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Date :  20090403

Dossier :  T-1084-08

Référence :  2009 CF 346

Ottawa (Ontario), le 3 avril 2009

En présence de monsieur le juge Beaudry 

 

DANS L’AFFAIRE DE LA Loi de l’impôt sur le revenu

ET DANS L’AFFAIRE de cotisations établies par le ministre du Revenu

National en vertu d’une ou plusieurs des lois suivantes : la Loi de l’impôt

Sur le revenu, le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l’assurance-emploi

 

 

CONTRE :

FIDUCIE DAUPHIN

3884, avenue de l’Empereur

Laval (Québec) H7E 5M5

 

9125-9622 QUÉBEC INC.

1010 de la Gauchetière Ouest, Bureau 2250

Montréal (Québec) H3B 2N2

 

CHANTAL FRÉGAULT

STÉPHANE DESCOTEAUX

3884, rue de l’Empereur

Laval (Québec) H7E 5M5

 

SOPHIE LEBEL

1535, rue Kirouac

Laval (Québec) H7G 4T4

 

NORMAND DESCOTEAUX

Succ. Anjou CP 153

Anjou (Québec) H1K 4G6

intimés

 

MOTIFS DE JUGMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Les intimés, Fiducie Dauphin, 9125-9622 Québec inc., Chantal Frégault, Stéphane Descoteaux, Sophie Lebel et Normand Descoteaux, demandent à la Cour d’annuler l’ordonnance émise ex parte le 16 juillet 2008 (l’ordonnance contestée) par le juge Martineau, qui autorise le ministre du Revenu national (le ministre) à prendre immédiatement toutes et chacune des mesures de recouvrement visées aux alinéas a) à g) du paragraphe 225.1(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985 (5e suppl.), ch. 1 (la loi) ou l’une d’entre elles, afin de percevoir et/ou garantir le paiement de cotisations et nouvelles cotisations établies par le ministre à l’encontre des intimés.

 

[2]               Subsidiairement, les intimés présentent une requête à la Cour visant à obtenir la réduction de la portée de l’ordonnance contestée et demandent que mainlevée partielle soit donnée sur la saisie pratiquée à l’égard de l’intimé Fiducie Dauphin (la Fiducie) sur certaines sommes précises et que mainlevée partielle soit accordée quant aux comptes bancaires des intimés Chantal Frégault, Sophie Lebel, Stéphane Descoteaux et la Fiducie.

 

[3]               Le libellé du paragraphe 225.1(1) de la loi prévoit ceci :

225.1(1) Si un contribuable est redevable du montant d’une cotisation établie en vertu des dispositions de la présente loi, exception faite des paragraphes 152(4.2), 169(3) et 220(3.1), le ministre, pour recouvrer le montant impayé, ne peut, avant le lendemain du jour du début du recouvrement du montant, prendre les mesures suivantes :

 

a) entamer une poursuite devant un tribunal;

 

b) attester le montant, conformément à l’article 223;

 

c) obliger une personne à faire un paiement, conformément au paragraphe 224(1);

 

d) obliger une institution ou une personne visée au paragraphe 224(1.1) à faire un paiement, conformément à ce paragraphe;

 

e) [Abrogé, 2006, ch. 4, art. 166]

 

f) obliger une personne à remettre des fonds, conformément au paragraphe 224.3(1);

 

g) donner un avis, délivrer un certificat ou donner un ordre, conformément au paragraphe 225(1).

225.1(1) If a taxpayer is liable for the payment of an amount assessed under this Act, other than an amount assessed under subsection 152(4.2), 169(3) or 220(3.1), the Minister shall not, until after the collection-commencement day in respect of the amount, do any of the following for the purpose of collecting the amount:

 

(a) commence legal proceedings in a court,

 

(b) certify the amount under section 223,

 

(c) require a person to make a payment under subsection 224(1),

 

(d) require an institution or a person to make a payment under subsection 224(1.1),

 

 

(e) [Repealed, 2006, c. 4, s. 166]

 

(f) require a person to turn over moneys under subsection 224.3(1), or

 

 

(g) give a notice, issue a certificate or make a direction under subsection 225(1).

 

 

[4]               En principe, le ministre doit attendre 90 jours après la mise à la poste de l’avis de cotisation avant de recouvrer les sommes dues par un contribuable à Sa Majesté La Reine du Chef du Canada (la Couronne). Toutefois, en vertu des paragraphes 225.2(2) et (3), un juge peut autoriser le ministre à agir immédiatement lorsqu’il est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’octroi d’un délai pour payer le montant compromettrait le recouvrement de tout ou partie de la cotisation :

 

225.2(2) Malgré l’article 225.1, sur requête ex parte du ministre, le juge saisi autorise le ministre à prendre immédiatement des mesures visées aux alinéas 225.1(1)a) à g) à l’égard du montant d’une cotisation établie relativement à un contribuable, aux conditions qu’il estime raisonnables dans les circonstances, s’il est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’octroi à ce contribuable d’un délai pour payer le montant compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant.

225.2(2) Notwithstanding section 225.1, where, on ex parte application by the Minister, a judge is satisfied that there are reasonable grounds to believe that the collection of all or any part of an amount assessed in respect of a taxpayer would be jeopardized by a delay in the collection of that amount, the judge shall, on such terms as the judge considers reasonable in the circumstances, authorize the Minister to take forthwith any of the actions described in paragraphs 225.1(1)(a) to 225.1(1)(g) with respect to the amount.

 

225.2(3) Le juge saisi peut accorder l’autorisation visée au paragraphe (2), même si un avis de cotisation pour le montant de la cotisation établie à l’égard du contribuable n’a pas été envoyé à ce dernier au plus tard à la date de la présentation de la requête, s’il est convaincu que la réception de cet avis par ce dernier compromettrait davantage, selon toute vraisemblance, le recouvrement du montant. Pour l’application des articles 222, 223, 224, 224.1, 224.3 et 225, le montant visé par l’autorisation est réputé être un montant payable en vertu de la présente loi.

 

225.2(3) An authorization under subsection 225.2(2) in respect of an amount assessed in respect of a taxpayer may be granted by a judge notwithstanding that a notice of assessment in respect of that amount has not been sent to the taxpayer at or before the time the application is made where the judge is satisfied that the receipt of the notice of assessment by the taxpayer would likely further jeopardize the collection of the amount, and for the purposes of sections 222, 223, 224, 224.1, 224.3 and 225, the amount in respect of which an authorization is so granted shall be deemed to be an amount payable under this Act.

 

[5]               Le juge Martineau a émis l’ordonnance contestée sur la foi des affidavits de M. Yvon Talbot (daté le 8 juillet 2008) et de Mme Claudine Vinette (daté le 11 juillet 2008) de l'Agence du revenu du Canada (l'Agence).

 

Contexte factuel

[6]               Le 17 février 2006, la Fiducie, une fiducie non testamentaire, a été constituée pour des fins fiscales et pour reprendre les activités autrefois effectuées par la compagnie 9125-9622 Québec inc., laquelle n'est plus opérante comme telle, à l’exception d’un immeuble à St-Léonard. La Fiducie opère dans le domaine immobilier (vente et achat d’immeubles), son activité principale est l’administration du capital accumulé jusqu’à sa liquidation. Les fiduciaires de la Fiducie sont François Bergeron (le fils de Sophie Lebel) et Chantal Frégault.

 

[7]               Selon le ministre, en date du 6 juin 2008, la Fiducie est redevable envers l’Agence d’un montant de 2 048 434,61 $ résultant d’un avis de cotisation daté du 28 mai 2008 et des avis de nouvelles cotisations du 3 juin 2008 et du 6 juin 2008 pour l’année d’imposition 2007 et de l’avis de nouvelle cotisation daté du 28 mai 2008 pour l’année d’imposition 2006.

 

[8]               Suite à l’obtention de renseignements additionnels de la part des intimés, l’Agence admet qu’en date de l’audience des 17 et 18 février 2009, le montant redevable par la Fiducie est maintenant de 1 607 765,44 $ à la suite de la découverte d'un chèque de 1 168 389,92 $ et au paiement de 15 000 $ à l’Agence (voir pièce C-1 soumise à l’audience).

 

[9]               La compagnie 9125-9622 Québec inc., qui fait également affaire sous la dénomination sociale Services Financiers Dauphin, fut formée le 10 février 2003 et son secteur d’activité est les services financiers. En date du 29 mai 2008, l’intimée 9125-9622 Québec inc. est redevable envers l’Agence, d’un montant de 577 090,81 $ résultant de trois avis de nouvelles cotisations datés du 29 mai 2008 pour les années d’imposition 2004 à 2006 et d’un avis de cotisation initiale pour l’année d’imposition 2007.

 

[10]           Chantal Frégault, une femme d’affaires âgée de 32 ans, est actionnaire unique des deux sociétés suivantes : 9108-0903 Québec inc. et 9184-8796 Québec inc. et elle est fiduciaire de la Fiducie. En date du 28 mai 2008, Chantal Frégault, conjointe de Stéphane Descoteaux, est redevable envers l’Agence pour une somme de 448 109,46 $, résultant de six avis de nouvelles cotisations datés du 28 mai 2008 pour les années d’imposition 2002 à 2007. Chantal Frégault est présentement propriétaire de l'immeuble située au 3884, rue de l’Empereur à Laval, Québec.

