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Federal Court

 

 

 

 

Cour fédérale

Date : 20090414

Dossier : IMM-4080-08

Référence : 2009 CF 370

Ottawa (Ontario), le 14 avril 2009

En présence de monsieur le juge Martineau 

 

ENTRE :

RICARDO TREVINO ZAVALA

YOLANDA DELABRA SERRATO

LILIANA ALEJAND TREVINO DELABRA

et MELISSA JAZMIN TREVINO DELABRA

 

demandeurs

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les demandeurs contestent la légalité d’une décision de la  Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés (la Commission), rendue le 22 août 2008, selon laquelle les demandeurs n’ont pas la qualité de « réfugiés au sens de la Convention » ni celle de « personnes à protéger » selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la loi), telle que modifiée. En l’espèce, la


Commission a rejeté la demande d’asile des demandeurs en raison de l’absence de crédibilité du demandeur principal et de la possibilité d’un refuge interne pour les demandeurs.

 

[2]               Le demandeur principal, sa conjointe et leurs deux enfants sont tous citoyens mexicains. Habitant la ville de Monterrey dans l’État du Nuevo Leon, le demandeur principal allègue qu’il travaillait depuis huit ans en tant que chauffeur et messager pour une institution gouvernementale destinée à la gestion d’un fonds national relatif au logement des travailleurs, Instituto del Fondo Nacional de la Vivienda para los Trabajadores (Infonavit). La demande d’asile est fondée essentiellement sur un incident dont le demandeur aurait été victime dans le cadre de son travail. Le 8 août 2007, au moment de décharger des boîtes pour en faire la livraison, le demandeur affirme avoir identifié que ces boîtes contenaient des substances illicites. Après avoir conclu que son supérieur immédiat (un certain « Manuel ») était impliqué dans le trafic de drogues, le demandeur aurait été menacé de mort par ce dernier s’il divulguait ce dont il avait été témoin. Le 10 août 2007, le demandeur aurait été battu par des inconnus. Ayant trouvé refuge dans la ville de Tampico, le 2 septembre 2007, le demandeur quittait le Mexique en direction du Canada afin d’y demander l’asile. Il a été rejoint par les autres membres de sa famille le 19 novembre 2007. 

 

[3]               Plusieurs raisons sont fournies dans la décision pour rejeter la demande d’asile, faute de crédibilité du demandeur principal. La Commission a trouvé le témoignage de celui-ci « particulièrement hésitant ». Sa version des faits à l’audition a été confuse ou ne correspond pas avec des éléments essentiels de l’exposé circonstancié soumis au sein de son Formulaire de renseignements personnels (FRP). Plus précisément, il y a des contradictions quant aux dates auxquelles le demandeur a été battu et a déménagé avec sa famille chez sa sœur à Tampico. Plus important encore, la Commission ne croit pas que le demandeur a travaillé chez Infonavit, poste qu’il dit avoir occupé pendant huit ans. Ainsi, le demandeur pouvait difficilement décrire la raison d’être de l’entreprise et il était incapable de même se rappeler du nom de son superviseur immédiat avec lequel il aurait travaillé pendant un an. Au surplus, le demandeur n’a pu fournir aucune preuve d’emploi chez Infonavit. Invité par la Commission à corroborer son récit et à parfaire la preuve soumise quant à son lien d’emploi, par le biais du  site web même de son employeur, lequel permet de fournir des renseignements quant à l’historique professionnel des employés, le demandeur n’a fourni aucune preuve additionnelle. Toutes ces considérations ont conduit la Commission à juger le demandeur principal non crédible :

[16]      Considérant le faible témoignage du demandeur, les erreurs de chronologie à l’audience et le fait qu’il n’ait pas été capable d’établir qu’il a travaillé pour Infonavit, j’en conclus au manque général de crédibilité des allégations de monsieur.

