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Date : 20090407

Dossier : T-246-08

Référence : 2009 CF 353

Toronto (Ontario), le 7 avril 2009

En présence de monsieur le juge Hughes

 

 

ENTRE :

LINDA KEEN

demanderesse

 

et

 

 

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La demanderesse, Mme Linda Keen, a été présidente de la Commission canadienne de sûreté nucléaire (la Commission) jusqu’au 15 janvier 2008, ainsi que commissaire de cette Commission. Le 15 janvier 2008, la gouverneure en conseil, par voie de décret, a mis fin à la désignation de Mme Keen à titre de présidente, mais non à sa nomination à titre de commissaire. Plus tard, dans une lettre du 22 septembre 2008 adressée au premier ministre, Mme Keen a avisé celui-ci qu’elle ne pouvait plus occuper le poste de commissaire.

[2]               Entre les deux dates susmentionnées, Mme Keen a déposé la présente demande qu’elle a poursuivies; selon l’avis de demande, elle sollicite les mesures suivantes :

[traduction]

1.      Un jugement déclaratoire portant que le décret de la gouverneure en conseil est annulé, illégal ou infirmé.

2.      La confirmation que le décret renouvelant le mandat de Mme Keen, lequel a été pris le 15 novembre 2005 et porte le numéro C.P. 2005‑2007, est pleinement en vigueur.

3.      Les dépens de la présente demande.

 

[3]               Lors de l’audience, les avocats de Mme Keen ont fait savoir que Mme Keen ne sollicitait plus la mesure de réparation mentionnée au paragraphe 2 et qu’elle ne sollicitait que les mesures figurant aux paragraphes 1 et 3 précités. En outre, ils ont confirmé que, pour ce faire, elle ne s’appuierait en aucun cas sur des moyens tirés de la Charte canadienne des droits et libertés.

 

[4]               Les avocats du défendeur, le procureur général du Canada, ont demandé à la Cour, par une objection préliminaire, de refuser d’entendre la demande au motif qu’elle était théorique. Ils ont fait valoir que, étant donné que Mme Keen avait démissionné de sa fonction de commissaire, elle n’était plus admissible à la présidence de la Commission de toute façon. En outre, ils ont également soutenu que le jugement déclaratoire sollicité au paragraphe 1 de la demande n’aurait aucun effet concret et que, par souci d’économie des ressources judiciaires, la Cour ne devait pas trancher la question.

 

[5]               Par les motifs qui suivent, je trancherai la question des mesures sollicitées aux paragraphes 1 et 3. Je rejetterai la présente demande sans adjuger de dépens à l’une ou l’autre des parties.

 

LES FAITS

            a) La Commission canadienne de sûreté nucléaire

[6]               La Commission canadienne de sûreté nucléaire a été constituée en 1997 par la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaire, L.C. 1997, ch. 9 (la Loi). Voici le préambule de la Loi  :

Attendu qu’il est essentiel :

dans l’intérêt tant national qu’international, de réglementer le développement, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire, ainsi que la production, la possession et l’utilisation des substances nucléaires, de l’équipement réglementé et des renseignements réglementés;

dans l’intérêt national, d’appliquer de façon uniforme les normes nationales et internationales de développement, de production et d’utilisation de l’énergie nucléaire,

 

WHEREAS it is essential in the national and international interests to regulate the development, production and use of nuclear energy and the production, possession and use of nuclear substances, prescribed equipment and prescribed information;

AND WHEREAS it is essential in the national interest that consistent national and international standards be applied to the development, production and use of nuclear energy;

 

 

[7]               L’objet de la Loi est défini aux alinéas 3a) et b) :

3. La présente loi a pour objet :

a) la limitation, à un niveau acceptable, des risques liés au développement, à la production et à l’utilisation de l’énergie nucléaire, ainsi qu’à la production, la possession et l’utilisation des substances nucléaires, de l’équipement réglementé et des renseignements réglementés, tant pour la préservation de la santé et de la sécurité des personnes et la protection de l’environnement que pour le maintien de la sécurité nationale, et le respect par le Canada de ses obligations internationales;

b) la mise en œuvre au Canada des mesures de contrôle international du développement, de la production et de l’utilisation de l’énergie nucléaire que le Canada s’est engagé à respecter, notamment celles qui portent sur la non-prolifération des armes nucléaires et engins explosifs nucléaires.

 

3. The purpose of this Act is to provide for

(a) the limitation, to a reasonable level and in a manner that is consistent with Canada’s international obligations, of the risks to national security, the health and safety of persons and the environment that are associated with the development, production and use of nuclear energy and the production, possession and use of nuclear substances, prescribed equipment and prescribed information; and

(b) the implementation in Canada of measures to which Canada has agreed respecting international control of the development, production and use of nuclear energy, including the non-proliferation of nuclear weapons and nuclear explosive devices.

 

 

 

[8]               La Commission est créée par l’article 8 de la Loi. La mission de la Commission est énoncée à l’article 9 de la Loi :

9. La Commission a pour mission :

a) de réglementer le développement, la production et l’utilisation de l’énergie nucléaire ainsi que la production, la possession et l’utilisation des substances nucléaires, de l’équipement réglementé et des renseignements réglementés afin que :

(i) le niveau de risque inhérent à ces activités tant pour la santé et la sécurité des personnes que pour l’environnement, demeure acceptable,

(ii) le niveau de risque inhérent à ces activités pour la sécurité nationale demeure acceptable,

(iii) ces activités soient exercées en conformité avec les mesures de contrôle et les obligations internationales que le Canada a assumées;

b) d’informer objectivement le public — sur les plans scientifique ou technique ou en ce qui concerne la réglementation du domaine de l’énergie nucléaire — sur ses activités et sur les conséquences, pour la santé et la sécurité des personnes et pour l’environnement, des activités mentionnées à l’alinéa a).

 

9. The objects of the Commission are

(a) to regulate the development, production and use of nuclear energy and the production, possession and use of nuclear substances, prescribed equipment and prescribed information in order to

(i) prevent unreasonable risk, to the environment and to the health and safety of persons, associated with that development, production, possession or use,

(ii) prevent unreasonable risk to national security associated with that development, production, possession or use, and

(iii) achieve conformity with measures of control and international obligations to which Canada has agreed; and

(b) to disseminate objective scientific, technical and regulatory information to the public concerning the activities of the Commission and the effects, on the environment and on the health and safety of persons, of the development, production, possession and use referred to in paragraph (a).

 

 

[9]               L’article 10 de la Loi dispose que la Commission est composée d’au plus sept commissaires permanents et d’un nombre indéterminé de commissaires temporaires nommés par le gouverneur en conseil. Le président est l’un des commissaires permanents. Les commissaires sont nommés « à titre inamovible ».

 

[10]           Aucune disposition particulière ne prévoit que le président est nommé « à titre inamovible » ou autre. L’article 10 de la Loi se lit comme suit :

10. (1) La Commission est composée d’au plus sept membres permanents, ou commissaires permanents, nommés par le gouverneur en conseil.

 

 (2) Malgré le paragraphe (1), le gouverneur en conseil peut nommer, lorsqu’il l’estime nécessaire, des commissaires à titre temporaire.

 

 

 

 

 (3) Le gouverneur en conseil désigne le président parmi les commissaires permanents.

 

(4) Le président est nommé à temps plein et les autres commissaires le sont à temps plein ou à temps partiel.

 

 

(5) Les commissaires permanents sont nommés à titre inamovible pour un mandat maximal de cinq ans, sous réserve de révocation motivée par le gouverneur en conseil.

 

(6) Chaque commissaire nommé à titre temporaire l’est à titre inamovible pour un mandat maximal de six mois.

 

(7) Le mandat des commissaires peut être reconduit, à des fonctions identiques ou non.

10. (1) The Commission consists of not more than seven permanent members to be appointed by the Governor in Council.

 

(2) Notwithstanding subsection (1), the Governor in Council may appoint temporary members of the Commission whenever, in the opinion of the Governor in Council, it is necessary to do so.

 

 

(3) The Governor in Council shall designate one of the permanent members to hold office as President.

 

 (4) The President is a full-time member of the Commission and the other members may be appointed as full-time or part-time members.

 

 (5) Each permanent member holds office during good behaviour for a term not exceeding five years and may be removed at any time by the Governor in Council for cause.

 

(6) Each temporary member holds office during good behaviour for a term not exceeding six months.

 

(7) A member is eligible to be re-appointed to the Commission in the same or another capacity.

 

 

[11]           L’article 12 de la Loi porte expressément sur le poste de président, qui est le premier dirigeant de la Commission et qui, à ce titre, en assure la direction et contrôle la gestion de son personnel. Le paragraphe 12(4) dispose que, sur demande du ministre des Ressources naturelles, le président doit fournir au ministre certains rapports :

12. (1) Le président est le premier dirigeant de la Commission et, à ce titre, il en assure la direction et contrôle la gestion de son personnel; il est notamment responsable de la répartition du travail parmi les commissaires, de leur affectation à l’une ou l’autre des formations de la Commission et de la désignation du commissaire chargé de présider chaque formation.

 

 (2) En cas d’absence ou d’empêchement du président, ou de vacance de son poste, le commissaire que la Commission désigne assure l’intérim, qui ne peut dépasser quatre-vingt-dix jours sans l’agrément du gouverneur en conseil.

