probante aux lettres.

 

[15]           L’agente a souligné que le demandeur avait soumis de nombreux articles traitant de la situation au Tibet. Elle a conclu que ces éléments de preuve se rapportaient à une situation à laquelle faisait face la population générale ou décrivaient des situations ou événements précis auxquels avaient été confrontées des personnes dont la situation n’était pas la même que celle du demandeur. Le demandeur n’avait fourni aucune preuve documentaire objective démontrant que son profil était semblable à celui des personnes qui sont exposées, à l’heure actuelle, au Tibet, au risque d’être persécutées ou de subir un préjudice.

 

La situation actuelle dans le pays

 

[16]           L’agente a fait mention et a discuté de la situation actuelle au Tibet. Elle a conclu que la preuve dont elle disposait ne démontrait pas que le demandeur avait participé à des manifestations politiques ou qu’il avait rejoint les rangs d’une organisation religieuse pendant qu’il était au Canada. Selon la preuve documentaire, le gouvernement chinois continue à réprimer toute activité en faveur de l’indépendance du Tibet, mais le demandeur n’avait pas fourni de preuves démontrant qu’il se livrait à pareilles activités. Le principal groupe à risque est composé de dissidents politiques actifs et le demandeur n’a pas établi qu’il avait un profil susceptible d’intéresser le gouvernement chinois.

 

[17]           L’agente a également souligné que la preuve ne démontrait pas que le demandeur était associé à un parti religieux au Tibet ou au Canada et ne démontrait pas non plus que le demandeur serait exposé à un risque personnalisé au Tibet pour ce motif. La preuve objective permettait de conclure que la Chine exerçait un contrôle effectif sur son territoire et qu’elle continuait à procéder à d’importantes réformes en matière criminelle et judiciaire. Le traitement passé infligé au demandeur ne justifiait pas la protection du Canada et, compte tenu de la preuve documentaire relative à la situation du pays et de la situation personnelle du demandeur, il n’indiquait pas que le demandeur serait exposé à un risque dans l’avenir.

 

[18]           L’agente a conclu que le demandeur était exposé à moins qu’une simple possibilité d’être persécuté. De plus, il n’existait pas de motifs de fond permettant de croire que le demandeur était exposé à un risque de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités à cause de l’incapacité de l’État à assurer sa protection. La demande ne satisfaisait pas aux exigences des articles 96 et 97 de la Loi.

 

LES POINTS LITIGIEUX

 

[19]           Le demandeur soulève les questions suivantes :

1)                  L’agente a-t-elle mal interprété la preuve dont elle disposait quant à l’issue de la demande de passeport que le demandeur avait faite auprès du représentant du gouvernement du Népal en Amérique du Nord?

2)                  Est‑ce que l’agente n’a pas compris que les dates mentionnées dans les documents du demandeur étaient celles du calendrier tibétain plutôt que celles du calendrier grégorien, et l’agente a‑t‑elle commis une erreur de fait qui a une incidence sur son appréciation de la crédibilité du demandeur?

3)                  L’agente a‑t‑elle commis une erreur en déterminant ce qui constituait un nouvel élément de preuve mis à sa disposition?

4)                  L’agente a‑t‑elle omis de tenir compte des éléments de preuve et des arguments qui avaient été avancés dans les observations du conseil du demandeur, lors de l’ERAR, à savoir que l’état mental du demandeur empêchait celui‑ci de poursuivre sa cause avec diligence?

5)                  L’agente a‑t‑elle commis une erreur en souscrivant censément à l’avis de la SPR quant à la nationalité du demandeur tout en procédant à une analyse du risque personnalisé, au motif que le demandeur était un citoyen de la RPC d’origine tibétaine?

6)                  L’agente a‑t‑elle commis une erreur en interprétant la preuve relative à la situation du pays qui lui a été soumise?

 

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[20]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

 

Examen de la demande

 

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

 

 

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

 

b) une audience peut être tenue si le ministre l’estime requis compte tenu des facteurs réglementaires;

 

 

c) s’agissant du demandeur non visé au paragraphe 112(3), sur la base des articles 96 à 98;

 

 

 

d) s’agissant du demandeur visé au paragraphe 112(3), sur la base des éléments mentionnés à l’article 97 et, d’autre part :

 

(i) soit du fait que le demandeur interdit de territoire pour grande criminalité constitue un danger pour le public au Canada,

 

 

(ii) soit, dans le cas de tout autre demandeur, du fait que la demande devrait être rejetée en raison de la nature et de la gravité de ses actes passés ou du danger qu’il constitue pour la sécurité du Canada.