 

[4]               Subsidiairement, la Commission a également conclu qu’il y avait une possibilité d’un refuge interne pour les demandeurs. Ainsi, suite à l’incident du 10 août 2007, la Commission note que les demandeurs n’ont mentionné aucun nouvel incident selon lequel leurs agresseurs auraient à nouveau tenté de les persécuter. La Commission conclut que le danger auquel étaient soumis les demandeurs n’existe plus et qu’il y  avait pour les demandeurs la possibilité d’un refuge interne dans la ville de Tampico (ou une autre ville du Mexique).

 

[5]               Il est déjà bien établi par la jurisprudence que la Cour doit faire preuve d’une grande déférence eu égard aux décisions de la Commission touchant à des questions de crédibilité et d’évaluation de la preuve (Mugesera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40 au par. 38; Hattou c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 230 au par. 12, [2008] A.C.F. no 275 (QL); Navarro c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 358 aux par. 13-14, [2008] A.C.F. no 463 (QL)). Selon la jurisprudence, les mêmes considérations s’appliquent quant à  la possibilité de refuge interne, qui est essentiellement une question de fait. Par conséquent, la norme de la décision déraisonnable doit en l’espèce guider notre analyse de la décision contestée (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 (Dunsmuir)).

 

[6]               Ceci étant dit, il ressort clairement de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, en vertu duquel cette Cour n’interviendra que si la décision d’un tribunal est basée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire, ou encore si la décision a été rendue sans que le tribunal ne tienne compte des éléments de preuve dont il disposait, que le Parlement a clairement exprimé le souhait qu’une conclusion de fait tirée par un tribunal administratif appelle un degré élevé de déférence. Sans que je n’aie été invité à me prononcer sur ce point par les procureurs, il semble bien que la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Dunsmuir, n’ait pas modifié la portée juridique de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12 au  par. 46.

 

[7]               Bien entendu, lorsqu’on considère l’ensemble de la décision attaquée, j’ai examiné la justification que l’on retrouve dans les motifs écrits, qui permettent d’évaluer la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel. À cet égard, il s’agit essentiellement de se demander si le résultat auquel est parvenue la Commission fait partie de l’éventail des solutions possibles et acceptables compte tenu des faits et du droit, ce qui est bien entendu en accord avec la norme de la décision raisonnable (Dunsmuir, par. 47; Khosa, par. 59).

 

[8]               En l’espèce, il n’y a pas lieu d’intervenir dans ce dossier. En effet, la décision attaquée m’apparaît dans son ensemble raisonnable. Il est clair que les reproches formulés par les demandeurs sont injustifiés.

 

[9]               Ainsi, la Commission a spécifiquement tenu compte du fait que le demandeur principal était nerveux à l’audition. Toutefois, la nervosité à elle seule ne pouvait expliquer les hésitations, les incohérences ou les explications insatisfaisantes du demandeur. Il était parfaitement loisible pour la Commission de tirer des inférences négatives quant à la qualité du témoignage du demandeur (Wen c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 907 au par. 3 (QL); Jarada c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 409 au par. 18, [2005] A.C.F. no 506 (QL)).

 

[10]           De plus, les contradictions relevées par la Commission entre le récit du demandeur et l’exposé circonstancié de son FRP ne doivent pas être considérées isolément mais doivent s’inscrire dans le cadre général du récit du demandeur, qui accorde une grande importance au fait que ses problèmes ont commencé en 2007 à l’occasion de son travail de messager chez Infonavit.

 

[11]           Il n’était pas non plus déraisonnable pour la Commission de conclure que le défaut du demandeur de pallier aux lacunes de la preuve soumise quant à son lien d’emploi au sein d’Infonavit, lequel constitue un élément déterminant de son récit, minait également la crédibilité du demandeur (Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 62, aux par. 27-30, [2007] A.C.F. no 97 (QL); Ortiz Juarez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 288, aux par. 7-9, [2006] A.C.F. no 365 (QL); Encinas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 61, [2006] A.C.F. no 85 (QL); Kengkarasa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 714, [2007] A.C.F. no 970 (QL)).