 

 (3) Le président peut déléguer les pouvoirs qui lui sont conférés aux paragraphes 16(2) et 17(2) à un dirigeant ou un employé de la Commission.

 

(4) Sous réserve des règlements pris en vertu de l’alinéa 44(1)d), le président est tenu de présenter au ministre les rapports que celui-ci exige sur l’administration et la gestion des affaires de la Commission. Le ministre désigne ceux de ces rapports qui font partie du rapport annuel.

12. (1) The President is the chief executive officer of the Commission and has supervision over and direction of the work of the members and officers and employees of the Commission, including the apportionment of work among the members and, where the Commission sits in a panel, the assignment of a member or members to the panel and of a member to preside over the panel.

(2) If the President is absent or incapacitated or if the office of President is vacant, such other member as may be designated by the Commission has all the powers and functions of the President during the absence, incapacity or vacancy, but no person may so act for a period exceeding ninety days without the approval of the Governor in Council.

 

(3) The President may delegate any of the powers delegated to the President pursuant to subsection 16(2) or 17(2) to any officer or employee of the Commission.

 

(4) Subject to the regulations made pursuant to paragraph 44(1)(d), the President shall make such reports to the Minister as the Minister may require concerning the general administration and management of the affairs of the Commission and such of these reports as the Minister may direct shall form part of the report referred to in section 72.

 

 

[12]           L’article 19 de la Loi dispose que le gouverneur en conseil peut donner des « instructions » à la Commission, lesquelles lient la Commission :

Instructions

19. (1) Le gouverneur en conseil peut, par décret, donner à la Commission des instructions d’orientation générale sur sa mission.

 

(2) Les instructions du gouverneur en conseil lient la Commission.

 

(3) Les décrets pris en vertu du présent article sont publiés dans la Gazette du Canada et déposés devant chaque chambre du Parlement.

Directives

19. (1) The Governor in Council may, by order, issue to the Commission directives of general application on broad policy matters with respect to the objects of the Commission.

(2) An order made under this section is binding on the Commission.

 

(3) A copy of each order made under this section shall be

(a) published in the Canada Gazette; and

(b) laid before each House of Parliament.

 

 

[13]           L’article 20 de la Loi dispose que la Commission est une cour d’archives et qu’elle a le pouvoir de sommer un témoin de comparaître ainsi que le pouvoir de recevoir des éléments de preuve. Aux termes de l’article 21, la Commission a également le pouvoir d’assurer des formations, de diffuser de l’information et de mener d’autres activités.

 

[14]           Les articles 24 à 26 de la Loi disposent que la Commission peut délivrer, renouveler, suspendre, modifier, révoquer ou remplacer un permis au titre des diverses mesures qu’elle peut prendre concernant les substances et les installations nucléaires et, selon l’article 25, elle peut le faire de sa propre initiative. Le paragraphe 40(3) complète l’article 25 sur le plan de la procédure. Le paragraphe 43(3) dispose que la Commission, de sa propre initiative, peut réviser les conditions d’un permis.

 

[15]           En résumé, la Commission délivre les permis d’exploitation d’installations nucléaires et elle doit tenir des audiences à cet égard. Ces permis peuvent être révisés, et la Commission peut même les réviser de sa propre initiative.

 

b) La nomination de Mme Keen

[16]           Dans le paragraphe 2 de son affidavit, Mme Keen affirmait que, avant sa nomination à la Commission, elle comptait plus de 20 ans d’expérience dans des postes de gestion de niveau supérieur au sein des fonctions publiques fédérale et provinciale, notamment dans les domaines des sciences, des technologies et des ressources. Le 4 octobre 2000, la gouverneure en conseil a pris le décret suivant :

Sur recommandation du ministre des Ressources naturelles et en vertu des articles 10 et 13 de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, Son Excellence la Gouverneure générale en conseil

 

a.                   nomme Linda Keen (Ontario), commissaire permanent de la Commission canadienne de sûreté nucléaire, à titre inamovible pour un mandat de cinq ans, à temps plein, à compter du 1er novembre 2000;

 

b.                  désigne Linda Keen comme président de la Commission canadienne de sûreté nucléaire, à compter du 1er janvier 2001;

 

c.                   fixe sa rémunération au taux spécifié à l’annexe ci‑jointe, laquelle rémunération se situe dans l’échelle GIC 8 (119 900 $ – 141 100 $).

[17]           Les lettres patentes du 3 novembre 2000 délivrées par la reine relativement à la nomination de Mme Keen mentionnent notamment les éléments suivants :

COMMISSAIRE PERMANENT DE LA COMMISSION

CANADIENNE DE SÛRETÉ NUCLÉAIRE

 

IL VOUS appartiendra, à vous, Linda Keen, d’occuper, d’exercer et d’avoir en partage ladite charge de commissaire permanent de la Commission canadienne de sûreté nucléaire, à titre inamovible, avec tous les pouvoirs, droits, autorisations, prérogatives, bénéfices, émoluments et avantages attachés de droit et de par la loi à cette charge pour un mandat de cinq ans, à compter du premier jour de novembre de l’an de grâce deux mille.

 

ET SACHEZ QUE, Nous avons en outre, le quatrième jour d’octobre, désigné vous,

 

PRÉSIDENT DE LA COMMISSION CANADIENNE DE SÛRETÉ NUCLÉAIRE

 

IL VOUS appartiendra, à vous, Linda Keen, d’occuper, d’exercer et d’avoir en partage ladite charge de président de la Commission canadienne de sûreté nucléaire, à titre amovible, avec tous les pouvoirs, droits, autorisations, prérogatives, bénéfices, émoluments et avantages attachés de droit et de par la loi à cette charge, à compter du premier jour de janvier de l’an de grâce deux mille un.

 

 

[18]           La nomination a été renouvelée par la gouverneure en conseil le 19 mai 2005 par le décret suivant :

Sur recommandation du ministre des Ressources naturelles et en vertu des articles 10 et 13 de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, Son Excellence la Gouverneure générale en conseil :

 

a.                   renouvelle le mandat de Linda Keen, d’Ottawa (Ontario), commissaire permanent de la Commission canadienne de sûreté nucléaire, à titre inamovible pour une période de cinq ans;

 

b.                  désigne Linda Keen comme président de la Commission canadienne de sûreté nucléaire;

c.                   fixe sa rémunération au taux spécifié à l’annexe ci‑jointe, lequel traitement se situe dans l’échelle GCQ (184 500  $ – 217 000 $).

 

 

[19]           Aucunes autres lettres patentes délivrées par la reine n’ont été produites en preuve. Je présume que les lettres patentes délivrées précédemment sont encore en vigueur.

 

c) L’installation de production d’isotopes

[20]           Parmi les installations nucléaires assujetties à l’obligation d’obtention d’un permis de la Commission se trouve un réacteur (le réacteur national de recherche universel ou le réacteur NRU) situé à Chalk River, en Ontario, et exploité par une société d’État, Énergie atomique du Canada limitée (EACL). Cette installation produit des isotopes nucléaires utilisés pour les diagnostics médicaux et pour le traitement de certaines maladies chez l’homme. Le réacteur doit être refroidi par de l’eau pompée dans le réacteur. Vu la conception de celui-ci, il est essentiel que l’eau continue d’être pompée même en cas d’incident externe ou de coupure de courant.

 

[21]           Le permis délivré par la Commission concernant ce réacteur exige comme mesure de sécurité de l’exploitation que deux pompes soient adéquatement connectées à un système d’alimentation électrique de secours. En novembre 2007, pendant un arrêt de routine de la centrale, on a découvert que, en violation du permis, les deux pompes n’étaient pas connectées à un système d’alimentation électrique de secours, ce qu’EACL a confirmé par écrit.

 

[22]           Le 27 novembre 2007, EACL et des employés de la Commission se sont réunis et EACL a proposé que le réacteur soit remis en marche en ayant une seule pompe connectée à un système d’alimentation électrique de secours (proposition parfois nommée l’option à une pompe). Une série de discussions ont suivi. La Commission a précisé à EACL que cette solution appellerait la modification du permis, ce qui, appellerait ensuite la tenue d’une audience lors de laquelle EACL devrait démontrer que la sécurité serait adéquatement assurée. Le 2 décembre 2007, EACL a informé la Commission qu’elle renonçait à la solution de la pompe unique et que le réacteur resterait à l’arrêt tant que les deux pompes n’auraient pas été connectées.

 

[23]           Le 5 décembre 2007, le ministre des Ressources naturelles, l’honorable Gary Lunn, lors d’une téléconférence avec EACL et la Commission, a affirmé qu’EACL [traduction] « n’avait pas été à la hauteur » et a appelé les parties à travailler ensemble pour régler le problème. Lors d’une réunion tenue le 6 décembre 2007, EACL a informé la Commission qu’elle allait prolonger l’arrêt jusqu’à ce qu’elle soit capable de connecter les deux pompes. Le 7 décembre 2007, EACL a informé la Commission qu’elle renonçait à la solution consistant en la connection des deux pompes et qu’elle retenait celle de la pompe unique. EACL a été avisée par la Commission qu’elle allait devoir démontrer la sécurité des installations et qu’une audience devrait être tenue, mais que la Commission allait modifier ses règles de procédure de manière à ce que l’audience se tienne dans les plus brefs délais.

