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Date : 20090407

Dossier : IMM-3979-08

Référence : 2009 CF 352

Montréal (Québec), le 7 avril 2009

En présence de l'honorable Maurice E. Lagacé

 

ENTRE :

CUNA BALLESTEROS jOSE LUIS

MIRELES SALAZAR RUTH

demandeurs

 

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          Introduction

 

[1]               Le demandeur principal José Luis Cuna Ballesteros (demandeur) et sa conjointe Ruth Mireles Salazar, tous deux citoyens du Mexique, sollicitent en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi), le contrôle judiciaire de la décision rendue le 15 août 2008 par la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (tribunal) de ne pas leur reconnaître la qualité de « réfugiés », ni celle de « personnes à protéger » conformément au sens des articles 96 et 97 de la Loi et, en conséquence, d’avoir rejeté leur demande d’asile.

 

II.         Les faits

 

[2]               Le demandeur soutient qu’alors qu’il agissait à titre de vérificateur financier pour la Central independiente de obreros agricolas y campesinos (CIOAC), il aurait reçu des menaces de mort après avoir dénoncé à l’interne la gestion frauduleuse d’un des dirigeants de la CIOAC.

 

[3]               Le demandeur avait néanmoins cru opportun à cette occasion d’être interviewé par les médias sur la mauvaise gestion de la CIOAC, d’où la couverture médiatique qui suivit pour informer le public de l’affaire. À partir de là, le demandeur se mis à craindre les hauts dirigeants de la CIOAC ainsi que les paysans représentés par ce syndicat tant à raison de sa dénonciation de la fraude qu’à raison de son rôle de vérificateur financier de la CIOAC à l’époque de celle-ci.

 

[4]               Ayant ainsi perdu l’appui des dirigeants de son syndicat et reçu par la suite, lui et sa conjointe, des menaces que le demandeur se contente de dénoncer sans plus à la police en août 2006, voici que lui et sa conjointe décident, le 7 février 2007, de quitter leur pays et de venir réclamer l’asile au Canada.

 

 

III.       Décision du tribunal

 

[5]               Après avoir considéré et commenté les principaux éléments de la preuve et mis en relief les contradictions, les incohérences et les invraisemblances dans le récit du demandeur et celui de sa conjointe, le tribunal conclut que ceux-ci ne sont pas crédibles et que, même en admettant la véracité de leur récit, les demandeurs n’ont entamé aucune démarche sérieuse pour se prévaloir de la protection de leur pays d’origine, et conséquemment n’ont pas repoussé la présomption de protection de l’État qui s’applique dans un État démocratique comme le Mexique.

 

[6]               Pour ces motifs, le tribunal conclut que les demandeurs ne se qualifient pas comme « réfugiés » au sens de la Convention, ni comme « personnes à protéger » et en conséquence rejette leur demande d’asile.

 

IV.       Question en litige

 

[7]               La Commission a-t-elle commis une erreur déraisonnable dans son appréciation négative de la crédibilité des demandeurs et son refus de leur accorder le statut de « réfugiés » et de « personnes à protéger », et sa conclusion à l’effet qu’ils ont failli à leur fardeau de démontrer avoir fait des efforts suffisants pour se prévaloir de la protection de leur pays avant de réclamer celle du Canada?

 

 

V.        Analyse

 

            Norme de contrôle

[8]               Le présent recours soulève des questions mixtes de fait et de droit et est donc assujetti à la norme de la décision raisonnable telle que définie dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir). Il faut donc traiter avec déférence la décision du tribunal, qui comme dans la présente affaire, bénéficie d’une certaine expertise dans les affaires comme celle-ci où s’exerce sa juridiction.

 

[9]               Cette norme n’ouvre pas la porte à l’intervention souhaitée par les demandeurs. La Cour n’a qu’à se demander si la décision contestée est raisonnablement justifiée au regard des éléments de preuve et de l’état du droit s’y rapportant.