 

 

 

 

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themself of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themself of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

 

 

Consideration of application

 

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

 

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

 

(b) a hearing may be held if the Minister, on the basis of prescribed factors, is of the opinion that a hearing is required;

 

(c) in the case of an applicant not described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of sections 96 to 98;

 

(d) in the case of an applicant described in subsection 112(3), consideration shall be on the basis of the factors set out in section 97 and

 

(i) in the case of an applicant for protection who is inadmissible on grounds of serious criminality, whether they are a danger to the public in Canada, or

 

(ii) in the case of any other applicant, whether the application should be refused because of the nature and severity of acts committed by the applicant or because of the danger that the applicant constitutes to the security of Canada.

 

[21]           La disposition suivante du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, s’applique en l’espèce :

Nouveaux éléments de preuve

 

161(2) Il désigne, dans ses observations écrites, les éléments de preuve qui satisfont aux exigences prévues à l’alinéa 113a) de la Loi et indique dans quelle mesure ils s’appliquent dans son cas.

 New evidence

 

 

161(2) A person who makes written submissions must identify the evidence presented that meets the requirements of paragraph 113(a) of the Act and indicate how that evidence relates to them.

 

LA NORME DE CONTRÔLE

 

[22]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a reconnu que, malgré les différences théoriques entre la norme de la décision raisonnable simpliciter et celle de la décision manifestement déraisonnable, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » : Dunsmuir, au paragraphe 44. La Cour suprême du Canada a donc conclu qu’il y avait lieu de joindre en une seule les deux normes de raisonnabilité.

 

[23]           Dans l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada a également conclu que l’analyse relative à la norme de contrôle n’a pas à être effectuée dans tous les cas. Lorsque la jurisprudence établit la norme de contrôle applicable à la question particulière dont la cour est saisie, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cet examen s’avère infructueux que la cour de révision doit tenir compte des quatre facteurs que comporte l’analyse de la norme de contrôle.

 

[24]           Dans la décision Fi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2006 CF 1125, au paragraphe 6, la Cour a conclu que la norme de contrôle d’une décision relative à un ERAR est celle de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, les conclusions particulières de fait ne doivent être modifiées que si elles ont été tirées d’une manière abusive ou arbitraire ou sans égard aux éléments de preuve dont l’agent d’ERAR était saisi.

 

[25]           Dans la décision Elezi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CF 240, au paragraphe 22, (Elezi), les remarques suivantes sont faites :

Dans l’appréciation des faits nouveaux dont il est question à l’alinéa 113a), il faut considérer deux questions distinctes. La première est celle de savoir si l’agent a commis une erreur lorsqu’il a interprété la disposition elle‑même. C’est là une question de droit, à laquelle s’applique la norme de la décision correcte. Si l’agent n’a commis aucune erreur dans l’interprétation de la disposition, alors la Cour doit encore se demander s’il a commis une erreur dans sa manière d’appliquer la disposition aux circonstances particulières de l’espèce. C’est là une question mixte de droit et de fait, à laquelle s’applique la norme de la décision raisonnable simpliciter.

 

[26]           Par conséquent, compte tenu de la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir et de la jurisprudence antérieure de la présente cour, je conclus que la norme de contrôle applicable aux questions en litige en l’espèce est celle du caractère raisonnable, sauf pour ce qui est de la question de savoir si l’agente a commis une erreur en interprétant l’alinéa 113a) (troisième question). Lorsqu’une décision est contrôlée selon la norme du caractère raisonnable, l’analyse s’attache « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : Dunsmuir, au paragraphe 47. Autrement dit, la cour ne doit intervenir que si la décision était déraisonnable, en ce sens qu’elle n’appartenait pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

L’ARGUMENTATION

            Le demandeur

                        La nationalité

 