 

[11]           Stéphane Descoteaux, homme d’affaires âgé de 34 ans, est redevable envers l’Agence pour une somme de 171 731,98 $ résultant de cinq avis de nouvelles cotisations datés du 28 mai 2008 pour les années d’imposition 2002 à 2004, 2006 et 2007.

 

[12]           Sophie Lebel, femme d’affaires âgée de 44 ans, est la constituante de la Fiducie. En date du 28 mai 2008, elle est redevable envers l’Agence pour une somme de 80 782,32 $, résultant de trois avis de nouvelles cotisations datés du 28 mai 2008 pour les années d’imposition 2005 à 2007. Sophie Lebel est présentement propriétaire de l'immeuble situé au 1535, rue Kirouac à Laval, Québec.

 

[13]           Normand Descoteaux, homme d’affaires âgé de 60 ans, est actionnaire de la société 9008-2173 Québec inc. qui opérait sous la dénomination sociale Groupe Dauphin Publication. La société 9008-2173 a été radiée d’office par l’inspecteur général des institutions financières le 8 mai 1999. En date du 28 mai 2008, Normand Descoteaux est redevable envers l’Agence pour une somme de 15 656,24 $, résultant de deux avis de nouvelles cotisations pour les années 2004 et 2006 datés du 28 mai 2008 et un avis de cotisation initiale pour l’année d’imposition 2007 et d’une somme de 11 033,14 $ pour les années d’imposition 2002 et 2003.

 

[14]           Le paragraphe 225.2(8) de la loi permet à un contribuable de demander à la Cour, au moyen d’une requête, de réviser l’autorisation ex parte obtenue en vertu du paragraphe 225.2(2) :

225.2(8) Dans le cas où le juge saisi accorde l’autorisation visée au présent article à l’égard d’un contribuable, celui-ci peut, après avis de six jours francs au sous-procureur général du Canada, demander à un juge de la cour de réviser l’autorisation.

225.2(8) Where a judge of a court has granted an authorization under this section in respect of a taxpayer, the taxpayer may, on 6 clear days notice to the Deputy Attorney General of Canada, apply to a judge of the court to review the authorization.

 

[15]           Les principes applicables en l’espèce sont bien établis. Selon la jurisprudence, les intimés ont la charge initiale d’établir qu’il existe des motifs raisonnables de douter que le critère exigé au paragraphe 225.2(2) a été respecté. S'ils réussissent, la Cour doit examiner les éléments de preuve produits devant le juge qui a accordé l’ordonnance et toute autre preuve pour juger si, selon la prépondérance des probabilités, le recouvrement serait compromis par l’octroi d’un délai (Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.) c. Services M.L. Marengère inc. (2000), 176 F.T.R. 1 au paragraphe 63(5), 2000 D.T.C. 6032; Canada c. Satellite Earth Station Technology Inc. (1989), 30 F.T.R. 94 au paragraphe 16, 89 D.T.C. 5506; et Danielson c. Canada (Sous-procureur général), [1987] 1 C.F. 335.

 

[16]           Au paragraphe 63 de Marengère, le juge Lemieux résume les principes jurisprudentiels suivants :

(1)  La disposition concernant le recouvrement de protection porte sur la question de savoir si le délai qui découle normalement du processus d'appel compromet le recouvrement. Il ressort du libellé de la disposition qu'il est nécessaire de montrer qu'en raison du délai que comporte l'appel, le contribuable sera moins capable de verser le montant de la cotisation. En d'autres termes, il ne s'agit pas de déterminer si le recouvrement lui-même est compromis, mais plutôt s'il est en fait compromis en raison du délai à la suite duquel il sera vraisemblablement effectué.

 

(2)  En ce qui concerne le fardeau de la preuve, la personne qui présente une requête en vertu du paragraphe 225.2(8) a le fardeau initial de prouver qu'il existe des motifs raisonnables de croire que le critère prévu au paragraphe 225.2(2) n'a pas été respecté, c'est-à-dire que l'octroi d'un délai pour payer le montant de la cotisation compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant. Toutefois, la Couronne a le fardeau ultime de justifier l'ordonnance de recouvrement de protection accordée sur une base ex parte.

 

(3)  La preuve doit démontrer que, selon toute probabilité, il est plus probable qu'autrement que l'octroi d'un délai compromette le recouvrement. Il ne s'agit pas de savoir si la preuve démontre au-delà de tout doute raisonnable que le délai accordé au contribuable compromettrait le recouvrement du montant en question.

 

(4)  Le ministre peut certainement agir non seulement dans les cas de fraude ou dans les situations qui s'y apparentent, mais aussi dans les cas où le contribuable risque de dilapider, liquider ou autrement transférer son patrimoine pour se soustraire au fisc : bref, pour parer à toute situation où les actifs d'un contribuable peuvent, à cause de l'écoulement du délai, fondre comme neige au soleil. Toutefois, le simple soupçon ou la simple crainte que l'octroi d'un délai puisse compromettre le recouvrement n'est pas suffisant en soi. Comme le juge Rouleau l'a dit dans la décision 1853-9049 Québec Inc., supra, il s'agit de savoir si le ministre a des motifs raisonnables de croire que le contribuable dilapiderait, liquiderait ou transférerait autrement son patrimoine, de façon à compromettre le recouvrement du montant qui est dû. Le ministre doit démontrer que les actifs du contribuable peuvent entre temps être liquidés ou faire l'objet d'une saisie de la part d'autres créanciers et ainsi lui échapper.

 

(5)  Une ordonnance de recouvrement ex parte est un recours exceptionnel. Revenu Canada doit faire preuve d'une extrême bonne foi et faire une divulgation franche et complète. Sur ce point, le juge Joyal a fait les remarques suivantes dans la décision Peter Laframboise c. La Reine, [1986] 3 C.F. 521, à la page 528 :

 

L'argument des avocats du contribuable pourrait être défendable si les éléments de preuve dont je dispose se limitaient à ce seul affidavit. Mais, comme les procureurs de la Couronne me l'ont rappelé, j'ai le droit de prendre connaissance de tous les éléments que renferment les autres affidavits. Ceux-ci pourraient aussi faire l'objet d'une savante analyse quant aux motivations profondes du déposant, mais je trouve que, dans l'ensemble, les éléments essentiels que renferment ces affidavits ainsi que la preuve qu'ils apportent satisfont aux critères établis et sont suffisamment étayés pour justifier les mesures prises par le Ministre.

 

Dans la décision Duncan, supra, après avoir cité les remarques que le juge Joyal avaient faites dans la décision Laframboise, supra, le juge en chef adjoint Jérome a dit que le ministre doit faire une divulgation suffisante (raisonnable).

 

Arguments de la Couronne

[17]           La jurisprudence a étayé certains critères pour justifier l’émission d’une autorisation ex parte en vertu du paragraphe 225.2(2) de la loi : lorsqu’il existe des motifs raisonnables de croire que le contribuable a agi frauduleusement; lorsque le contribuable procède à la liquidation ou au transfert de ses actifs; lorsque le contribuable élude ses obligations fiscales; lorsque le contribuable détient des actifs qui sont susceptibles de diminuer en valeur par l’effet du temps, peuvent se détériorer ou sont périssables.

 

[18]           La Couronne soumet que la Cour doit examiner le contexte global des actions posées par les intimés et non se laisser distraire par les quelques erreurs de bonne foi commises par M. Yvon Talbot, l’agent de vérification, dans ses recherches des activités financières des intimés pour déterminer que l’autorisation était justifiée.

 

[19]           Le fait qu’un contribuable gère ses affaires d'une façon que l’on peut qualifier de peu orthodoxe ou qu'il se livre à des pratiques commerciales peu orthodoxes peuvent être considéré comme des motifs suffisants pour justifier l’émission d’une autorisation en vertu du paragraphe 225.2(2) de la loi (Laframboise c. R., [1986] 3 C.F. 521, au paragraphe 19; Canada c. Paryniuk, 2003 CF 1505, 244 F.T.R. 312; Canada (ministre du Revenu national – M.R.N.) c. Rouleau (1995), 101 F.T.R. 57, [1995] 2 C.T.C. 442 (1ère inst.)).

 

[20]           La nature même de la cotisation ainsi que la manière dont le contribuable détient ses actifs sont des facteurs pouvant contribuer à soulever des motifs raisonnables de croire qu’un délai compromettrait le recouvrement du montant de la cotisation (Laframboise, ci-dessus; Rouleau, ci-dessus; Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.) c. Thériault-Sabourin, 2003 CFPI 124, 227 F.T.R. 254).

