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Date : 20090408

Dossier : IMM-3639-08

Référence : 2009 CF 354

Ottawa (Ontario), le 8 avril 2009

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE RUSSELL

 

 

ENTRE :

RUTH ARELY DURAN MEJIA

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), à l’égard d’une décision en date du 21 juillet 2008 (la décision) par laquelle un tribunal de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté la demande de Mme Mejia pour être reconnue à titre de réfugiée au sens de la Convention ou de personne à protéger, en application des articles 96 et 97 de la Loi.

 

 

 

CONTEXTE

 

[2]               La demanderesse est une citoyenne mexicaine âgée de 23 ans, qui résidait à San Juan del Rio, dans l’État de Querentaro. Elle est titulaire d’un diplôme universitaire en marketing.

 

[3]               La demanderesse a travaillé pour son oncle Jaime Rico Venegas (le beau-frère de sa mère), durant huit mois à partir de novembre 2005, au sein de l’entreprise R.R. Real Estate, à San Juan del Rio (Querentaro). Elle affirme qu’entre mai 2006 et juillet 2006, son oncle lui a fait des avances sexuelles et a tenté à trois reprises de la violer, sans toutefois réussir. Elle prétend que ces abus se sont produits aussi bien au travail que chez elle, à la maison.

 

[4]               La demanderesse a sollicité l’aide de l’Institut du développement de la famille (DIF) après le premier incident avec son oncle, et le DIF lui a fourni une aide psychologique jusqu’en juillet 2006. La demanderesse a démissionné de son emploi en juillet 2006, puis elle a quitté le Mexique en septembre 2007.

 

[5]               La demanderesse allègue avoir découvert que son oncle se livrait à des transactions immobilières frauduleuses. Il a menacé la demanderesse de faire du mal à sa famille si elle révélait quoi que ce soit à ce sujet.

 

[6]               La demanderesse a demandé l’asile au motif qu’elle serait persécutée par son oncle.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

 

[7]               La Commission a conclu que la demanderesse n’a qualité ni de réfugiée au sens de la Convention ni de personne à protéger.

 

Protection de l’État

 

[8]               La Commission a tenu compte des témoignages oral et écrit de la demanderesse, des directives intitulées Revendicatrices du statut de réfugié craignant d’être persécutées en raison de leur sexe : Mise à jour (Directives concernant la persécution fondée sur le sexe), des observations de l’avocate et de l’ensemble de la preuve versée au dossier. La Commission a aussi examiné la preuve documentaire portant sur la violence faite aux femmes, la corruption et la criminalité, de même que la preuve concernant la police, l’accès à des mécanismes permettant de porter plainte et le niveau général de démocratie au Mexique.  

 

[9]               La Commission a conclu qu’il existe une protection étatique au Mexique pour les personnes comme la demanderesse. Elle a aussi conclu que la demanderesse ne s’était pas acquittée de la charge qui lui incombait d’établir de façon « claire et convaincante » l’absence de protection de l’État pour des personnes dans sa situation au Mexique.  

 

[10]           La demanderesse a affirmé qu’elle craignait son oncle, et personne d’autre. Elle a indiqué qu’elle travaillait comme réceptionniste pour l’entreprise R.R. Real Estate, qui appartenait à son oncle. La Commission a relevé que la demanderesse n’avait présenté aucun élément de preuve documentaire pour corroborer ses allégations selon lesquelles elle a travaillé pour son oncle à R.R. Real Estate. Puisque les problèmes de la demanderesse découlaient de son emploi chez R.R. Real Estate, des éléments de preuve documentaire corroborant cet emploi (comme des fiches de paye ou des relevés bancaires) étaient essentiels pour sa demande d’asile. Par ailleurs, le rapport psychologique la concernant ne précisait ni l’endroit où elle travaillait ni les raisons pour lesquelles elle avait besoin d’aide psychologique. De l’avis de la Commission, la demanderesse avait eu amplement le temps d’obtenir des documents afférents à son emploi. De fait, la question 31 de son Formulaire de renseignements personnels (FRP) lui donnait instruction de le faire. Il incombait à la demanderesse d’établir sa demande. Or, celle-ci n’a pas convaincu la Commission qu’elle avait travaillé pour son oncle.

 

[11]           En ce qui a trait aux abus sexuels, étant donné que le rapport du psychologue ne fait aucune allusion à des abus sexuels ni à l’auteur de tels abus, la Commission n’a pas cru que la demanderesse avait été victime d’abus sexuels de la part de son oncle à R.R. Real Estate ainsi qu’elle l’allègue. La Commission a conclu que la demanderesse avait inventé ce récit pour les besoins de sa demande d’asile. Par conséquent, la Commission a estimé que la demanderesse n’avait pas une crainte objectivement fondée d’être persécutée par son oncle advenant son retour au Mexique.

 

[12]           La Commission a également conclu que même si elle ajoutait foi au récit de la demanderesse selon lequel son oncle l’avait agressée sexuellement, il existait une protection étatique adéquate pour les personnes comme la demanderesse au Mexique. 

 

[13]           La demanderesse a demandé et obtenu l’aide du DIF. Par contre, elle n’a pas cherché à obtenir l’aide d’un médecin ni fait quelque effort que ce soit pour dénoncer son oncle à la police ou à d’autres institutions de l’État qui s’occupent des affaires d’abus sexuels. Elle a expliqué n’avoir demandé aucune aide médicale parce qu’elle ne voulait pas qu’un médecin la touche. Elle a aussi indiqué n’avoir pas cherché à obtenir l’aide de la police ou d’autres institutions de l’État parce que son oncle y a des relations, de sorte que la police ne serait pas disposée à l’aider.