[27]           Le demandeur affirme que l’agente a commis une erreur de droit et qu’elle a mal interprété la preuve dont elle disposait. Dans sa décision, la SPR mettait l’accent sur l’identité nationale du demandeur; elle a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il était un « citoyen du Tibet ». Le demandeur prétend que, dans sa demande d’ERAR, il a soumis divers documents établissant son identité en tant que citoyen du Tibet. La preuve n’était pas silencieuse quant à la question du passeport; la lettre émanant de l’ambassade du Népal à Washington qui avait été produite était une réponse à la demande de passeport du demandeur et mentionnait ce qui suit :

[traduction]

 

Monsieur Buchung, selon les documents qu’il a soumis à cette ambassade, était inscrit à titre de réfugié tibétain au Népal et il n’a pas le droit d’obtenir un passeport népalais, quel qu’il soit, des autorités gouvernementales népalaises. Selon la loi et le règlement sur les passeports du Népal, seuls les citoyens népalais ont droit à un passeport népalais.

 

 

[28]           Le demandeur affirme que l’agente a eu tort de conclure que [traduction] « la preuve est silencieuse en ce qui concerne la question de savoir si un passeport népalais lui a[vait] été délivré ». L’agente avait en sa possession la preuve indiquant que le demandeur n’était pas citoyen du Népal ainsi qu’une décision définitive sur ce point, rendue par le seul décideur concerné, à savoir le gouvernement du Népal. Le demandeur cite à ce sujet l’ouvrage de James Hathaway intitulé The Law of Refugee Status (Butterworths Law: Toronto, 1993), à la page 57 :

[traduction]

 

Si l’assertion du demandeur et la preuve corroborant la nationalité se contredisent, il faut de prime abord tenir compte de la façon dont le pays qui a délivré un titre de voyage, ou qui était le point de départ immédiat vers l’État accordant l’asile, qualifie le statut du demandeur. Étant donné que, selon le droit international, chaque État peut décider des personnes qui sont ses ressortissants, une nationalité ne peut pas être attribuée au demandeur d’asile lorsque les autorités de cet État prennent une position contraire.

 

 

[29]           Le demandeur affirme que l’agente disposait de renseignements définitifs au sujet de la question même qui a amené la SPR à rendre une décision défavorable. Le demandeur fait remarquer que l’agente s’est également opposée à la lettre émanant de l’ambassade du Népal pour le motif qu’elle était fondée sur des renseignements qu’il avait lui‑même fournis. Le demandeur souligne ce qui suit : (1) il est inévitable que les renseignements se rapportant à une demande de passeport soient fondés, au moins en partie, sur des renseignements fournis par le demandeur; (2) on ne sait pas si l’ambassade du Népal a mené sa propre enquête au Népal ou ailleurs; (3) la décision de l’ambassade faisait autorité, selon les normes de la jurisprudence internationale.

 

[30]           Le demandeur conclut, sur ce point, que l’agente a reconnu l’importance de la lettre émanant de l’ambassade du Népal et qu’il s’agit d’une détermination définitive de son identité nationale. Il est donc raisonnable de supposer que la décision aurait pu être différente si l’agente avait pris ce facteur en compte.

 

Le calendrier tibétain

 

[31]           Selon le demandeur, l’agente aurait pu prendre une décision différente si elle avait reconnu que les dates figurant sur sa carte de réfugié n’étaient pas celles du calendrier grégorien.

 

[32]           De l’avis de l’agente, la date inscrite dans le document était suspecte parce qu’elle ne correspondait pas à une date vraisemblable du calendrier grégorien. Toutefois, le demandeur affirme que la date pertinente est le 24 janvier 1995 selon le calendrier grégorien (comme le démontre son certificat de résidence au Népal, sur lequel figure la même date).

 

[33]           Le demandeur affirme que l’agente a commis une erreur en interprétant le document. Si l’agente avait reconnu que la date provenait du calendrier tibétain, elle aurait peut‑être conclu à l’authenticité du document.

