Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

 

Date : 20090331

Dossier : DES-5-08

Référence : 2009 CF 340

 

 

Ottawa (Ontario), le 31 mars 2009

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

ENTRE :

AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR);

 

ET le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale conformément au paragraphe 77(1) de la LIPR;

 

ET une demande visant à nommer des avocats spéciaux pour obtenir l’accès, en tout ou en partie, à 8 dossiers relatifs à des renseignements de sécurité;

 

ET Mohamed HARKAT

 

 

 

MOTIFS EXPURGÉS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Le 22 février 2008, les ministres ont déposé un certificat à la Cour fédérale déclarant Mohamed Harkat interdit de territoire au Canada pour des raisons de sécurité nationale. Les ministres ont également déposé un rapport confidentiel sur les renseignements de sécurité (le RRS) qui expose les motifs et contient les renseignements de référence à l’origine du certificat. Un résumé public des renseignements et d’autres éléments de preuve a été déposé et fourni à M. Harkat pour qu’il soit suffisamment informé des allégations présentées par les ministres en vertu du paragraphe 77(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés L.C. 2001 ch. 27 (la LIPR).

 

[2]               Des avocats spéciaux ont été nommés le 4 juin 2008. Des copies du RRS secret et du RRS public ont été fournis aux avocats spéciaux après leur nomination et après qu’ils eurent été mis au courant par M. Harkat et ses avocats.

 

[3]               Dans un document préparé le 20 août 2008, et dans un addenda subséquent, les avocats spéciaux ont formulé des demandes importantes de communication en plus des renseignements qui leur avaient été fournis sous forme d’annexes au RRS confidentiel (pièces SA-3 et SA-3a).  

 

[4]               Durant la semaine du 10 au 15 septembre 2008, la Cour a entendu les observations et les témoignages sur la portée de la divulgation exigée par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Charkaoui c. Canada, 2008 CSC 38 (Charkaoui no 2). Le 24 septembre 2008, la Cour a ordonné que [traduction] « les ministres et le SCRS ont déposé les informations et les renseignements concernant Mohamed Harkat y compris, mais sans s’y restreindre, les brouillons, les diagrammes, les enregistrements et les photographies que possède le SCRS ou des documents […] ».

 

[5]               La divulgation ordonnée dans l’arrêt Charkaoui no 2, le 24 septembre 2008, répondait à un certain nombre de demandes de renseignements additionnelles faites par les avocats spéciaux dans les pièces SA-3 et SA-3a. En fait, la liste de documents demandés par les avocats spéciaux dans ces pièces a été utilisée comme point de départ à la discussion sur l’obligation de divulgation selon l’arrêt Charkaoui no 2.

 

[6]               Les avocats spéciaux ont fait deux autres demandes en vue d’obtenir les dossiers personnels d’un enquêteur du Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS) et les sources humaines qui ont fourni l’information au SCRS concernant M. Harkat. Ces demandes ont été traitées dans deux décisions distinctes de la Cour (2009 CF 203 et 2009 CF 204).

 

[7]               À ce jour, les ministres ont communiqué plus de 2 000 documents contenant au moins 8 000 pages. Initialement, de nombreux retranchements avaient été faits à ces documents en fonction de leur pertinence et des assertions liées aux privilèges juridiques, notamment celui relatif aux sources humaines secrètes de renseignement.  

 

[8]               Au cours de l’examen sur la divulgation fondé sur l’arrêt Charkaoui no 2, les avocats spéciaux ont écrit à la Cour le 16 février 2009 au sujet de questions non réglées sur la divulgation qui avaient été soulevées dans leurs demandes de communication initiales datées des mois d’août et septembre 2008. En particulier, les avocats spéciaux ont demandé d’obtenir l’accès en entier à dix fichiers de renseignements du SCRS concernant les personnes et les groupes suivants :

·        (…)

·        (…)

·        (…)

·        (…)

·        (…)

·        (…)

·        (…)

·        (…)

·        (…)

·        (…)

 

 

Les avocats spéciaux ont également demandé la divulgation du montant exact payé aux sources humaines pour chaque élément d’information concernant M. Harkat qu’elles ont fourni au SCRS. En outre, ils ont demandé si ces mêmes sources humaines avaient fourni des renseignements additionnels au sujet d’autres personnes présentant un intérêt pour le SCRS et si elles avaient été payées pour de tels renseignements. Aucune justification n’a été donnée à l’appui de ces demandes le 26 février 2009. La Cour a entendu d’autres observations relativement à cette demande le 24 mars 2009 et, par conséquent, ces demandes seront examinées dans des motifs de jugement distincts.

