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Date : 20090402

Dossier : IMM‑2824‑08

Référence : 2009 CF 343

Toronto (Ontario), le 2 avril 2009

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

Entre :

SAM YOUNG YOO, HO SUNG YOO,

et SUNG HOON YOO

demandeurs

 

et

 

le ministre de la citoyenneté

et de l’immigration

défendeur

motifs du jugement ET jugement

 

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), relativement à une décision d’un agent d’immigration (l’agent) rejetant la demande de dispense de Sam Young Yoo et de ses deux fils d’âge adulte afin de présenter au Canada une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d’ordre humanitaire (CH) en vertu de l’article 25 de la LIPR.

 

Contexte

 

[2]               Les demandeurs sont des citoyens de la Corée du Sud. Sam Young Yoo est arrivé au Canada en 1997 muni d’un visa de visiteur comme travailleur religieux pour l’Unitarian Church. En septembre 1999, ses deux fils sont arrivés munis d’une autorisation d’étude. Ho Sung Yoo (James) était âgé de 15 ans et Sung Hoon Yoo (Rubin) était âgé de 11 ans à leur arrivée au Canada. Pour subvenir aux besoins de ses enfants, Sam Young Yoo s’est trouvé un travail de cuisinier.

 

[3]               Les fils ont fréquenté l’école intermédiaire et l’école secondaire à Toronto. James fréquente actuellement l’Université York et Rubin, le College of Chinese Medicine. Sam Young Yoo est le chef de cuisinie au restaurant Well‑Being à Toronto.

 

[4]               Avant son arrivée au Canada, Sam Young Yoo a agi comme garant d’un prêt de 21 000 000 wons (30 000 $) fait à un ami. Son ami n’a pas remboursé le prêt, avec le résultat qu’en 1999 Sam Young Yoo était recherché pour avoir participé à une fraude (apparemment le non‑remboursement) en Corée, une affaire qui n’est toujours pas réglée.

 

[5]               Sam Young Yoo a renouvelé son statut au Canada jusqu’en août 2002. Il n’a pas été en mesure de renouveler son passeport coréen au cours de cette année‑là, en raison de la question de la fraude non réglée. Les demandeurs sont sans statut juridique depuis ce temps. En novembre 2005, les demandeurs ont présenté une demande sollicitant l’autorisation de faire une demande de résidence permanente pour CH depuis le Canada. Cette demande a été rejetée en juin 2008 et fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

 

Décision faisant l’objet du présent contrôle

 

[6]               L’agent a rejeté la demande de dispense pour CH visant à présenter une demande de résidence permanente au Canada parce que les demandeurs ne l’ont pas convaincu qu’ils subiraient des difficultés inhabituelles, injustifiées ou excessives s’ils devaient présenter leur demande de résidence permanente à l’étranger.

 

[7]               L’agent a résumé les renseignements fournis par les demandeurs et a conclu que l’établissement de Sam Young Yoo et de ses fils au Canada représentait ce à quoi on s’attendrait après un séjour de plus de neuf ans au Canada.

 

[8]               L’agent a conclu que Sam Young Yoo avait acquis de l’expérience dans l’industrie de la restauration et qu’il pouvait utiliser celle‑ci pour se réinstaller en Corée du Sud. De plus, l’agent a indiqué que les fils pouvaient poursuivre leurs études en demandant des autorisations d’étude internationales.

 

[9]               L’agent a souligné que les demandeurs avaient présenté des observations relativement à l’intérêt supérieur de l’enfant, indiquant qu’il était dans l’intérêt supérieur des fils du demandeur de demeurer au Canada pendant la présentation de la demande de résidence permanente. L’agent a jugé que les fils étaient des adultes à charge et a examiné leur situation, notamment les éléments suivants : la détérioration de leurs compétences linguistiques en coréen; leur fréquentation scolaire actuelle; les lettres de recommandation; leur intégration dans la société canadienne. L’agent a décidé qu’à titre d’adultes, ils pouvaient demander une autorisation comme étudiants internationaux, pendant que leur demande de résidence permanente était traitée depuis l’étranger de la manière habituelle. Les fils étaient âgés de 20 et 24 ans au moment de la décision CH.