 

[21]           Les motifs allégués par la Couronne pour justifier l'ordonnance contestée sont les suivants : 

a.         Normand Descoteaux a été une des têtes dirigeantes d’un réseau de fraude par financement hypothécaire par surévaluation;

b.        Il existe une grande possibilité que la Caisse Populaire d’Anjou rappelle la marge de crédit de la Fiducie (d’ailleurs, la Caisse a rappelé la marge de crédit à l’automne 2008);

c.         Le passé criminel de l’intimé Normand Descoteaux, les accusations criminelles et sa condamnation à l’infraction de percevoir des intérêts à un taux criminel ainsi que son comportement peu orthodoxe démontrent qu’il n’est pas digne de confiance et a peu de respect envers les lois;

d.        Le passé criminel de l’intimé Stéphane Descoteaux, les accusations criminelles et sa condamnation à l’infraction de percevoir des intérêts à un taux criminel ainsi que son comportement peu orthodoxe démontrent qu’il n’est pas digne de confiance et a peu de respect envers les lois;

e.         Le fait que les policiers de la section des Produits de la criminalité ont mis la main sur une somme de 1 700 000 $ dans deux coffrets de sécurité lors de l’arrestation de Stéphane et Normand Descoteaux et que subséquemment à leur arrestation, une somme de 5 500 000 $ a été retrouvée;

f.          Stéphane Descoteaux a donné des versions contradictoires quant à ses revenus pour l’année d’imposition 2004 quand il a déclaré ses revenus à l’Agence et à la Caisse Populaire des Mille-Îles pour cette même année. Dans la même veine, le revenu d’emploi qu’il a déclaré à l’Agence pour l’année d’imposition 2006 ne correspond pas au feuillet de revenu d’emploi que l’Agence a reçu de ses employeurs Jus d’Or et 9145-5287 Québec inc.;

g.         La Fiducie et 9125-9622 Québec inc. ont utilisé un stratagème similaire à celui que Normand Descoteaux avait utilisé durant les années 1991 et 1992, lequel consistait essentiellement à frauder les institutions bancaires en obtenant du financement hypothécaire par des évaluations gonflées artificiellement (over mortgage) (voir l’affidavit de Catherine Pennors à cet égard);

h.         Entre le 10 octobre 2003 et le 4 avril 2008, 9125-9622 Québec inc., Stéphane Descoteaux, Normand Descoteaux et la Fiducie ont vendu une dizaine de propriétés;

i.           La société numérique 9108-0903 Québec inc. appartenant à Chantal Frégault a présenté à son bilan pour la fin d’année du 31 octobre 2002 et du 31 mars 2003 une dette fictive de 474 900 $ qui était reliée notamment à l’immeuble situé au 1535 Kirouak, à Laval, appartenant maintenant à Sophie Lebel;

j.          La société numérique 9108-0903 Québec inc. a consenti une hypothèque « fictive » d’une société non liée afin de garantir un prêt à Stéphane Descoteaux;

k.        9125-9622 Québec inc. et Marie-Ange Giasson, la mère de Sophie Lebel, ont reçu selon un acte (hypothécaire) apparent, dans lequel Normand Descoteaux agissait à titre de mandataire de Marie-Ange Giasson, un prêt qui ne pouvait pas correspondre à la réalité eu égard notamment au revenu de Marie-Ange Giasson et aux sommes reçues par 9125-9622 Québec inc. de la société numérique 3095-7252 Québec inc., soit la société numérique de Howard Greenspoon (affidavit de M. Yvon Talbot du 8 juillet 2008 au paragraphe 173 et les pièces BF et BL);

l.            Le reliquat de la dette de 2 700 000 $ de 9125-9622 Québec inc. et Marie-Ange Giasson s’élevant maintenant à 1 700 000 $ est soit fictif ou ne sera jamais remboursé puisque Marie-Ange Giasson n’a pas la capacité financière de rembourser un tel emprunt. Le compte bancaire de 9125-9622 Québec inc. est fermé depuis le 22 novembre 2006 et cette compagnie n’a pas produit sa déclaration d’impôt pour l’année financière se terminant le 28 février 2007;

m.       9125-9622 Québec inc., Chantal Frégault et Marie-Ange Giasson, la mère de Sophie Lebel auraient reçu un prêt fictif de Jo-Pac Manufacturing Inc.;

n.         9125-9622 Québec inc., Sophie Lebel et Chantal Frégault auraient reçu un prêt fictif de 9108-0903 Québec inc.;

o.        9108-0903 Québec inc. a également effectué un prêt « fictif » à 9125-9622 Québec inc. puisque 9108-0903 Québec inc. ne possédait pas suffisamment d’actifs pour débourser une telle somme et qu’au surplus 9125-9622 Québec inc. ne possédait plus de compte bancaire pour encaisser une telle somme depuis le 22 novembre 2006;

p.        La société numérique 9184-8796 Québec inc., dont l’unique actionnaire est Chantal Frégault, a publié une hypothèque sur un immeuble appartenant à la Fiducie, un immeuble appartenant à Chantal Frégault et un immeuble appartenant à Sophie Lebel suite à une cession d’une créance fictive effectuée par 9108-0903 Québec inc. à 9184-8796 Québec inc.;

q.        Une ouverture de crédit fictive de 2 000 000 $ fut consentie par le Centre de Recherches Financiers Interprovinciales inc. (C.R.F.) à la société numérique 9125-9622 Québec inc;

r.          Le 2 ou le 3 mars 1998, suite à l’émission des avis de nouvelles cotisations pour les années d’imposition 1991 et 1992, Normand Descoteaux a fait une première cession de ses biens auprès d’un syndic;

s.         Le 23 ou le 24 avril 2003, Sophie Lebel a fait une cession de ses biens auprès du Syndic Pierre Roy & Associés inc. à Repentigny. Cette faillite visait principalement des dettes fiscales, les deux créanciers principaux de Sophie Lebel étant l’Agence et le Ministère du Revenu du Québec (MRQ) pour des dettes fiscales totalisant 130 348 $ sur 132 473 $ de réclamations prouvables;

t.          Le 30 avril 2003 ou le 1 mai 2003, Normand Descoteaux a fait une deuxième cession de ses biens auprès du même syndic Pierre Roy & Associés inc. à Repentigny pour laquelle il n’est toujours pas libéré;

u.         Normand Descoteaux, Stéphane Descoteaux et Chantal Frégault utilisent la même case postale 153, succursale Anjou, Anjou, Québec, H1K 4G6;

v.         Normand Descoteaux a changé d’adresse à de nombreuses reprises au cours des dernières années;

w.       Stéphane Descoteaux a changé d’adresse à de nombreuses reprises au cours des dernières années;

x.         Le 4 septembre 2007, Normand Descoteaux a acheté et vendu un immeuble en réalisant un profit d’environ 50 000 $;

y.         Le 8 mars 2007, Stéphane Descoteaux a acheté et vendu un immeuble en réalisant un profit d’environ 50 000 $;

z.         Normand Descoteaux a fourni des versions contradictoires quant à ses revenus à l’Agence et au syndic pour l’année 2003;

aa.     La Fiducie a volontairement éludé le paiement de son impôt en ne déclarant pas la totalité de ses revenus pour les années d’imposition 2006 et 2007 en ne déclarant pas une partie considérable de ses revenus, soit respectivement 1 682 583 $ et 3 564 747 $;

bb.    L’intimée 9125-9622 Québec inc. a volontairement éludé le paiement de son impôt en ne déclarant pas la totalité de ses revenus pour les années d’impositions 2004 à 2007 en ne déclarant pas une partie considérable de ses revenus, soit respectivement 165 692 $, 24 774 $, 349 900 $ et 510 900 $;

cc.     Chantal Frégault a volontairement éludé le paiement de son impôt en ne déclarant pas la totalité de ses revenus pour les années d’imposition 2002 à 2007 en ne déclarant pas une partie considérable de ses revenus, soit respectivement 26 641 $, 289 310 $, 13 796 $, 36 564 $, 525 594 $ et 210 513 $;

dd.    Stéphane Descoteaux a volontairement éludé le paiement de son impôt en ne déclarant pas la totalité de ses revenus pour les années d’imposition 2002 à 2004, 2006 et 2007 en ne déclarant pas une partie considérable de ses revenus, soit notamment une somme de 278 474 $ pour l’année d’imposition 2004;

ee.     Sophie Lebel a volontairement éludé le paiement de son impôt en ne déclarant pas la totalité de ses revenus pour les années d’imposition 2005 à 2007 en ne déclarant pas une partie considérable de ses revenus, soit notamment une somme de 208 532 $ pour son année d’imposition 2006;

ff.        Normand Descoteaux a volontairement éludé le paiement de son impôt en ne déclarant pas la totalité de ses revenus pour les années d’imposition 2004, 2006 et 2007 en ne déclarant pas une partie considérable de ses revenus, soit notamment une somme de 56 818 $ pour l’année d’imposition 2007.

 

[22]           La Couronne soutient que la Fiducie gère ses affaires commerciales de façon questionnable. La Fiducie émet un chèque à un notaire pour financer l'achat d'un immeuble. Ce financement n'est assorti d'aucune garantie hypothécaire mais simplement par un document sous-seing-privé (prêt à demande). Le même jour ou le jour suivant, l’immeuble est revendu à un prix supérieur au financement de la Fiducie, souvent 50 000 $ de plus. Le deuxième acheteur obtient un financement à 90 ou 100% d'une institution financière du montant de la deuxième transaction. La Fiducie reçoit alors le montant du prêt qu'elle a consenti auquel s'ajoute une somme modique à titre d'intérêts. La Fiducie finance aussi le dépôt requis pour la deuxième transaction, permettant ainsi à l'acheteur de ne débourser aucune somme d'argent pour l'achat de l'immeuble. Encore une fois, la Fiducie n'est pas garantie par hypothèque, mais se voit rembourser son prêt et des intérêts modiques par l'avance hypothécaire consentie par l'institution financière.