 

[9]               Le 12 mars 2009, la Cour a examiné les retranchements faits à 67 documents en présence des avocats des ministres, un témoin et un avocat spécial et a annulé la plupart de ces retranchements examinés. À la suite de cette audience, une ordonnance a été rendue le 12 mars 2009, enjoignant aux ministres de revoir et d’annuler d’autres retranchements faits par rapport à des personnes et des groupes mentionnés dans le RRS confidentiel. (Ordonnance du 12 mars 2009, dans DES-5-08)

 

[10]           La question qu’il faut se poser est de savoir si l’obligation de divulgation établie dans l’arrêt Charkaoui no 2 exige que les ministres donnent suite aux demandes de communication formulées par les avocats spéciaux dans leur lettre datée du 26 février 2009.

 

[11]           Ces demandes ont été ainsi formulées par M. Copeland :

·        (…)

·        (…)

·        (…)

·        (…)

·        (…)

·        (…)

·        (…)

·        (…)

 

[12]           Les ministres affirment qu’ils ont exécuté l’ordonnance du 24 septembre 2008 rendue par la Cour, et qu’ils ont fourni tous les renseignements dont la divulgation était exigée suivant l’arrêt Charkaoui no 2. Selon eux, les avocats spéciaux détiennent tous les renseignements concernant M. Harkat sous le contrôle du SCRS ou en sa possession. Les avocats des ministres soutiennent aussi que la demande de communication additionnelle n’est pas pertinente quant à la décision des ministres de délivrer un certificat de sécurité visant M. Harkat, puisque cela va beaucoup plus loin que ce que les ministres sont tenus de divulguer. Plus particulièrement, ils soulignent qu’à certains égards, les demandes de communication additionnelles portent sur des renseignements dont il a déjà été question dans le document relatif à Charkaoui no 2. Les ministres allèguent de plus que les avocats spéciaux tentent de faire indirectement ce que la Cour a jugé qu’ils ne pouvaient faire directement; à savoir, identifier les sources humaines (2009 FC 204).

 

[13]           Les avocats spéciaux allèguent que la jurisprudence de la Cour suprême sur l’obligation de divulgation dans les affaires relatives à des certificats de sécurité leur donne le droit d’obtenir l’accès à tous les dossiers qu’ils demandent. M. Copeland, l’un des avocats spéciaux, a soutenu que les avocats spéciaux ont droit à la divulgation des huit dossiers de renseignements susmentionnés :

[traduction]

 

[…] à mon avis, les avocats spéciaux, compte tenu de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada sur les obligations de divulgation dans les affaires en matière de certificat de sécurité, ont droit à la divulgation de tous les dossiers qui ont été demandés […] (voir la lettre de M. Copeland, datée du 26 février 2009), page 1).

 

[14]           Dans l’arrêt Charkaoui no 2, la Cour suprême a écrit au paragraphe 2 :

[…] À notre avis, le Service canadien du renseignement de sécurité (« SCRS ») est tenu de divulguer aux ministres les informations qu’il détient au sujet de la personne visée par le certificat de sécurité. Pour leur part, les ministres doivent porter ces informations à la connaissance du juge désigné […].

 

[15]           La Cour suprême a poursuit en décrivant cette obligation de divulgation au paragraphe 50, où elle a indiqué que :

Les principes de divulgation de la preuve sont bien établis en droit pénal. L’évaluation du caractère raisonnable des certificats de sécurité devant la Cour fédérale se situe dans un contexte différent de celui du procès pénal. À proprement parler, aucune accusation n’est portée contre la personne visée par le certificat. Dans une optique de prévention ou de protection de la sécurité publique, les ministres veulent expulser du territoire canadien la personne en cause. Cependant, l’importance des conséquences de la procédure pour la liberté et la sécurité de la personne visée mettent en cause des intérêts protégés par l’art. 7 de la Charte. Une forme de divulgation de l’ensemble de la preuve, plus complète que les simples résumés fournis aux ministres et au juge désigné par le SCRS selon sa pratique actuelle, s’impose pour protéger les droits fondamentaux affectés par la procédure des certificats de sécurité.

