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Date : 20090327

Dossier : IMM-3497-08

Référence : 2009 CF 325

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2009

En présence de monsieur le juge Gibson

ENTRE :

A. B.

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

Introduction

[1]               Les présents motifs font suite à l’audition d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent) par laquelle celui‑ci a conclu ce qui suit :

[Traduction]

 

Je conclus que le demandeur ne répond pas à la description qui figure à l’article 96 ou aux alinéas 97(1)a) ou b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Le demandeur ne répond pas à la définition de personne à protéger et sa demande est donc rejetée.

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle est datée du 23 juin 2008.

 

La question préliminaire

[2]               Lors de l’audition de la présente demande, la Cour et l’avocat du demandeur ont discuté de la question de savoir s’il conviendrait et s’il serait dans le meilleur intérêt de la justice de supprimer des présents motifs ainsi que de l’ordonnance de la Cour découlant des présents motifs tous les éléments permettant d’identifier le demandeur ou la demanderesse compte tenu du temps qu’il ou qu’elle a passé à l’extérieur de son pays de citoyenneté et compte tenu de certaines des activités auxquelles il ou elle s’est adonné au cours de cette période. L’avocat du demandeur a demandé l’autorisation de consulter son client après l’audition et de formuler des observations écrites appropriées à la Cour dont copie serait envoyée à l’avocat du défendeur. Le fondement de la préoccupation du demandeur ressortira à l’examen des paragraphes subséquents des présents motifs. Par conséquent, à la fin de l’audience, le prononcé de la décision a été remis à plus tard et on a accordé un délai à l’avocat pour qu’il puisse consulter son client et formuler des observations à la Cour. L’avocat du défendeur a évidemment eu la possibilité de répondre à ces observations.

 

[3]               L’avocat du demandeur a présenté des observations écrites à la Cour dans lesquelles il lui a demandé d’« édulcorer » ses motifs de manière à ne pas révéler l’identité du demandeur. Dans les mêmes observations, l’avocat a mentionné qu’il ne demandait pas que le dossier de la Cour soit mis sous scellés. Il était plutôt préoccupé par la pratique de la Cour qui consiste à publier sur son site Web des motifs comme ceux en question, les rendant ainsi facilement accessibles et permettant à quiconque de constater tout de suite qu’ils ont trait au demandeur car le nom et les autres renseignements personnels du demandeur figurent dans les motifs. L’avocat du défendeur a informé la Cour qu’il n’a pris aucune position quant à la demande formulée par l’avocat du demandeur.

 

[4]               Dans l’arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances)[1], le juge Iacobucci, au nom de la Cour suprême du Canada, a écrit ce qui suit au paragraphe 53 de ses motifs :

Pour appliquer aux droits et intérêts en jeu en l’espèce l’analyse de Dagenais et des arrêts subséquents précités, il convient d’énoncer de la façon suivante les conditions applicables à une ordonnance de confidentialité dans un cas comme l’espèce :

 

Une ordonnance de confidentialité en vertu de la règle 151 ne doit être rendue que si :

 

a)                  elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

 

b)                  ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

 

[5]               Après avoir appliqué le critère susmentionné aux faits de l’espèce, compte tenu notamment de la position adoptée par le défendeur, je suis convaincu que les effets bénéfiques de la suppression, des présents motifs, des éléments permettant d’identifier le demandeur l’emportent sur les effets préjudiciables, y compris les effets sur l’intérêt du public dans la publicité des débats. Par conséquent, sans ordonnance officielle de la Cour, le nom du demandeur sera mentionné dans l’intitulé des présents motifs ainsi que dans l’ordonnance qui traduit l’issue des présents motifs sous les seules initiales « A. B. ». Les autres modifications qui découlent de cette mesure ont été apportées dans l’ensemble des motifs et, si nécessaire, seront apportées dans l’ordonnance de la Cour. Des pronoms masculins seront utilisés dans le reste des présents motifs, et ce, uniquement pour des raisons de commodité et de facilité de lecture. Cette façon de procéder n’a rien à voir avec le sexe du demandeur.