 

[10]           À l’intérieur de cette norme de contrôle, la Cour peut-elle conclure que la Commission erre lorsqu’elle décide que la demanderesse n’est ni une réfugiée et ni une personne à protéger au sens de la Loi?

 

            Prétentions des parties

[11]           Succinctement, les demandeurs reprochent au tribunal d’avoir erré en ne prêtant pas foi à leur récit donné sous serment et de n’avoir pas suffisamment considéré la situation particulière de leur pays et les motifs pour lesquels ils n’ont pas recherché la protection de celui-ci.

 

[12]           Le défendeur pour sa part soutient que les demandeurs ont fait défaut d’épuiser les recours présumés disponibles pour eux au Mexique avant de réclamer l’asile au Canada, qu’au surplus et tel que relevé par le tribunal, la crédibilité de leur récit laissait à désirer sur plusieurs points, et que de plus la décision du tribunal ne révèle aucune erreur déraisonnable pouvant justifier l’intervention de cette Cour.

 

Les demandeurs ont-ils satisfait à leur obligation d’épuiser les recours disponibles pour eux au Mexique avant de pouvoir réclamer l’asile au Canada ?

 

[13]           Le demandeur n’aurait formulé qu’une seule et unique plainte auprès des autorités mexicaines avant de réclamer l’asile au Canada, et même là, son témoignage s’avère contradictoire et imprécis.

 

[14]           Mais dans l’hypothèse où le demandeur aurait porté plainte à la police mexicaine, il se devait de faire plus que de se limiter à approcher celle-ci à une seule occasion. La police n’est pas le seul organisme au Mexique pouvant offrir protection à ses citoyens dans un cas de fraude médiatisée ayant fait plusieurs victimes parmi les paysans faisant affaires avec la CIOAC.

 

[15]           Les demandeurs se devaient au contraire d’épuiser tous les recours qui s’offraient à eux au Mexique avant de venir réclamer l’asile au Canada (Valencia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1136).

 

[16]           Il faut également rappeler qu’il existe une présomption de protection de l’État, particulièrement dans un État démocratique comme le Mexique (De La Rosa c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 83, Santos c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 793, Lazcano c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. n1630, Baldomino c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2007] A.C.F. n1638).

 

[17]           L’absence de démarches sérieuses et raisonnables entreprises par les demandeurs pour se prévaloir de la protection de leur pays ne leur permet pas de réfuter cette présomption, est fatale à leur demande, et justifiait le tribunal de conclure comme il l’a fait dans sa décision.

 

            Crédibilité des demandeurs

[18]           Même si cette conclusion de la Cour sur la question précédente suffit pour entrainer le rejet de la demande, il n’est peut-être pas complètement inutile de traiter de la crédibilité des demandeurs dans la mesure où le tribunal en fait ici le motif principal du rejet de la demande d’asile et que les demandeurs contestent cette conclusion.

 

[19]           Contrairement aux prétentions des demandeurs, le fait pour eux d’avoir attesté sous serment la véracité de leur récit n’empêchait pas le tribunal de douter de la véracité de celui-ci, dans la mesure où, comme c’est le cas ici, le tribunal prend soin de relever dans la preuve plusieurs contradictions et invraisemblances significatives qui viennent affaiblir leur récit au point de le rendre non crédible.

 

[20]           Les demandeurs soutiennent qu’avant de conclure à l’incohérence et l’invraisemblance de leur récit, le tribunal aurait dû tenir compte de tous les facteurs ou circonstances pouvant influer sur leur capacité de témoigner avec cohérence sans se contredire, ce que les demandeurs lui reprochent de ne pas avoir fait.

 

[21]           Mais le fait que le tribunal ne fasse pas état dans sa décision de tous les éléments de preuve que les demandeurs considèrent soutenir leurs prétentions ne signifie pas pour autant que le tribunal ignorait ceux-ci et n’en a pas tenu compte.