 

[23]           Par la suite, et souvent, le deuxième acheteur cesse les paiements hypothécaires ou fait défaut de payer les taxes municipales et scolaires. La propriété est alors reprise par l’institution financière.

 

[24]           La Couronne soumet qu’il est étrange que dans un contexte de financement immobilier où un notaire effectue un état des déboursés, ce dernier ne comptabilise pas les intérêts à être payés à la Fiducie ou 9125-9622 Québec inc. Il est également étrange que la Fiducie ne sente pas le besoin d'obtenir une garantie hypothécaire à la suite d'un prêt impliquant des sommes considérables. Dans certains cas, l’acte de vente de la deuxième transaction et l’acte hypothécaire relatives à celle-ci sont publiés avant même que l’acte d’achat de la première transaction soit publié (voir l’affidavit supplémentaire de M. Yvon Talbot du 22 septembre 2008 au paragraphe 17).

 

[25]           Un exemple d'une telle transaction est la suivante : Normand Descoteaux, qui n’a pas encore été libéré de sa deuxième faillite, a acheté un immeuble situé au 8946-8948 rue Pierre à Rawdon le 4 septembre, 2007, pour la somme de 83 000 $ et le même jour il a vendu cet immeuble à Wilner Cadelis pour 139 000 $. La Couronne soutient que la Fiducie prête non seulement la somme de 83 000 $ à Normand Descoteaux pour l'achat lors de la première transaction mais aussi le dépôt requis de 14 170,22 $ (engagement no 5 de l’interrogatoire de Marco Boulanger, 7 janvier 2009) pour que M. Cadelis devienne propriétaire lors de la deuxième transaction. La Fiducie est ensuite remboursée du montant de 97 170,22 $ par le prêt hypothécaire (124 829,78 $) consenti par la banque CIBC à M. Cadelis (voir état des déboursés de Me Jérôme St-Gelais notaire).

 

[26]           Lors de son interrogatoire le 16 janvier 2009, Marco Boulanger, le comptable de la Fiducie, a prétendu que la Fiducie n’était impliquée que dans la première transaction alors que dans les faits, elle finance aussi le dépôt requis pour la deuxième transaction. Elle ne reçoit rien en retour en terme d’intérêts. Gestion immobilière Norstar une appellation de la société numérique 9179-0543 Québec inc. qui semble être liée selon Mme Vinette (affidavit supplémentaire de Claudine Vinette du 5 janvier 2009 paragraphe 36 et interrogatoire sur l’affidavit de Claudine Vinette du 5 janvier 2009 aux pages 98 à 105) à Normand Descoteaux par l’entremise d’André Charbonneau reçoit le solde net de la transaction dû au vendeur Normand Descoteaux. Marco Boulanger a été évasif et n’a pas pu répondre aux questions de la Couronne face aux détails précis de cette vente. M. Cadelis a intenté une action contre André Charbonneau, la société 9179‑0543 Québec inc. et Normand Descoteaux. Donc, en résumé, Normand Descoteaux est financé par la Fiducie pour l'achat d'un immeuble qu'il revend à profit à M. Cadelis qui lui-même est financé par la Fiducie pour le dépôt requis lors de cette deuxième transaction. Le profit qu'aurait dû encaisser M. Descoteaux (41 249,78 $) est distribué à un tiers (Gestion immobilière Norstar).

 

[27]           Selon M. Yvon Talbot, Fiducie a financé au moins 26 transactions de cette façon (affidavit de M. Yvon Talbot du 8 juillet 2008, paragraphe 137 et aux pièces k et p). Finalement, la société Gestion Malgraf (société dont l'activité principale est l'encaissement de chèques) a encaissé plusieurs chèques représentant le produit net de la réalisation de la deuxième transaction immobilière (affidavit supplémentaire de M. Yvon Talbot du 22 septembre 2008, paragraphes 22 et 23 et affidavit de Chantal Frégault à la pièce 7).

 

[28]           La Couronne fait aussi état des nombreux liens entre les compagnies et les individus qui font affaire avec la Fiducie et qui sont impliqués dans les mêmes transactions. D’abord, la société numérique 9179-0543 Québec inc., dont le président et l’actionnaire était André Charbonneau (Frank Leonard Jr. est présentement l’administrateur, le président et l’actionnaire majoritaire), connue aussi sous douze différentes appellations. La société numérique 9172-6836 Québec inc. de Michel Leclerc qui opère sous dix différents noms sont parties à plusieurs achats et ventes d’immeubles impliquant Fiducie.

 

 

[29]           Gestion Malgraf, de Gaétan et Gérard Thibault, endosse et encaisse les chèques provenant de plusieurs transactions effectuées par la Fiducie. Gestion Malgraf est aussi identifié à titre d’employeur de Danielle Cléroux, Normand et Stéphane Descoteaux, Chantal Frégault, François Bergeron et la société numérique 9125-9622 Québec inc. (paragraphe 25 et la pièce 2 de l’affidavit supplémentaire de M. Yvon Talbot daté le 22 septembre 2008). Danielle Cléroux est la sœur de Martine Cléroux, soit l’ancienne conjointe de Normand Descoteaux, qui représente la compagnie d’André Charbonneau et endosse des chèques au nom de la société 9179-0543 Québec inc. (paragraphe 26 de l’affidavit supplémentaire de M. Yvon Talbot daté du  22 septembre 2008). Martine Cléroux a aussi représenté 9125-9622 Québec inc. dans certaines transactions (pièce BL  de l’affidavit de M. Yvon Talbot daté le 8 juillet 2008).

 

[30]           La crédibilité de Marco Boulanger est mise en doute par la Couronne lors de son interrogatoire du 16 janvier 2009. Il ne peut répondre aux questions et il est contredit par des documents qui démontrent que la Fiducie était impliquée non seulement lors de la première mais aussi lors de la deuxième vente dans le cadre des transactions portant sur un même immeuble effectuées dans la même journée ou le lendemain. À titre d’exemple, la propriété située au 66-68A, rue Victoria à Sorel-Tracy fut achetée par Gestion Lajeunesse, une appellation de la société numérique 9172-6836 Québec inc. appartenant à Michel Leclerc. Le 18 mars 2007, la Fiducie a financé l’achat initial de 62 000 $ pour obtenir 47,56 $ en intérêts. Le lendemain, la propriété est vendue à Severio Maggiore pour la somme de 135 000 $. La Fiducie prête 13 718,70 $ à Maggiore au taux de 14% pendant deux jours, obtenant ainsi 9,76 $ d’intérêt du prêt de cette deuxième transaction. Ce prêt constitue le dépôt requis pour la deuxième transaction, qui est financée principalement par la banque CIBC. De plus, dans la liste des déboursés pour cette propriété, Gestion Malgraf reçoit un remboursement pour « avance » au montant de 10 000 $, alors que la société 9125-9622 Québec inc. reçoit un remboursement de la première hypothèque au montant de 75 718,70 $ (pièce C-4 déposée à l’audience des 17 et 18 février 2009 et les pièces 3 et 4 de l’affidavit de Marco Boulanger daté le 16 janvier 2009).

 

[31]           La Couronne réfute aussi l’argument des intimés au sujet de six chèques de 50 000 $ et un chèque de 41 000 $ fait au nom de la compagnie Énergie Confort. Ces montants sont tantôt qualifiés de « gestion » dans un document alors que dans d’autres ils sont identifiés comme étant des « commissions », M. Yvon Talbot ne pouvait pas considérer ces chèques comme dépenses dans l’établissement du prix de base rajusté pour les deux immeubles appartenant à la Fiducie. M. Yvon Talbot n’a pu retracer aucune pièce qui pouvait être considérée comme des rénovations, réparations ou améliorations à l’un ou l’autre des deux immeubles (affidavit supplémentaire de M. Yvon Talbot du 6 février 2009 aux paragraphes 13 et 22).

 

[32]           La Couronne fait remarquer que la compagnie 9125-9622 Québec inc. n’a plus d’activités commerciales depuis le 28 février 2006 (affidavit de Richard Millaire, paragraphe 36). Le compte de banque de cette compagnie est fermé depuis novembre 2006. Pourtant, entre le 6 mars 2008 et le 3 avril 2008, 9125-9622 Québec inc. a acheté pour ensuite revendre le même jour ou le lendemain, trois immeubles à Montréal, réalisant ainsi un profit total de 374 700 $ (affidavit supplémentaire de Claudine Vinette du 24 décembre 2008, paragraphes 16 à 21). Le 16 septembre 2008, Richard Millaire remplace la Fiducie à titre d’actionnaire majoritaire de la société 9125-9622 Québec.

 

[33]           Malgré le fait que 9125-9622 Québec inc. est supposément inopérante depuis le 28 février 2006, elle est la bénéficiaire de neuf chèques de 50 000 $ le avril 2007, un chèque de 50 000 $ en septembre 2007 et de trois autres chèques de 50 000 $ en décembre 2007, le tout totalisant 650 000 $ émis par la Fiducie (interrogatoire de Marco Boulanger, Engagement 4, chèques 93 à 101, 192, 204 à 206 et l’affidavit de Richard Millaire, paragraphe 36).