 

L’historique

[6]               L’affidavit que le demandeur a déposé dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire était très court et manquait de fond. Cela dit, il a joint à cet affidavit [traduction] « [...] une copie des documents déposés dans le cadre de la demande d’ERAR ». Il a déclaré que ses craintes de retourner dans le pays de sa nationalité, l’Iran, sont essentiellement les mêmes que celles qui sont mentionnées dans les documents déposés dans le cadre de sa demande d’ERAR. Le contexte factuel qui suit est, pour l’essentiel, incontesté.

 

[7]               Le demandeur est un ressortissant iranien. Il s’est enfui de l’Iran et il est arrivé au Canada en juillet 1997. Il a demandé l’asile en raison de ses opinions politiques car il appuie le Fedayin‑e‑Khalq (organisation de la majorité populaire iranienne des fedayins) et car il a joué un rôle dans l’hébergement de fugitifs politiques. La Section du statut de réfugié de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SSR) a rejeté la demande du demandeur. Elle a conclu que celui‑ci n’était pas crédible.

 

[8]               Le demandeur a fait mention d’un nouveau risque dans sa demande d’ERAR. Dans une déclaration solennelle déposée dans le cadre de cette demande, il a déclaré ce qui suit :

[Traduction]

 

[...]

J’ai rejeté l’Islam depuis que je suis arrivé au Canada.

 

Je me considère comme étant, à tout le moins, agnostique, quoique, selon certaines définitions, je serais athée.

[…]

 

[9]               Dans des allégations portant sur la demande d’ERAR du demandeur, le représentant du demandeur à l’époque a écrit ce qui suit :

[traduction]

 

La question de [nom du demandeur] qui a rejeté l’Islam est plus complexe. Cette transformation s’est produite graduellement, au Canada, pendant une période de dix ans. [nom du demandeur] n’est pas allé dans une mosquée depuis des années. [nom du demandeur] est un apostat ou un hérétique aux yeux des religieux fanatiques qui contrôlent l’Iran. Si on met de côté la première question [la crainte du demandeur fondée sur ses prétendues opinions politiques et son allégation que son témoignage à cet égard était crédible] la question consiste alors à savoir à quel traitement [nom du demandeur] peut-il s’attendre à recevoir en Iran à titre de personne qui a rejeté l’Islam?

 

La décision faisant l’objet du présent contrôle

[10]           L’agent a tranché de façon très succincte la première question dont il a été saisi, c’est‑à‑dire la crainte du demandeur fondée sur ses prétendues opinions politiques. L’agent a écrit ce qui suit quant à cette question :

[traduction]

 

La Cour fédérale, dans Kaybaki, a déclaré que la procédure d’évaluation du risque avant renvoi ne saurait se transformer en une seconde audience de statut de réfugié. Cette procédure a pour objet d’évaluer les nouveaux risques pouvant surgir entre l’audience [de la CISR] et la date du renvoi.

 

Comme le demandeur ne fournit aucun renseignement supplémentaire sur la question de savoir en quoi sa situation est liée au risque susmentionné et comme il ne soumet aucune preuve additionnelle selon laquelle est exposé à un risque personnel en raison de ses opinions politiques, je conclus qu’il n’existe qu’une simple possibilité que le demandeur soit persécuté eu égard au risque susmentionné. En ce qui concerne l’article 97, compte tenu de la preuve soumise, je ne crois pas qu’il est probable que le demandeur serait soumis à la torture ou à une menace pour sa vie ou à un risque de subir des traitements ou peines cruels et inusités à son retour en Iran. [Renvoi omis.]

 

[11]           L’agent a tranché de manière presque aussi succincte la deuxième question qui lui a été soumise, c’est‑à‑dire le nouveau risque invoqué par le demandeur; le risque constitué par son rejet de l’Islam depuis qu’il est arrivé au Canada. L’agent a écrit ce qui suit quant à cette question :

[traduction]

 

Même si je prends note de la preuve documentaire présentée par le demandeur qui mentionne que des chefs spirituels et des militants chrétiens ont été détenus et interrogés par les autorités iraniennes, le demandeur ne mentionne pas qu’il est un militant ou un chef spirituel religieux.