 

[24]           Le samedi 8 décembre 2007, lors d’une conférence téléphonique avec Mme Keen et d’autres personnes, le ministre a demandé la tenue immédiate d’une audience afin que soit approuvée la remise en marche du réacteur. Mme Keen a informé le ministre qu’elle attendait la demande d’EACL et que, dès qu’elle l’aurait, la Commission pourrait tenir une audience dans les plus brefs délais. Le jour suivant, le dimanche 9 décembre 2007, EACL a informé la Commission qu’elle pourrait produire les renseignements demandés au plus tard le jeudi 13 décembre 2007, à l’heure de fermeture des bureaux.

 

[25]           Le 10 décembre 2007, la gouverneure en conseil a rédigé des « instructions » en vertu de l’article 19 de la Loi; le dispositif de celles-ci se lit comme suit :

 

 

INSTRUCTIONS DONNÉES À LA COMMISSION CANADIENNE DE SÛRETÉ NUCLÉAIRE RELATIVEMENT À LA SANTÉ DES CANADIENS

 

1.                  Afin que le niveau de risque inhérent à la production, à la possession et à l’utilisation des substances nucléaires demeure acceptable pour la santé des personnes, la Commission canadienne de sûreté nucléaire doit, dans la réglementation de ces activités, tenir compte de la santé des Canadiens qui, pour des raisons médicales, ont besoin de substances nucléaires produites par des réacteurs nucléaires.

 

2.                  Les présentes instructions entrent en vigueur à la date de leur enregistrement.

 

 

[26]           Cependant, Mme Keen n’a reçu les instructions à la Commission qu’à 11 h le lendemain, le 11 décembre 2007. À ce moment‑là, un projet de loi, connu sous le nom de projet de loi C‑38, avait déjà été rédigé, et, au cours de l’après‑midi du 11 décembre 2007, il était déposé à la Chambre des communes.

 

[27]           Le projet de loi C‑38, sanctionné le 12 décembre 2007 (L.C. 2007, ch. 31), autorise la remise en marche du réacteur d’EACL pour une période de 120 jours malgré toute condition fixée par le permis délivré par la Commission. Le préambule de cette loi énonce notamment ce qui suit :

Attendu :

[…]

que le réacteur a été arrêté pour entretien et qu’il est interdit à Énergie atomique du Canada limitée d’en reprendre l’exploitation avant que soient respectées les conditions prévues par son permis qui ont trait aux systèmes auxiliaires à l’épreuve des tremblements de terre;

 

que la santé des Canadiens est mise en péril par la grave pénurie d’isotopes médicaux qui sévit au Canada et dans le monde en raison de l’arrêt du réacteur;

 

 

 

[28]           Le paragraphe 1(1) de cette loi dispose que :

1. (1) Énergie atomique du Canada limitée peut reprendre l’exploitation du réacteur national de recherche universel situé à Chalk River, en Ontario, et continuer celle-ci pour la période de cent vingt jours qui suit l’entrée en vigueur de la présente loi, malgré les conditions prévues par le permis délivré en vertu de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires et qui ont trait à l’installation de démarreurs antisismiques sur les pompes d’eau lourde et au branchement au système d’alimentation électrique de secours.

 

 

            d) La révocation de Mme Keen à titre de présidente

[29]           Le 27 décembre 2007, le ministre a écrit une lettre à Mme Keen, dans laquelle il exprimait de grandes réserves quant aux mesures prises par la Commission et l’informait qu’il envisageait de recommander à la gouverneure en conseil de mettre fin à ses fonctions à titre de présidente; cependant, elle resterait commissaire à temps plein. Cette lettre mentionnait notamment ce qui suit :

[traduction]

Je tiens à vous faire part de mes grandes réserves quant aux mesures prises par la Commission canadienne de sûreté nucléaire (la Commission), dont vous êtes la présidente, mesures qui ont abouti à l’arrêt prolongé du réacteur NRU de Chalk River, en Ontario. Mes réserves portent également sur l’incapacité de la Commission de faciliter la remise en service rapide du réacteur, étant donné que ce réacteur est la source principale d’isotopes médicaux, qui sont nécessaires pour l’administration de soins médicaux essentiels à la population canadienne.

 

[…]

 

Sous votre direction, la Commission n’a pas engagé le processus de remise en service du réacteur NRU, et ce, malgré les instructions données le 10 décembre 2007 à la Commission canadienne de sûreté nucléaire, instructions portant sur la santé des canadiens. Vu que la Commission n’a pas modifié son approche en fonction des instructions qui lui avaient été adressées, cela a mené tous les partis au Parlement à prendre une mesure extraordinaire, à savoir l’adoption du projet de loi C‑38, qui prévoit la reprise des activités du réacteur NRU afin que la production des isotopes médicaux puisse recommencer.

 

Au regard des faits susmentionnés, il est permis de douter que vous possédiez le discernement essentiel dont doit faire preuve le titulaire du poste de président de la Commission et que vous ayez rempli votre mission de façon appropriée. De graves questions ont été soulevées quant à savoir si la Commission, sous votre direction, aurait pu mieux gérer la gestion du risque dans la présente situation.

 

[…]

 

L’objet de la présente lettre est de vous donner la possibilité de présenter toute observation qui, selon vous, devrait être prise en considération avant qu’une décision sur votre maintien en poste à titre de présidente de la Commission soit prise. Veuillez noter que je dois recevoir vos observations écrites avant l’heure de fermeture des bureaux le 10 janvier 2008.

 

Sachez que j’envisage de recommander à la gouverneure en conseil de mettre fin à vos fonctions à titre de présidente; cependant, vous conserverez alors vos poste de commissaire à temps plein. Par contre, avant de prendre une décision au sujet de cette recommandation, je suis prêt à vous entendre sur cette question, comme je l’ai mentionné ci‑dessus. Si la question de votre maintien en poste à titre de présidente est soumise à la gouverneure en conseil, il sera tenu compte de vos observations lors de la prise de la décision définitive.

 

 

[30]           Mme Keen a répondu le 8 janvier 2008 dans une lettre de 8 pages à laquelle étaient jointes les observations détaillées de 27 pages portant sur les faits et les mesures en question. La lettre de Mme Keen faisait notamment état des éléments suivants :

[traduction]

Monsieur le Ministre,

Comme suite à votre lettre du 27 décembre 2007, ci‑jointe, et aux graves allégations qu’elle renfermait, veuillez recevoir la présente lettre et les annexes ci‑jointes, lesquelles constituent ma réponse officielle et celle de la Commission canadienne de sûreté nucléaire (la CCSN). Toute analyse objective des faits révélera que les allégations formulées dans votre lettre n’ont absolument aucun fondement. Alors que l’Exposé des faits et le commentaire – joints à la présente lettre à l’annexe A – font état de notre position de façon plus précise, je profite de l’occasion pour vous faire part de mon point de vue sur le contenu de votre lettre.

[…]

 

Votre lettre ne contient absolument aucune allégation d’inconduite personnelle de ma part ni aucune allégation selon laquelle mes actes n’étaient pas à la hauteur du rendement escompté. Au contraire, la menace de mettre fin à mes fonctions est fondée entièrement et exclusivement sur l’évaluation des mesures prises, ou non, par la CCSN au sujet de l’arrêt prolongé du réacteur NRU. Si vous croyez qu’il y a eu quelque inconduite de ma part ou que ma conduite n’était pas conforme à une norme quelconque de rendement, la loi dispose que vous devez me communiquer les allégations précises que vous prévoyez d’invoquer pour justifier ma destitution de la présidence. En outre, la loi dispose que je dois avoir la possibilité de fournir une réponse complète lorsque de telles allégations sont présentées.

 

[…]

 

Vu les récentes déclarations du premier ministre Harper, du ministre Clement et les vôtres, il est fort douteux que je puisse faire l’objet d’un examen équitable et impartial de la part du Cabinet au sujet des faits en cause. La jurisprudence enseigne clairement que le gouverneur en conseil doit agir de bonne foi et de manière impartiale lorsqu’il envisage de destituer la personne qu’il a nommée. Étant donné qu’il semble impossible que le gouvernement fasse un examen objectif de mon rendement, je demande donc qu’il ne prenne aucune mesure comme celle que vous avez envisagée dans votre lettre sans que les faits de la présente affaire aient été examinés de manière équitable et indépendante.

 

[…]

 

Vu les réserves que j’ai mentionnées ci‑dessus ainsi que les questions soulevées dans l’Exposé et le commentaire ci‑joints, je vous recommande instamment que la question de mon rendement soit renvoyée à un comité parlementaire ou fasse l’objet d’un certain type d’enquête publique ou d’un examen international indépendant. Je serais favorable à ce que mon rendement des sept dernières années et, en particulier, les faits qui ont conduit à l’arrêt du réacteur NRU soient examinés publiquement.