 

Les nouveaux éléments de preuve

 

[34]           L’agente a pris la position selon laquelle certains éléments de preuve qui lui ont été soumis dans la demande d’ERAR ne constituaient pas de [traduction] « nouveaux éléments de preuve » et qu’ils auraient raisonnablement pu être soumis lors de l’audience relative à la demande d’asile. Le demandeur prétend que, pour évaluer cette assertion, il faut réexaminer les circonstances afférentes à l’audience initiale. De longues observations ont été soumises après l’audience au sujet de l’identité, de la citoyenneté au Népal, de la citoyenneté en Inde ainsi qu’au sujet de la discrimination et du danger auxquels sont confrontés les Tibétains qui vivent au Népal.

 

[35]           La SPR n’a pas exercé sa compétence et elle n’a pas apprécié la demande du demandeur par rapport à un pays ou l’autre étant donné que le demandeur avait omis d’établir son identité. Toutefois, le demandeur soutient que le conseil a soumis de longues observations au sujet de la situation dans laquelle se trouvent les personnes d’origine tibétaine au Népal, mais que la SPR n’a pas tenu compte de cette preuve.

 

[36]           Dans une demande d’asile, le conseil peut avoir des attentes raisonnables au sujet de la preuve documentaire qui aurait dû constituer une preuve acceptable d’aspects importants de la demande. Toutefois, si un avis adéquat est donné au sujet d’une question, le conseil peut envisager d’autres moyens d’établir une question auxquels il n’avait peut‑être pas songé.

 

[37]           Le demandeur affirme que son conseil n’a pas reçu un avis exprès adéquat l’informant qu’il fallait fournir des renseignements supplémentaires quant à l’identité, étant donné qu’il n’avait pas été avisé que la SPR envisageait de conclure que le demandeur n’était pas citoyen du Népal. Les documents que le demandeur a soumis étaient raisonnables et abondants, sinon exhaustifs.

 

L’état mental du demandeur

 

[38]           Aux dires du demandeur, l’agente n’a pas énoncé de motifs adéquats à l’appui du rejet de l’argument de son ancien conseil, à savoir qu’il n’était pas en mesure de poursuivre sa cause d’une façon diligente à cause de son état de santé mentale. Le demandeur affirme que l’agente a commis une erreur de droit et qu’elle a mal interprété la preuve dont elle était saisie.

 

[39]           Le demandeur fait valoir que l’évolution jurisprudentielle, en ce qui concerne l’article 113 de la Loi, étaye l’admission d’une preuve qui indique une forte probabilité de danger, ou qui établit un fait important : Elezi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 422 (Elezi). Il cite à l’appui les paragraphes 34 à 37 de la décision Elezi :

[34]           La deuxième raison invoquée pour avoir accordé peu de valeur probante aux déclarations était parce qu’elles portaient sur des faits que la Commission avait déjà rejetés en raison d’un manque de crédibilité. Dans un arrêt récent de la Cour d’appel fédérale, Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, [2007] A.C.F. no 1632 (QL), qui traite de l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve dans le cadre d’une demande d’ERAR, la juge Sharlow a déclaré ce qui suit au paragraphe 13 :

 

            Selon son interprétation de l’alinéa 113a), cet alinéa repose sur l’idée que l’agent d’ERAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance. […]

 

Elle a ajouté que, pour considérer des éléments de preuve comme nouveaux, il importe de se poser la question suivante : « Les preuves sont‑elles nouvelles, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes […] à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR […]? »

 

[35]           À mon avis, l’extrait précité est instructif. Bien que la procédure d’ERAR ne soit pas un appel à l’encontre d’une décision de la Commission, il ne servirait à rien d’admettre de nouveaux éléments de preuve qui sont aptes à réfuter une conclusion de fait tirée par la Commission, si à ce moment-là une faible valeur probante pouvait leur être accordée pour la raison même qu’ils ont été admis. Par conséquent, dans les cas où on admet des nouveaux éléments de preuve qui vont à l’encontre des conclusions de fait tirées antérieurement par la Commission, il n’est pas possible de les écarter uniquement parce qu’ils contredisent ces conclusions antérieures; il faut plutôt évaluer leur capacité de nuancer ces conclusions aux fins de l’analyse relative à l’ERAR à effectuer.  