 

J’ai lu et examiné la preuve documentaire présentée par le demandeur. Les articles soumis dans cette preuve proviennent de diverses sources en ligne et portent sur la situation de l’apostasie en Iran. Le demandeur soumet également des articles émanant du Département d’État qui dressent un portrait général de la situation des droits de la personne. Même si je reconnais que le gouvernement de l’Iran harcèle et persécute parfois des apostats ainsi que d’autres groupes confessionnels comme les adeptes du Baha’i et que l’Iran ne garantit pas le droit de ses citoyens à changer de religion et que l’apostasie (le rejet de l’Islam) est passible de la peine capitale, la preuve ne suffit pas à me convaincre que le demandeur attirerait l’attention des autorités. Même si je reconnais la déclaration du demandeur selon laquelle « [il est], chose certaine, agnostique, peut‑être athée », celui‑ci n’a soumis aucune preuve indiquant qu’il serait contraint de faire part de son délaissement de l’Islam aux autorités lors de son retour en Iran.

 

Même si je prends acte de la preuve documentaire portant sur le mauvais dossier de l’Iran en matière de droits de la personne, je ne crois pas qu’il est probable que le demandeur serait exposé à un risque de persécution pour l’un quelconque des motifs prévus par la Convention. J’estime qu’il est peu probable que le demandeur soit exposé à une menace à sa vie ou à un risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités aux mains des autorités iraniennes.

[Non souligné dans l’original.]

 

Comme je l’ai mentionné, j’ai souligné une partie du deuxième paragraphe de la citation qui précède. Il convient de souligner la formule employée par l’agent dans la phrase « [le demandeur] serait contraint de faire part […] ».

 

Les questions en litige

[12]           La décision sommaire rendue par l’agent concernant la demande du demandeur fondée sur ses opinions politiques n’a pas été contestée dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. L’avocat du demandeur insiste sur le fait que l’agent a mal formulé la question dont il était saisi concernant le rejet de l’Islam par le demandeur lorsqu’il a décrit le critère ou la question comme étant la question de savoir si le demandeur et sa répudiation de l’Islam seraient portés à l’attention des autorités et s’il serait contraint de faire part de son délaissement de l’Islam aux autorités lors de son retour en Iran. L’avocat insiste sur le fait que le critère ou la question en litige ne porte pas sur la volonté ou la capacité du demandeur à faire preuve de discrétion mais plutôt sur la question de savoir si son délaissement de l’Islam est susceptible, d’une manière ou d’une autre, d’être porté à l’attention des autorités iraniennes et d’occasionner la tenue d’enquêtes par celles‑ci ou au nom de celles‑ci. L’avocat insiste sur le fait que les décisions de la Cour portant sur ce critère ou sur cette question traduisent des opinions partagées, que le dernier énoncé du critère ou de la question est juste et que l’adoption par l’agent de la première version du critère ou de la question constitue une erreur susceptible de révision.

 

[13]           À titre accessoire, l’avocat du demandeur insiste sur le fait que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle en appliquant, aux fins de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés[2], un critère qui consiste à déterminer si le demandeur serait persécuté si son délaissement de l’Islam était porté à l’attention des autorités plutôt que le critère moins exigeant qui consiste à savoir s’il existe une « possibilité sérieuse » que le demandeur soit persécuté.

 

 

L’analyse

a)         Le demandeur attirerait l’attention ou serait contraint de faire part de son délaissement plutôt que les autorités iraniennes apprendraient

 

[14]           L’avocat du demandeur m’a d’abord renvoyé à la décision Sadeghi c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration[3] dans laquelle le juge Rouleau était saisi du contrôle judiciaire d’une décision de la SSR concernant un citoyen de l’Iran âgé de 37 ans. L’une des questions dont le juge Rouleau a été saisi était formulée de la façon suivante :

Le tribunal de la SSR a-t-il mal interprété le fondement de la revendication du demandeur en considérant que c’est l’adhésion de ce dernier à la foi chrétienne qui est déterminante dans sa crainte d’être persécuté en raison de sa religion plutôt que sa conversion au christianisme et la perception que les autorités iraniennes en auraient?