 

[34]           Puisque les chèques sont postérieurs, au moins de plusieurs mois, au transfert d’actifs de 9125-9622 Québec inc. (effectué au plus tard le 15 novembre 2006 tel qu’il appert de la cession de créance à la pièce B de l’affidavit de M. Yvon Talbot daté le 6 février 2009, paragraphe 12), et postérieurs d’au moins deux mois à la cession de créance elle-même, il n’était pas possible pour M. Talbot de considérer le montant de ces chèques comme pouvant constituer un montant à prendre en considération dans le coût d’acquisition par la Fiducie pour l’un ou l’autre des immeubles, aux fins du calcul du profit réalisé suite à la revente des immeubles.

 

[35]           Selon la Couronne, en raison des agissements de chacun des intimés, ils peuvent facilement mettre à l’abri des créanciers l’équité sur des immeubles en utilisant des prête-noms. Selon les faits au dossier, les six contribuables nommés à titre d’intimés en l’espèce ont éludé le paiement de l’impôt. La Couronne soutient aussi que même si la Caisse Populaire a décidé, à l’automne 2008, de ne pas renouveler le prêt octroyé à la Fiducie, il est raisonnable de croire que la Fiducie se financera ailleurs et que ces nouvelles hypothèques auront priorité sur les créances de la Couronne.

 

[36]           Dans le passé, Normand et Stéphane Descoteaux ont été reconnu coupables de perception d’intérêts à un taux criminel dans le cadre d’un stratagème semblable aux transactions effectuées par la Fiducie. Normand Descoteaux agit présentement à titre de conseiller pour la Fiducie (affidavit supplémentaire du 12 septembre 2008 de Stéphane Descoteaux, paragraphe 24), alors que Stéphane Descoteaux est consultant en prêt pour la Fiducie (affidavit supplémentaire de Chantal Frégault du 11 septembre 2008, paragraphe 114). L’affidavit de Catherine Pennors portant sur un rapport de vérification au sujet de Normand et Stéphane Descoteaux n’a pas été contesté par les intimés. La Couronne plaide que l’antécédent criminel des intimés Stéphane Descoteaux et Normand Descoteaux, leur implication dans des activités illicites, la gestion peu orthodoxe de leurs actifs et leur comportement fiscal délinquant démontrent qu’ils respectent peu la loi et qu’ils ne sont pas dignes de confiance.

 

[37]           La Fiducie est propriétaire de l'immeuble située au v303-20 rue Maurice Aveline à Ste-Adèle depuis le 13 mars 2007. Les intimés admettent l'existence d'un bail avec Michel Leclerc, mais la Fiducie n’aurait pas déclaré un revenu de 20 700 $ pour la période du 1 avril 2007 au 31 décembre 2007. Le procureur des intimés déclare à l’audience que Michel Leclerc n’a pas payé de loyer, mais il n’y a pas de preuve à cet effet.

 

[38]           Chantal Frégault a fait publier un préavis d’exercice dans l’éventualité du transfert d’un immeuble de la société 9125-9622 Québec inc. à la société 9108-0903 Québec inc. dans l’unique but d’éviter le paiement de droits de mutation relatifs au transfert de cet immeuble.

 

[39]           Sophie Lebel a fait faillite et a été libérée le 25 janvier 2004. La mère de celle-ci, Marie-Ange Giasson, avait acheté la maison appartenant auparavant à sa fille le 21 octobre 2004 de la société 9125-9622 Québec inc. pour 200 000 $. Le 24 août 2006, Sophie Lebel rachète sa maison de sa mère au coût de 1 $ alors qu’elle en vaut près de 400 000 $ aujourd’hui selon l’évaluation foncière au dossier.

 

[40]           La Couronne explique que les erreurs de M. Talbot ne sont pas de mauvaise foi. Ce dernier ne pouvait pas faire appel aux notaires de peur d’alerter les contribuables des vérifications à leur égard. Au paragraphe 16 de la décision Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.)  c. Lauzon, 2006 CF 15, 2006 D.T.C. 6043, le protonotaire Morneau émet une ordonnance qui suspend toute communication avec le notaire jusqu’à ce qu’il y ait jugement final dans le dossier de la Cour. L’Agence explique qu’elle respecte l’esprit de cette décision dans le cadre de ses vérifications sur les intimés et qu’elle ne demande pas davantage d’information des notaires et autres personnes impliquées de peur que les intimés dilapident leurs biens.

 

[41]           Dans son interrogatoire, M. Talbot offre une explication raisonnable de l’utilisation du mot « prêt fictif » mentionné dans son affidavit du 8 juillet 2008 pour obtenir l'ordonnance contestée. De toute façon, la Couronne estime que le juge Martineau aurait quand même émis l'ordonnance malgré la découverte de certaines erreurs commises de bonne foi par M. Talbot (Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.) c. Papa, 2009 CF 49, [2009] A.C.F. no 86 (QL) aux paragraphes 21-23, qui applique la décision Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.) c. Reddy, 2008 CF 208, 329 F.T.R 13.  

 

[42]           Le 13 juillet 2007, M. Yvon Talbot avait demandé à la Caisse Populaire une copie de l’avis de débit de 1 200 000 $ mais il a oublié de faire un suivi à la suite de cette demande. Il avait donc établi le profit réalisé par Fiducie en tenant compte seulement du produit de la disposition de 1 800 000 $ pour l’édifice surnommé le « Drugstore » et 2 400 000 $ pour l’édifice surnommé le « Club Sandwich ».

 

[43]           Toutefois, lorsque M. Yvon Talbot a pris connaissance d’un chèque de 1 168 389,92 $ à Jo‑Pac Manufacturing Inc. de 9125-9622 Québec inc. en guise de quittance du prêt payé par la marge de crédit de la Caisse Populaire (pièce I-3 de l’interrogatoire de M. Yvon Talbot du 10 février 2009), l’Agence a réduit la cotisation à 1 622 765,44 $, soit le montant indiqué à la pièce C-1 soumise à l’audience des 17 et 18 février 2009. De plus, suite à la réception d’un montant de 15 000 $ le vendredi 13 février 2009, l’Agence a modifié de nouveau le montant de la cotisation à 1 607 765,44 $. Selon la Couronne, ceci démontre transparence et intégrité.

 

[44]           Elle fournit certains détails sur le style de vie des intimés et fait remarquer que la Fiducie loue présentement trois voitures : une de marque BMW, une de marque Lexus et une de marque Bentley. Dans Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) c. Calb (1997), 135 F.T.R. 195, 73 A.C.W.S. (3d) 172 au paragraphe 10, la Cour s'est exprimée ainsi à ce sujet :

Le 10 juillet 1997, et de nouveau dans la situation actuelle, la Cour a conclu et conclut que le comportement téméraire de Mme Calb qui souhaite maintenir son grand train de vie pour elle comme pour son époux, compromet le recouvrement des sommes dues à l’impôt. Ne maison modeste ne susciterait pas tant de craintes au niveau du recouvrement, étant donné qu’une partie de l’actif de Mme Calb pourrait être utilisé pour réduire les impôts dus. Autoriser Mme Calb à poursuivre ses opérations financières et à aliéner son seul actif important (que celui-ci ait ou non été manipulé par M. Calb) sans aucune vérification, compromettrait le recouvrement des sommes dues à l’impôt. 

 

 

[45]         La Couronne plaide que la Fiducie aurait contrevenue à l’ordonnance du juge Harrington du 14 août 2008. Ils s’étaient engagés à ne pas solder leurs actifs, mais voici qu'ils ont donné en garantie la voiture Bentley à la société numérique 9184-8796 inc. dont Chantal Frégault est actionnaire. La Couronne cite Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.) c. 144945

Canada Inc., 2003 CFPI 730, où le juge Blanchard note ceci au paragraphe 18 :

À mon avis, bien qu’elle soit mince, la preuve énoncée ci-dessus concernant l’actif de la demanderesse est suffisante pour établir raisonnablement que cet actif peut ne pas être à même de satisfaire ses obligations. J’estime également que cette preuve, en plus de celle exposée ci-dessus et examinée par le juge Martineau dans l’audience ex parte, est insuffisante pour établir, sur la prépondérance des probabilités, que le délai compromettait le recouvrement. J’accorde particulièrement du poids à la preuve des antécédents de non-conformité par les administrateurs actuels et/ou anciens de la demanderesse au regard des demandes de renseignements et aux obligations imposées par la Loi.

 

[46]           La Couronne soutient qu'elle a rencontré son fardeau de preuve pour l'obtention de l'ordonnance contestée.

 

[47]           Ce dossier est très complexe et les ramifications et les liens entre chaque acteur ont été très difficiles à établir compte tenu des multiples transactions immobilières.

 

Arguments des intimés

[48]           Les intimés soumettent qu’il est faux de prétendre que l’octroi d’un délai pour payer le montant des avis de cotisation compromettrait le recouvrement de la créance ou d’une partie de celle-ci et ce, pour les motifs suivants.