 

[36]           L’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve parce qu’aucune raison valable n’avait été donnée pour expliquer pourquoi les déclarations n’avaient pas été présentées à la Commission. À mon avis, il ne s’agit pas d’une considération pertinente. En considérant les éléments de preuve comme nouveaux en vertu de l’alinéa 113a) de la Loi, l’agent accepte aussi de façon implicite que le demandeur avait une raison valable pour ne pas les avoir présentés à la Commission. En réalité, comme la Cour l’a dit dans la décision Elezi précédente :

 

            […] l’audience de la Commission n’a eu lieu que trois mois après son arrivée au Canada, et il ne faut pas faire un gros effort d’imagination pour considérer que ce n’est pas là disposer de beaucoup de temps pour recueillir ce genre de preuves. On peut dire la même chose évidemment des lettres du maire et du député, si elles devaient être considérées comme des preuves qui existaient avant la décision de la Commission. (Elezi, précité, au paragraphe 43)  

 

[37]           Vu l’importance des déclarations quant à l’incapacité de l’État d’offrir une protection à M. Elezi, il incombait à l’agent d’ERAR de tenir compte des facteurs pertinents dans le cadre de son analyse. J’estime qu’en ayant pris en considération des facteurs non pertinents dans son appréciation des déclarations fournies, l’agent d’ERAR a commis une erreur susceptible de contrôle.

 

 

                                    L’analyse du risque personnalisé

 

[40]           Selon le demandeur, l’agente a commis une erreur de droit parce qu’il est impossible de savoir, à partir de sa décision, si elle a reconnu qu’il était un ressortissant chinois d’origine tibétaine. Le demandeur allègue que la décision est incohérente et que l’agente semble souscrire à la décision de la SPR, à savoir qu’il n’avait pas démontré de façon adéquate qu’il était citoyen chinois, en rejetant tout nouvel élément de preuve sur ce point. Toutefois, dans son analyse du risque, l’agente suppose qu’il retournera en Chine. Le demandeur soutient que, pour que la décision puisse être maintenue, il doit être clair que l’agente a reconnu ou qu’elle a refusé de reconnaître qu’il était un citoyen de la RPC d’origine tibétaine.

 

La situation dans le pays

 

[41]           Le demandeur affirme en outre que le conseil a soumis des arguments et des renvois à l’information sur le pays à l’appui de son allégation selon laquelle, en sa qualité de Tibétain, il était exposé à des risques. Étant donné que le demandeur est un disciple du dalaï‑lama, ses convictions religieuses sont considérées par le gouvernement chinois comme étant de nature politique, d’où les mesures répressives. Le demandeur ne sera pas libre de pratiquer sa religion en Chine. Toutefois, l’agente a conclu que le profil du demandeur n’était pas celui d’une personne à risque. L’agente a commis une erreur sur ce point parce que l’information sur le pays ne précise pas qu’il faut être une personne notoire pour être un Tibétain à risque. La preuve étaye l’allégation du demandeur lorsqu’il affirme que, à cause de son profil, il est une personne à risque au Tibet.

 

[42]           Par conséquent, l’agente a commis une erreur en faisant abstraction de la preuve sur ce point ou en interprétant cette preuve de façon erronée. Le conseil a clairement dit dans ses observations que le demandeur avait participé à des manifestations pacifiques en faveur d’un Tibet libre, au Népal, aux États‑Unis et au Canada.

 

[43]           L’agente a rejeté la documentation sur la situation dans le pays que le demandeur avait soumise, tout en analysant les documents. La preuve documentaire a été rejetée simplement parce qu’elle provenait du demandeur.

 

[44]           Le demandeur n’avait qu’à démontrer qu’il existait plus qu’une simple possibilité qu’il soit persécuté. L’agente avait à sa disposition un grand nombre d’éléments de preuve démontrant qu’un Tibétain ordinaire qui pratique le bouddhisme et qui croit en un Tibet indépendant est une personne exposée à des risques. Un demandeur d’asile tibétain n’a pas à être un moine ou un activiste notoire afin d’établir qu’il est exposé à un risque de préjudice grave.

 

[45]           L’agente n’a pas tenu compte de la preuve relative à l’absence de liberté religieuse au Tibet ou elle a interprété cette preuve de façon erronée. Le demandeur est un bouddhiste pratiquant; or, la preuve démontre clairement que les bouddhistes ont fait l’objet de graves mesures de répression. Cette preuve était directement liée à la situation du demandeur. L’agente s’est trompée lorsqu’elle a déclaré que rien ne démontrait que le demandeur avait milité dans un [traduction] « parti religieux » au Canada.