 

 

Le juge Rouleau a déclaré ce qui suit au paragraphe 17 de ses motifs :

 

Il ressort des motifs du tribunal de la SSR que celui-ci a considéré le degré d’engagement du demandeur envers la foi chrétienne comme essentiel à son analyse de la question de savoir si ce dernier craint avec raison d’être persécuté en raison de sa religion. […]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

Le juge Rouleau renvoie à de longs extraits des motifs de la SSR et termine son renvoi par le paragraphe suivant :

 

Pour tous les motifs ci-dessus, je conclus que le revendicateur n’est pas un témoin crédible et qu’il n’a pas réussi à soutenir de manière crédible son allégation de crainte de persécution en Iran, un pays qu’il a quitté il y a 19 ans. Le revendicateur n’a pas démontré qu’il pratique la foi chrétienne depuis son arrivée au Canada de telle sorte qu’il puisse me persuader que c’est la foi qu’il pratiquerait s’il retournait en Iran.

[...]

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

 

[15]           Le juge Rouleau conclut ce qui suit au sujet du dernier paragraphe extrait des motifs de la SSR :

Avec égards, le tribunal s’est trompé. La question n’est pas de savoir si le demandeur est à ce point imprégné de la foi chrétienne que, s’il retournait en Iran, il pratiquerait cette religion là-bas au risque d’attirer l’attention des autorités. Au contraire, la principale question qui sous-tend le bien-fondé de la crainte de persécution du demandeur en raison de sa religion est liée à sa conversion au christianisme et à l’attitude qu’aura le gouvernement iranien, le persécuteur putatif, si ce dernier est informé de sa conversion. En effet, les conséquences seront très graves pour le demandeur si sa conversion au christianisme est connue des autorités iraniennes. La preuve documentaire soumise à l’audience a clairement établi que l’apostasie est un crime grave en Iran, passible de la peine capitale. Le tribunal de la SSR a complètement ignoré cette question et ne semble même pas avoir reconnu l’existence de ce problème en Iran. À mon avis, le tribunal a nettement surestimé l’importance de quelques faits invraisemblables qu’il a réussi à faire ressortir du témoignage du demandeur, ce qui lui a fait oublier la quintessence des faits qui sous-tendent la revendication du demandeur. En conséquence, le tribunal a commis une erreur en ignorant complètement une question essentielle à la décision rendue.

 

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[16]           Sur ce seul fondement, le juge Rouleau a accueilli la demande de contrôle judiciaire dont il était saisi.

 

[17]           L’avocat du demandeur m’a renvoyé au rapport du Département d’État des États-Unis du 11 mars 2008 sur la situation des droits de la personne en République islamique d’Iran. Dans ce document, qui a été soumis à l’agent, on peut lire ce qui suit[4] :

[traduction]

 

Des nationaux revenant de l’étranger ont parfois été soumis à des fouilles et à des interrogatoires serrés de la part des autorités gouvernementales, en quête de preuves d’activités antigouvernementales menées à l’étranger. Des enregistrements et des imprimés, des lettres personnelles et des photographies ont été confisqués.

 

L’avocat a souligné que le demandeur est absent de l’Iran et vit au Canada depuis près de 12 ans et il a insisté sur le fait qu’on peut raisonnablement supposer que le demandeur pourrait faire l’objet d’un examen serré s’il devait retourner en Iran après un si long séjour au Canada. En effet, l’avocat a reconnu que, compte tenu de la transparence des procédures de la Cour et compte tenu, notamment, des nombreux documents qui sont affichés sur son site Web, il n’est pas inconcevable que des enquêtes indépendantes soient tenues afin de déterminer ou de confirmer la raison du retour du demandeur, ce qui ouvre la porte à la possibilité que le délaissement de l’Islam par le demandeur soit porté à l’attention des autorités iraniennes.

 

[18]           Récemment, dans la décision Golesorkhi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[5], le juge Phelan a tiré une conclusion semblable à celle tirée par le juge Rouleau dans la décision Sadeghi, précitée. Il a écrit ce qui suit aux paragraphes 17 et 18 :

En dernier lieu, le demandeur soutient que la décision est déraisonnable. Un élément essentiel de son argument repose sur la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur n’irait pas à l’église une fois en Iran et, par conséquent, sa conversion ne serait pas connue et il ne serait pas persécuté.

