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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20090331

Dossier : T‑1238‑08

Référence : 2009 CF 328

Toronto (Ontario), le 31 mars 2009

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

ENTRE :

LYNNE CHERYL KATZ et

ORNO HOLDINGS LTD.

demanderesses

et

 

LA BANQUE DE NOUVELLE‑ÉCOSSE,

MARIA IAFRATE et MONICA PRASAD

 

défenderesses

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               La Cour avait à instruire trois requêtes à Toronto, le 30 mars 2009 :

a.       une requête datée du 23 septembre 2008 et présentée au nom des défenderesses afin qu’en application de l’article 181 des Règles des Cours fédérales (les Règles), il soit ordonné aux demanderesses de donner des précisions sur les allégations figurant dans leur déclaration, tel qu’il est demandé dans la requête pour précisions jointe à titre d’annexe A à l’avis de requête;

 

b.      une requête datée du 14 octobre 2008 et présentée au nom des demanderesses afin que, par ordonnance décernée en application de l’article 210 des Règles des Cours fédérales, jugement par défaut soit rendu contre les défenderesses parce qu’elles n’ont pas signifié et déposé une défense dans le délai prévu à l’article 204;

 

c.       une requête datée du 27 février 2009 et présentée au nom des défenderesses afin qu’en application de l’article 221 des Règles, soit ordonnée la radiation de la déclaration des demanderesses pour absence de compétence quant à l’objet des réclamations qui y sont formulées.

 

La Cour a d’abord entendu les observations relatives à la dernière requête. Compte tenu de la décision que je rends à l’égard de celle‑ci, il ne sera pas nécessaire que j’examine les deux autres.

 

[2]               Les demanderesses étaient titulaires de comptes de la banque défenderesse. Les personnes physiques défenderesses étaient à l’époque pertinente directrice de succursale et employée, Service à la clientèle, à la succursale de la banque à l’intersection des rues Yonge et Lawrence à Toronto (Ontario).

 

[3]               Les demanderesses soutiennent que les défenderesses ont divulgué des renseignements contrairement à leurs directives et, ce faisant, ont manqué à leur obligation de confidentialité à leur endroit et porté atteinte à leur vie privée. Les demanderesses ajoutent que les défenderesses n’ont pas fermé leurs comptes comme elles leur avaient enjoint de le faire, et qu’elles en ont subi un préjudice. Les demanderesses appuient leurs réclamations contre les personnes physiques défenderesses en faisant valoir, subsidiairement, que celles‑ci ont outrepassé les pouvoirs dont elles disposaient.

 

[4]               Les requêtes se fondaient sur la déclaration déposée le 11 août 2008. Le 18 mars 2009, après l’introduction des requêtes, les demanderesses ont déposé une déclaration modifiée. Les défenderesses n’ont pas fait défaut de déposer une défense à cette demande modifiée en application des Règles des Cours fédérales, de sorte que le dépôt de la déclaration modifiée a rendu la requête en jugement sommaire prématurée. L’avocate des défenderesses a en outre informé la Cour que la demande modifiée donnait suite, en partie, à la requête pour précisions présentée. Quoi qu’il en soit, la Cour a ordonné que la requête en radiation soit instruite la première parce que, si elle devait être accueillie, les deux autres requêtes deviendraient inutiles et sans intérêt pratique. Les deux parties se sont dites disposées à plaider sur cette requête sur le fondement de la déclaration modifiée récemment déposée. Par suite de la requête en radiation, j’ai indiqué que celle‑ci serait accueillie. Je vais maintenant exposer les motifs de cette décision.

 

[5]               La demande des demanderesses est présentée, comme suit, dans la déclaration modifiée déposée le 18 mars 2009.

[traduction]

1.         La demanderesse Lynne Cheryl Katz (Mme Katz) réclame contre les défenderesses, solidairement, pour manquement à l’obligation de confidentialité, atteinte à la vie privée, négligence et rupture de contrat :

a)         des dommages‑intérêts généraux de 100 000 $,

b)         des dommages‑intérêts spéciaux, d’un montant à préciser avant le procès,

c)         les intérêts avant et après jugement et les dépens en conformité avec la Loi sur les tribunaux judiciaires,

d)         les autres mesures de redressement que la Cour pourra juger indiquées.

 

2.         La demanderesse Orno Holdings Ltd. (la société demanderesse) réclame contre les défenderesses, solidairement, pour manquement à l’obligation de confidentialité, atteinte à la vie privée, négligence et rupture de contrat :

a)         des dommages‑intérêts généraux de 750 000 $,

b)         des dommages‑intérêts spéciaux, d’un montant à préciser avant le procès,

c)         les intérêts avant et après jugement et les dépens en conformité avec la Loi sur les tribunaux judiciaires,

d)         les autres mesures de redressement que la Cour pourra juger indiquées.