 

[46]           L’agente a également commis une erreur en concluant que le climat religieux actuel, en ce qui concerne les Tibétains et les disciples du dalaï‑lama, est une situation à laquelle fait face la population en général, ainsi qu’en évaluant la nature du contrôle exercé par l’État chinois. La preuve étaye la thèse selon laquelle l’État chinois contrôle son territoire et qu’il s’agit d’un État à régime autoritaire et oppressif. Les réformes criminelles et judiciaires mentionnées dans la documentation ne sont pas pertinentes en l’espèce.

 

[47]           Le demandeur affirme qu’on ne saurait le blâmer pour ne pas avoir communiqué plus tôt avec les agents de la présumée persécution afin d’établir son identité nationale en leur demandant de lui délivrer un passeport. S’il l’avait fait au moment où l’audience initiale a été tenue, la chose aurait pu donner lieu à une conclusion selon laquelle il cherchait à se réclamer de la protection de la Chine ou du Népal.

 

Le défendeur

            La preuve n’a pas été interprétée d’une façon erronée

 

[48]           Le défendeur affirme que l’agente comprenait la nature de la lettre de l’ambassade du Népal et qu’elle lui a accordé une faible valeur probante. Si l’agente n’avait pas compris l’importance possible de la lettre, elle n’aurait pas conclu que cette lettre aurait dû être soumise à la SPR, et elle ne se serait pas demandé si la non‑communication de la lettre à la SPR avait été expliquée d’une façon adéquate.

 

[49]           Contrairement à ce qu’affirme le demandeur, l’agente n’a pas accepté son omission de présenter la lettre à l’audience relative à sa demande d’asile; la lettre n’avait donc pas à être prise en considération et la décision n’aurait pas pu être différente : Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2007 CAF 385, au paragraphe 13. Même si l’agente avait décidé que, compte tenu des documents, le demandeur n’était pas citoyen du Népal, cela n’aurait pas été déterminant pour ce qui est de son identité.

 

Le calendrier népalais

 

[50]           Le défendeur fait valoir que le demandeur n’a pas donné d’explications à l’agente en ce qui concerne la différence entre la présumée date de réception et ce qui semblait être une date erronée sur la carte de réfugié. De plus, aucune date équivalente de délivrance de la carte n’a été fournie. L’agente pouvait à juste titre conclure qu’un document daté de l’année 2051 n’était pas un nouveau document et qu’il aurait dû être soumis lors de l’audience initiale sur la demande d’asile.

 

Il ne s’agissait pas d’un nouvel élément de preuve et l’explication n’était pas raisonnable

 

[51]           Selon le défendeur, la décision Raza énonce un certain nombre de questions que l’agent doit poser en déterminant si la preuve répond aux critères mentionnés à l’alinéa 113a) de la Loi. L’agente n’a pas commis d’erreur sur ce point parce que les pièces d’identité que le demandeur lui avait soumises, notamment celles qui ont été obtenues une fois l’audience terminée, auraient pu être obtenues et présentées à la SPR avant qu’une décision soit rendue. L’explication que le demandeur a donnée, à savoir qu’il n’avait pas soumis cette preuve parce qu’il était déprimé ou à cause des conseils qui lui avaient été donnés, n’est pas convaincante.

 

[52]           Enfin, sur ce point, le défendeur fait valoir que, étant donné que les éléments de preuve n’étaient pas nouveaux et qu’ils auraient pu être soumis lors de l’audience initiale relative à la demande d’asile et étant donné que les explications du demandeur n’étaient pas convaincantes, il était raisonnable pour l’agente de conclure que les éléments de preuve en question n’étaient pas nouveaux.

 

 

La situation dans le pays

 

[53]           Le défendeur affirme qu’il était raisonnable pour l’agente de tenir compte de la situation qui régnait au sein de la RPC en ce qui concerne les Tibétains. Le demandeur a formulé des observations explicites au sujet de la situation au Tibet. L’agente a pris ces observations en compte ainsi que d’autres éléments de preuve accessibles au public, en réponse à la demande présentée par le demandeur, ce qui n’était pas déraisonnable. Les conclusions de l’agente étaient raisonnables et elles étaient pleinement étayées par la preuve mise à sa disposition. L’agente ne disposait d’aucun élément de preuve démontrant que le demandeur avait pris part à des manifestations devant le consulat chinois ou ailleurs et il n’avait pas juré qu’il pratiquait sa religion au Canada.