 

S’il s’agissait là de la principale raison ayant mené à la conclusion d’absence de risque, je conviendrais que la décision est juridiquement mal fondée. Cette analyse fondée sur le [traduction] « chrétien discret » est viciée parce que la persécution religieuse peut exister du fait qu’un demandeur d’asile ne peut pratiquer sa religion en raison de ses craintes. On ne peut pas réfuter une allégation de risque de persécution religieuse en déclarant qu’il n’y a pas de risque si une personne ne pratique pas sa religion ou ne peut pas la pratiquer ouvertement […] [Renvois omis.]

 

 

Cette conclusion tirée par le juge Phelan n’était pas déterminante compte tenu des faits dont il était saisi parce que l’agent d’ERAR en question dans cette affaire avait conclu que le témoignage du demandeur n’avait tout simplement pas permis d’établir qu’il était vraiment chrétien. Même si l’appartenance au christianisme n’est pas une question en litige en l’espèce, la preuve ténue soumise par le demandeur selon laquelle il aurait rejeté l’Islam a été acceptée par l’agent.

 

[19]           L’avocat du demandeur a insisté sur le fait que le juge Zinn, s’appuyant sur la même jurisprudence que le juge Phelan, a tiré une conclusion semblable dans Zhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[6]. Je ne souscris pas à cette affirmation. Dans cette affaire, la Section de la protection des réfugiés avait conclu que la compréhension par Zhu de la doctrine chrétienne n’était pas assez poussée pour qu’elle ait une raison valable de préférer une église protestante clandestine à une église approuvée par l’État. Le juge Zinn a rejeté cet argument et a conclu ce qui suit au paragraphe 17 de ses motifs :

Cela ne veut pas dire que la sincérité de la conviction religieuse du demandeur ne peut être évaluée au regard de sa bonne connaissance du dogme ou de la croyance invoqué. À mon avis, en l’espèce, après avoir accepté la sincérité de la conviction de la demanderesse, la SPR a commis une erreur lorsqu’elle a ensuite exprimé une conception plutôt complexe de la liberté de religion, conception qui rejetait entièrement l’aspect subjectif des croyances religieuses, en jugeant que la légitimité des croyances d’une personne pouvait et devait être évaluée en fonction de son niveau de connaissances religieuses.

 

Je suis convaincu que cette décision n’étaye en aucune façon l’argument invoqué au nom du demandeur en l’espèce.

 

[20]           Les extraits suivants tirés de la décision rendue par la juge Sharlow, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale du Canada, dans Irripugge c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[7] se rapprochent beaucoup plus du critère ou de la question énoncée dans la décision Sadeghi, précitée, et dans la décision Golesorkhi, précitée. La juge Sharlow a écrit ce qui suit aux paragraphes 50, 52 et 53 de ses motifs :

L’avocate de M. Qiu voit dans l’observation ci-dessus de la SSR l’énoncé du principe général que la personne qui est obligée de faire ses dévotions en secret sous peine d’arrestation n’est pas en proie à la persécution du fait de sa religion […]

[...]

 

L’avocat du ministre soutient que M. Qiu n’a pas fait la preuve, par son témoignage, que dans les faits, il y a eu atteinte à son droit de pratiquer sa religion. Il note que M. Qiu n’avait jamais été arrêté ou menacé d’arrestation, et qu’il n’a pas expressément déclaré qu’il était malheureux d’avoir à faire ses dévotions en famille et en secret.

 

Il s’agit là d’une évocation tronquée du témoignage de M. Qiu. Il a déclaré qu’il n’avait pas été arrêté parce que les autorités n’étaient pas au courant de ses pratiques religieuses, et que sa famille et lui‑même avaient dû se résigner à célébrer le culte en secret de peur d’être arrêtés. M. Qiu ne s’est pas vu poser la question directe de savoir s’il eût participé au culte en public s’il en avait la possibilité, mais il a fait savoir qu’au Canada, il est allé à l’église […]

 

En l’espèce, évidemment, la question en litige n’est pas le risque de persécution religieuse découlant d’une pratique religieuse clandestine ou publique, mais plutôt du risque de persécution si le gouvernement de l’Iran apprend que le demandeur a rejeté l’Islam sans adhérer, secrètement ou publiquement, à une autre religion.