 

[16]           Dans la présente demande, les avocats spéciaux demandent l’accès à huit dossiers sur des renseignements de sécurité, en tout ou en partie, concernant des personnes ou des organisations auxquelles M. Harkat est lié selon le RRS. Les renseignements demandés ne concernent pas M. Harkat, puisque, dans la mesure où les ministres se sont conformés à mon ordonnance du 12 mars 2009, les avocats spéciaux ont obtenu les renseignements concernant M. Harkat sous le contrôle du SCRS ou en sa possession.

 

[17]           Les motifs donnés par la Cour suprême dans l’arrêt Charkaoui no 2 n’obligent pas le SCRS à divulguer tous ses documents concernant chacune des personnes ou organisations liée à M. Harkat. Une telle interprétation de la décision obligerait le SCRS à divulguer des milliers et des milliers de documents qui ne contiendraient pas de renseignements sur M. Harkat, mais des renseignements concernant d’autres personnes ou organisations. La Cour suprême du Canada ne pouvait avoir l’intention que la Cour et les avocats spéciaux se fassent communiquer les documents relatifs aux renseignements complets sur tous les prétendus associés ou intermédiaires de M. Harkat. Le SCRS est tenu de divulguer tous les renseignements qu’il détient au sujet de M. Harkat. Interpréter l’arrêt Charkaoui no 2 autrement dénaturerait l’intention du législateur qui veut que ces instances soient réglées de manière aussi expéditive et informelle que possible dans la mesure où les circonstances et les considérations d’équité et de justice naturelle le permettent.

 

[18]           Étant donné que les documents sollicités par les avocats spéciaux ne sont pas des dossiers concernant M. Harkat et qu’ils ne sont pas, à mon avis, visés par l’obligation de divulgation énoncée dans l’arrêt Charkaoui no 2, ces documents sont-ils nécessaires aux avocats spéciaux pour qu’ils soient capables de remplir le rôle que leur a confié le législateur?

 

[19]           Le rôle de l’avocat spécial dans la présente instance est défini dans les dispositions de la loi pertinente. Selon le paragraphe 85.1(1) de la LIPR, le rôle de l’avocat spécial est de défendre les intérêts de la personne désignée lors de toute audience tenue à huis clos et en l’absence de celle-ci. Pour remplir leur rôle, les avocats spéciaux peuvent contester l’affirmation des ministres voulant que la divulgation de renseignements porterait atteinte à la sécurité nationale (l’alinéa 85.1(2)a) de la LIPR); ils peuvent également contester la pertinence, la fiabilité et la suffisance des renseignements qui n’ont pas été communiqués à l’intéressé (l’alinéa 85.1(2)b) de la LIPR). La Loi leur confère des pouvoirs particuliers de présenter des observations oralement ou par écrit à l’égard des renseignements divulgués lors des audiences à huis clos et de contre-interroger les témoins à huis clos et en l’absence de la personne visée (alinéas 85.2a) et b) de la LIPR). Les avocats spéciaux peuvent également exercer, avec l’autorisation du juge, tout autre pouvoir nécessaire à la défense des intérêts de la personne désignée (alinéa 85.2c) de la LIPR). (Voir également Re Almrei 2008 CF 1216, au paragraphe 51, par le juge en chef Lutfy et Re Almrei 2009 CF 322, aux paragraphes 8, 9 et 29, par le juge Mosley).

 

[20]           La Cour signale que, à ce jour, les avocats spéciaux ont obtenu :

 

-                     Tous les renseignements à l’appui du RRS confidentiel qui constituent les motifs sur lesquels les ministres se sont fondés pour formuler leurs allégations contre M. Harkat.

 

-                     D’autres renseignements confidentiels (les renseignements visés par Charkaoui no 2) sous le contrôle du SCRS ou en sa possession concernant M. Harkat, peu importe s’ils se trouvent dans le dossier d’enquête ou autre dossier du SCRS. Comme il a déjà été mentionné, ces renseignements se trouvent dans plusieurs milliers de documents qui représentent plus de 8 000 pages.