 

L’ANALYSE

           

[54]           Premièrement, je souscris à l’appréciation du demandeur quant à l’analyse faite par l’agente de la situation actuelle dans le pays. Comme le demandeur le souligne, l’agente a commis des erreurs de fait, elle n’a pas répondu au fondement de la demande, elle a rejeté sans motif apparent les éléments de preuve que celui‑ci avait soumis et elle a tiré des conclusions au sujet des risques auxquels était exposée la population en général, les principaux groupes, les partis religieux ainsi qu’au sujet du contrôle effectif exercé par la Chine sur son territoire et de la mise en œuvre de réformes criminelles et judiciaires qui sont difficiles à saisir étant donné que le demandeur allègue être à risque en sa qualité de bouddhiste tibétain disciple du dalaï‑lama.

 

[55]           Il n’est pas nécessaire d’analyser ces erreurs en détail puisque la décision doit être maintenue ou rejetée sur la base de la question de l’identité.

 

[56]           La SPR a rejeté la demande d’asile parce que le demandeur n’avait pas produit un nombre suffisant de documents et d’éléments de preuve crédibles pour établir son identité en tant que ressortissant du Tibet, en RPC. Par conséquent, le problème auquel faisait face le demandeur au stade de l’ERAR consistait à établir son identité, de façon que le risque puisse être évalué.

 

[57]           L’agente a conclu que les éléments de preuve additionnels que le demandeur avait soumis au sujet de son identité n’étaient pas quelque chose dont il pouvait être tenu compte parce qu’il ne s’agissait pas de [traduction] « nouveaux éléments de preuve » au sens de l’alinéa 113a) de la Loi ou que leur valeur était faible.

 

[58]           Dans l’arrêt Raza, la Cour d’appel fédérale a donné des directives au sujet de l’application de l’alinéa 113a) aux demandes d’ERAR :

13     Selon son interprétation de l’alinéa 113a), cet alinéa repose sur l’idée que l’agent d'ERAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance. L’alinéa 113a) pose plusieurs questions, certaines explicitement et d’autres implicitement, concernant les preuves nouvelles en question. Je les résume ainsi :

 

1. Crédibilité : Les preuves nouvelles sont‑elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

2. Pertinence : Les preuves nouvelles intéressent‑elles la demande d’ERAR, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

3. Nouveauté : Les preuves sont‑elles nouvelles, c’est‑à‑dire sont‑elles aptes :

a) à prouver la situation ayant cours dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?

b) à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?

c) à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

 

Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

4. Caractère substantiel : Les preuves nouvelles sont‑elles substantielles, c’est‑à‑dire la demande d’asile aurait‑elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

 

5.  Conditions légales explicites :

a) Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audition de la demande d’asile, alors le demandeur a‑t‑il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audition de la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

b) Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles).

 

14     Les quatre premières questions, qui concernent la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et le caractère substantiel, résultent implicitement de l’objet de l’alinéa 113a), dans le régime de la LIPR se rapportant aux demandes d’asile et aux examens des risques avant renvoi. Les questions restantes sont posées explicitement par l’alinéa 113a).

 

15     Je ne dis pas que les questions énumérées ci‑dessus doivent être posées dans un ordre particulier, ou que l’agent d'ERAR doit dans tous les cas se poser chacune d’elles. L’important, c’est que l’agent d'ERAR considère toutes les preuves qui lui sont présentées, à moins qu’elles ne soient exclues pour l’un des motifs énoncés au paragraphe [13] ci‑dessus.

 

[59]           En l’espèce, l’agente a examiné une série de documents que le demandeur avait soumis en tant que nouveaux éléments de preuve établissant son identité.

 

La demande de passeport népalais

 

[60]           Le demandeur affirme avoir demandé un passeport népalais afin de confirmer qu’on refusait de lui en délivrer un parce qu’il n’est pas citoyen du Népal.