 

[21]           L’avocat du demandeur renvoie aux décisions suivantes qui ont été rendues par la Cour et qui, insiste‑t‑il, adoptent une conception plus étroite de la liberté religieuse. Dans la décision Saiedy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[8], la juge Gauthier a écrit ce qui suit au paragraphe 28 de ses motifs :

En fait, la SPR a conclu, eu égard au témoignage de M. Saiedy, que s’il devait retourner en Iran, il serait discret au sujet de sa conversion et que les autorités ne s’intéresseraient donc pas à lui. Selon la SPR, même si la preuve documentaire révèle qu’un musulman iranien accusé d’apostasie fait face, en théorie, à des conséquences graves puisque, en vertu de la loi, l’apostasie est un crime dont l’auteur est passible de la peine de mort, la preuve concernant le traitement, en pratique, des Iraniens apostats n’est pas aussi claire. La SPR a conclu qu’il serait très certainement dangereux, en Iran, d’avoir sur soi un baptistaire prouvant sa conversion. Toutefois, elle a également conclu que les convertis ordinaires qui sont discrets au sujet de leur foi chrétienne n’intéressent nullement les autorités, même s’ils peuvent s’attendre à être victimes d’un certain ostracisme social et culturel.

 

 

[22]           La juge Gauthier a confirmé la décision de la SPR qui faisait l’objet du contrôle judiciaire dont elle était saisie. Essentiellement, je conclus qu’elle a adopté l’approche ou le critère du « éviter de faire savoir ou de rendre public » plutôt que l’approche ou le critère du « pourrait être appris par les autorités iraniennes » qui a été adopté par les juges Rouleau et Phelan.

 

[23]           Dans le même sens que la décision Saiedy, précitée, l’avocat du demandeur a invoqué la décision Kazemian c. Canada (Solliciteur général)[9] dans laquelle le juge von Finckenstein a écrit ce qui suit au paragraphe 12 de ses motifs :

Vu la description qu’a donnée le demandeur quant à sa conception de la religion, l’expérience antérieure du demandeur en Iran et l’absence de toute preuve suivant laquelle le demandeur avait l’intention de faire du prosélytisme, je ne vois comment on peut dire qu’il est probable que le demandeur soit persécuté du fait de sa religion.

 

 

[24]           Enfin, dans la décision Ghavidel c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[10], le juge de Montigny, après avoir renvoyé à Saiedy, précitée, et à Kazemian, précitée, a écrit ce qui suit aux paragraphes 9, 17 et 18 de ses motifs :

Pour ce qui est du second point, l’agente a apprécié les éléments de preuve propres à la demanderesse, ses déclarations personnelles sur la manière dont elle pratique sa religion, ainsi que la déclaration sous serment de son pasteur quant à l’engagement religieux qu’elle observe. Elle a conclu que Mme Ghavidel ne faisait pas partie du groupe de personnes converties au christianisme qui courent notoirement un risque en Iran […]

 

Bien qu’il ne fasse aucun doute que les notions de prosélytisme et de faire connaître sa foi publiquement puissent être interprétées différemment en Iran et au Canada, la demanderesse a fourni, au mieux, des éléments de preuve limités quant aux manifestations publiques de sa nouvelle religion auxquelles elle aurait participé activement pendant son séjour au Canada. La seule preuve produite permettant d’établir que la demanderesse a fait connaître sa foi est le fait qu’elle a parlé de l’Église chrétienne à un voisin. De même, la demanderesse conteste l’inférence défavorable tirée par l’agente qui repose sur l’omission du pasteur de mentionner qu’elle ferait du prosélytisme à son retour en Iran, et elle réplique en faisant valoir que [traduction] « aux yeux d’un pasteur membre d’une Église évangélique, un chrétien engagé est tenu de faire du prosélytisme ».