 

[49]            Ils estiment qu’ils ont des motifs raisonnables de croire que le ministre n’a pas rencontré le critère pour obtenir une telle autorisation car le paragraphe 225.2(2) de la loi n’a pas été respecté. À l’audience, le procureur des intimés a concentré la plupart de ses efforts à tenter de démontrer que la Fiducie ne devrait pas faire l’objet d’une ordonnance de recouvrement compromis. D’ailleurs, les avis de cotisation signifiés aux intimés sont vigoureusement contestés et des avis d’opposition ont été déposés en décembre 2008.

 

[50]           Il ressort de la jurisprudence que le ministre a également un fardeau lors de la présentation d’une requête en vertu du paragraphe 225.2(8) de la loi, soit celui de justifier l’ordonnance de recouvrement de protection accordée ex parte (voir Marengère, ci-dessus au paragraphe 63(2)). Les énoncés avancés par le ministre doivent être fondés et non être appuyés sur de simples soupçons ou par la crainte que l’octroi d’un délai au contribuable puisse compromettre le recouvrement. D’ailleurs, l’importance de la somme en jeu n’a rien à voir lorsqu'un juge a à considérer s'il doit ou non émettre une ordonnance de recouvrement compromis (1853-9049 Québec Inc. c. Canada, (1986) 9 F.T.R. 63, 3 A.C.W.S. (3d) 169).

 

[51]           Les intimés soutiennent que les motifs de M. Yvon Talbot ne sont que des soupçons et des craintes non fondés car il existe des balances de prix de vente revenant à la Fiducie qui s’échelonnent sur une période de 8 à 10 ans. À l’audience du 12 janvier 2009, les intimés ont prétendu que le montant des balances de prix de vente s’élevait à 2 958 802,92 $. La Fiducie est donc en mesure d’acquitter sa dette fiscale. Les intimés n’ont aucunement l’intention de dilapider, liquider ou transférer leur patrimoine pour se soustraire au fisc et ils n’ont pas agi de façon frauduleuse. De plus, ni Chantal Frégault ou François Bergeron, soit les fiduciaires de la Fiducie, n’ont cédé les actifs.

 

[52]           Les balances de prix de vente proviennent de trois sources. D’abord, au moment de la création de la Fiducie, 9125-9622 Québec inc. avait cédé à son actionnaire, la Fiducie, la propriété des immeubles situés au 1364-1366 rue Ste-Catherine Est (le Drugstore) et les 1560-1572 rue Ste-Catherine Est (le Club Sandwich). Par contre, ces immeubles, ainsi que celui situé au 2207, rue Panet, avaient été repris suite à une dation en paiement par 9125-9622 Québec inc., de Normand Chamberland. La société 9125-9622 Québec inc. était donc devenue propriétaire des immeubles en réalisant ses garanties, mais elle devait payer les créanciers hypothécaires de rang antérieur.

 

[53]           Le 11 avril 2005, un acte hypothécaire est consenti par 9125-9622 Québec inc. et Marie-Ange Giasson en faveur de 3095-7252 Québec inc., représenté par Howard Greenspoon, au montant de 2 700 000 $ grevant le Drugstore, le Club Sandwich, ainsi que la propriété située au 8980, rue Jean-Marie Lefebvre à Montréal, celle située au 1535 rue Kirouac, celle située au 3884, de l’Empereur ainsi qu’un terrain vacant sur la rue Ste-Catherine. La totalité des sommes empruntées a servi à rembourser les créanciers antérieurs à 9125-9622 Québec inc. Il y a eu quittance de ce prêt le 20 juillet 2006 (pièce 2 de l’affidavit de Richard Millaire).

 

[54]           La société numérique 9125-9622 Québec inc. avait remboursé 1 000 000 $ et la balance de 1 700 000 $ a été remboursée à même un prêt obtenu auprès de Jo-Pac Manufacturing Inc. (affidavit du 8 juillet 2008 de M. Yvon Talbot au paragraphe 193) car le 20 juillet 2006, un acte hypothécaire est consenti par 9125-9622 Québec inc., Chantal Frégault et Marie-Ange Giasson en faveur de Jo-Pac Manufacturing Inc. au montant de 2 500 000 $, grevant toutes les propriétés mentionnées ci-dessus sauf le terrain vacant. Les intimés prétendent que le prêt a été remboursé suite à la vente par la Fiducie des immeubles lui appartenant. Il y a eu quittance le 30 mai 2008 (pièces 3 et 4 de l’affidavit de Richard Millaire ou pièce 8 de l’affidavit de Chantal Frégault).

 

[55]           Le 13 juillet 2007, la Caisse Populaire Desjardins d’Anjou a consenti à la Fiducie une marge de crédit rotative de 1 200 000 $. La marge de crédit est garantie par les deux propriétés appartenant à Sophie Lebel (1535, rue Kirouac) et Chantal Frégault (3884, de l’Empereur) ainsi qu’une propriété située au 8980 Jean-Marie Lefebvre, qui fut vendue le 4 avril 2008. Les intimés prétendent que cette marge de crédit a servi à remplacer le prêt consenti par Jo-Pac Manufacturing Inc., car selon eux, 9125-9622 Québec inc. devait encore remettre 1 168 000 $ à Jo-Pac Manufacturing Inc. (affidavit de M. Yvon Talbot du 8 juillet 2008 au paragraphe 203 et l’interrogatoire de M. Yvon Talbot du 10 février 2009, p. 63). La Fiducie a donc remboursé la créance de 9125-9622 Québec inc.

 

[56]           Le 11 décembre 2008, un préavis d’exercice pour vente sous contrôle de justice a été publié par la Caisse Populaire contre la Fiducie car un solde de 696 254,85 $ est encore dû sur la marge de crédit rotative.

 

[57]           Le 21 novembre 2006, 9125-9622 Québec inc. et la Fiducie vendent le Drugstore à la société numérique 9173-9698 Québec inc. (représentée par Nicolas Tétrault) pour 1 800 000 $ avec une balance de prix de ce même montant. Jo-Pac Manufacturing Inc. réduit par la suite à 1 000 000 $ le montant de son hypothèque sur le Drugstore par un acte de modification d’hypothèque. Le 5 février 2007, par acte de cession de créance hypothécaire, 9125-9622 Québec inc. cède à la Fiducie le solde du prix de vente de 1 800 000 $.

 

[58]           Le 13 mars 2007, 9125-9622 Québec inc. et la Fiducie vendent le Club Sandwich à la société numérique 9177-4158 Québec inc. (représentée par Daniel Ouaknine) pour la somme de 2 400 000 $. La somme de 600 000 $ est remise au vendeur au moment de la vente, alors que 1 000 000 $ a été payé 60 jours après la vente. La balance du prix de  vente de 800 000 $ est payable avant le 15 avril 2017.

 

[59]           Le 13 janvier 2006, un bail est conclu entre la société 9116-4798 Québec inc. (représentée par Mohammed Khan) et 9125-9622 Québec inc. concernant la propriété du Club Sandwich (pièce I-1 de l’interrogatoire de M. Yvon Talbot du 10 février 2009). La clause 14 du bail prévoit une compensation au propriétaire s’il y a « déficience » au loyer. La balance du prix de vente de 800 000 $ du Club Sandwich est donc sujette à la possibilité de compensation découlant de cette clause.

 

[60]           La troisième balance de prix de vente provient d’un prêt qui fut octroyé à Mohammed Khan sur la propriété située au 7550 de Lugano à Brossard, Québec (ci-après le prêt Khan). Il s’agit d’une balance de prix de vente de 800 000 $ avec des versements mensuels de capital et intérêts (interrogatoire de Marco Boulanger du 7 janvier 2009 à la page 24).

 

[61]           La somme de 536 644,53 $ est payable à la Fiducie sous réserve d’un litige impliquant la société 9116-4798 Québec inc. et la Fiducie (affidavit de Claudine Vinette du 5 janvier 2009 au paragraphe 8 et à la pièce 3). Les intimés soumettent que 9116-4798 Québec inc. agit à titre de demanderesse reconventionnelle.

 

[62]           Il y a deux dossiers d’ordonnances de saisie-arrêt présentement devant cette Cour impliquant des sociétés numériques faisant affaire avec la Fiducie. L’affaire ITA-8090-08 constitue une ordonnance de saisie-arrêt contre les deux sociétés numériques de Chantal Frégault, soit 9108‑0903 Québec inc. et 9184-8796 Québec inc. (affidavit de Paola Tiranardi du 22 décembre 2008, pièce 3).

 

[63]           Le dossier ITA-8092-08 concerne les sociétés numériques 9173-9698 Québec inc. et 9177-4158 Québec inc. (soit les acheteurs du Drugstore et du Club Sandwich, respectivement). La tierce saisie 9173-9698 Québec inc. est endettée envers la Fiducie pour une somme de 1 575 000 $, en raison d’un solde de prix de vente de 1 800 000 $ en vertu d’un acte de vente intervenu le 15 novembre 2006. Une ordonnance définitive de saisie-arrêt concernant la société numérique 9173-9698 Québec inc. fut rendue par le protonotaire Richard Morneau le 5 février 2009 (pièce C-2 déposée à l’audience des 17 et 18 février 2009 ou pièce J de l’affidavit supplémentaire de M. Yvon Talbot du 6 février 2009).