 

Questions en litige

 

[10]           Bien que les demandeurs aient soulevé plusieurs questions, je considère que la question en litige dans le présent contrôle judiciaire est de savoir si l’agent a examiné l’intérêt supérieur des enfants de façon appropriée.

 

Norme de contrôle

 

[11]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a déclaré qu’il n’y avait que deux normes de contrôle : la norme de la décision correcte et la norme de la décision raisonnable. Selon la norme de la décision raisonnable, on ne devrait modifier la décision du décideur que s’il y a absence de justification, de transparence ou d’intelligibilité.

 

[12]           La CSC a conclu que pour déterminer la norme de contrôle applicable, il y avait deux étapes. La première étape consiste à vérifier s’il existe de la jurisprudence qui a évalué adéquatement la norme de contrôle applicable. Si c’est le cas, une évaluation complète n’est alors pas nécessaire.

 

[13]           La CSC a entrepris une analyse complète des décisions CH dans l’arrêt Baker c. Canada (M.C.I.), [1999] A.C.S. no 39. Dans l’arrêt Baker, la CSC a conclu que les décisions CH étaient assujetties à la norme de contrôle de la décision raisonnable simpliciter. En raison du virage adopté dans l’arrêt Dunsmuir en mars 2008, le juge Beaudry de la Cour fédérale a conclu que la norme de contrôle applicable aux décisions CH était la norme de la décision raisonnable : Mooker c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 518.

 

[14]           La décision examinée selon la norme de la décision raisonnable doit pouvoir résister à un « examen assez poussé » : Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748.

 

[15]           Par conséquent, la question en litige sera examinée selon la norme de la décision raisonnable.

 

Droit

 

[16]           Le paragraphe 11(1) de la LIPR est rédigé comme suit :

Visa et documents

11. (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

 

Application before entering Canada

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

 

[17]           Cependant, le paragraphe 25(1) de la LIPR prévoit que le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’exempter un demandeur de présenter une demande de résidence permanente à l’étranger si le demandeur convainc l’agent d’immigration qu’il y a lieu de faciliter son admission ou de lui accorder une exemption pour CH. Le paragraphe 25(1) est rédigé comme suit :

Séjour pour motif d’ordre humanitaire

25. (1) Le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui est interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative ou sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des circonstances d’ordre humanitaire relatives à l’étranger — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — ou l’intérêt public le justifient.

 

Humanitarian and compassionate considerations

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national in Canada who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister’s own initiative or on request of a foreign national outside Canada, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

 

[18]           Dans la décision Serda c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 356, au paragraphe 20, le juge de Montigny a déclaré que le paragraphe 25(1) de la LIPR donnait au ministre la souplesse d’autoriser les cas qui le justifiaient à être déposés au Canada. « Cette mesure se veut clairement une mesure d’exception, comme l’indique le libellé de cette disposition ».

 

[19]           L’expression « enfant à charge » est définie comme suit dans le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS 2002/227 :

« enfant à charge » L’enfant qui :

 

 

a) d’une part, par rapport à l’un ou l’autre de ses parents :

 

"dependent child", in respect of a parent, means a child who

 

(a) has one of the following relationships with the parent, namely,

 

(i) soit en est l’enfant biologique et n’a pas été adopté par une personne autre que son époux ou conjoint de fait,

 

(i) is the biological child of the parent, if the child has not been adopted by a person other than the spouse or common‑law partner of the parent, or

 

(ii) soit en est l’enfant adoptif;

 

(ii) is the adopted child of the parent; and

 

b) d’autre part, remplit l’une des conditions suivantes :

 

(b) is in one of the following situations of dependency, namely,

 

(i) il est âgé de moins de vingt‑deux ans et n’est pas un époux ou conjoint de fait,

 

(i) is less than 22 years of age and not a spouse or common‑law partner,

 

(ii) il est un étudiant âgé qui n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt‑deux ans ou est devenu, avant cet âge, un époux ou conjoint de fait et qui, à la fois :

 

(ii) has depended substantially on the financial support of the parent since before the age of 22 — or if the child became a spouse or common‑law partner before the age of 22, since becoming a spouse or common‑law partner — and, since before the age of 22 or since becoming a spouse or common‑law partner, as the case may be, has been a student