 

 

[31]           Le ministre n’a pas répondu à la lettre du 8 janvier de Mme Keen. La gouverneure en conseil, sur recommandation du ministre, a plutôt pris un décret le 15 janvier 2008 mettant fin aux fonctions de Mme Keen à titre de présidente de la Commission, sans toutefois modifier son statut de commissaire permanent à temps plein. Ce décret, qui constitue la décision attaquée en l’espèce, se lit comme suit :

Attendu que, en vertu de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, la Commission canadienne de sûreté nucléaire est responsable de réglementer la production de substances nucléaires ainsi que de prévenir tout risque déraisonnable pour la santé et la sécurité des Canadiennes et des Canadiens associé à cette production;

 

Attendu que Linda Keen a été nommée membre permanent à temps plein de la Commission canadienne de sûreté nucléaire en vertu du décret C.P. 2000‑1563 du 4 octobre 2000;

Attendu que Linda Keen a été désignée président de la Commission canadienne de sûreté nucléaire en vertu du décret C.P. 2000‑1563 du 4 octobre 2000;

 

Attendu que le président de la Commission canadienne de sûreté nucléaire est président‑directeur général de l’organisme et qu’il est responsable de superviser et d’orienter les travaux des membres, des agents et des employés de la Commission;

 

Attendu que le poste de président de la Commission canadienne de sûreté nucléaire requiert l’entière confiance du gouverneur en conseil;

 

Attendu que l’arrêt prolongé du réacteur de recherche nucléaire universel de Chalk River en Ontario, et l’interruption de l’approvisionnement mondial en isotopes médicaux ont engendré une menace sérieuse pour la santé des Canadiennes et des Canadiens et des autres;

 

Attendu que le président de la Commission canadienne de sûreté nucléaire n’a pas pris les mesures nécessaires pour résoudre rapidement cette crise en utilisant les ressources à sa disposition, et qu’il n’a su faire preuve du leadership auquel s’attendait la gouverneure en conseil;

 

Attendu que, par lettre datée du 27 décembre 2007, le ministre des Ressources naturelles a invité Linda Keen à commenter, au plus tard le 10 janvier 2008, les raisons pour lesquelles il ne faut pas mettre fin à sa désignation à titre de président de la Commission canadienne de sûreté nucléaire;

 

Attendu que, par lettre et par notes datées du 8 janvier 2008, Linda Keen a répondu à l’invitation du ministre des Ressources naturelles;

 

Attendu que la gouverneure en conseil a pris connaissance de la lettre et des notes reçues de Linda Keen, et qu’elle a conclu que cette dernière n’a plus la confiance de la gouverneure en conseil à titre de président de la Commission canadienne de sûreté nucléaire,

 

À ces causes, sur recommandation du ministre des Ressources naturelles et en vertu des articles 10 et 13 de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, Son Excellence la gouverneure en conseil :

a) met fin à la désignation de Linda Keen à titre de président de la Commission canadienne de sûreté nucléaire;

 

b) fixe sa rémunération à titre de commissaire permanent (à temps plein) de la Commission canadienne de sûreté nucléaire au taux spécifié à l’annexe ci‑jointe, laquelle rémunération se situe dans l’échelle (204 300 $ – 240 400 $).

 

            e) La démission de Mme Keen à titre de commissaire

[32]           La présente procédure, par laquelle est attaqué le décret, a été engagée le 14 février 2008. Mme Keen a déposé un affidavit à l’appui de sa demande. Le défendeur a déposé des affidavits à l’appui de sa thèse en avril 2008. Mme Keen a été contre-interrogée le 16 juillet 2008. Le défendeur a déposé d’autres affidavits en août 2008.

 

[33]            Le 22 septembre 2008, Mme Keen a envoyé une lettre au premier ministre, dans laquelle elle l’avisait que dorénavant elle n’occuperait plus le poste de commissaire. La lettre faisait notamment état des éléments suivants  :

[traduction]

Monsieur,

Je vous informe qu’à compter d’aujourd’hui je n’occuperai plus le poste de commissaire de la Commission canadienne de sûreté nucléaire (la CCSN). Dans les circonstances actuelles, le gouvernement du Canada a injustement mis fin à mes fonctions à titre de présidente et de première dirigeante du CCSN, et je ne peux continuer d’occuper un poste subalterne à titre de commissaire.

 

[…]

 

J’ai conclu que, tant que je n’obtiendrais les mesures de réparation demandées à la Cour, je ne pouvais pas être commissaire alors que je fais l’objet d’un congédiement injuste de la part du gouvernement; je ne peux donc pas continuer à occuper un poste fictif à titre de commissaire. Je pars en sachant très bien que je risque deux ans et demi de salaire et d’avantages. Cependant, en toute conscience, je n’ai pas le choix.

 

 

[34]           Le défendeur se fonde sur cette lettre pour demander à la Cour de refuser d’entendre la présente affaire au motif qu’elle est théorique.

 

LA DEMANDE EST-ELLE THÉORIQUE?

[35]           Les avocats du demandeur soutiennent que, vu la démission de Mme Keen de son poste de commissaire, le jugement déclaratoire que Mme Keen sollicite de la Cour n’aurait aucun effet concret. Il est constant qu’elle ne sollicite plus sa réintégration en tant que présidente.

 

[36]           En ce qui concerne le caractère théorique d’une affaire,  l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 342, rendu par feu le juge Sopinka au nom de la Cour suprême du Canada, est l’arrêt de principe.

 

[37]           Le principe général est énoncé à la page 353 de l’arrêt Borowski : une cause est théorique si des événements postérieurs à l’introduction de l’action modifient les rapports des parties de telle sorte qu’il ne reste plus de litige actuel. Cependant, la Cour conserve toujours le pouvoir discrétionnaire d’entendre l’affaire. À la page 353 de l’arrêt Borowski, le juge Sopinka a fait les observations suivantes :

La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu’un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu’une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s’applique quand la décision du tribunal n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l’affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l’action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l’introduction de l’action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu’il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. Le principe ou la pratique général s’applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n’exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l’appliquer. J’examinerai plus loin les facteurs dont le tribunal tient compte pour décider d’exercer ou non ce pouvoir discrétionnaire.

 

 

[38]           Le juge Sopinka a par la suite examiné les facteurs sur lesquels le juge doit se fonder pour décider s’il doit entendre l’affaire malgré tout. Aux pages 358 à 363, il a fait état des facteurs pertinents :

                                                               i.      L’affaire doit tirer sa source dans le système contradictoire. Même si une partie n’a plus d’intérêt direct dans l’issue de l’affaire, existe‑t‑il des conséquences accessoires?

                                                             ii.      Le juge doit tenir compte de l’économie des ressources judiciaires. Est‑il probable qu’une question semblable se pose de nouveau? Est-il préférable de trancher la question maintenant plutôt que laisser subsister l’incertitude dans le droit?

                                                            iii.      Le juge doit prendre en considération sa fonction véritable dans l’élaboration du droit. Il ne doit pas empiéter inutilement sur la fonction législative du Parlement.

 

[39]           Ces facteurs ne doivent pas être appliqués de manière aveugle : certains d’entre eux peuvent prévaloir sur les autres. Le juge Sopinka a ainsi conclu à la page 363 :

En exerçant son pouvoir discrétionnaire à l’égard d’un pourvoi théorique, la Cour doit tenir compte de chacune des trois raisons d’être de la doctrine du caractère théorique. Cela ne signifie pas qu’il s’agit d’un processus mécanique. Il se peut que les principes examinés ici ne tendent pas tous vers la même conclusion. L’absence d’un facteur peut prévaloir malgré la présence de l’un ou des deux autres, ou inversement.

 

 

[40]           Les avocats des défendeurs se fondent sur l’arrêt Pro-West Transport Ltd. c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 206, rendu par la Cour d’appel fédérale, dans lequel la Cour d’appel, estimant l’appel théorique, avait refusé d’entendre l’affaire, qui portait sur une demande d’annulation d’un décret. Au moment où la Cour d’appel fut saisie de l’affaire, le décret avait déjà été remplacé par un autre texte.  Le juge Sexton, au nom de la Cour d’appel, a fait les observations suivantes aux paragraphes 7, 8 et 9 :

7     En l’espèce, il n’existe pas de litige actuel. Le système de délivrance des permis et le décret qui sont contestés n’existent plus. La réparation que sollicitent les appelantes aurait pour but de déclarer que le décret et les permis délivrés en vertu de l’ancien système de délivrance des permis sont nuls. De telles déclarations, si elles étaient accordées, n’auraient désormais aucun effet sur les droits des parties, puisqu’ils sont régis par un nouveau système de délivrance des permis.

 

8    Pour ce qui est de l’exercice du pouvoir discrétionnaire, bien que l’affaire présente un contexte contradictoire, les deuxième et troisième facteurs militent contre l’exercice de ce pouvoir. Les questions soulevées dans l’appel ne sont pas répétitives et de courte durée, facteurs dont la Cour a tenu compte dans l’arrêt Borowski. De surcroît, il ne semble pas y avoir de besoin urgent de résoudre des questions relatives au pouvoir de l’APV ou du gouverneur en conseil en ce qui a trait à l’accès au port. Qui plus est, la question fondamentale en l’espèce est de savoir si le gouverneur en conseil avait le pouvoir de prendre le décret. En se prononçant sur cette question, la Cour s’ingérerait dans le domaine politique, ce qui ne semble pas être nécessaire à l’heure actuelle. Dans l’arrêt Thorne’s Hardware Ltd. c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 106, le juge Dickson a indiqué que seul un cas flagrant pourrait justifier l’annulation d’un décret par la Cour. L’affaire qui nous occupe ne répond pas à ce critère.