 

[61]           L’agente a rejeté cet élément de preuve en affirmant ce qui suit : [traduction] « Je remarque que le passeport a été demandé le 14 février 2007; or, à ce jour, le 18 juillet 2008, la preuve est silencieuse en ce qui concerne la question de savoir si un passeport népalais lui a été délivré. »

 

[62]           Comme le demandeur le souligne, la preuve n’était pas [traduction] « silencieuse » sur ce point. Il y avait une lettre émanant de l’ambassade du Népal, à Washington (D.C.), en date du 27 juin 2007. La preuve donne à entendre que cette lettre a été transmise par télécopieur au bureau d’ERAR de Niagara Falls le 1er juillet 2007. Cette lettre est libellée comme suit :

[traduction]

 

Monsieur Buchung, selon les documents qu’il a soumis à cette ambassade, était inscrit à titre de réfugié tibétain au Népal et il n’a pas le droit d’obtenir un passeport népalais quel qu’il soit des autorités gouvernementales népalaises. Selon la Loi et le Règlement sur les passeports du Népal, seuls les citoyens népalais ont droit à un passeport népalais.

 

 

 

[63]           La lettre démontre que le demandeur « était inscrit à titre de réfugié tibétain au Népal » et qu’il « n’a pas le droit d’obtenir un passeport népalais quel qu’il soit des autorités gouvernementales népalaises ». La lettre mentionne également clairement que si le demandeur était citoyen népalais, il aurait droit à un passeport népalais. Il s’agit donc d’une preuve convaincante démontrant que l’ambassade du Népal ne considère pas le demandeur comme un citoyen népalais.

 

[64]           Le défendeur affirme que la lettre de l’ambassade n’établit pas l’identité du demandeur; elle établit simplement qu’il n’est pas citoyen népalais. De plus, le défendeur affirme que, étant donné les éléments dont disposait la SPR, cette lettre ne constitue pas une preuve déterminante justifiant une conclusion différente.

 

[65]           La lettre n’est peut‑être pas déterminante, mais elle est importante et elle est fort convaincante. L’une des conclusions de la SPR était qu’« il est raisonnable de croire que le demandeur d’asile, qui a quitté Katmandu pour se rendre aux États‑Unis est, selon la prépondérance des probabilités, un citoyen du Népal et que c’est la raison pour laquelle les autorités américaines ont ordonné son expulsion vers ce pays ».

 

[66]           La lettre émanant de l’ambassade népalaise me semble constituer un nouvel élément de preuve, en ce sens qu’elle peut « réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion relative à la crédibilité) ».

 

[67]           L’agente semble être d’avis que « la preuve est silencieuse en ce qui concerne la question de savoir si un passeport népalais lui a[vait] été délivré ». En d’autres termes, la lettre émanant de l’ambassade n’est pas rejetée parce qu’il s’agit de quelque chose que le [traduction] « demandeur ou son conseil auraient raisonnablement pu soumettre [...] n’importe quand au cours du processus », soit l’un des motifs que l’agente a énoncés pour justifier le rejet de la carte de réfugié népalaise du demandeur, une copie de la carte d’identité chinoise du père du demandeur et une copie du certificat d’enregistrement de l’épouse du demandeur; ces éléments ne sont tout simplement pas pris en compte.

 

[68]           En ce qui concerne la lettre émanant de l’ambassade, je dois conclure que l’agente n’en a pas tenu compte ou qu’elle lui a donné une interprétation tout à fait erronée.

 

[69]           Puisque je suis arrivé à cette conclusion, je crois qu’une erreur susceptible de révision a été commise, erreur qui justifie un nouvel examen. Si l’agente avait reconnu l’importance, dans sa pleine mesure, de la lettre émanant de l’ambassade et en avait tenu compte, elle serait peut‑être bien arrivée à une conclusion différente au sujet de la question de l’identité.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE QUE :

 

1.      La demande est accueillie et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un autre agent;

 

2.      Il n’y a pas de question à certifier.

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-4052-08

 

INTITULÉ :                                                   BUCHUNG

 

                                                                        c.

 

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 24 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                        LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 15 avril 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Geraldine MacDonald

POUR LE DEMANDEUR

 

Sharon Stewart Guthrie

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

Geraldine MacDonald

Avocate

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.