 

(A) n’a pas cessé d’être inscrit à un établissement d’enseignement postsecondaire accrédité par les autorités gouvernementales compétentes et de fréquenter celui‑ci,

 

(A) continuously enrolled in and attending a post‑secondary institution that is accredited by the relevant government authority, and

 

(B) y suit activement à temps plein des cours de formation générale, théorique ou professionnelle,

 

(B) actively pursuing a course of academic, professional or vocational training on a full‑time basis, or

 

(iii) il est âgé de vingt‑deux ans ou plus, n’a pas cessé de dépendre, pour l’essentiel, du soutien financier de l’un ou l’autre de ses parents à compter du moment où il a atteint l’âge de vingt‑deux ans et ne peut subvenir à ses besoins du fait de son état physique ou mental.

 

(iii) is 22 years of age or older and has depended substantially on the financial support of the parent since before the age of 22 and is unable to be financially self‑supporting due to a physical or mental condition.

 

Analyse

 

L’agent a‑t‑il examiné l’intérêt supérieur des enfants de façon appropriée?

 

[20]           Les demandeurs font valoir qu’au moment de la demande James et Rubin étaient âgés de 21 ans et de 17 ans, respectivement. Ils étaient tous deux des « enfants à charge » au moment de la décision parce qu’ils fréquentaient tous deux l’école à plein temps et dépendaient du soutien financier de leur père. Les demandeurs soutiennent que l’agent a considéré les deux fils comme des adultes et n’a pas examiné de façon appropriée leur situation dans le contexte de « l’intérêt supérieur de l’enfant ».

 

[21]           Les demandeurs prétendent que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle parce qu’il n’a pas tenu compte des éléments suivants dans sa décision : les répercussions sur leur intérêt supérieur en tant qu’enfants s’ils étaient forcés de quitter le Canada après y avoir vécu pendant neuf ans; la détérioration de leurs compétences linguistiques en coréen; les répercussions que cela aurait sur leurs études ici au Canada et les perspectives d’études moins favorables en Corée. De plus, l’agent n’a pas pris en considération le fait que leur mère les avait abandonnés en Corée. Les demandeurs disent que les motifs de l’agent n’établissent pas que celui‑ci était réceptif à l’intérêt supérieur des enfants.

 

[22]           Le défendeur souscrit à la conclusion de l’agent selon laquelle les fils du demandeur sont des adultes. Le défendeur fait valoir que la législation en matière d’immigration ne modifie pas la signification du mot « enfant ». Les fils du demandeur étaient âgés de 17 ans et de 21 ans au moment de la demande CH. Au moment de la décision, ils étaient âgés de 20 ans et de 24 ans. Ils ne devraient pas être considérés des enfants au sens de la notion d’« intérêt supérieur de l’enfant » énoncée dans l’arrêt Baker et en droit international.

 

[23]           Le défendeur soutient que la loi en matière d’immigration précise qui est admissible à la résidence permanente au Canada. Le Règlement énonce des critères objectifs pour définir qui est un « enfant à charge » aux fins de l’octroi de la résidence permanente. En l’espèce, les enfants sont tous deux âgés de plus de 18 ans; ils sont des adultes. Ils sont des enfants à charge uniquement parce qu’ils poursuivent leurs études postsecondaires à plein temps.

 

[24]           Le défendeur fait valoir que le Règlement prévoit qu’un enfant à charge âgé de plus de 22 ans doit être inscrit à des études à plein temps jusqu’au moment de la décision relative à la demande de résidence permanente. En outre, le Règlement est conçu pour autoriser les enfants adultes à être classés comme des enfants à charge uniquement lorsqu’ils continuent à dépendre du soutien financier de leurs parents. Le guide d’instructions relatif aux demandes de résidence permanente pour CH prévoit que les demandeurs peuvent inclure dans le cadre d’une même demande des membres de la famille au Canada à titre de personnes à charge, s’ils répondent aux exigences à cette fin. Cependant, cela ne fait pas d’un adulte un « enfant », de sorte que l’appréciation de l’intérêt supérieur de l’enfant est nécessaire.