 

[14]           La Commission n’a pas retenu que l’oncle avait des relations au sein des institutions de l’État, parce qu’il avait déjà été emprisonné pour avoir omis de payer la pension alimentaire de son ex-épouse. Il n’avait été libéré qu’après avoir signé un cautionnement et l’avoir versé aux autorités, ce qui indiquait que les autorités avaient pris des mesures contre lui.

 

[15]           La demanderesse savait que la Loi générale sur le droit des femmes à vivre une vie sans violence (General Law on Women’s Access to a Life Free of Violence) était en vigueur alors qu’elle vivait au Mexique. Elle n’a pas tenté d’engager des poursuites contre son oncle, parce qu’elle ne disposait pas des ressources financières pour le faire, selon son témoignage. La Commission a estimé que cette explication n’était pas raisonnable, étant donné que la demanderesse avait un revenu d’emploi hebdomadaire de 1 000 pesos et qu’elle vivait avec ses parents. Elle disposait des ressources financières nécessaires pour obtenir une aide juridique. Elle aurait pu utiliser l’argent qui lui a servi à venir au Canada pour retenir les services d’un avocat.

 

[16]           La demanderesse connaissait aussi l’existence de l’Institut national de la femme et de la ligne d’aide téléphonique offerte aux femmes vingt-quatre heures sur vingt-quatre. C’est par l’intermédiaire de l’Institut national de la femme qu’elle avait pu solliciter l’aide du DIF, et elle aurait pu retourner à l’Institut national de la femme pour demander une aide additionnelle, mais elle ne l’a pas fait.

 

[17]           La Commission a également relevé que la demanderesse ne n’est pas adressée aux autorités de l’État pour qu’elles enquêtent sur un problème de corruption entre la police et son oncle dont elle soupçonnait l’existence. La demanderesse a expliqué qu’elle ne s’était pas adressée à l’Agence fédérale d’enquête (AFI), car elle n’avait pas de suffisamment de preuves contre son oncle. Cependant, la Commission a jugé cette explication déraisonnable parce que la demanderesse disposait d’un rapport psychologique du DIF qu’elle aurait pu utiliser pour obtenir l’aide de l’AFI.  

 

[18]           La demanderesse connaissait aussi l’existence du Secrétariat de la fonction publique, qui reçoit les plaintes concernant l’inconduite et la corruption d’employés fédéraux. Elle a déclaré qu’elle n’avait pas demandé l’aide de cet organisme parce qu’elle avait le sentiment que son oncle avait des contacts au sein des autorités. Elle connaissait en outre la Commission des droits de la personne, qui s’occupe des plaintes concernant l’inconduite policière et les situations de violation des droits des citoyens. Selon son témoignage, elle n’a pas demandé l’aide de cet organisme parce qu’elle voulait éviter que sa tante, qui éprouvait alors des problèmes de grossesse, perde son bébé.  

 

[19]           La Commission a conclu que la demanderesse était en mesure de demander la protection étatique et de se prévaloir de cette protection auprès d’organismes d’État autres que la police au Mexique, mais qu’elle a choisi de ne pas le faire. Le tribunal a fait remarquer que la demanderesse vivait dans une démocratie, qu’elle n’avait pas raisonnablement épuisé tous les recours qui s’offraient à elle pour obtenir la protection de l’État au Mexique et qu’elle ne s’était pas acquittée de la charge qui lui incombait d’établir, par une preuve claire et convaincante, que l’État ne pouvait pas ou ne voulait pas la protéger. 

 

[20]           La Commission a estimé que la preuve documentaire contrastait avec les allégations de la demanderesse selon lesquelles la protection de l’État n’existe pas pour les personnes dans sa situation au Mexique. La Commission a accordé plus de poids à la preuve documentaire qu’à celle de la demanderesse. La Commission a reconnu que les crimes contre les femmes, notamment le viol, la corruption, les enlèvements, le trafic de stupéfiants et l’impunité continuent de poser problème au Mexique. Toutefois, d’après l’ensemble de la preuve, la Commission n’était pas convaincue que la demanderesse ne bénéficierait pas de la protection de l’État contre son oncle si elle retournait au Mexique.

 

 

 

Possibilité de refuge intérieur (PRI)

 

[21]           La Commission a aussi conclu que la demanderesse avait une possibilité de refuge intérieur viable à Mexico et qu’aucune preuve convaincante ne permettait à la Commission de penser que l’oncle de la demanderesse avait cherché celle-ci après son départ du Mexique ou qu’il était intéressé à lui nuire. Par conséquent, il n’y avait pas de possibilité sérieuse qu’elle soit persécutée ni exposée à une menace à sa vie, à un risque d’être soumise à la torture ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités advenant son retour au Mexique.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

[22]           Dans sa demande à la Cour, la demanderesse soulève les questions suivantes :

1)                  La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en accordant une trop grande importance à l’absence de preuve corroborante?

2)                  La Commission a-t-elle fait erreur dans son appréciation de la crédibilité et de la protection offerte par l’État en faisant abstraction du fait que les abus dont elle a été victime étaient fondés sur le sexe et en ne tenant pas compte de la réaction qu’aurait une femme victime d’abus en de telles circonstances?

3)                  La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en tirant une conclusion qui n’était pas étayée par la preuve?