 

[64]           La tierce saisie 9177-4158 Québec inc. est endettée envers la Fiducie en vertu d’une balance de prix de vente pour une somme de 800 000 $ à un taux de 6,00% dont la date du paiement en capital est prévue pour le 10 avril 2017, sans mentionner le solde qu’il reste à payer à la Fiducie. La dette de 800 000 $ est sujette aux droits de la tierce saisie de demander compensation à même la balance de vente sur une base mensuelle en vertu de la clause 14 des déclarations du vendeur dans l’acte de vente publié.

 

[65]           Finalement, l’actif de la Fiducie ne repose pas uniquement sur des balances de prix de vente précédemment décrites, mais également sur plusieurs prêts consentis totalisant 630 000 $ (affidavit supplémentaire de Chantal Frégault du 11 septembre 2008, paragraphes 100 à 104). Les intimés ne sont donc pas dans une position où ils tentent de dilapider ou liquider leurs actifs et ils ne sont pas dans une situation financière précaire. Le recouvrement de la créance ne serait pas compromis si un délai lui était accordé.

 

[66]           Les intimés soutiennent que bien qu’il existe des liens familiaux entre eux, cette réalité ne peut amener le ministre à croire que lesdites transactions sont irrégulières ni créer un doute d’une telle ampleur qu’il justifierait une crainte raisonnable que les intimés dilapideraient leurs actifs. Les intimés n'ont commis aucune fraude ou posé des gestes s'y apparentant. Normand et Stéphane Descoteaux ont purgé leur peine de prison et ils agissent dans le respect des lois. Les transactions auxquelles réfèrent les affidavits produits au soutien de la requête ex parte sont le résultat de procédures régulières et légales et ne peuvent être qualifiées de peu orthodoxe. D’ailleurs, le passé criminel de Normand et Stéphane Descoteaux n’a rien à voir avec la Fiducie. Il n’y a aucun stratagème qui pouvait justifier la requête en ordonnance de compromis.

 

[67]           Les intimés s’attaquent tout particulièrement aux affidavits et aux interrogatoires de M. Yvon Talbot. Les intimés prétendent que M. Talbot est de mauvaise foi et qu’il a signé un affidavit le 8 juillet 2008 comportant des informations fausses qui ont induit le juge Martineau en erreur lorsqu’il a émis l’ordonnance de recouvrement compromis.

 

[68]           M. Yvon Talbot s’est aussi contredit à quelques reprises. À titre d’exemple, lorsqu’il fut interrogé au sujet de la marge de crédit de 1 200 000 $, il prétend d’abord que rien n’aurait changé s’il avait su ceci mais plus tard, il estime que ceci aurait pu changer l’avis de l’Agence (interrogatoire de M. Talbot du 30 septembre à la p. 88 et interrogatoire de M. Talbot du 10 février 2009 aux pages 23-24 et 63). Les intimés prétendent que la pièce C-1 soumise à la Cour lors de l’audience des 17 et 18 février 2009, qui constitue la justification pour la modification de la cotisation de 2 132 000 $ à 1 622 765,44 $ prouve que M. Yvon Talbot a déposé des affidavits faux et qu’il n’a pas été honnête avec la Cour.

 

[69]           Quant à Mme Claudine Vinette, les intimés soumettent qu’elle a signé un affidavit le 11 septembre 2008 et qu’elle n’a pas tenu compte d’une équité de 800 000 $ (à cause du litige contre 9116-4798 Québec inc. et la Fiducie), ce qui aurait eu pour effet d’augmenter les actifs de la Fiducie. De plus, Mme Vinette s’est trompée dans l’évaluation de l’équité des propriétés de Chantal Frégault (3884, de l’Empereur) et Sophie Lebel (1535, rue Kirouac). Cette attitude empreinte de mauvaise foi, ajoutée au fait que Claudine Vinette a refusé ou négligé de faire quelque vérification que ce soit auprès du signataire de la déclaration dans le litige (soit Daniel Ouaknine), démontre clairement l’intention de la Couronne de ne pas faire une divulgation franche et complète.

 

[70]           Conséquemment, le ministre n’a pas rencontré le critère démontrant que ses créances seraient en péril si un délai était octroyé aux intimés.

 

[71]           Les manquements de la part du ministre doivent permettre à la Cour de conclure à l’absence de divulgation franche et complète tel qu’expliqué dans l’affaire récente Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.) c. Laquerre, 2008 CF 458 au paragraphe 31, 2008 D.T.C. 6324 :

Ainsi, une requête en annulation de l’ordonnance doit être accueillie s’il appert que le défaut du ministre de divulguer les faits de façon intégrale et franche a induit le juge en erreur.

 

[72]           Les affidavits de la Couronne sont appuyés sur des vérifications restreintes et exécutées de façon intentionnellement malhonnête. Aucun expert avec lesquels les intimés font affaire n’a été approché afin d’obtenir les données justes relativement aux transactions.

 

[73]           Les affidavits comportent des allégations insuffisantes, mais surtout inexactes, puisque le ministre a fait preuve de négligence lors des enquêtes car aucune démarche n’a été effectuée après le 7 juillet 2008 auprès de 3095-7252 Québec inc. (soit Howard Greenspoon) afin de vérifier les remboursements effectués sur le premier emprunt par la Fiducie. Une simple vérification aurait permis de constater qu’une quittance complète et finale avait été transmise suite au paiement du reliquat de la dette.

 

[74]           M. Yvon Talbot a négligé aussi de vérifier auprès de Saul Mendelson si la dette de 1 700 000 $ envers Jo-Pac Manufacturing Inc. avait été remboursée, ce qui est effectivement le cas. Si cette vérification avait été faite, le vérificateur n’aurait pas pu conclure que la fiducie avait omis de déclarer les sommes y figurant. Compte tenu que l’Agence a construit les avis de cotisation remis aux intimés suite aux vérifications incomplètes de M. Yvon Talbot, ces avis ne sont pas exacts. De plus, M. Yvon Talbot n’a pas tenu compte du chèque de 1 168 398,92 $ du compte du notaire St-Gelais qui rembourse le prêt auprès de Jo-Pac Manufacturing Inc. (pièce I-3 de l’interrogatoire de M. Yvon Talbot du 10 février 2009).

 

[75]           La crédibilité de M. Yvon Talbot est sérieusement compromise car ce dernier confond des prêts et des hypothèques. Il ne reconnaît pas les actes notariés car ceux-ci ne concordent pas avec les feuilles de compte bancaire qu’il a obtenues. De plus, la vérification de M. Talbot est incomplète car elle n’est faite qu’à partir des feuilles de comptes bancaires. Il a manqué de rigueur en ne tenant pas compte des frais notariés et financiers lorsqu'il a évalué les profits qu'il a attribués à la Fiducie.

 

[76]           À titre d’exemple, les intimés prétendent que les chèques totalisant 341 000 $ (soit six chèques de 50 000 $ et un chèque de 41 000 $) datés du 5 avril 2007 au nom d’Énergie Confort constituaient des dépenses de rénovations car il s’agit d’une entreprise de réfrigération. Les intimés soumettent que ces coûts devaient être ajoutés car ils auraient été encourus avant la vente des édifices et que M. Yvon Talbot avait tort de regarder la date de la facture lors de sa vérification (interrogatoire de M. Yvon Talbot du 10 février 2009, aux pages 33 à 43).

 

[77]           M. Talbot a utilisé l’expression « prêt fictif » alors qu’il s’agissait d’une marge de crédit rotative. D’après les intimés, cette appellation est donc fausse et a induit le juge en erreur. Les 26 transactions (pièce C-3 déposée à l’audience des 17-18 février 2009) ne sont pas des prêts fictifs tel que prétendu par M. Talbot, mais des prêts intérimaires (bridge loans) permettant le déroulement aisé des transactions immobilières. M. Talbot a donc faussement attribué les profits provenant de ces 26 transactions à la Fiducie. Les intimés soutiennent que les documents soumis à la Cour démontrent qu’il s’agit de prêts intérimaires et que la Fiducie n’est pas liée aux parties impliquées dans les transactions.

 

[78]           Selon les intimés, Claudine Vinette tente d’induire la Cour en erreur puisqu’elle indique que parce que l’une des transactions concernait un immeuble détenu par Normand Descoteaux, lequel a été vendu à M. Cadelis et le fait que Normand Descoteaux et André Charbonneau puissent avoir des liens entre eux, signifie selon elle que la Fiducie devient indirectement la propriétaire de cet immeuble (affidavit supplémentaire de Claudine Vinette du 5 janvier 2009, aux paragraphes 36 et 37). Or, elle omet de préciser que M. Yvon Talbot a reconnu lors de son interrogatoire du 30 septembre 2008 que Normand Descoteaux n’était nullement lié ou impliqué à la Fiducie.

 

[79]           Les intimés notent également qu’il ressort d’une décision récente que l’absence de preuve quant à des gestes frauduleux de la part des contribuables jumelée aux intentions de ces derniers de ne pas disposer d’aucune façon de leurs actifs justifient l’annulation de l’ordonnance de recouvrement compromis (voir Abergel c. Canada, 2008 CF 589, 2008 D.T.C. 6403 aux paragraphes 13 et 21).