 

 

 

[6]               Selon le critère en trois volets énoncé dans l’arrêt ITO‑International Terminal Operators Limited c. Miida Electronics Inc., [1986] 1 R.C.S. 752, pour que la Cour ait compétence, il doit y avoir attribution de compétence par une loi, il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales qui soit essentiel à la solution du litige, et la loi invoquée dans l’affaire doit être « une loi du Canada » au sens où cette expression est employée à l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867. À un stade préliminaire, une déclaration ne peut être radiée pour absence de compétence que si celle‑ci est claire et évidente (Sokolowska c. Canada, 2005 CAF 29).

 

[7]               Les demanderesses font valoir que le comportement contesté des défenderesses sur lequel se fonde leur action contrevient à la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, L.C. 2000, ch. 5 (la LPRPDE), et à la Loi sur les banques, L.C. 1991, ch. 46. Selon les demanderesses, l’interaction entre ces lois fédérales constitue le fondement nécessaire pour donner compétence à la Cour – bien qu’il s’agisse peut‑être uniquement d’une compétence concurrente – relativement à la demande.

 

[8]               La LPRPDE confère bel et bien compétence à la Cour pour entendre toute question qui a fait l’objet d’une plainte soumise au Commissaire à la protection de la vie privée (le commissaire) en application de cette loi; le paragraphe 14(1) prévoit toutefois comme condition préalable à l’acquisition de cette compétence qu’une plainte ait été soumise au commissaire et que ce dernier ait dressé un rapport. Or, il n’a nullement été allégué dans la demande modifiée qu’une plainte avait été déposée. En fait, Mme Katz a informé la Cour à l’audition de la présente requête que les demanderesses n’avaient pas déposé la moindre plainte. La compétence restreinte attribuée à la Cour par la LPRPDE n’est par conséquent pas entrée en jeu.

 

[9]               La Loi sur les banques régit la création et l’administration des banques à charte au Canada. Les demanderesses s’appuient sur l’article 455 de cette loi, qui impose à toute banque l’obligation d’établir une procédure d’examen des réclamations.

455. (1) La banque est tenue :

 

a) d’établir une procédure d’examen des réclamations de personnes qui lui ont demandé ou qui ont obtenu d’elle des produits ou services au Canada;

 

455. (1) A bank shall

 

(a) establish procedures for dealing with complaints made by persons having requested or received products or services in Canada from a bank;

 

(i) au traitement des frais à payer pour leur compte de dépôt, pour les arrangements visés au paragraphe 452(3) ou pour leur carte de crédit, de débit ou de paiement,

 

(ii) à la divulgation ou au mode de calcul du coût d’emprunt à l’égard d’un prêt consenti par elle;

 

 

b) de désigner un préposé — dirigeant ou autre agent — à la mise en œuvre de la procédure;

 

(b) designate an officer or employee of the bank to be responsible for implementing those procedures; and

 

c) de désigner un ou plusieurs autres préposés — dirigeant ou autre agent — aux réclamations.

 

(c) designate one or more officers or employees of the bank to receive and deal with those complaints.

 

(2) La banque dépose auprès du commissaire un double de la procédure.

 

(2) A bank shall file with the Commissioner a copy of its procedures established under paragraph (1)(a).

 

(3) La banque met à la disposition du public la procédure à la fois :

 

(3) A bank shall make its procedures established under paragraph (1)(a) available

 

a) dans ses succursales où sont offerts des produits ou services au Canada, sous forme de brochure;

 

(a) in the form of a brochure, at its branches where products or services are offered in Canada;

 

b) sur ceux de ses sites Web où sont offerts des produits ou services au Canada;

 

(b) on its websites through which products or services are offered in Canada; and

 

c) dans un document écrit à envoyer à quiconque lui en fait la demande.

 

(c) in written format to be sent to any person who requests them.

 

(4) La banque doit accompagner la procédure qu’elle met à la disposition du public des renseignements — fixés par règlement — sur la façon de communiquer avec l’Agence.

 

(4) A bank shall also make prescribed information on how to contact the Agency available whenever it makes its procedures established under paragraph (1)(a) available under subsection (3).