4)                  La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en omettant de tenir compte d’éléments de preuve dont elle était saisie relativement à la question de la protection offerte par l’État et qui s’appliquaient à la situation particulière de la demanderesse? 

5)                  La Commission a-t-elle commis une erreur en traitant le même élément de preuve de manière contradictoire?

6)                  La Commission a-t-elle fait erreur en ne tenant pas compte du fait que l’agent de persécution est un membre de la famille, lorsqu’elle a conclu que la demanderesse disposait d’une PRI?

 

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

 

[23]           Les dispositions suivantes de la Loi s’appliquent en l’espèce :

Définition de « réfugié »

 

96. A qualité de réfugié au sens de la Convention — le réfugié — la personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

 

a) soit se trouve hors de tout pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de chacun de ces pays;

 

b) soit, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle, ne peut ni, du fait de cette crainte, ne veut y retourner.

 

 

Personne à protéger

 

97. (1) A qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et serait personnellement, par son renvoi vers tout pays dont elle a la nationalité ou, si elle n’a pas de nationalité, dans lequel elle avait sa résidence habituelle, exposée :

 

a) soit au risque, s’il y a des motifs sérieux de le croire, d’être soumise à la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture;

 

b) soit à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans le cas suivant :

 

(i) elle ne peut ou, de ce fait, ne veut se réclamer de la protection de ce pays,

 

 

(ii) elle y est exposée en tout lieu de ce pays alors que d’autres personnes originaires de ce pays ou qui s’y trouvent ne le sont généralement pas,

 

(iii) la menace ou le risque ne résulte pas de sanctions légitimes — sauf celles infligées au mépris des normes internationales — et inhérents à celles-ci ou occasionnés par elles,

 

(iv) la menace ou le risque ne résulte pas de l’incapacité du pays de fournir des soins médicaux ou de santé adéquats.

 

Personne à protéger

 

(2) A également qualité de personne à protéger la personne qui se trouve au Canada et fait partie d’une catégorie de personnes auxquelles est reconnu par règlement le besoin de protection.

Convention refugee

 

96. A Convention refugee is a person who, by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

 

 

 

(a) is outside each of their countries of nationality and is unable or, by reason of that fear, unwilling to avail themselves of the protection of each of those countries; or

 

(b) not having a country of nationality, is outside the country of their former habitual residence and is unable or, by reason of that fear, unwilling to return to that country.

 

Person in need of protection

 

97. (1) A person in need of protection is a person in Canada whose removal to their country or countries of nationality or, if they do not have a country of nationality, their country of former habitual residence, would subject them personally

 

 

(a) to a danger, believed on substantial grounds to exist, of torture within the meaning of Article 1 of the Convention Against Torture; or

 

(b) to a risk to their life or to a risk of cruel and unusual treatment or punishment if

 

 

(i) the person is unable or, because of that risk, unwilling to avail themselves of the protection of that country,

 

(ii) the risk would be faced by the person in every part of that country and is not faced generally by other individuals in or from that country,

 

(iii) the risk is not inherent or incidental to lawful sanctions, unless imposed in disregard of accepted international standards, and

 

 

 

(iv) the risk is not caused by the inability of that country to provide adequate health or medical care.

 

 

Person in need of protection

 

(2) A person in Canada who is a member of a class of persons prescribed by the regulations as being in need of protection is also a person in need of protection.

 

NORME DE CONTRÔLE

 

[24]           Avant l’arrêt Dunsmuir, la norme de la décision manifestement déraisonnable était appliquée aux questions de crédibilité : Perera c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1069 (Perera). Dans la mesure où les inférences tirées par le tribunal ne sont pas déraisonnables au point de justifier l’intervention de la Cour, ses conclusions sont à l’abri du contrôle judiciaire : Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 (C.A.F.) (Aguebor).

 

[25]           Sur la question de la protection de l’État, la Cour d’appel fédérale a statué que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable : Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 399, au paragraphe 36.

 

[26]           Pour ce qui est de la norme de contrôle applicable à l’existence d’une PRI, la Cour, dans la décision Diaz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2008] A.C.F. no 1543 (C.F.), au paragraphe 24, a résumé comme suit la jurisprudence :

[] Ortiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 1716, résume les éléments des conclusions relatives à une PRI en contrôle judiciaire : « [Le juge Richard] a statué au paragraphe 26 qu’il faut faire preuve de retenue à l’égard de ces décisions rendues par la Commission parce que cette question relève directement du champ d’expertise de celle‑ci. Ces décisions exigent l’appréciation de la situation des demandeurs, telle qu’ils l’ont expliquée dans leur déposition, et une compréhension experte de la situation existant dans le pays » (voir Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] A.C.F. no 2018). Compte tenu de ces questions, la Cour a conclu que la norme de contrôle applicable est la norme de la décision manifestement déraisonnable qui existait avant l’arrêt Dunsmuir susmentionné. Voir par exemple : Nwokomah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] A.C.F. no 1889, Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1263, Nakhuda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 882. Le juge Montigny [sic] a déclaré ce qui suit dans Ako c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2006] A.C.F. no 836, au paragraphe 20 :

 

Il est bien établi en droit que la norme de contrôle applicable aux questions de fait relevant du champ d’expertise d’un tribunal est généralement celle de la décision manifestement déraisonnable. Plus particulièrement, la Cour a conclu à maintes reprises que c’est la norme qu’il convient d’appliquer relativement à l’existence d’une possibilité de refuge intérieur viable [...]