 

9    À l’audition du présent appel, l’avocat des appelantes a plaidé que ses clientes exigeaient que la Cour tire une conclusion relativement au décret pour qu’elles puissent à ce titre poursuivre les intimés en dommages-intérêts. Cependant, l’avocat n’a pas attiré l’attention de la Cour sur des éléments de preuve dans les documents établissant que ses clientes avaient subi des dommages ou qu’elles prévoyaient engager une telle action. Enfin, l’avocat des appelantes n’a pas contesté les motifs des intimés quant à l’imposition de l’ancien système de délivrance des permis.

 

[41]           Les avocats de la demanderesse, Mme Keen, soutiennent que la Cour doit exercer son pouvoir discrétionnaire d’entendre l’affaire. Ils soutiennent que le jugement déclaratoire sollicité en l’espèce constitue la condition préalable impérative de toute action en dommages‑intérêts que Mme Keen pourrait intenter contre la Couronne; ils se fondent sur l’arrêt Manuge c. Canada, 2009 CAF 29, rendu par la Cour d’appel fédérale, dans lequel la Cour d’appel confirmait une de ces jurisprudences antérieures, Canada c. Grenier, 2005 CAF 348, et ce, malgré l’arrêt TeleZone Inc. c. Canada (Attorney General), 2008 ONCA 892, rendu entre‑temps par la Cour d’appel de l’Ontario. Même s’ils considèrent que le dossier n’est pas tout à fait solide en ce qui concerne l’action que Mme Keen pourrait intenter, ses avocats soutiennent que la lettre du 22 septembre 2008 suffit pour établir que Mme Keen envisage d’intenter une telle action.

 

[42]           Les avocats de Mme Keen soutiennent également que les questions en litige en l’espèce ont été débattues de façon appropriée et approfondie et qu’elles ont une grande portée, en ce sens que la décision pourrait avoir une incidence sur de nombreuses personnes qui ont été nommées à des postes dans des organismes quasi judiciaires au sein de l’administration gouvernementale ou à des postes semblables.

 

[43]           Ayant entendu les avocats des parties exposer fort bien et en détail leurs arguments, je conclus que je dois trancher la question en suspens. Il est quand même possible que Mme Keen intente une action par la suite, et, ce qui est plus important encore, la question soulevée par elle pourrait avoir une plus grande portée que sa seule situation toucher également les autres personnes qui ont été nommées à des postes au sein de l’administration gouvernementale.

 

LA NATURE DE LA NOMINATION DE MME KEEN

[44]           Les nominations à la magistrature ou à des postes de hauts fonctionnaires faites par le gouvernement fédéral se subdivisent en deux catégories générales, à savoir les nominations à « titre amovible » et les nominations « à titre inamovible ». Par exemple, les juges de la Cour d’appel fédérale ou de la Cour fédérale sont nommés « à titre inamovible » et occupent leur fonctions jusqu’à l’âge de 75 ans comme le prévoit l’article 8 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F‑7.

 


[45]           L’article 23 de la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21, dispose que les fonctionnaires publics sont réputés avoir été nommés « à titre amovible » sauf disposition contraire du texte ou autre acte prévoyant la nomination :

23. (1) Indépendamment de leur mode de nomination et sauf disposition contraire du texte ou autre acte prévoyant celle-ci, les fonctionnaires publics sont réputés avoir été nommés à titre amovible.

 

 

23. (1) Every public officer appointed by or under the authority of an enactment or otherwise is deemed to have been appointed to hold office during pleasure, unless it is otherwise expressed in the enactment, commission or instrument of appointment.

 

[46]           La notion de nomination « à titre inamovible » a fait l’objet d’un arrêt récent de la Cour d’appel fédérale, Canada (Procureur général) c. Cosgrove, 2007 CAF 103; dans cette affaire, elle devait rechercher si la confiance du public dans l’appareil judiciaire serait ébranlée. Au paragraphe 14 de cet arrêt, la juge Sharlow, au nom de la Cour d’appel, a résumé ainsi la question :

14     L’avis exprimé par le procureur général de l’Ontario était censément fondé sur le critère de l’inaptitude à occuper la charge de juge, un critère énoncé dans la Décision de 1990 du Comité d’enquête du Conseil sur la plainte du procureur général de la Nouvelle‑Écosse à propos de la conduite de la Commission royale sur la poursuite engagée contre Donald Marshall fils (décision publiée : (1990), 40 R.D.U.N.B. 212) :

 

La conduite reprochée porte‑t‑elle si manifestement et si totalement atteinte aux notions d’impartialité, d’intégrité et d’indépendance de la justice qu’elle ébranle suffisamment la confiance de la population pour rendre le juge incapable de s’acquitter des fonctions de sa charge?

 

[47]           Dans l’arrêt Cosgrove, la Cour d’appel fédérale a souligné la notion d’indépendance judiciaire; il est important que le juge puisse instruire et statuer sur les affaires dont il est saisi à l’abri d’un droit de regard du pouvoir législatif ou du pouvoir exécutif. La juge Sharlow a fait les observations suivante aux paragraphes 29 à 32 :

29     L’indépendance judiciaire est essentielle pour garantir la primauté du droit dans une société démocratique. Le comité d’enquête a d’ailleurs dit en l’espèce que l’indépendance judiciaire est l’élément le plus important du principe de primauté du droit dans une société démocratique, et qu’elle est suivie de près par la nécessité d’un barreau indépendant (décision du comité d’enquête, paragraphe 26). Je partage cet avis.

 

30       L’indépendance judiciaire est un droit fondamental des justiciables, qui leur garantit que les juges prononceront sur les causes dont ils sont saisis à l’abri de toute ingérence, réelle ou apparente, notamment de l’ingérence de quiconque représentant le pouvoir exécutif ou le pouvoir législatif : voir l’arrêt Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56, paragraphe 21, et l’arrêt R. c. Lippé, [1991] 2 R.C.S. 114, page 139.

 

31             Le juge Strayer avait exposé ce principe comme il suit dans le jugement Gratton c. Conseil canadien de la magistrature (1re inst.), [1994] 2 C.F. 769, au paragraphe 16 (cité avec approbation dans l’arrêt Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île‑du‑Prince‑Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3, au paragraphe 329) :

 

Qu’il suffise de dire que l’indépendance judiciaire fait partie intégrante de notre société libre et démocratique. Elle est reconnue et sauvegardée par la Constitution et les conventions constitutionnelles, par les lois et par la common law. Elle sert essentiellement à permettre aux juges de rendre des décisions en conformité avec leur conception du droit et des faits, sans avoir à craindre de subir eux‑mêmes des conséquences fâcheuses. Cela s’impose pour assurer au public que, tant en apparence qu’en réalité, leurs causes seront jugées, leurs lois interprétées et leur Constitution appliquée sans distinction de personnes. La garantie aux juges de pouvoir rester en poste sans subir d’ingérence irrégulière dans l’exercice de leurs fonctions est indispensable à l’indépendance de la justice […] Mais il importe tout autant de se rappeler que la protection de l’inamovibilité [traduction] « vise à profiter non pas aux juges, mais bien aux justiciables ».

 

32     Cependant, l’indépendance judiciaire ne veut pas dire que la conduite des juges est à l’abri du droit de regard du pouvoir législatif ou du pouvoir exécutif. Au contraire, un régime adéquat d’examen de la conduite des juges est essentiel si l’on veut préserver la confiance du public dans la magistrature : arrêt Moreau‑Bérubé c. Nouveau‑Brunswick (Conseil de la magistrature), [2002] 1 R.C.S. 249, page 285.

 

[48]           Par contre, la nomination « à titre amovible » a été qualifié d’« intrinsèquement précaire » dans l’arrêt Pelletier c. Canada (Procureur général), [2008] 3 R.C.F. 40, rendu par la Cour d’appel fédérale. Le juge Décary, au nom de la Cour d’appel fédérale, a fait les observations suivantes au paragraphe 33 :

33     En fin de compte, imposer en l’absence de texte une obligation de consultation, fut-elle symbolique, au moment de la destitution d’une personne nommée à titre amovible, reviendrait à « bonifier », si je puis dire, le statut de la personne nommée à ce titre et compromettre le caractère intrinsèquement précaire de ce statut.