 

[80]           Subsidiairement, les intimés soumettent qu’ils sont justifiés de demander une réduction de la portée de l’ordonnance contestée puisqu’ils sont dans l’impossibilité de subvenir à leurs besoins et par ce fait leur patrimoine risque d'être mis en péril. La portée de la saisie pratiquée par la Couronne sur les actifs des intimés est hautement supérieure à la dette présumée aux avis de cotisation. À ce jour, tous les actifs des intimés ont été bloqués par la Couronne (saisies-arrêts pratiquées par la Couronne dans les dossiers ITA-8092-08 et ITA-8090-08).

 

[81]           De plus, il est urgent pour les intimés d’obtenir la réduction demandée puisque le 11 décembre 2008, un préavis d’exercice de vente sous contrôle de justice a été publié par la Caisse Populaire contre la Fiducie concernant la marge de crédit de 1 200 000 $.

 

[82]           Les intimés notent que les saisies pratiquées contre eux ont pour effet de paralyser leurs activités et par conséquent, les créances risquent plus d’être mises en péril par la paralysie découlant de l’ordonnance que l’écoulement d’un délai pour payer les sommes réclamées en vertu des avis de cotisations. D’ailleurs, en conséquence de la saisie pratiquée auprès de la Fiducie, ses employés, soit Chantal Frégault (fiduciaire), Sophie Lebel (constituante) et Stéphane Descoteaux (consultant en prêt) se retrouvent sans salaire. La Fiducie s’acquittait avant les saisies, de toutes les charges relatives à la conservation des immeubles. Les saisies ont donc eu comme résultat de rendre les intimés insolvables.

 

[83]           Les affiants de la Couronne, en omettant de révéler des faits et des renseignements pertinents, ou en négligeant de le faire, ont induit le juge en erreur. Ils n’ont pas respecté les devoirs de divulgation franche et complète, ni d’extrême bonne foi, en limitant intentionnellement leur enquête aux faits recherchés par ces derniers afin d’obtenir l'ordonnance contestée. Cette attitude empreinte de mauvaise foi et cette méthode d’enquête incomplète justifient l’annulation de l’ordonnance rendue le 16 juillet 2008 par l’honorable juge Martineau.

 

Analyse

[84]           La Cour croit qu’elle doit examiner le dossier dans son ensemble. Il s'agit d'un dossier complexe, impliquant plusieurs transactions avec des acteurs qui sont liés ou représentés par des compagnies numériques avec appellations multiples.

 

[85]           La Cour constate aussi que des erreurs ont été commises par un des affiants de la Couronne. Les intimés ont raison de soulever des inexactitudes dans les calculs incorporés dans les affidavits soumis au juge Martineau. Mais, est-ce que ces erreurs et inexactitudes permettent d'annuler ou de réduire l'ordonnance rendue? La Cour croit que non.

 

[86]           Pour en arriver à cette conclusion la cour a tenu compte des éléments suivants :

·               les relations entre Normand et Stéphane Descoteaux et la Fiducie;

·               le non-paiement des impôts par la compagnie 9125-9622 Québec inc.;

·               le transfert des actifs de cette compagnie à la Fiducie;

·               les revenus non déclarés de la Fiducie;

·               les multiples transactions impliquant la Fiducie, où cette dernière prête sans garantie des sommes considérables pour l'acquisition d'immeubles et est impliquée par la suite dans la revente en finançant le dépôt. Tout ceci en échange d'un résultat monétaire minime;

·               les profits réalisés lors de ces transactions, ces derniers étant remis à des personnes ou compagnies autres que le vendeur.

 

[87]           Tout ceci, selon la Cour, permettait à la Couronne de craindre que l'octroi d'un délai pouvait compromettre le paiement de ses créances.

 

[88]           De même, la Cour est d'avis qu’il n’est pas nécessaire de réduire la portée de l’ordonnance du juge Martineau.

 

[89]           La Couronne dépose la pièce C-3 (Comparaison Tableau pièce K de M. Yvon Talbot et les pièces à l’Engagement no 4 Monsieur Marco Boulanger) préparée par Mme Vinette indiquant 26 transactions identifiées par l’Agence impliquant la Fiducie. Avec cette pièce, la Couronne plaide Anchor Pointe Energy Ltd. c. Canada, 2007 CAF 188, au paragraphe 40 :

... À l’étape initiale ou à celle de l’opposition, le ministre essaye de déterminer l’obligation fiscale du contribuable et son étendue. Il a le droit, pendant cette période et jusqu’à sa décision finale, de se fonder sur des faits nouvellement découverts ou divulgués par le contribuable et de les tenir pour acquis. Rien dans la définition de la cotisation n’exige ou ne permet que certains faits soient retenus et d’autres pas et que, par conséquent, deux catégories d’hypothèses de fait puissent être créées avec un fardeau différent. ...

 

[90]           L’Agence avait raison de poursuivre ses vérifications sur les activités financières des intimés et la Cour peut à bon droit se référer aux 28 nouvelles transactions figurant à la pièce C-4 (Analyse transactions immobilières Engagement no 4 de Marco Boulanger) soumise à l’audience des 17 et 18 février 2009.

 

[91]           Cette pièce C-4 indique que pour des prêts totalisant plus de 3 000 000 $, la Fiducie n’a encaissé que 4 656 $ en intérêts, soit à peine 0.0015% en rendement. La pièce C-3 révèle que sur des prêts totalisant 513 870 $, la Fiducie a obtenu des revenus d’intérêt de 2 972 $, soit à peine 0.0058%. La Cour a beaucoup de difficulté à comprendre pourquoi une fiducie prêterait de telles sommes sans garantie et se contente d’un rendement semblable.

 

[92]           Ayant analysé les preuves soumises par les parties et considéré les représentations des procureurs, la Cour conclut que les intimés n'ont pas rencontré le fardeau initial de prouver qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le critère prévu au paragraphe 225.2(2) de la loi n’a pas été respecté.

 

[93]           La Cour est aussi convaincue que même si le juge Martineau avait été mis au courant des erreurs commises par M. Talbot ainsi que des inexactitudes quant aux calculs dans les affidavits, il aurait malgré tout rendu l'ordonnance qui est contestée ici.

 

[94]           Il est pertinent de citer le juge Lemieux dans Marengère, ci-dessus, aux paragraphes 67 et 72(4) :

[67] [...] Il ne s’agit pas ici d’une affaire d’intention ou de planification fiscale; il faut régler l’affaire d’une façon objective et réaliste. En d’autres termes, c’est l’effet ou le résultat des mesures que le contribuable a prises à l’égard de ses actifs qui est important et pertinent lorsqu’il s’agit d’apprécier le bien-fondé de l’ordonnance de recouvrement de protection. ...

 

[72] (4) [...] le ministre n’a pas à prouver la fraude ou la tromperie ou un mauvais motif.

 

[95]           Le comportement peu orthodoxe des intimés dans la gestion de leurs affaires est un élément déterminant que la Cour peut considérer (Mann c. Canada (ministre du Revenu national), 2006 CF 1358 au paragraphe 50, 2007 D.T.C. 5024; Canada c. Paryniuk, ci-dessus et Laframboise, ci-dessus au paragraphe 19). Ici, les pratiques commerciales des intimés peuvent être décrites comme étant peu orthodoxes.

 

[96]           Finalement, la Cour reconnaît que la Couronne a satisfait à son obligation de divulgation malgré les inexactitudes et les erreurs commises. La Cour rejette donc les requêtes des intimés.

 

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que les requêtes des intimés en annulation datée du 16 juillet 2008 et en réduction de l’ordonnance de recouvrement compromis soient rejetées avec dépens. Une somme globale unique de 2 500 $ à titre de frais devra être payée par les intimés.

 

 

« Michel Beaudry »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIERS :                                      T-1084-08

 

INTITULÉ :                                       DANS L’AFFAIRE DE LA Loi de l’impôt sur le revenu

ET DANS L’AFFAIRE de cotisations établies par le ministre du Revenu National en vertu d’une ou plusieurs des lois suivantes : la Loi de l’impôt Sur le revenu, le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l’assurance-emploi

 

CONTRE :

FIDUCIE DAUPHIN

3884, avenue de l’Empereur

Laval (Québec) H7E 5M5

 

9125-9622 QUÉBEC INC.

1010 de la Gauchetière Ouest, Bureau 2250

Montréal (Québec) H3B 2N2

 

CHANTAL FRÉGAULT

STÉPHANE DESCOTEAUX

3884, rue de l’Empereur

Laval (Québec) H7E 5M5

 

SOPHIE LEBEL

1535, rue Kirouac

Laval (Québec) H7G 4T4

 

NORMAND DESCOTEAUX

Succ. Anjou CP 153

Anjou (Québec) H1K 4G6

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               les 17 et 18 février 2009


MOTIFS DE JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Beaudry

 

DATE DES MOTIFS :                      le 3 avril 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Martin Lamoureux                                                        POUR LE CRÉANCIER SAISISSANT

 

Sébastien Sénéchal                                                       POUR LES INTIMÉS-SAISIS/

                                                                                                OPPOSANTS

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                                         POUR LE CRÉANCIER SAISISSANT

Sous-procureur général du Canada                              

Montréal (Québec)

 

Sébastien Sénéchal                                                       POUR LES INTIMÉS-SAISIS/

Montréal (Québec)                                                                   OPPOSANTS

 

 

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