Par conséquent, la jurisprudence est fixée : la Cour ne doit modifier la conclusion de la Commission concernant la question de la PRI que si cette conclusion est manifestement déraisonnable. Par conséquent, à la suite de l’arrêt Dunsmuir, susmentionné, la norme de contrôle applicable est la norme de la décision manifestement déraisonnable.

 

[27]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a reconnu que, même si la norme de la décision raisonnable simpliciter et celle de la décision manifestement déraisonnable sont différentes sur le plan théorique, « les difficultés analytiques soulevées par l’application des différentes normes réduisent à néant toute utilité conceptuelle découlant de la plus grande souplesse propre à l’existence de normes de contrôle multiples » : Dunsmuir, au paragraphe 44. La Cour suprême du Canada a décidé en conséquence qu’il convenait de fondre en une seule les deux normes de « raisonnabilité ».

 

[28]           La Cour suprême du Canada a aussi déclaré dans Dunsmuir qu’il n’est pas nécessaire de procéder dans tous les cas à l’analyse visant à arrêter la norme de contrôle applicable. Lorsque la norme de contrôle applicable à la question particulière que doit trancher la Cour est bien établie dans la jurisprudence, la cour de révision peut adopter cette norme de contrôle. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse que la cour de révision doit entreprendre l’examen des quatre facteurs afférents à l’analyse de la norme de contrôle.

 

[29]           C’est pourquoi, à la lumière de l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir et de la jurisprudence antérieure de la Cour fédérale, je conclus que la norme de contrôle applicable aux questions concernant la crédibilité, la protection de l’État et la PRI est celle de la décision raisonnable. Lorsqu’elle examine une décision suivant la norme de la décision raisonnable, la Cour dans son analyse s’attache « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » : arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47. Autrement dit, la Cour ne doit intervenir que si la décision contestée est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

 

[30]           Toute question d’équité procédurale doit être examinée en fonction de la norme de la décision correcte : Lecaliaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2009] A.C.F. no 150 (CF), au paragraphe 32; Thomas c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, [2007] A.C.F. no 1114, au paragraphe 14; Adu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 565, au paragraphe 9.

 

[31]           De même, l’existence d’erreurs de droit doit être examinée suivant la norme de la décision correcte : Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] A.C.F. no 798 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 22.

 

ARGUMENTS

            La demanderesse

                        Preuve corroborante

[32]           La demanderesse fait valoir que la preuve corroborante aide à convaincre mais n’est pas obligatoire. En tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité du seul fait de l’absence de preuve corroborante, la Commission a commis une erreur de droit.

[33]           La demanderesse soutient que son lieu de travail est lié à sa demande d’asile et que l’agent de persécution était aussi bien son employeur que son oncle. Les abus se sont produits à la résidence de la demanderesse et à son travail. 

 

[34]           La demanderesse prétend que la Commission lui a imposé une charge de présentation trop élevée, commettant de ce fait une erreur de droit. Elle invoque à cet égard la décision Nechifor c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1278 (F.C.), où la Cour déclare, au paragraphe 6 : « Il est bien établi qu’un tribunal ne peut pas tirer des inférences négatives du fait qu’une partie n’a produit aucun document extrinsèque corroborant ses allégations ».

 

[35]           La demanderesse fait remarquer que la Commission n’a pas laissé entendre que son témoignage avait été incohérent ou invraisemblable. Si aucun autre facteur ne justifie une conclusion défavorable quant à la crédibilité, le témoignage de la demanderesse est crédible. Un témoignage rendu sous serment est réputé véridique à moins qu’il n’existe un motif de douter de sa véracité : Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 C.F. 302, au paragraphe 5.

 

[36]           La demanderesse cite l’arrêt Chan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] A.C.S. no 78 (C.S.C.), dans lequel la Cour suprême du Canada a déclaré, au paragraphe 137 : « Lorsqu’une […] preuve n’est pas disponible sous forme documentaire, le demandeur peut néanmoins établir que sa crainte est objectivement fondée en faisant état, dans son témoignage, de personnes qui se trouvent dans une situation analogue à la sienne. »  

[37]           La demanderesse souligne que la Commission, dans ses motifs, a omis de mentionner un rapport psychologique préparé au Canada à son sujet et un rapport de police produit par la tante de la demanderesse, selon lequel la tante a été victime de violence de la part de l’oncle de la demanderesse. La Commission a fait état d’une lettre confirmant que la demanderesse a bénéficié de counseling psychologique au Mexique, mais elle a qualifié cette lettre de [traduction] « rapport psychologique ».  

 

Demande d’asile fondée sur le sexe

 

[38]           La demanderesse prétend qu’elle éprouve une crainte fondée de persécution en raison de son appartenance au groupe social des [traduction] « femmes qui ont subi de la violence du fait de leur sexe ». Elle estime que la Commission n’a pas prêté l’attention nécessaire à son témoignage concernant les abus dont elle a été victime et s’est refusée à envisager que ses allégations puissent être véridiques. Plus particulièrement, la Commission ne s’est pas penchée sur la façon dont réagirait une femme dans une situation comme celle de la demanderesse. Comme la Cour l’a déclaré dans la décision Garcia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 79, au paragraphe 24, « il importe de comprendre à quelles réactions on peut décemment s’attendre de la part d’une femme qui a été victime de violences ».