 

Toutefois, les suppositions sur lesquelles s’appuie la demanderesse ne sont pas étayées par la preuve. Le fait que l’agente n’a pas tenu compte des hypothèses de fait proposées par la demanderesse ne constitue pas une erreur susceptible de révision. En effet, le pasteur ne dit rien à propos des activités de prosélytisme dans son affidavit, malgré les précisions qu’il donne au sujet de la demanderesse. Sur le fondement de la preuve dont disposait l’agente, il n’était pas manifestement déraisonnable de la part de celle-ci de conclure que faire connaître sa foi à des voisins ne correspond pas au genre d’activités qui exposeraient la demanderesse à un risque en Iran, même en tenant compte de la situation très difficile en matière de droits de la personne qui règne dans ce pays et de la situation précaire des minorités religieuses, surtout des personnes converties de l’islamisme au christianisme.

 

 

[25]           De manière générale, l’avocat du défendeur rejette tout simplement la notion selon laquelle il existe un conflit entre les courants jurisprudentiels auxquels on vient de renvoyer. En toute déférence, je ne suis pas d’accord avec l’avocat du défendeur. Il ne fait aucun doute qu’un citoyen d’un pays comme l’Iran qui rejette l’Islam, qu’il adhère ou non à une autre religion, est exposé à des risques s’il est obligé de retourner en Iran. Feu le juge Rouleau, le juge Phelan et peut‑être, moins directement, d’autres juges, dont les propos ont été cités au nom du demandeur, ont exprimé l’opinion que l’affaire ne s’arrête pas là. Même si on suppose qu’une personne qui a rejeté l’Islam et qui est obligée de retourner en Iran ne fera aucune mention de ce rejet, je suis convaincu que celle‑ci pourrait faire l’objet de persécution si les circonstances étaient telles que les autorités de l’État apprenaient qu’il a rejeté l’Islam. Ce risque, compte tenu des faits de l’espèce, n’a tout simplement pas été pris en compte par l’agent.

 

[26]           Quelque soit la norme de contrôle applicable, qu’il s’agisse de la norme de la décision correcte ou de la norme de la décision raisonnable, je suis convaincu que l’omission de tenir compte du critère ou de la question pertinente concernant le risque de persécution ou le risque que le demandeur devienne une personne à protéger au sens de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, constitue une erreur susceptible de contrôle et que la présente demande de contrôle judiciaire doit par conséquent être accueillie.

 

b)         Le critère du risque prévu à l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la

protection des réfugiés

 

[27]           Compte tenu de la conclusion que j’ai tirée quant à la première question en litige dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, je refuse de traiter la deuxième question en litige qui est, selon moi et, vraisemblablement, selon les deux avocats qui ont comparu devant moi, d’une importance secondaire. Qu’il me suffise de dire que, sans entreprendre un examen important de la question en litige, j’adopte, en principe, les déclarations suivantes faites par le juge Phelan aux paragraphes 9 et 10 de ses motifs dans la décision Mutangadura c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[11] :

[…] Une personne ne peut s’arrêter sur ces mots ou se poser des questions de sémantique sans tenir compte de la décision entière et du contexte dans lequel ces mots sont employés […]

 

En lisant ces mots, je conclus que ceux-ci se rapportent à la question de savoir si la demanderesse a rempli le critère juridique prévu à l’article 96 et non à la définition du critère juridique qui doit être appliqué en vertu de cet article. Cette conclusion est appuyée par le fait que la Commission fait référence au critère juridique prévu à l’article 96 plus tard dans son jugement.

[Renvoi omis.]

 

Si je remplace le mot Commission par le mot agent d’ERAR dans la dernière phrase du renvoi qui précède, je suis convaincu que ces propos s’appliquent en l’espèce.

 

Conclusion

 

[28]           Pour les motifs qui précèdent, la présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision faisant l’objet du présent contrôle sera annulée et la demande d’examen des risques avant renvoi présentée par le demandeur sera renvoyée au défendeur pour qu’elle soit examinée à nouveau par un autre agent.

 

Question proposée à la certification

[29]           L’avocat du demandeur demande que la question suivante soit certifiée :

Dans le contexte de la persécution pour des motifs religieux au sens de l’article 96 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, est‑il pertinent qu’un demandeur d’asile puisse faire preuve de discrétion ou qu’il fera preuve de discrétion quant à sa foi et que l’agent de persécution ne s’intéressera pas à lui?