[10]           Les demanderesses ont déposé, auprès du Bureau du surintendant des institutions financières et de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada, des plaintes visant le comportement de la banque qui fait l’objet de la présente action. Cette dernière agence est celle que le gouvernement a chargée d’examiner les réclamations formulées en application de l’article 455 de la Loi sur les banques. Il n’a jamais été allégué dans la déclaration modifiée que la décision de l’un ou l’autre de ces organismes servait de fondement à la demande.

 

[11]           À mon avis, rien dans la Loi sur les banques ne confère compétence à la Cour à l’égard de la demande présentée par un titulaire de compte qui fait valoir la rupture de contrat, la négligence, le manquement à l’obligation de confidentialité ou un autre comportement délictuel du type allégué dans la demande déposée par les demanderesses.

 

[12]           Les demanderesses font valoir leurs réclamations, essentiellement fondées sur la propriété et les droits civils, à l’encontre d’une partie autre que l’État, de sorte que ces réclamations relèvent de la compétence de la Cour supérieure de justice de l’Ontario. La Cour fédérale n’a donc pas compétence à l’égard de ces réclamations.

 

[13]           Si les demanderesses ont des plaintes à formuler relativement à la divulgation ou à l’utilisation non appropriée de renseignements personnels, elles doivent d’abord déposer une plainte auprès du Commissariat à la protection de la vie privée et recevoir un rapport de ce dernier avant que la Cour puisse avoir compétence (se reporter, par exemple, à Englander c. Telus Communications Inc., [2004] A.C.F. n° 1935, 2004 CAF 387).

 

[14]           Le simple fait que la défenderesse soit une entreprise fédérale ne peut en soi fonder la compétence de la Cour (se reporter à Gracey c. Société Radio‑Canada, [1991] 1 C.F. 739). La compétence doit avoir pour origine soit la Loi sur les Cours fédérales, soit une autre loi fédérale qui déclare expressément la Cour compétente. Or, les demanderesses n’ont pu mentionner aucune disposition de la Loi sur les Cours fédérales ou de quelque autre loi qui attribue compétence à la Cour à l’égard des réclamations présentées.

 

[15]           Les défenderesses demandent qu’on leur adjuge leurs dépens. Mme Katz, même si elle n’exerce pas, est avocate. Elle devrait donc être mieux placée que la plupart des parties à des litiges pour comprendre les subtiles questions de compétence. En outre, l’avocate des défenderesses a écrit aux demanderesses le 11 septembre 2008 pour les informer que, selon ses clientes, la présente action avait été intentée devant la mauvaise cour. Mme Katz a répondu, dans une lettre datée du 17 septembre 2008, qu’elle ne partageait pas cet avis. Or bien franchement, des connaissances même superficielles sur la compétence de la Cour fédérale et de la Cour supérieure de justice de l’Ontario auraient dû suffire pour comprendre la justesse des vues de l’avocate des défenderesses.

 

[16]           C’est précisément parce qu’était manifeste l’absence de compétence de la Cour que les défenderesses doivent être prises à partie pour ne pas avoir présenté sans délai leur requête en radiation. Elles ont plutôt échangé une correspondance avec les demanderesses pour obtenir des précisions, et ont finalement introduit une requête pour précisions, avant de déposer leur requête en radiation. En raison de ce retard et des actions qui en ont résulté, des frais inutiles ont été engagés par l’une et l’autre parties relativement à la requête pour précisions et à la requête pour un jugement par défaut corrélative présentée par les demanderesses.

 

[17]           Il serait donc injuste de tenir les demanderesses responsables envers les défenderesses pour cette partie inutile du litige. Par conséquent, aucuns dépens ne seront adjugés; chaque partie devra payer ses propres dépens.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE :

a)                  La requête des défenderesses en vue de la radiation de la déclaration modifiée est accueillie, sans autorisation de modification ultérieure, et la présente action est rejetée.

b)               La requête pour précisions des défenderesses est rejetée parce que sans intérêt pratique.

c)               La requête des demanderesses pour jugement par défaut est rejetée parce que sans intérêt pratique.

d)               Chaque partie paiera ses propres dépens liés aux présentes requêtes et à la présente action.

 

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T‑1238‑08

 

INTITULÉ :                                       LYNNE CHERYL KATZ et ORNO HOLDINGS LTD. c.

                                                            MARIA IAFRATE et MONICA PRASAD

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 30 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Zinn

 

DATE DES MOTIFS

ET DU JUGEMENT :                       Le 31 mars 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Lynne Cheryl Katz

 

 

POUR LES DEMANDERESSES

(se sont représentées elles‑mêmes)

 

Meighan E. Leon

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

S/O

 

POUR LES DEMANDERESSES

(se sont représentées elles‑mêmes)

 

McCarthy Tétrault, S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

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