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Date : 20090331

Dossiers : T-371-08

T-372-08

 

Référence : 2009 CF 269

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2009

En présence de monsieur le juge Harrington

Dossier : T-371-08

ENTRE :

ASTRAZENECA CANADA INC. ET

ASTRAZENECA AKTIEBOLAG

 

demanderesses

 

et

 

 

APOTEX INC. ET

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

 

 

Dossier : T-372-08

ET ENTRE :

ASTRAZENECA CANADA INC. ET

ASTRAZENECA AB

 

demanderesses

 

et

 

 

APOTEX INC. ET

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

VERSION PUBLIQUE DES MOTIFS CONFIDENTIELS

DE L’ORDONNANCE ET DE L’ORDONNANCE

PRONONCÉS LE 17 MARS 2009

 

  • [1] Le 7 mars 2010. Le protonotaire Aalto avait sûrement cette date en tête quand il a rejeté la requête présentée par AstraZeneca pour obtenir une ordonnance obligeant Apotex à divulguer certaines parties de la présentation abrégée de drogue nouvelle qu’elle a déposée auprès de Santé Canada. C’est sur cette décision que porte le présent appel. Le 7 mars 2008, AstraZeneca a déposé des demandes portant les deux présents numéros de dossier, en plus de cinq autres demandes, pour obtenir des ordonnances interdisant au ministre de délivrer à Apotex un avis de conformité à l’égard de ses comprimés génériques d’esoméprazole magnésien pour le traitement des ulcères gastriques et autres troubles nécessitant une réduction de la production d’acide gastrique, jusqu’à l’échéance des brevets versés au dossier du ministre. En vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), ces demandes ont pour effet d’empêcher le ministre de délivrer des avis de conformité jusqu’au 7 mars 2010, date à laquelle, en temps normal, la Cour devrait avoir rendu sa décision quant à la question de savoir si les diverses allégations contenues dans l’avis d’allégation d’Apotex sont justifiées.

 

  • [2] Le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) prévoit au paragraphe 6(7) qu’une partie comme AstraZeneca peut obtenir une ordonnance contre une autre partie comme Apotex pour l’obliger à produire en tout ou en partie les documents déposés auprès de Santé Canada pour appuyer sa demande visant à faire approuver sa version générique d’un médicament, approbation qui prend la forme d’un avis de conformité.

 

  • [3] Il est bien connu que ces demandes sont complexes et demandent du temps, alors que le temps file. En décembre 2007, le juge en chef a émis un Avis aux parties et à la communauté juridique indiquant que toutes les instances de ce type seraient poursuivies à titre d’instances à gestion spéciale. Les deux présentes demandes sont des instances à gestion spéciale. Le protonotaire Aalto est le gestionnaire d’instance. À ce titre, il a convoqué une conférence dans les meilleurs délais afin d’aborder un certain nombre de questions, comme l’établissement d’un calendrier et [traduction] « toute autre question utile permettant d’assurer une prise de décision qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ». En effet, selon un principe général énoncé à l’article 3 des Règles des Cours fédérales, « [l]es [...] règles sont interprétées et appliquées de façon à permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible ».

 

  • [4] Bien qu’en dressant l’inventaire des demandes on constate que des questions d’invalidité des brevets et de non-contrefaçon sont en litige, les requêtes dont était saisi le protonotaire Aalto portaient uniquement sur les allégations d’Apotex selon lesquelles elle ne contreferait pas les brevets canadiens no 2 290 963 (le brevet 963) et no 2 139 653 (le brevet 653). Le brevet 963 porte le titre « Trihydrate de magnésium S-oméprazole ». Son titre même indique une teneur en eau. Le brevet 653 porte le titre : « Sels optiquement purs de composés pyridinylméthylsulfinyl-1H-benzimidazole ». Les mots « optiquement purs » suggèrent l’idée d’énantiomères, comme le révèle la section Contexte du brevet.

 

  • [5] Dans ses avis d’allégation, Apotex affirme qu’elle ne contrefera pas le brevet 963 parce que son produit n’est pas un trihydrate. Toutefois, s’il l’est, elle avance l’idée d’une signification réfléchie et peut-être restreinte à donner aux revendications de l’invention, en particulier en ce qui a trait aux formes cristallines. En ce qui concerne le brevet 653, la principale allégation est que le brevet ne sera pas contrefait parce que son produit sera un sel de Mg2+ de l’ésoméprazole.