 

[25]           Le défendeur indique que les fils ne demeurent pas des « enfants » peu importe leur âge simplement parce qu’ils sont considérés comme des « enfants à charge » pour les besoins de la demande. Le défendeur fait valoir que des personnes sont considérées comme des enfants si elles sont mineures, âgées de moins de 18 ans. La Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (1990) est entrée en vigueur au Canada en 1991. L’article premier est rédigé comme suit :

Au sens de la présente Convention, un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de dix‑huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable.

 

[26]           Le défendeur soutient qu’en aucun cas, qu’il s’agisse du droit canadien ou du droit international, les fils du demandeur ne seraient considérés comme des enfants. Ils sont des adultes, ce qui n’a pas d’incidence sur leur statut à titre d’« enfants à charge » aux fins de leur inclusion dans le cadre de la demande de leur père.

 

[27]           Le défendeur souligne qu’en ce qui a trait à l’intérêt supérieur de l’enfant, les observations ont changé de façon importante tout au long de la durée de la demande et du contrôle judiciaire. Au départ, les enfants auraient été retirés de l’école secondaire, puis les deux fils auraient poursuivi des études supérieures, ensuite les fils auraient mis fin à une relation de longue durée, et, enfin, ils n’auraient plus eu de lien important avec la Corée. De plus, compte tenu de la possibilité d’interdiction de territoire du père demandeur pour criminalité, les demandeurs ont demandé que les demandes des fils soient séparées et traitées individuellement pour les raisons suivantes :

[traduction] […] Les deux fils sont âgés de plus de 18 ans et pourraient, à ce moment‑ci, présenter des demandes CH distinctes. On estime que séparer la demande des fils de celle de leur père ne refléterait pas avec exactitude la dépendance émotive très étroite des fils à l’égard de leur père et cela réduirait ainsi les considérations d’ordre humanitaire en l’espèce. Il serait cependant injuste pour les garçons que l’interdiction de territoire de leur père ait une incidence sur leur demande.

 

[28]           De plus, l’agent a clairement indiqué que les observations présentées n’avaient pas démontré que les fils connaîtraient des difficultés s’ils devaient retourner en Corée. Le défendeur fait valoir que l’agent a conclu que la preuve était insuffisante pour justifier une exemption, et qu’il avait le pouvoir discrétionnaire de le faire.

 

[29]           Dans la décision Naredo c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 1250, le juge Gibson a examiné une décision CH dans laquelle des demandeurs chiliens avaient deux enfants adultes qui étaient nés au Canada et étaient des citoyens canadiens. Il a conclu que l’agente n’avait prêté aucune attention à l’intérêt des enfants dans les circonstances du départ possible de leurs parents vers un avenir incertain au Chili. À mon avis, le juge Gibson a nettement estimé que les deux enfants d’âge adulte avaient le droit de bénéficier de l’analyse relative à « l’intérêt supérieur de l’enfant » puisqu’ils seraient touchés de façon défavorable par le renvoi de leurs parents malgré le fait qu’ils soient âgés de 20 ans et de 22 ans. Il a écrit ce qui suit :

Les deux fils des demandeurs, quelque soit leur âge, étaient toujours des « enfants » des demandeurs dont on pouvait raisonnablement s’attendre qu’ils soient considérablement ébranlés par le renvoi de leurs parents du Canada.

 

[30]           Le défendeur m’a fourni une décision contraire, Hunte c. The Minister of Citizenship and Immigration, IMM‑3538‑03, une ordonnance prononcée le 16 mai 2003 par la juge Layden‑Stevenson. Il s’agissait d’une demande sollicitant la suspension d’une décision d’un agent d’exécution qui avait un point de vue quelque peu différent à propos des enfants adultes à charge. Je constate que dans cette affaire l’agent de renvoi avait tenu compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, même s’il n’était pas obligé de le faire. Je préfère néanmoins comme guide l’analyse plus complète réalisée à l’occasion du contrôle judiciaire dans Naredo, plutôt que celle relative à la demande en suspension mettant en cause la compétence limitée d’un agent d’exécution qui a été faite dans l’affaire Hunte, en raison de l’accessibilité plus grande des éléments de preuve examinés, de la portée de la prise de décisions et des arguments juridiques.