 

 

[49]           La notion de nomination « à titre amovible » semble tirer son origine d’une notion ancienne de nomination à des postes et de maintien dans ces postes qui dépendent du bon plaisir de Sa Majesté. Récemment, la Cour suprême du Canada, dans l’affaire Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, a eu l’occasion d’examiner une nomination « à titre amovible » et elle a conclu que l’obligation d’agir équitablement envers la personne ayant obtenu une telle nomination « à titre amovible » s’imposait quand même au décideur envisageant une mesure de congédiement. Si les textes législatifs sont muets, la personne nommée à titre amovible a au moins le droit de recevoir un avis l’informant qu’il est envisagé de la congédier et de présenter des observations à ce sujet avant qu’une décision définitive relative à son congédiement ne soit prise. Les juges majoritaires de la Cour suprême ont fait les observations suivantes aux paragraphes 115 et 116 de l’arrêt Dunsmuir :

115     Il convient donc généralement de considérer le congédiement d’un employé du secteur public comme un différend ordinaire en droit du travail.  Il peut quand même arriver que l’obligation d’équité procédurale s’applique. Deux situations peuvent actuellement être envisagées.  La première est celle où l’employé du secteur public n’est pas protégé dans les faits par un contrat d’emploi, comme c’est le cas des ministres de la Couronne et d’autres personnes qui « remplissent au sein de l’État des rôles définis constitutionnellement » (Wells, par. 31).  Il peut aussi arriver que la nomination autorise expressément le congédiement sommaire du titulaire de la charge publique ou, à tout le moins, qu’elle ne prévoie rien à ce sujet, auquel cas l’intéressé peut être réputé occuper son poste à titre amovible (voir notamment la Loi d’interprétation du Nouveau‑Brunswick, art. 20, et la Loi d’interprétation, L.R.C. 1985, ch. I‑21, par. 23(1)). Étant donné que l’employé est alors véritablement soumis à la volonté de l’État, l’obligation d’équité procédurale doit être imposée afin que le pouvoir public ne soit pas exercé de façon irrégulière.

 

116     Dans la deuxième situation possible, l’obligation d’équité découle, par déduction nécessaire, d’un pouvoir légal régissant la relation d’emploi.  Dans l’affaire Malloch, la loi applicable prévoyait qu’un enseignant ne pouvait être congédié qu’après avoir été informé trois semaines à l’avance de la tenue de la réunion où son congédiement serait proposé.  La Chambre des lords a estimé que l’enseignant avait nécessairement le droit d’être entendu à cette réunion, sinon l’avis exigé par le législateur n’aurait eu aucune raison d’être (p. 1282).  Naturellement, l’existence d’exigences procédurales et leur nature dépendront du libellé de la disposition en cause et varieront selon le contexte (Knight, p. 682).

 

 

[50]           En ce qui concerne le régime de la Loi sur la sûreté et la réglementation nucléaires, l’article 10 prévoit que la Commission est composée d’au plus sept commissaires permanents, qui peuvent être employés à temps plein ou à temps partiel. Le paragraphe 10(5) dispose que chaque commissaire est nommé « à titre inamovible ». Selon le paragraphe 10(3), le président est désigné par le gouverneur en conseil parmi les commissaires permanents à temps plein. La Loi n’indique pas si le président est désigné « à titre inamovible » ou à « titre amovible ».

 

[51]           En l’espèce, Mme Keen a d’abord été nommée commissaire à compter du 1er novembre 2000, puis désignée présidente à compter du 1er janvier 2001. Tant la nomination que la désignation ont été renouvelées à compter du 1er novembre 2005. Le décret pris le 15 janvier 2008 a mis fin aux fonctions de Mme Keen à titre de présidente, mais n’a pas révoqué sa nomination à titre de commissaire à temps plein, et a fixé sa rémunération selon l’échelle permise, ce qui voulait dire que sa rémunération ne changeait presque pas. Par conséquent, à ce moment‑là, Mme Keen n’était plus présidente, mais elle était toujours commissaire à temps plein. Dans sa lettre du 22 septembre 2008 adressée au premier ministre, Mme Keen a volontairement remis sa démission à titre de commissaire.

 

[52]           La question de fond que doit trancher la Cour porte sur le bien‑fondé du décret qui a mis fin aux fonctions de Mme Keen à titre de présidente de la Commission. Elle est restée commissaire jusqu’à ce qu’elle démissionne de son plein gré.

 

[53]           Nul doute que, selon le paragraphe 10(5) de la Loi, la nomination de Mme Keen, ou de toute autre personne, à titre de commissaire ait été faite « à titre inamovible ». Le décret n’a pas révoqué Mme Keen à titre de commissaire. Par conséquent, à cet égard, ni le ministre ni la gouverneure en conseil n’ont critiqué la conduite de Mme Keen.

 

[54]           La Loi est muette quant à la désignation de Mme Keen, ou de tout autre commissaire, au poste de présidente. La désignation fut‑elle faite « à titre inamovible » ou bien « à titre amovible »? Si cette désignation était « à titre amovible », il ressort de la preuve que, suivant les paragraphes 115 et 116 de l’arrêt Dunsmuir, précité, le ministre a respecté l’équité procédurale à l’égard de Mme Keen. Le ministre, dans sa lettre du 27 décembre 2007, a avisé Mme Keen qu’il avait l’intention de recommander qu’il soit mis fin à sa désignation à titre de présidente et lui a donné l’occasion de présenter des observations. Mme Keen a présenté ses observations dans sa lettre du 8 janvier 2008. Le ministre n’a pas répondu à cette lettre, mais le décret pris le 15 janvier 2008 par la gouverneure en conseil mentionne que « […] la gouverneure en conseil a pris connaissance de la lettre et des notes […] ».

 

[55]           Comme l’a observé le juge Dickson au nom de la Cour suprême du Canada à la page 115, entre les lettres g et h, de l’arrêt Thornes’s Hardware Limited c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 106, la Cour ne peut examiner la validité d’une telle mention se trouvant dans un décret.

 

[56]           Je conclus donc que, si la désignation de Mme Keen fut faite « à titre amovible », alors l’équité procédurale a été respectée, et que le congédiement ne peut être annulé.

 

[57]           Par contre, si Mme Keen a été désignée présidente « à titre inamovible », c’est-à-dire si elle occupait ce poste sous réserve de mauvaise conduite, il est très clair que ni le ministre ni la gouverneure en conseil ne lui ont fourni des précisions justifiant leur conclusion que Mme Keen avait commis un manquement à la bonne conduite. Mme Keen, dans sa lettre du 8 janvier 2008, réfute adéquatement toute allégation de manquement à la bonne conduite. L’omission du ministre de discuter plus à fond de la situation ou de tenir une certaine forme d’enquête indépendante établit clairement la méconnaissance du principe d’équité procédurale. En outre, si le ministre ou la gouverneure en conseil croyait que Mme Keen avait commis un manquement à la bonne conduite lorsqu’elle était présidente, pourquoi lui ont‑ils permis de rester commissaire alors qu’une des exigences de la Loi prévoit clairement qu’un commissaire doit avoir une bonne conduite?

 

[58]           Les avocats de Mme Keen soutiennent que sa désignation en tant que présidente était « à titre inamovible » pour divers motifs :

                                                               i.      Certains représentants du gouvernement avaient dit à Mme Keen lors des entrevues qui avaient eu lieu lors de sa nomination qu’elle serait désignée en tant que présidente à titre inamovible.

                                                             ii.      Le poste de président est indissociable de celui de commissaire; les nominations à ces deux postes sont donc faites à titre inamovible.

                                                            iii.      Les premiers dirigeants et les présidents des tribunaux quasi judiciaires sont généralement nommés à titre inamovible.

                                                           iv.      Les commissaires de l’ancien organisme étaient nommés à titre amovible. La nouvelle loi prévoit une mission précise, ce qui implique que la révocation doit être fondée sur un motif valable.

                                                             v.      Les obligations internationales du Canada exigent qu’il y ait un organisme de contrôle indépendant. La désignation d’un président à titre inamovible concorde davantage avec ces obligations.

 

[59]           Les avocats de Mme Keen soutiennent que l’on doit suivre ces cinq facteurs de concert, au regard du contexte, de sorte que, vu leur effet cumulatif, on doit conclure que Mme Keen a été nommée présidente « à titre inamovible ».

 

[60]           Le premier point concerne ce qui a été dit ou ce qui aurait été dit lors des entrevues entre Mme Keen et les représentants du gouvernement au sujet du poste qu’on lui avait offert à la Commission. Lors de son contre‑interrogatoire, en particulier dans ses réponses aux questions no 70 à 86 et dans le paragraphe 4 de son affidavit, Mme Keen soutient que certains représentants du gouvernement lui ont affirmé que le poste de président était comblé à titre inamovible. Mme Keen n’a identifié personne en particulier, à l’exception d’une prénommée Manon. Le défendeur a déposé en réponse des affidavits de plusieurs personnes, dont l’une pouvait être la personne identifiée comme étant Manon. Toutes ces personnes soutiennent ne pas avoir souvenir d’une telle déclaration et qu’il serait surprenant qu’elles l’aient faite.

 

[61]           Les avocats de Mme Keen allèguent que je dois accorder plus de poids au témoignage de Mme Keen à cet égard parce qu’elle affirme formellement qu’un événement s’est produit alors que les autres personnes, à l’exception de M. Wayne McCutcheon, ne se souviennent de rien et se bornent à soutenir que cet événement est improbable.

 

[62]           L’un des déposants du défendeur, M. McCutcheon, a participé à l’entrevue en question et a produit les copies des notes prises à ce moment‑là. Celles-ci ne révèlent aucune discussion où il aurait été question que le président fût nommé à titre inamovible ou autre.

 

[63]           A l’audience, les avocats de Mme Keen ont convenu que les représentants du gouvernement n’avaient pas le pouvoir de lier le gouvernement ou, par exemple, de s’engager au nom du gouvernement à accorder une désignation à titre inamovible.

 

[64]           Je ne peux conclure, vu la preuve, qu’il y a eu une discussion sérieuse lors de laquelle il aurait été affirmé que la désignation en tant que président était faite à titre inamovible; à supposer qu’il y a eu une telle discussion, elle ne liait aucunement la Couronne.