 

  • [6] Comme on l’a ultimement fait valoir devant le protonotaire Aalto, les requêtes d’AstraZeneca se limitaient principalement aux points suivants : 1) la teneur en eau de certains produits fabriqués par un fournisseur pour Apotex; 2) l’analyse par spectroscopie infrarouge (IR) mentionnée dans la présentation abrégée de drogue nouvelle et les détails fournis à cet égard.

 

  • [7] AstraZeneca s’appuyait sur un affidavit du Dr Stephen Byrn, un expert chimiste, tandis qu’Apotex s’appuyait sur l’affidavit du Dr Michael Cima, un autre expert chimiste. Ni l’un ni l’autre n’a été contre-interrogé. La position du Dr Byrn était que sans les renseignements réclamés, il ne pourrait vérifier si les allégations de non-contrefaçon d’Apotex étaient justifiées ou non. De l’autre côté, le Dr Cima était d’avis que les documents volontairement fournis par Apotex permettaient de faire cette vérification, et qu’il n’était pas nécessaire d’obtenir la production d’autres documents. Le protonotaire Aalto a préféré le témoignage du Dr Cima.

 

  • [8] S’appuyant sur l’affaire Biovail Corp. c. Canada (Ministre de la santé nationale et du bien-être social), 2002 CFPI 1143, 22 C.P.R. (4th) 503, aux paragraphes 40 à 43, il s’est dit d’avis qu’il incombait à AstraZeneca de prouver trois choses :

    1. la demande de divulgation a été formulée en temps opportun;

    2. les renseignements déjà fournis ne sont pas suffisants pour pouvoir traiter des questions en jeu;

    3. la divulgation des renseignements demandés est nécessaire et importante parce qu’elle est utile pour trancher les questions en litige dans l’instance.

 

  • [9] Bien que cette décision ait été confirmée par la Cour d’appel fédérale (2003 CAF 406, 29 C.P.R. (4th) 129), le juge Nadon, s’exprimant au nom de la Cour, ne s’en est pas remis à un critère officiel en trois volets. Il a estimé que la pertinence était le principal point à considérer. Ce point de vue a été repris par le protonotaire Aalto, puisqu’il a souligné qu’alors que la pertinence de l’information était une condition préalable pour que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire d’ordonner une divulgation, il n’était pas obligatoire de décider si l’information était également nécessaire et importante pour rendre une décision concernant la requête. En d’autres mots, la Cour ne va pas ordonner la divulgation de documents qu’elle juge non pertinents, mais d’un autre côté, elle pourrait ne pas ordonner la production de documents pertinents qui ne sont pas nécessaires pour trancher l’affaire sur le fond.

 

  • [10] Le protonotaire Aalto était d’avis que les renseignements fournis étaient suffisants pour permettre à AstraZeneca de déposer son dossier. Il a laissé la porte ouverte en affirmant qu’après la production du dossier d’Apotex, une nouvelle requête en production de documents pourrait être déposée. Il a dit : [traduction] « Ce que je puis dire, c’est qu’une fois que des éléments de preuve ont été déposés au dossier, s’il y a des renseignements dont AstraZeneca a encore besoin, et qui sont pertinents, nécessaires et importants, elle pourrait être en mesure de les demander ».

 

ANALYSE

  • [11] La décision du protonotaire Aalto, quoi qu’elle ait pu être, n’aurait pas pu être déterminante de l’issue de l’instance. Sa décision était discrétionnaire, et elle ne devrait être modifiée que s’il a exercé ce pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits (Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2003 CAF 488, 30 C.P.R. (4th) 40).

 

  • [12] AstraZeneca soutient que le protonotaire Aalto a commis une erreur aussi bien en fait qu’en droit. La faille de son raisonnement juridique serait liée au fait qu’il n’aurait pas dû ajourner la requête. Je ne vois aucun fondement à cet argument, puisqu’il n’y a rien dans le paragraphe 6(7) qui pourrait entraver le pouvoir discrétionnaire d’un décideur d’ajourner.