 

[39]           La demanderesse s’appuie également sur l’arrêt R. c. Lavallee, [1990] A.C.S. no 36 (C.S.C.), dans lequel la Cour déclare, aux paragraphes 38 et 51 :

S’il est difficile d’imaginer ce qu’un « homme ordinaire » ferait à la place d’un conjoint battu, cela tient probablement au fait que, normalement, les hommes ne se trouvent pas dans cette situation. Cela arrive cependant à certaines femmes. La définition de ce qui est raisonnable doit donc être adaptée à des circonstances qui, somme toute, sont étrangères au monde habité par l’hypothétique « homme raisonnable ».

 

[…]

 

Toutefois la question n’est pas de savoir ce qu’un étranger aurait raisonnablement cru mais bien de savoir ce que l’accusée a raisonnablement cru, compte tenu de sa situation et de ses expériences antérieures.

 

 

[40]           Selon la demanderesse, il était déraisonnable de la part de la Commission, compte tenu des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, de laisser entendre que le fait qu’elle n’a pas quitté son emploi après le premier incident d’agression sexuelle témoigne de l’absence d’une crainte subjective. Sa présence continue au bureau attestait la crainte que continuaient de lui inspirer son oncle et ce qu’il ferait à sa famille. Les conclusions de la Commission sur ce point étaient déraisonnables.

 

Conclusion erronée

 

[41]           La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur de droit en tirant une conclusion fondée sur des éléments de preuve dont elle ne disposait pas. Plus précisément, les documents ne contenaient aucun élément de preuve concernant les frais juridiques au Mexique et la façon dont ils se comparent au salaire de la demanderesse ou au coût d’un billet d’avion pour le Canada.  

 

[42]           La seule preuve dont disposait la Commission est le témoignage de la demanderesse selon lequel les frais juridiques au Mexique auraient été trop élevés pour ses moyens. Il n’y avait aucune raison de douter de cette déclaration, et elle aurait dû être tenue pour véridique. La Commission a exagéré les choix qui s’offraient à la demanderesse pour tenter d’obtenir la protection de l’État.

 

Protection de l’État

 

[43]           La demanderesse souligne qu’elle a tenté à une occasion d’obtenir la protection de l’État. La preuve versée à la Commission montre que si le DIF a fourni un counseling psychologique à la demanderesse, il n’a en revanche rien fait d’autre pour lui offrir une protection concrète. Le Mexique est seulement une démocratie en voie de développement : Diaz De Leon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1307; Zepeda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 491, au paragraphe 20. Selon la demanderesse, la Commission n’a pas examiné à fond l’ensemble de la preuve documentaire, ce qui constitue une erreur de droit : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 1425 (C.F.).

 

Traitement réservé à la preuve

 

[44]           La demanderesse est d’avis que la Commission a aussi fait erreur dans la façon dont elle a traité la confirmation venant du Mexique concernant le counseling psychologique (que la Commission désigne sous le nom de « rapport psychologique »). La Commission a traité cet élément de preuve de manière contradictoire. Elle a d’abord utilisé le rapport psychologique pour dire qu’elle n’était pas convaincue que la demanderesse avait été victime d’un crime. Plus tard, elle a déclaré que la demanderesse aurait dû se servir de ce rapport pour obtenir la protection de l’État, et que son défaut de ce faire mettait en échec sa demande de protection au Canada. La Commission a commis une erreur dans l’utilisation qu’elle a faite de ce document. En déformant la preuve contenue dans un seul et même document selon ce qui lui convient, la Commission a fait preuve de partialité.

 

Possibilité de refuge intérieur

 

[45]           La demanderesse soutient en outre que la Commission a commis une erreur en concluant que la demanderesse avait une possibilité raisonnable de refuge intérieur au Mexique. La Commission n’a pas tenu compte du fait que l’agent de persécution est un membre de la famille de la demanderesse. Ce fait est pertinent, parce que l’incapacité de communiquer avec sa famille est un facteur important pour décider s’il existe une PRI.

 

[46]           La demanderesse est demeurée en contact avec sa famille, et cette dernière sait où elle se trouve. L’agent de persécution étant un parent de la demanderesse, il pourra apprendre l’endroit où elle se trouve. Il est déraisonnable d’escompter que la demanderesse coupe les liens avec sa famille : Huerta c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 586, au paragraphe 29. La demanderesse conclut que si elle ne rompt pas tout lien avec sa famille, son oncle la trouvera où qu’elle se trouve au Mexique. Le fait que la Commission n’a pas tenu compte de ce facteur constitue une erreur de droit.

 

Le défendeur

            L’asile constitue une protection auxiliaire – La charge de la preuve incombe à la demanderesse

 

[47]           Le défendeur fait valoir que l’asile est censé constituer une forme de protection auxiliaire qui ne doit être invoquée que dans les cas où le demandeur d’asile a tenté en vain d’obtenir la protection de son État d’origine : Canada (Procureur général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689 (Ward), à la page 709; Hinzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 171, au paragraphe 41 (Hinzman).

 

[48]           Le défendeur affirme qu’en l’absence d’un effondrement complet de l’appareil étatique, il y a lieu de présumer que l’État est capable de protéger un demandeur. Pour réfuter cette présomption, la demanderesse doit « confirmer d’une façon claire et convaincante l’incapacité de l’État d’assurer la protection » : arrêt Ward, aux pages 724-725; arrêt Hinzman, aux paragraphes 43 et 44. La Commission n’est pas tenue d’établir l’existence d’une protection étatique : Samuel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 762, au paragraphe 10.