 

À l’appui de sa recommandation, l’avocat renvoie à l’inclusion de la « liberté de conscience et de religion » dans les libertés fondamentales consacrées à l’article 2 de la Charte canadienne des droits et libertés[12]. Vu que cette liberté figure en tête des libertés énumérées dans la Charte, on présume que l’avocat prétend que la question principale soulevée dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire est une question grave de portée générale. La question de savoir si une réponse à la question proposée à la certification permettrait de trancher un appel de l’ordonnance prononcée en l’espèce n’a tout simplement pas été traitée.

 

[31]      L’avocat du défendeur s’oppose à la certification de la question proposée en invoquant l’arrêt Prophéte c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)[13] dans lequel la juge Trudel, au nom de la Cour, a écrit ce qui suit aux paragraphes 8 et 9 de ses motifs :

Compte tenu du régime fédéral global dans lequel s’inscrit l’article 97, répondre à la question certifiée dans un vide factuel aurait pour effet, selon les circonstances de chaque espèce, de restreindre ou d’élargir indûment la portée du sous‑alinéa 97(1)b)(ii) de la Loi.

 

Pour ces motifs, nous refusons de répondre à la question certifiée.

[Non souligné dans l’original.]

 

 

[32]      L’avocat du défendeur prétend que les causes invoquées lors de l’audition de la présente demande, dont certaines sont mentionnées dans les motifs qui précèdent, dépendent de leurs faits particuliers et qu’on ne peut pas affirmer que ces faits particuliers sont les mêmes ou sont très semblables à ceux dont la Cour est saisie en l’espèce. En effet, selon la Cour, il n’y a absolument aucun contexte factuel concernant le rejet de l’islam par le demandeur en l’espèce pour étayer la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur ne serait exposé à aucun risque s’il retournait, volontairement ou involontairement, en Iran.

 

[33]      Pour les motifs qui précèdent, je préfère la position défendue par l’avocat du défendeur et je refuse de certifier la question proposée par l’avocat du demandeur ni d’ailleurs quelque question que ce soit. Même si j’estime que la présente affaire soulève une question grave de portée générale, en l’absence d’un contexte factuel à l’appui, je suis convaincu que la préoccupation exprimée par la juge Trudel dans l’arrêt Prophéte, précité, s’applique en l’espèce.


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire soit accueillie. La décision faisant l’objet du présent contrôle est annulée et la demande d’examen des risques avant renvoi présentée par le demandeur est renvoyée au défendeur pour qu’elle soit examinée à nouveau par un autre agent.

Aucune question n’est certifiée.

 

                                                                                                               « Fred E. Gibson »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3497-08

 

 

INTITULÉ :                                       A. B.

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 11 février 2009

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE GIBSON

 

 

DATE DES MOTIFS

ET DE L’ORDONNANCE :             Le 27 mars 2009         

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Micheal Crane                                                              POUR LE DEMANDEUR

 

Stephen H. Gold                                                           POUR LE DÉFENDEUR

                                                                                                           

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Michael Crane

Avocat

Toronto (Ontario)                                                                                                                     POUR LE DEMANDEUR

                                                                                               

John H. Sims, c.r.                                                                    

Sous‑procureur général du Canada                               POUR LE DÉFENDEUR



[1]               [2002] 2 R.C.S. 522.

[2]       L.C. 2001, ch. 27.

[3]       2002 CFPI 1083, le 17 octobre 2002.

[4]       À la page 122 du dossier du demandeur ci‑joint.

 

[5]       [2008] A.C.F. no 637, le 18 avril 2008.

[6]       [2008] A.C.F. no 1341, le 2 septembre 2008.

[7]       [2000] A.C.F. no 29, le 10 janvier 2000.

[8]       [2005] A.C.F. no 1687, le 6 octobre 2005.

 

[9]       [2004] A.C.F. no 1064, le 14 juin 2004.

[10]     [2007] A.C.F. no 1205, le 20 septembre 2007.

[11]     [2007] A.C.F. no 418, le 20 mars 2007.

[12]     Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 (L.R.C. 1985, annexe II, no  44), annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, ch. 11 (R.-U.).

 

[13]     2009 C.A.F. 31, le 4 février 2009.

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