 

[31]           Le juge Mosley a déclaré ce qui suit à l’égard de la courtoisie judiciaire dans Benitez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 461, aux paragraphes 34 et 35; confirmé par [2007] A.C.F. no 735, 2007 CAF 199; autorisation de pourvoi refusée [2007] C.S.C.R. no 391 :

La courtoisie judiciaire n’est pas l’application de la règle du stare decisis, mais bien la reconnaissance du fait que les décisions de la Cour doivent être uniformes dans toute la mesure possible de façon que les parties puissent plus ou moins savoir à quoi s’attendre. Je suis conscient de la portée des propos tenus dans l’arrêt Re Hansard Spruce Mills Ltd., [1954] 4 D.L.R. 590 (C.S. C.‑B.) [à la page 592] :

[traduction] […] je n’ai nullement le pouvoir d’infirmer le jugement d’un collègue, je ne peux que tirer des conclusions différentes, ce qui aurait pour effet non pas d’assurer la certitude, mais de créer l’incertitude dans les règles de droit, parce que, à la suite d’une telle divergence d’opinions, le malheureux justiciable se trouve aux prises avec des conclusions contradictoires émanant de la même juridiction et ayant donc la même force.

Tout en gardant à l’esprit la notion de courtoisie judiciaire, j’ai conclu que je pourrai m’écarter des décisions rendues antérieurement par mes collègues uniquement si je suis convaincu que la preuve dont je suis saisi l’exige ou que les décisions rendues sont erronées parce qu’elles ne tiennent pas compte d’un précédent obligatoire ou d’une loi pertinente. À cet égard, j’aimerais signaler que, bien que le dossier présenté devant moi inclue la preuve dont était saisie la Cour dans l’affaire Thamotharem, elle comprend également de nouveaux éléments de preuve qui ne faisaient pas partie du dossier dans cette affaire.

 

[32]           Le raisonnement du juge Gibson dans Naredo me convainc que des enfants adultes peuvent bénéficier d’une analyse relative à « l’intérêt supérieur de l’enfant » et je m’écarterais de ce raisonnement uniquement si la preuve dont je suis saisi l’exigeait. En l’espèce, je conclus que les fils du demandeur méritent une analyse relative à l’intérêt supérieur de l’enfant pour les raisons suivantes :

a.                   leur père est le parent qui a assumé la responsabilité de s’occuper d’eux après que la mère eut abandonné la famille en 1995 et rejeté les fils en 1999;

b.                  les fils dépendent du soutien financier de leur père pendant qu’ils poursuivent leurs études;

c.                   le plus jeune fils, Rubin, n’a pas cessé de fréquenter l’école et de dépendre financièrement de son père;

d.                  l’autre fils, James, a brièvement quitté l’école, mais y est retourné pour poursuivre ses études et il dépend également financièrement de son père;

e.                   les fils n’ont pas choisi la situation dans laquelle ils se trouvent puisque comme enfants ils ont dû quitter leur mère en Corée et rejoindre leur père au Canada.

 

[33]           Dans l’arrêt Baker, au paragraphe 75, la juge L’Heureux‑Dubé a indiqué clairement que la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant n’était pas nécessairement déterminante. Elle a affirmé ce qui suit :

Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations, ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande d’ordre humanitaire même en tenant compte de l’intérêt des enfants. Toutefois, quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable.

 

[34]           Plus récemment, dans Laban et al. c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 661, au paragraphe 27, le juge Frenette a également statué que l’intérêt supérieur de l’enfant ne constituait pas un facteur déterminant. Alors que l’intérêt supérieur de l’enfant n’est pas déterminant, il constitue un facteur qui doit être pris en compte. Dans l’arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475, au paragraphe 6, le juge Décary a déclaré :

En pratique, l’agente est chargée de décider, selon les circonstances de chaque affaire, du degré vraisemblable de difficultés auquel le renvoi d’un parent exposera l’enfant et de pondérer ce degré de difficultés par rapport aux autres facteurs, y compris les considérations d’intérêt public, qui militent en faveur ou à l’encontre du renvoi du parent.