 

[65]           Le deuxième point soulevé par les avocats de Mme Keen est que le poste de président est si indissociable de celui de commissaire que le statut « à titre inamovible » du commissaire s’applique également au président. Ce deuxième point se rattache au troisième point de la demanderesse selon lequel si la loi est muette ou ambiguë, alors, dans un Etat de droit et vu les principes de justice naturelle, la désignation du président doit être faite au mêmes conditions que celles de la désignation d’un commissaire, à savoir à titre inamovible.

 

[66]           Les deux parties se sont fondées sur l’arrêt Ocean Port Hotel Ltd. c. Colombie‑Britannique, [2001] 2 R.C.S. 781, rendu par la Cour suprême du Canada, dans lequel la Cour suprême a examiné le degré d’indépendance dont jouissaient le président et les commissaires de la Liquor Appeal Board de la Colombie‑Britannique. Les avocats des deux parties ont cité les paragraphes 21 à 24 de cet arrêt, dont l’auteur est la juge en chef de la Cour suprême :

21     Confrontés à des lois muettes ou ambiguës, les tribunaux judiciaires infèrent généralement que le Parlement ou la législature voulait que les procédures du tribunal administratif soient conformes aux principes de justice naturelle : Ministre du Revenu national c. Coopers and Lybrand, [1979] 1 R.C.S. 495, p. 503; Law Society of Upper Canada c. French, [1975] 2 R.C.S. 767, p. 783-784. En pareilles circonstances, les tribunaux administratifs peuvent être liés par l’exigence d’un décideur indépendant et impartial, un des principes fondamentaux de la justice naturelle : Matsqui, précité (le juge en chef Lamer et le juge Sopinka); Régie, précité, par. 39; Katz c. Vancouver Stock Exchange, [1996] 3 R.C.S. 405. De fait, les tribunaux hésiteront à présumer que les législateurs avaient l’intention d’édicter des procédures contraires à ce principe, bien que le degré précis d’indépendance requis dépendra « de l’ensemble des circonstances, et notamment des termes de la loi en vertu de laquelle l’organisme agit, de la nature de la tâche qu’il accomplit et du type de décision qu’il est appelé à rendre » : Régie, par. 39.

 

 

22     Toutefois, comme pour tous les principes de justice naturelle, le degré d’indépendance requis des membres du tribunal administratif peut être écarté par les termes exprès de la loi ou par déduction nécessaire. Voir de façon générale : Innisfil (Municipalité du canton d’) c. Municipalité du canton de Vespra, [1981] 2 R.C.S. 145; Brosseau c.Alberta Securities Commission, [1989] 1 R.C.S. 301; Ringrose c. College of Physicians and Surgeons (Alberta), [1977] 1 R.C.S. 814; Kane c. Conseil d’administration de l’Université de la Colombie-Britannique, [1980] 1 R.C.S. 1105. En dernier ressort, c’est le Parlement ou la législature qui détermine la nature des relations entre le tribunal administratif et l’exécutif. Il n’est pas loisible à un tribunal judiciaire d’appliquer une règle de common law alors qu’il est en présence d’une directive législative claire. Les tribunaux judiciaires siégeant en révision de décisions administratives doivent se reporter à l’intention du législateur pour apprécier le degré d’indépendance requis du tribunal administratif en cause.

 

23     Ce principe traduit la distinction fondamentale entre tribunaux administratifs et tribunaux judiciaires. Du fait de leur compétence inhérente, les cours supérieures sont constitutionnellement tenues d’offrir des garanties objectives d’indépendance institutionnelle et individuelle. Le même impératif constitutionnel s’applique aux tribunaux provinciaux : Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour provinciale de l’Île-du-Prince-Édouard, [1997] 3 R.C.S. 3 (« Renvoi relatif aux juges de la Cour provinciale »). À l’origine, l’exigence de l’indépendance de la magistrature reposait sur la nécessité de marquer la séparation fondamentale entre les pouvoirs judiciaire et exécutif. Elle protégeait et protège toujours l’impartialité et l’image d’impartialité des juges en les gardant contre toute influence de l’extérieur, plus particulièrement celle de l’exécutif :  Beauregard c. Canada, [1986] 2 R.C.S. 56, p. 69; Régie, par. 61.

 

24     Par contre, les tribunaux administratifs ne sont pas constitutionnellement séparés de l’exécutif. Ils sont en fait créés précisément en vue de la mise en œuvre de la politique gouvernementale. Pour remplir cette fonction, ils peuvent être appelés à rendre des décisions quasi judiciaires. On peut considérer en ce sens qu’ils chevauchent la ligne de partage constitutionnelle entre l’exécutif et le judiciaire. Toutefois, vu que leur fonction première est d’appliquer des politiques, il appartient à bon droit au Parlement et aux législatures de déterminer la composition et l’organisation qui permettront aux tribunaux administratifs de s’acquitter des attributions qui leur sont dévolues. Même si certains tribunaux administratifs peuvent parfois être assujettis aux exigences de la Charte relatives à l’indépendance, ce n’est généralement pas le cas. Ainsi le degré d’indépendance exigé d’un tribunal administratif donné est fonction de l’intention du législateur et, en l’absence de contraintes constitutionnelles, il convient de respecter ce choix.

 

[67]           Les avocats de Mme Keen se sont également fondés sur une décision récente rendue par la Cour suprême de Colombie‑Britannique, McKenzie c. British Columbia (2006), 272 D.L.R. (4th) 455, dans laquelle on a mis fin à mi-mandat à la nomination d’un arbitre en matière de location de locaux d’habitation. Le juge McEwan a fait les observations suivantes aux paragraphes 149 et 150 :

[traduction]

149     La jurisprudence Ocean Port n’a pas répondu à la question de savoir ce qui advenait des tribunaux administratifs qui ne sont pas des décideurs du « gouvernement ». En concluant que les tribunaux administratifs tels que la Liquor Appeal Board ne sont pas constitutionnellement tenus d’être indépendants, la Cour suprême se penchait sur un organisme décisionnel qui exerçait des fonctions qui ne pouvaient pas être assimilées à celles des cours de justice en raison de la nature de cet organisme. Le rôle décisionnel de cet organisme, qui est chargé d’élaborer et d’appliquer des politiques est d’un type tel qu’il ne peut qu’être contrôlé, et non joué, par le juge.

 

150     Les tribunaux administratifs auxquels il est confié des compétences que l’on a retiré aux autorités judiciaires sont évidemment différents. Si la thèse des défendeurs était retenue, la même fonction juridictionnelle, sur le seul fondement qu’elle est exercée par l’autorité judiciaire ou par un tribunal administratif, peut nécessiter comme protection constitutionnelle d’être exercée par un arbitre indépendant et impartial, ou peut être laissée entre les mains d’un flagorneur soumis ou indigent qui aurait été catapulté dans le rôle de décideur par un gouvernement usant de son pouvoir discrétionnaire absolu. Il s’agit d’un tel affront à la notion de « tribunal indépendant et impartial » et de « procès public et équitable », qui est expressément garantie ailleurs dans le firmament constitutionnel, et ce raisonnement est tellement illogique et arbitraire qu’on ne peut le concilier avec la notion même d’Etat de droit.

 

[68]           De ces deux décisions, Ocean Port et McKenzie, il se dégage des principes généraux visant les situations où la loi habilitante n’est pas claire. La jurisprudence Ocean Port enseigne en outre que lorsque la loi peut être interprétée de façon raisonnable et claire, elle l’emporte sur toute notion générale fondée sur l’Etat de droit et la justice naturelle.

 

[69]           Les avocats du défendeur ont invoqué une jurisprudence tout à fait pertinente. Dans l’affaire Houle c. Canada, [1987] 2 C.F. 493, une personne avait été nommée commissaire de la Commission d’appel de l’immigration et en avait été désignée vice‑président. La loi pertinente disposait qu’un commissaire était nommé « à titre inamovible », mais était muette en ce qui concerne la désignation de vice‑président. Il s’agit exactement de la même situation en l’espèce. Le gouverneur en conseil avait mis fin aux fonctions de vice‑président du demandeur, M. Houle, mais non à ses fonctions de commissaire. Là encore, exactement comme en l’espèce, il a était soutenu que, vu la nomination à titre de commissaire et la désignation à titre de vice-président, la mention « à titre inamovible » s’appliquait aux deux postes. Le juge Martin, alors juge de la Cour, a fait les observations suivantes aux pages 504 et 505 de la décision Houle :

L’avocat soutient que le Parlement a indiqué expressément son intention que le demandeur occupe son poste de vice-président à titre inamovible aux paragraphes 60(5) et 61(4) qui lui permettent de continuer à agir en qualité de commissaire et de vice-président. Il prétend que les deux fonctions se sont confondues et que, par conséquent, il ne peut être mis fin à la fonction de vice-président du demandeur tant que ce dernier conserve son poste de commissaire. L’avocat ne cite aucun texte de doctrine ni aucun précédent à l’appui de cette prétention. Ces articles ne prévoient pas que ces fonctions se confondent de manière que le mandat à titre inamovible attaché au poste de commissaire [page 505] s’applique automatiquement à celui de vice-président et je ne vois aucun motif inhérent pour lequel les mandats devraient avoir une durée identique. Je le répète, si le Parlement avait voulu que le poste de vice-président soit occupé à titre inamovible, il aurait pu le prévoir dans la loi comme il l’a fait pour le poste de commissaire dans la Loi sur la Commission d’appel de l’immigration originale.