 

[49]           Le défendeur soutient que tout demandeur doit s’acquitter de la charge de présentation qui lui incombe en produisant des éléments qui montrent que la protection offerte par l’État est insuffisante. Pour satisfaire à sa charge de persuasion, le demandeur doit convaincre le tribunal, selon la prépondérance des probabilités, que la protection de l’État est insuffisante. Pour réfuter la présomption relative à la protection de l’État, la preuve produite doit être digne de foi et avoir une valeur probante suffisante : Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 94, aux paragraphes 18, 20 et 30.

 

[50]           La charge de la preuve qui incombe à un demandeur est directement proportionnelle au degré de démocratie qu’a atteint l’État en cause : arrêt Hinzman, au paragraphe 44; N.K. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1996), 143 D.L.R. (4th) 532, à la page 534 (C.A.F.); Nava c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 706, aux paragraphes 21 et 22. Si un demandeur est incapable de produire une preuve claire et convaincante pour réfuter la présomption, la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger ne peut lui être reconnue : sous-alinéa 97(1)b)(i) de la Loi.

 

[51]           La protection offerte par l’État doit seulement être adéquate, elle n’a pas à être parfaite : Ward; Samuel, au paragraphe 13; Ortiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1365, au paragraphe 53; Blanco c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1487, au paragraphe 10; Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Villafranca, [1992] A.C.F. no 1189 (C.A.F.).

 

[52]           Le défendeur fait en outre remarquer que le Mexique a été reconnu à maintes occasions par la Cour comme un État démocratique, présumé être capable de protéger ses citoyens, même si le persécuteur est membre des forces policières ou du gouvernement : Valdes c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 93, au paragraphe 4; Filigrana c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1447; Guzman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 490, au paragraphe 12; Sanchez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 66, au paragraphe 12.

 

La protection offerte par l’État est adéquate

 

[53]           De l’avis du défendeur, la Commission a compris la jurisprudence pertinente et a apprécié la preuve en fonction du critère juridique approprié. La Commission était consciente du fait que la demanderesse avait reçu une aide psychologique du DIF, mais la preuve montrait que la demanderesse n’avait pas cherché à obtenir protection de la police ou d’autres institutions étatiques qui s’occupent des cas d’abus sexuels. La demanderesse n’avait pas non plus demandé l’aide des autorités de l’État qui répriment la corruption, ni cherché à s’établir ailleurs au Mexique. L’unique démarche de la demanderesse auprès du DIF était insuffisante pour répondre à la charge qui lui incombait : décision Canseco c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 73, qui, au paragraphe 15, renvoie à l’arrêt Kadenko.

 

La Commission a tenu compte de l’ensemble de la preuve

 

[54]           Le défendeur estime que la demanderesse se livre à une évaluation microscopique des motifs de la Commission afin d’établir que celle-ci a commis une erreur susceptible de révision. Lorsqu’on les examine dans l’ensemble et en contexte, les motifs de la Commission sont clairs et montrent que la Commission a procédé à une analyse complète de la disponibilité de la protection étatique au Mexique et des différents recours et voies de solutions qui s’offraient à la demanderesse : Wijekoon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 758.

 

[55]           Le défendeur plaide que même si la demanderesse peut être en mesure de signaler certains extraits de la preuve documentaire que la Commission, selon elle, aurait dû mentionner, une présentation unilatérale de la preuve n’a pas pour effet d’établir que l’appréciation de l’ensemble de la preuve par la Commission est déraisonnable : Johal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1997] A.C.F. no 1760, aux paragraphes 10 et 11.

 

[56]           Le défendeur est d’avis que la demanderesse n’a établi l’existence d’aucune erreur concernant l’examen de la preuve par la Commission, et il fait valoir qu’à moins d’une preuve contraire, la Commission est réputée avoir évalué et pris en compte tous les éléments soumis en preuve. Le fait que la Commission, dans ses motifs, ne traite pas de façon exhaustive du contenu des nombreux documents versés en preuve ne signifie pas que la Commission a omis de tenir compte de certains documents, ni n’entache irrémédiablement la décision : Florea c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.); Hassan c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] A.C.F. no 260 (C.A.F.) (Hassan), à la page 318. La Commission est libre de décider quelle preuve elle préfère ou à quelle preuve elle attribue davantage de poids. La question des conditions qui règnent dans le pays en cause est une question de fait qui relève de la compétence et de l’expertise de la Commission et à l’égard de laquelle il importe de faire preuve d’une grande retenue : Jahan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 987 (C.F. 1re inst.); Chorny c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2003] A.C.F. no 1263 (C.F. 1re inst.).

 

Possibilité de refuge intérieur (PRI)

 

[57]           Le défendeur plaide que la question juridique de savoir si un demandeur d’asile dispose d’une possibilité raisonnable de refuge intérieur relève nettement de l’expertise spécialisée du tribunal et commande une grande retenue judiciaire : Sivasamboo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1995] 1 C.F. 741 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 26. Il estime qu’en l’espèce, la Commission a correctement appliqué le critère relatif à l’existence d’une PRI. La demanderesse n’a pas établi que la décision de la Commission quant à la PRI est abusive ou arbitraire ou a été tirée sans égard à la preuve.