 

[35]           Dans Kolosovs c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 165, le juge Campbell a énoncé les éléments d’analyse concernant les facteurs que les agents d’immigration doivent connaître. Le juge Campbell a indiqué que « l’intérêt supérieur de l’enfant » requiert une analyse fondée sur les faits, mais que les agents d’immigration doivent avoir à l’esprit les lignes directrices en matière d’immigration. Parmi ces facteurs, il y a notamment :

·        l’âge de l’enfant;

 

·        le niveau de dépendance entre l’enfant et le demandeur CH;

 

·        le degré d’établissement de l’enfant au Canada;

 

·        les problèmes de santé ou les besoins spéciaux de l’enfant, le cas échéant;

 

·        les conséquences sur l’éducation de l’enfant.

 

[36]           Plusieurs décisions appuient l’affirmation selon laquelle l’intérêt supérieur de l’enfant doit être indiqué et examiné avec soin dans la décision (Jack c. Canada (M.C.I.), [2000] A.C.F. no 1189; Mughrabi c. Canada (M.C.I.), 2008 CF 898).

 

[37]           L’évaluation par l’agent de l’intérêt supérieur des enfants est problématique. En réponse aux observations des demandeurs concernant l’intérêt supérieur des fils, l’agent a énuméré toutes les observations présentées et les documents d’appui fournis. Abstraction faite de l’énumération, l’analyse de l’agent contient à peine ce qui suit et est soulignée ci‑dessous :

[traduction] Je reconnais que James et Rubin sont tous deux au Canada depuis près d’une décennie et qu’ils sont passablement intégrés dans la société canadienne. Je ne suis toutefois pas convaincu qu’ils subiraient des difficultés inhabituelles et injustifiées ou excessives s’ils devaient présenter une demande de résidence permanente à l’étranger de la manière habituelle. James et Rubin sont tous deux des adultes et s’ils le voulaient, ils pourraient poursuivre leurs études au Canada à titre d’étudiants internationaux en demandant leur autorisation d’étude pendant que leur demande de résidence permanente est traitée de la manière habituelle.

 

[38]           La juge Mactavish a critiqué une décision CH dans Adu c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 565, parce qu’elle n’avait pas suffisamment été motivée, et a déclaré ce qui suit :

À mon avis, ces « motifs » n’en sont pas du tout. Il s’agit plutôt essentiellement d’un résumé des faits et de l’énoncé d’une conclusion, sans aucune analyse étayant celle‑ci. L’agente a simplement examiné les facteurs favorables pour lesquels la demande pourrait être accueillie, concluant que, à son avis, ces facteurs n’étaient pas suffisants pour justifier l’octroi d’une dispense. Elle n’a cependant pas expliqué pour quelles raisons.

 

[39]           L’agent n’évalue pas l’incidence du renvoi du père sur les fils, un renvoi qui aura des répercussions qu’ils l’accompagnent ou non. L’agent n’évalue pas non plus les difficultés possibles suscitées par l’interruption des études des fils, indiquant plutôt qu’ils seront en mesure de présenter avec succès une demande à titre d’étudiants internationaux, malgré le fait que cette ligne de conduite est fonction d’une décision distincte d’un agent des visas. Enfin, l’agent considère simplement les fils comme des adultes, terminant abruptement toute analyse concernant l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

[40]           Je conclus que l’agent était tenu de faire une analyse relative à l’intérêt supérieur de l’enfant en prenant en compte la situation des fils et qu’il ne l’a pas fait. Je conclus que la décision CH de l’agent était déraisonnable.

 

Question certifiée

 

[41]           Les demandeurs ont présenté plusieurs questions à certifier comme étant des questions de portée générale et auxquelles le défendeur s’est opposé. Vu que j’ai suivi la décision Naredo, une décision de 2002 bien établie, relativement à la question fondamentale, je juge qu’il n’y a aucune question à certifier.


 

JUGEMENT

 

            La cour statue que :

 

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.

 

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


Cour fédérale

 

Avocats inscrits au dossier

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM‑2824‑08

 

 

INTITULÉ :                                       Sam Young Yoo et al. c. MCI

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 mars 2009

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Mandamin

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 2 avril 2009

 

 

Comparutions :

 

Ronald Poulton

 

Pour les demandeurs

 

Rhonda Marquis

 

Pour le défendeur

 

 

Avocats inscrits au dossier :

 

Ronald Poulton

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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