 

[21]           Les avocats spéciaux n’ont pas établi par une preuve claire et convaincante de quelle manière les renseignements additionnels qu’ils ont demandés le 26 février 2009 les aideraient à évaluer la fiabilité des renseignements et des éléments de preuve produits par les ministres lors de l’audience à huis clos. Obliger le SCRS à produire tous les renseignements (huit dossiers de renseignements en tout ou en partie) sollicités par les avocats spéciaux entraînerait la divulgation de milliers de documents qui devraient être examinés un après l’autre pour déterminer s’ils visent la personne ou le groupe en cause et s’ils sont assujettis à un privilège juridique. Une telle ordonnance s’apparenterait à une recherche à l’aveuglette et retarderait de manière inacceptable la présente instance qui, selon la loi, doit être réglée de manière aussi expéditive et informelle que possible tout en étant assujettie aux exigences fondamentales de justice naturelle.

 

[22]           La présente instance consiste à examiner le caractère raisonnable d’un certificat signé par deux ministres attestant que M. Harkat est interdit de territoire au Canada suivant les alinéas 34(1)c), 34(1)d) et 34(1)f) de la LIPR. Ce certificat a été signé et renvoyé à la Cour sur le fondement de renseignements confidentiels qui ont été fournis aux avocats spéciaux dans le RRS confidentiel. Une version publique de ce document a été remise à M. Harkat sous la forme d’un RRS public déposé conformément au paragraphe 77(2) de la LIPR qui a subséquemment été étendu à l’alinéa 83(1)e) de la LIPR. D’autres résumés de renseignements, ainsi que des documents publics et les motifs du jugement ont également été fournis à M. Harkat en application de l’alinéa 83(1)e) de la LIPR. Ces demandes de communication de documents additionnels, faites par les avocats spéciaux, débordent largement du mandat de la Cour et sont analogues à ce qui serait exigé des ministres dans le cadre d’une enquête menée par la Commission royale d’enquête ou tout autre organisme de surveillance prévu par la loi.

 

[23]           Je ne peux conclure que, compte tenu des exigences actuelles de divulgation, les avocats spéciaux sont incapables de défendre les intérêts de M. Harkat ou que celui-ci est traité injustement par la limite imposée à l’obligation de divulgation du SCRS à l’égard des renseignements concernant M. Harkat sous son contrôle ou en sa possession.

 

[24]           Des audiences publiques et à huis clos doivent reprendre en avril, mai et juin 2009. Au cours des audiences à huis clos, il est possible que les avocats spéciaux contestent la fiabilité et la suffisance des éléments de preuve confidentiels produits par les ministres pour justifier le caractère raisonnable du certificat. Sans autre raison invoquée à l’appui des renseignements demandés, je conclus, à ce moment-ci, que les avocats spéciaux sont en mesure de défendre les intérêts de M. Harkat, tel que requis par la loi.

 

[25]           Ma conclusion n’empêche pas les avocats spéciaux de déposer subséquemment des demandes qui sont propres et justifiées par rapport à leur rôle dans les présentes instances. Le juge conserve le pouvoir d’autoriser les avocats spéciaux à prendre des mesures additionnelles pour défendre les intérêts de la personne désignée (alinéa 85.2c) de la LIPR). Sans justification claire et précise, ce pouvoir discrétionnaire ne devrait pas être exercé de manière à dénaturer l’intention du législateur et à prolonger indûment le délai d’une demande visant à déterminer le caractère raisonnable d’un certificat de sécurité signé par les ministres.

 

JUGEMENT

 

PAR CONSÉQUENT, LA COUR ORDONNE :

 

-                      Les demandes de communication formulées par les avocats spéciaux le 26 février 2009 sont rejetées.

 

« Simon Noël »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif, LL.B., B.A. Trad.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :                                        DES-5-08

 

INTITULÉ :                                       AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR);

 

ET le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale conformément au paragraphe 77(1) de la LIPR;

 

ET une demande visant à nommer des avocats spéciaux pour obtenir l’accès, en tout ou en partie, à huit dossiers relatifs à des renseignements de sécurité;

 

                                                            ET Mohamed HARKAT

 

MOTIFS DU JUGEMENT :            LE JUGE S. NOËL

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 31 mars 2009

 

COMPARUTIONS :

 

Andre Seguin

 

P. Copeland

P. Cavalluzzo

POUR LE DEMANDEUR

 

AGISSANT À TITRE D’AVOCATS SPÉCIAUX

 

AVOCATS INSCRTIS AU DOSSIER :

 

JOHN H. SIMS

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

WEBBER SCHROEDER GOLDSTEIN ABERGEL,

et

BAYNE SELLAR BOXALL

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

Paul COPELAND

et

Paul CAVALLUZZO

AGISSANT À TITRE D’AVOCATS SPÉCIAUX

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.