 

[58]           Pour conclure à l’existence d’une PRI, la Commission devait être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, des faits suivants : a) il n’y avait pas de possibilité sérieuse que la demanderesse soit persécutée à Mexico; b) compte tenu de l’ensemble des circonstances, la situation à Mexico était telle qu’il ne serait pas déraisonnable pour l’appelante d’y chercher refuge : Rasaratnam c. Canada (Ministre de l’Emploi  et de l’Immigration), [1992] 1 C.F. 706 (C.A.F.); Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 C.F. 589 (C.A.F.) (Thirunavukkarasu).

 

[59]           Le critère applicable pour conclure qu’il serait indûment éprouvant pour un demandeur d’asile de s’installer dans un endroit constituant une PRI est très exigeant : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Ranganathan, [2001] 2 C.F. 164 (C.A.F.) (Ranganathan); Thirunavukkarasu. Pour y satisfaire, il ne faut rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie ou la sécurité d’un demandeur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr. Il faut également une preuve réelle et concrète de l’existence de telles conditions : Ranganathan, au paragraphe 15.

 

[60]           Le défendeur soutient que dès lors que la Commission a soulevé la question d’une PRI, la demanderesse devait démontrer que Mexico ne représentait pas une PRI pour elle. La demanderesse n’a pas établi que les conclusions de la Commission quant à l’existence d’une PRI sont déraisonnables ou que la Commission a commis une erreur susceptible de révision : Rasaratnam, aux paragraphes 7 et 12; Thirunavukkarasu, au paragraphe 2; Tjuhanda c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 152. Le défendeur cite en outre des décisions dans lesquelles l’existence d’une PRI à Mexico a été maintenue.

 

Toute la preuve soumise par la demanderesse a été dûment prise en considération

 

[61]           Le défendeur fait remarquer que la Commission a précisé, dans ses motifs, qu’elle avait tenu compte du témoignage oral et écrit de la demanderesse, des Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, des observations de l’avocate et de tous les éléments de preuve produits. La Commission est présumée avoir tenu compte de toute la preuve, qu’elle l’ait ou non précisé dans ses motifs, sauf s’il est démontré que tel n’est pas le cas. Le fait que la Commission n’a pas fait état de tous les éléments de la preuve documentaire dans ses motifs n’entache pas irrémédiablement sa décision, ni ne signifie que la Commission a fait abstraction de certains éléments dans son examen de la preuve : Florea; Hassan, à la page 318 (C.A.F.); Ortiz c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002  CFPI 1163 (C.F. 1re inst.); Ali c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 242 (C.F. 1re inst.).

 

[62]           La Commission est libre de mentionner ou ne pas mentionner les rapports et de les évaluer selon ce qu’elle estime approprié : Gosal c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] A.C.F. no 346 (C.F. 1re inst.); Danailov c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 1019 (C.F. 1re inst.); Chukwuka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 532; Nasreen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] A.C.F. no 1376 (C.F. 1re inst.).

 

[63]           De l’avis du défendeur, les motifs de la Commission indiquent que celle-ci a bien compris les questions pertinentes et la preuve qui s’y rapporte.

 

La conclusion relative à la crédibilité est raisonnable

 

[64]           Le défendeur soutient en outre qu’il était raisonnable de la part de la Commission de conclure que la demanderesse avait omis de présenter des éléments qu’elle aurait pu obtenir pour étayer sa preuve. Par ailleurs, la Commission déclare que même si elle ajoutait foi au récit de la demanderesse, l’État offre une protection adéquate pour les personnes comme la demanderesse au Mexique.

 

Directives concernant la persécution fondée sur le sexe

 

[65]           Le défendeur rappelle à la Cour que les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe donnent à la Commission des indications destinées à aider celle-ci à décider si une demande d’asile s’inscrit dans un des motifs prévus à la Convention, puisque le « sexe » n’est pas comme tel un motif qui y est précisé. Elles offrent aussi une orientation sur la façon de se montrer réceptif aux différentes difficultés en matière de preuve et de témoignage auxquelles est confrontée une personne qui demande l’asile en invoquant la persécution fondée sur le sexe. Les Directives ne lient pas la Commission, mais ses commissaires doivent néanmoins en tenir compte dans les cas appropriés : Fouchong c. Canada (Secrétaire d’État), [1994] A.C.F. no 1727 (C.F. 1re inst.).

 

[66]           Bien que les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe soient censées entrer en ligne de compte dans l’examen d’une demande d’asile fondée sur le sexe, elles ne sont pas destinées à pallier toutes les lacunes que peuvent présenter la demande ou la preuve. « Il n’est pas possible de traiter les lignes directrices comme si elles corroboraient un quelconque élément de preuve étayant la thèse de la persécution fondée sur le sexe, de sorte que le seul fait de témoigner suffise à prouver la véracité des propos tenus » : Newton c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 738, au paragraphe 18.

[67]           Le défendeur conclut que la Commission a prêté toute l’attention voulue aux Directives concernant la persécution fondée sur le sexe.

 

ANALYSE

 

[68]           La demanderesse semble être une jeune femme quelque peu inquiète et craintive, qui inspire la sympathie. Toutefois, cela ne signifie pas nécessairement que la Commission a commis une erreur susceptible de révision dans l’appréciation de sa demande d’asile.

 

[69]           La demanderesse a choisi de s’isoler de sa famille et de lui taire ses difficultés, et elle n’a fait aucun effort véritable pour communiquer avec la police ou se prévaloir des services d’autres organismes de soutien au Mexique. Elle a fourni des explications pour justifier ce choix, mais la Commission a examiné ces explications et les a jugées insatisfaisantes.