 

[12]           Bref, la conclusion d’absence de crédibilité du récit du demandeur principal repose ici sur la preuve au dossier et ne m’apparaît pas déraisonnable en l’espèce.

 

[13]           L’absence de crédibilité du récit du demandeur principal suffisait à mon avis pour rejeter la demande d’asile des demandeurs et aujourd’hui disposer de la présente demande de contrôle judiciaire. En tout état de cause, la Commission a conclu également qu’il y a une possibilité de refuge intérieur pour les demandeurs. Selon la jurisprudence, la Commission doit être convaincue qu’un demandeur d’asile risque sérieusement d’être persécuté dans la ou les villes présentées comme une possibilité de refuge interne, et qu’il est déraisonnable pour celui-ci de s’y déplacer compte tenu des circonstances. En l’espèce, la Commission a identifié la ville de Tampico où s’étaient déjà réfugiés les demandeurs sans avoir fait l’objet de menaces subséquentes, comme un lieu sûr, raisonnablement accessible et où les demandeurs pourraient s’établir.

 

[14]           Au chapitre de la possibilité de refuge interne, je ne peux accepter la prétention des demandeurs à l’effet que la conclusion de la Commission est déraisonnable. Les demandeurs ont été confrontés pendant l’audition à cette possibilité et ont eu l’occasion de faire valoir leurs arguments. Devant moi, la procureure des demandeurs fait aujourd’hui état de la situation généralisée de violence au sein du Mexique, découlant du commerce des narcotrafiquants, et du fait que le site web d’Infonavit (qui indique le nom des employeurs où une personne travaille ou a travaillé au Mexique) permettrait aux narcotrafiquants de retrouver facilement le demandeur principal au Mexique.

 

[15]           En l’espèce, l’allégation vague suivant laquelle le demandeur principal pourrait être retrouvé partout au Mexique à partir des banques de données informatisées m’apparaît sans fondement et n’est pas corroborée par la preuve au dossier, qui est bien à l’effet que la famille du demandeur principal a vécu à Tampico sans problème pendant plusieurs mois et que le demandeur principal a lui-même vécu à cet endroit quelques semaines avant son départ pour le Canada. L’hypothèse selon laquelle ce n’est qu’une question de temps pour que le demandeur principal soit retrouvé au Mexique m’apparaît spéculative dans les circonstances.

 

[16]           Le risque allégué pouvait raisonnablement être écarté par la Commission, qui a d’ailleurs noté que « [m]onsieur n’a jamais divulgué à la police ou à qui que ce soit ce qu’il allègue avoir vu (quelques brindilles d’herbe verte dans une boîte qui en soit n’est pas non plus très incriminant) ou ce que « Manuel », son supérieur immédiat, lui aurait révélé », d’autant plus qu’il s’est écoulé plus d’un an depuis les incidents allégués par les demandeurs.

 

[17]           En conclusion, le caractère déraisonnable de la décision en cause n’a pas été établi. À mon humble avis, les conclusions de fait de la Commission se situent toutes dans le cadre des options possibles et il n’appartient pas au juge soussigné à substituer, a posteriori, son opinion à celle de la Commission, qui est mieux placée que la Cour pour évaluer la crédibilité d’un demandeur d’asile ainsi que l’existence de persécution ou d’un risque visé à la loi. 

 

[18]           La présente demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée. Les avocats n’ont proposé aucune question aux fins de certification, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT

 

LA COUR ORDONNE ET ADJUGE que  la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n’est certifiée.

 

 

Juge

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4080-08

 

INTITULÉ :                                       RICARDO TREVINO ZAVALA

                                                            YOLANDA DELABRA SERRATO

                                                            LILIANA ALEJAND TREVINO DELABRA

                                                            et MELISSA JAZMIN TREVINO DELABRA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 avril 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 14 avril 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Claudette Menghile

 

POUR LES DEMANDEURS

Bassam Khouri

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Claudette Menghile

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.,

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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