 

[22]           Rappelons que le tribunal est présumé avoir considéré tous les éléments de preuve qu’il est chargé d’analyser et peser (Florea c. Canada (ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 598 (C.A.F.). Les demandeurs oublient que lorsqu’un tribunal conclut qu’un revendicateur d’asile n’est pas crédible, comme c’est le cas ici, il n’a pas l’obligation d’expliquer tous les éléments qui soutiennent les allégations contraires à celles qu’il retient. Il suffit au tribunal, comme c’est le cas ici, de bien expliquer les motifs qui l’amènent à mettre en doute la crédibilité des demandeurs.

 

[23]           En tentant de convaincre la Cour que le tribunal erre dans les inférences négatives qu’il tire de la preuve à l’égard de leur crédibilité, les demandeurs cherchent en fait à justifier les éléments de preuve que le tribunal écarte ou met en doute parce que jugés non fiables, insatisfaisants, contradictoires ou invraisemblables. N’oublions pas que les demandeurs ont eu toute l’opportunité de présenter pleinement leur récit au tribunal et de le convaincre, mais malheureusement sans réussir.

 

[24]           Il n’appartient pas à cette Cour à ce stade-ci de refaire l’exercice, d’apprécier la preuve de nouveau et de substituer son opinion à celle du tribunal qui, en plus de bénéficier d’une certaine expertise en la matière, possède l’avantage unique d’avoir entendu les demandeurs sur leur récit et d’avoir pu apprécier leur comportement et leurs explications sur les contradictions que le tribunal leur opposait. Le tribunal demeure sans contredit mieux qualifié que cette Cour pour apprécier la crédibilité des demandeurs comme il l’a fait.

 

[25]           La Cour doit se contenter de vérifier si la décision de la Commission est justifiée et raisonnable dans le sens indiqué par l’arrêt Dunsmuir, précité. Les décisions touchant à la crédibilité constituent "l'essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits" et doivent recevoir une déférence considérable à l'occasion d'un contrôle judiciaire. Elles ne sauraient être infirmées à moins qu'elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve (Siad c. Canada (Secrétaire d'État) (C.A.), [1997] 1 C.F. 608, 67 A.C.W.S. (3d) 978, au para. 24; Dunsmuir, précité). Or, tel est loin d’être le cas ici.

 

[26]           Ici, le tribunal s’est penché sur les explications des demandeurs au cours de leur témoignage mais n’a pas cru les motifs invoqués pour quitter le Mexique et venir réclamer l’asile au Canada, et ceci, en raison d’incohérences, de contradictions et d’invraisemblances dans leur récit. N’ayant pas l’obligation d'accepter toutes les explications données par les demandeurs, le tribunal pouvait rejeter celles qu'il estimait ne pas être crédibles ou les rejeter toutes (Aguebor c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (C.A.F.), [1993] A.C.F. no 732, 42 A.C.W.S. (3d) 886; Rathore c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 42 (1re inst.) (QL)).

 

[27]           La preuve ici permettait au tribunal de conclure au manque de crédibilité du récit des demandeurs, et de décider qu’ils ne s’étaient pas déchargés de leur fardeau de démontrer leur qualification de réfugiés ou de personnes à protéger au sens de la Loi, et en conséquence de rejeter leur demande d’asile.

 

[28]           La Cour conclut ainsi que la décision visée par le présent recours n’est pas déraisonnable, ce qui entraîne le rejet de la demande de révision de celle-ci. Aucune question importante de portée générale n’ayant été proposée, aucune question ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

 

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

 

REJETTE la demande de contrôle judiciaire.

 

 

 

« Maurice E. Lagacé »

Juge suppléant

 


 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3979-08

 

INTITULÉ :                                       CUNA BALLESTEROS JOSE LUIS ET AL. c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               le 24 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LAGACÉ J.S.

 

DATE DES MOTIFS :                      le 7 avril 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Anthony Karkar

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Mario Blanchard

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Anthony Karkar

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

 

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur general du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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