 

[70]           Essentiellement, la demanderesse soutient que le Mexique n’offre aucune protection aux femmes qui, comme elle, sont victimes d’abus sexuels. Le problème, avec cette affirmation, est son caractère hautement subjectif, et la demanderesse n’a produit que peu d’éléments objectifs pour étayer ses expériences personnelles ou son assertion selon laquelle elle ne peut compter sur la protection de l’État et ne dispose pas d’une PRI. 

 

[71]           Indépendamment des conclusions de la Commission quant à la crédibilité, la Commission a conclu que les questions déterminantes étaient la protection de l’État et l’existence d’une PRI. La demanderesse a avancé divers arguments pour donner à entendre que les conclusions et la démarche de la Commission relativement à ces questions sont déraisonnables ou erronées.

 

[72]           En premier lieu, je suis d’avis que les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe étaient bien applicables en l’espèce, et la Commission les a appliquées. Cela dit, comme l’a fait remarquer la juge Layden-Stevenson dans la décision Canseco c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. no 115, au paragraphe 10, « les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe ne délient pas nécessairement les demandeurs de leur obligation de rechercher la protection de l’État ».

 

[73]           La Commission a procédé à une analyse détaillée de la protection offerte par l’État mexicain, dont elle a relevé les faiblesses, mais elle a raisonnablement conclu que la demanderesse pourrait obtenir la protection de la police et se prévaloir de la protection de la loi si elle choisissait d’y recourir. La Commission ne s’est pas arrêtée à l’examen du cadre théorique et aux expressions de bonnes intentions; elle s’est aussi penchée sur la pratique réelle qui a cours sur le terrain.  

 

[74]           À la lumière de cette analyse, la Commission a aussi examiné ce que la demanderesse elle‑même a fait pour se prévaloir de la protection étatique. Or, la demanderesse s’est limitée à recourir au counseling psychologique offert par le DIF, qui, selon son FRP, l’a beaucoup aidée. Cependant, elle n’a entrepris aucune autre démarche.

 

[75]           Son explication selon laquelle elle n’a pas dénoncé son oncle à la police parce qu’elle avait le sentiment qu’il y avait des contacts, a été examinée par la Commission, qui l’a raisonnablement rejetée.

 

[76]           De nombreuses options s’offraient à la demanderesse, mais elle a choisi de ne recourir à aucune. La Commission a examiné ses diverses explications, mais les a trouvées insatisfaisantes. Selon son propre témoignage, la demanderesse connaissait l’existence d’organismes utiles, mais elle a tout simplement décidé de ne pas solliciter l’aide de la police et de ne pas tenter d’obtenir d’autres formes d’aide, à part le counseling psychologique qui, lorsqu’elle en a fait l’expérience, l’a manifestement aidée. Comme l’a souligné la juge Snider dans la décision Judge c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1089, aux paragraphes 8 et 10, il ne suffit pas qu’un demandeur d’asile croie tout simplement qu’il ne peut se prévaloir de la protection de l’État.

 

[77]           La demanderesse n’a pas donné à la police et à l’État du Mexique l’occasion de l’aider.

 

[78]           Quant aux critiques de la demanderesse concernant la façon dont la Commission a traité la preuve documentaire, je dois convenir avec le défendeur que la demanderesse se plaint tout simplement de l’appréciation de la preuve. La Commission a pleinement reconnu les lacunes de la protection étatique au Mexique, mais elle a conclu, raisonnablement, que la police ainsi que d’autres organismes seraient là pour aider la demanderesse si elle s’adressait à eux.

 

[79]           De même, l’analyse que fait la Commission d’une éventuelle PRI n’est pas du tout déraisonnable. Aucun élément de preuve n’indique que la demanderesse était poursuivie par son oncle ni que celui-ci tenterait vraisemblablement de la retracer à Mexico ou avait le tempérament ou la capacité de ce faire. Là encore, la Commission a tenu compte des explications de la demanderesse mais les a, raisonnablement, rejetées. Les convictions subjectives de la demanderesse sur ce point sont purement hypothétiques. Elle-même a indiqué qu’elle pourrait obtenir un emploi. Elle a aussi prouvé qu’elle connaît bien les organismes dont elle pouvait réclamer la protection. La Commission a examiné la preuve de nature psychologique mais a conclu raisonnablement que cette preuve fait foi uniquement de l’existence d’une crainte subjective.

 

[80]           Les questions soulevées dans le cadre de la présente demande sont des questions courantes que la Cour a examinées en maintes occasions. À mon avis, s’il est possible de ne pas être d’accord avec la décision rendue, rien ne permet de conclure qu’elle ne répond pas au critère de raisonnabilité décrit dans l’arrêt Dunsmuir. De plus, je ne peux trouver aucun manquement à l’équité procédurale ni erreur de droit qui justifierait l’intervention de la Cour.

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

 

            1. La demande est rejetée.

            2. Il n’y a aucune question à certifier.

 

 

 

« James Russell »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                                 IMM-3639-08

 

INTITULÉ :                                                                RUTH ARELY DURAN MEJIA

                                                                                                               demanderesse

                                                                                     et

                                                                                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                     ET DE L’IMMIGRATION

                                                                                                               défendeur

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                          Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                        Le 12 février 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT :                                     LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :                                               Le 8 avril 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Patricia Wells                                                                POUR LA DEMANDERESSE

 

Laoura Christodoulides                                                  POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Patricia Wells

Toronto (Ontario)                                                          POUR LA DEMANDERESSE

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                                POUR LE DÉFENDEUR

 

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