 

 

 

[70]           À la page 505 de la décision Houle, le juge Martin a rejeté la thèse de l’application de la mention « à titre inamovible » aux deux postes :

Au contraire, le Parlement a prévu dans la loi originale que les commissaires étaient nommés pour occuper leur poste durant « bonne conduite », mais il n’a pas précisé la durée du mandat de vice-président. À mon avis du moins, cela signifiait que le Parlement voulait que les articles 22 et 23 de la Loi d’interprétation s’appliquent au poste de vice-président. Lorsque le Parlement a adopté la Loi sur l’immigration de 1976, il s’est encore une fois penché sur la question de la durée du mandat. Il a prévu que les commissaires nommés en vertu de la loi originale étaient maintenus en fonctions « à titre inamovible » et que les commissaires nommés en vertu de la Loi sur l’immigration de 1976 l’étaient pour une durée limitée. Il n’a adopté aucune disposition en ce qui concerne la durée du mandat des vice‑présidents. Compte tenu des circonstances, il me semble encore une fois évident que le Parlement voulait que les articles 22 et 23 de la Loi d’interprétation s’appliquent au poste de vice-président et que ce dernier soit occupé à titre amovible.

 

On peut mettre fin sans motif aux postes occupés à titre amovible à moins qu’une protection particulière ne soit accordée à leurs titulaires. Si, comme le prétend le demandeur, le droit du gouverneur en conseil est limité d’une façon ou d’une autre, il doit prouver l’existence d’une quelconque limite légale, contractuelle ou réglementaire, expresse ou implicite. […]

 

[71]           Dans cette affaire, il était également soutenu que le poste de vice‑président était logiquement équivalent à celui de juge d’une cour supérieure et que le gouverneur en conseil ne pouvait révoquer l’intéressé selon son bon plaisir. Le juge Martin a aussi rejeté cette thèse, au motif que l’inamovibilité était accordée au commissaire et non pas au vice‑président. Il a fait les observations suivantes aux pages 508 et 509 :

La question de l’inamovibilité des fonctionnaires judiciaires a donc été soulevée dans chaque cas, mais elle concernait toutefois la durée de leur mandat en tant que fonctionnaires judiciaires et non pas comme administrateurs dans leurs domaines judiciaires respectifs. Aucun de ces précédents [page 509] n’est, à mon avis, utile au demandeur. L’inamovibilité dont il bénéficie et, par conséquent, son indépendance judiciaire découlent de sa nomination à titre de commissaire de la Commission d’appel de l’immigration et non de sa désignation comme vice-président.

 

[…]

 

Le demandeur a été nommé commissaire à titre inamovible. À mon avis, cela constituait une garantie suffisante de son indépendance dans l’exercice de ses fonctions judiciaires à titre de commissaire. La durée de son mandat à titre de vice-président n’a pas été précisée. Il occupait ce poste à titre amovible et on pouvait y être mettre fin sans motif. Il n’existait aucune disposition expresse prévue soit dans un contrat, soit dans le mandat qui lui a été confié au moment de sa nomination ou de sa désignation, soit dans le texte législatif en vertu duquel il occupait ce poste, qui limitait le droit du gouverneur en conseil de le révoquer sans motif et je ne peux non plus conclure qu’une telle limite existait implicitement.

 

 

[72]           La jurisprudence Houle a été confirmée par la Cour d’appel fédérale, (1988), 86 N.R. 38. Le juge Urie a exposé verbalement ses motifs succincts au nom de la Cour d’appel :

Le juge URIE : – Nous sommes tous d’avis que le juge de première instance n’a pas commis d’erreur lorsqu’il a conclu que la Loi sur l’immigration de 1976 accordait au gouverneur en conseil l’autorité et le pouvoir de révoquer la désignation de l’appelant en qualité de vice‑président de la Commission d’appel de l’immigration, et d’exercer ce pouvoir à volonté. Nous souscrivons de façon générale aux motifs pour lesquels le juge de première instance a tiré cette conclusion, bien qu’à notre sens, il n’était pas nécessaire de recourir à la Loi d’interprétation pour ce faire.

 

Par conséquent, l’appel sera rejeté avec dépens.

 

 

[73]           L’enseignement de la jurisprudence Houle formulé par la Cour et confirmé par la Cour d’appel fédérale donne une réponse complète à la thèse de Mme Keen portant sur l’interprétation des lois telles que celle qui est en cause en l’espèce, et qui dispose que les commissaires sont nommés à titre inamovible, mais qui est muette quant à la désignation de président (ou de vice‑président dans l’affaire Houle). Une telle désignation est faite « à titre amovible ».

 

[74]           Le quatrième point soulevé par les avocats de Mme Keen est que le mandat à durée fixe de la désignation à titre de président n’est pas compatible avec une nomination faite « à titre amovible ». Il ressort clairement du décret de la gouverneure générale concernant Mme Keen et des lettres patentes de Sa Majesté que la nomination de celle-ci à titre de commissaire fut faite pour une période de cinq ans. Il n’y a aucune mention de la durée de la désignation à titre de président.

 

[75]           Il faut rappeler que les lettres patentes délivrées par Sa Majesté à Mme Keen précisaient  clairement que la nomination de celle-ci en qualité de commissaire était faite « à titre inamovible » pour un mandat de cinq ans et que la désignation en qualité de présidente était faite « à titre amovible ». On ne saurait être plus clair.

 

[76]           Le dernier point soulevé par les avocats de Mme Keen porte sur les obligations internationales imposées au Canada par la Convention sur la sûreté nucléaire. Ils se fondent sur l’arrêt Baker c. Canada, [1999] 2 R.C.S. 817, dans lequel la juge L’Heureux‑Dubé, au nom de la majorité, a fait les observations suivantes au paragraphe 70 :

70       Les valeurs exprimées dans le droit international des droits de la personne peuvent, toutefois, être prises en compte dans l’approche contextuelle de l’interprétation des lois et en matière de contrôle judiciaire.  Comme le dit R. Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994), à la p. 330 :

                          

[traduction]  [L]a législature est présumée respecter les valeurs et les principes contenus dans le droit international, coutumier et conventionnel. Ces principes font partie du cadre juridique au sein duquel une loi est adoptée et interprétée. Par conséquent, dans la mesure du possible, il est préférable d’adopter des interprétations qui correspondent à ces valeurs et à ces principes.  [Je souligne.]

 

 

[77]           Au mieux, la jurisprudence Baker enseigne que le droit international, ou les obligations internationales, peuvent « être pris en compte » par le juge. Les avocats de Mme Keen ne m’ont indiqué aucune partie de la Convention sur la sûreté nucléaire qui porterait sur l’inamovibilité d’une personne désignée à titre de président d’une commission, telle que l’inamovibilité dont il est question en l’espèce, particulièrement dans le cas où cette personne peut continuer d’être commissaire. Cet argument ne m’éclaire en aucune manière.

 

[78]           En tenant compte de tout ce qui précède, je dois conclure que Mme Keen, même si elle est restée commissaire « à titre inamovible », avait été désignée présidente « à titre amovible », comme le signalent les lettres patentes de Sa Majesté. La jurisprudence Houle de la Cour et confirmée par la Cour d’appel fédérale, qui portait sur des textes législatifs presque identiques aux textes en cause en l’espèce, s’impose à la Cour; subsidiairement, la Cour est d’avis que son enseignement doit être retenu et qu’elle doit statuer dans le même sens en l’espèce.

 


CONCLUSION

[79]           La désignation de Mme Keen en qualité de présidente de la Commission fut faite « à titre amovible ». Par conséquent, en ce qui concerne son congédiement en tant que présidente, l’enseignement relatif à l’équité et la justice naturelle de la jurisprudence Dunsmuir a été suivi.

 

CONCLUSION ET DÉPENS

[80]           La présente demande sera donc rejetée. La présente affaire soulevait des questions difficiles d’intérêt général et les parties ont défendu leurs thèses de manière très judicieuses. Aucuns dépens ne seront donc adjugés.


JUGEMENT

PAR CES MOTIFS, LA COUR :

  1. Rejette la demande est rejetée;
  2. N’adjuge aucuns dépens.

 

 

« Roger T. Hughes »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

François Brunet, réviseur.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    T-246-08

 

INTITULÉ :                                                   LINDA KEEN c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA       

                                                           

LIEU DE L’AUDIENCE :                             OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 31 MARS 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :                                  LE 7 AVRIL 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Allan O’Brien

Steven Levitt

POUR LA DEMANDERESSE

 

John B. Laskin

Natalie Biderman

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nelligan O’Brien Payne

Avocats

1900-66, rue Slater

Ottawa (Ontario)  K1P 5H1

Télécopieur : 613-238-2098

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

 

 

 

Torys LLP

Bureau 300

79, rue Wellington Ouest

Boîte postale 270, Centre TD

Toronto (Ontario)  M5K 1N2

Télécopieur 416-865-7380

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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