 

  • [13] Quant à l’erreur de fait, il est soutenu que le protonotaire pourrait ne pas avoir correctement tenu compte des faits. Le principal fait cité est qu’un des fournisseurs d’Apotex semble, en l’apparence, commencer son processus avec un élément qui correspond carrément à l’une des revendications du brevet. Si c’est le cas, il faut garder à l’esprit que la plainte du Dr Byrn est que l’avis d’allégation ne lui donne pas suffisamment de renseignements pour vérifier l’éventuelle teneur en eau et les possibles formes cristallines. Si cela devait ultimement être confirmé, alors les avis d’allégation d’Apotex pourraient ne pas constituer un énoncé détaillé comme il est prévu au Règlement, comme l’affirme AstraZeneca dans ses propres requêtes. Si le juge de première instance estime que le brevet est valide et interprété de la manière dont AstraZeneca aimerait qu’il le soit, et si les produits fournis au début du processus constituent une revendication pour le médicament en soi, alors Apotex est en grande difficulté, comme le confirme le jugement de la Cour d’appel dans Abbott Laboratories c. Canada (Santé), 2006 CAF 187, 56 C.P.R. (4th) 387.

 

  • [14] Compte tenu des échéanciers et des délais, l’ordonnance du protonotaire Aalto n’était pas clairement erronée; elle était éminemment raisonnable. Il n’y a pas de raison d’intervenir (Bande de Sawridge c. Canada, 2001 CAF 338, [2002] 2 RCF 346, et Apotex Inc. c. Lundbeck Canada Inc., 2008 CAF 265).

 

  • [15] Il faut garder à l’esprit que les parties à une demande, contrairement aux parties à une action, n’ont pas l’obligation de produire volontairement les documents qui pourraient être pertinents. En fait, cela valait aussi pour les actions avant que les anciennes Règles des cours ne soient modifiées en 1991. Aux termes de l’ancien article 447 des Règles, une partie avait seulement l’obligation de divulguer les documents pouvant être utilisés en preuve pour étayer l’une ou l’autre de ses allégations de fait, ou pour aider à réfuter l’une ou l’autre des allégations de fait de la partie opposée. La raison invoquée, et qui je crois s’applique encore aux demandes qui ont pour but d’être sommaires, a été énoncée par le juge en chef Jackett dans le « petit livre rouge » (Manual of Practice), publié en 1971 :

[traduction]
La raison invoquée pour restreindre ainsi la portée de la communication en tant que droit est d’ordre purement pratique : on estime d’une part qu’il existe relativement peu de cas où une partie peut fonder ses moyens de défense sur les documents qu’elle espère obtenir de son adversaire, et d’autre part que c’est une tâche pénible, ennuyeuse et difficile, qui entraîne des dépenses et des délais considérables, que de préparer une liste de documents qui pourraient être utiles à son adversaire. [...] Tout bien considéré, il semble probable que les frais et les délais qu’entraîne une telle communication l’emportent dans la plupart des cas sur les avantages théoriques qui en découlent.

 

  • [16] Les anciennes règles comportaient une position de repli, en ce sens que la Cour pouvait néanmoins ordonner une communication complète en vertu de l’article 448 des Règles. Actuellement, indépendamment du paragraphe 6(7) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), l’article 313 des Règles des Cours fédérales autorise également la Cour à demander le dépôt de documents additionnels si elle juge que le dossier n’est pas complet.

 

  • [17] Par mesure de prudence, si j’avais commis une erreur et que les circonstances m’obligeaient à exercer de nouveau mon pouvoir discrétionnaire, je ferais exactement ce que le protonotaire Aalto a fait, pour les motifs énoncés ci-dessus.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. L’appel interjeté à l’encontre de l’ordonnance délivrée par le protonotaire Aalto est rejeté.

  2. Apotex a droit à ses dépens, calculés en fonction d’une seule requête en appel.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIERS :  T-371-08 et T-372-08

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :  ASTRAZENECA CANADA INC. ET AL c. APOTEX INC. ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :   LE 10 MARS 2009

 

MOTIFS CONFIDENTIELS ET

PUBLICS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DE LA VERSION CONFIDENTIELLE

DES MOTIFS :  LE 17 MARS 2009

 

DATE DE LA VERSION PUBLIQUE

DES MOTIFS :   LE 31 MARS 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Yoon Kang

Urszula Woytyra

 

POUR LES DEMANDERESSES

Andrew Brodkin

Daniel Cappe

 

POUR APOTEX INC., DÉFENDERESSE

Personne n’a comparu

POUR LE MINISTRE DE LA SANTÉ, DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Smart & Biggar

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDERESSES

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR APOTEX INC., DÉFENDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE MINISTRE DE LA SANTÉ, DÉFENDEUR

 

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