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Date : 20090327

Dossier : IMM‑1332‑08

Référence : 2009 CF 324

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2009

En présence du juge en chef

 

 

ENTRE :

JEAN TOUFIC CHAWAH

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]        Le demandeur a présenté une demande d’asile au motif qu’il est victime de persécution de la part d’agents du Hezbollah et de la Syrie. Il aurait été pris pour cible en 1998 et en 2000 du fait de son appartenance à l’armée libanaise.

 

[2]        Le commissaire de la Section de la protection des réfugiés (le commissaire) a examiné les trois dispositions sur l’exclusion aux alinéas 1Fa), b) et c) de la Convention relative au statut des réfugiés. Il a conclu que le ministre n’avait pas établi de motifs sérieux pour que le commissaire conclue que le demandeur avait commis des crimes contre l’humanité ou des agissements contraires aux principes des Nations Unies.

 

[3]        Le commissaire a cependant décidé que le demandeur était exclu selon les termes de l’alinéa 1Fb), parce qu’il avait commis un crime grave de droit commun en France avant qu’il demande l’asile au Canada. En 1986, le demandeur avait été condamné à six ans d’emprisonnement relativement à sa déclaration de culpabilité pour possession de cinq cents grammes d’héroïne.

 

[4]        Le commissaire n’a pas fait d’analyse des facteurs d’inclusion.

 

[5]        Dans les motifs de sa décision, le commissaire a donné à entendre que l’alinéa 1Fb) ne pourrait pas s’appliquer pas au demandeur d’asile qui a purgé sa peine pour un crime grave de droit commun. Au moment où il rédigeait ses motifs, il y avait des débats à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale sur cette question.

 

[6]        Par la suite, cependant, la question a été résolue. On peut dorénavant déclarer que le point de vue du commissaire constituait une erreur de droit.

 

[7]        Au paragraphe 16 de Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 238, le juge suppléant Barry Strayer a décidé que le demandeur qui a purgé sa peine avant de présenter une demande d’asile au Canada est quand même susceptible d’exclusion en vertu de l’alinéa 1Fb). Dans cette décision, le juge a examiné deux arrêts de la Cour d’appel fédérale qui auraient pu être interprétés comme étant contradictoires, à savoir : Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1180 (C.A.) (QL), et Zrig c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CAF 178.

 

[8]        En appel, dans Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404, au paragraphe 57, la décision du juge suppléant Strayer fut confirmée.

 

[9]        Dans son analyse pour le compte de la formation unanime des trois juges de la Cour d’appel fédérale, le juge Létourneau a déclaré, au paragraphe 44, que les tribunaux s’entendent pour dire que l’interprétation de la clause d’exclusion de l’alinéa 1Fb) de la Convention exige […] « que l’on évalue les éléments constitutifs du crime, le mode de poursuite, la peine prévue, les faits et les circonstances atténuantes et aggravantes sous‑jacentes à la déclaration de culpabilité ».

 

[10]      Le juge Létourneau, au paragraphe 55 de ses motifs, a aussi énuméré les facteurs que la Commission de l’immigration et de la protection des réfugiés avait examinés, soit :

a)         la gravité des crimes (le trafic d’opium et la possession criminelle de marijuana) selon la législation de l’État de New York qui, même dans le cas d’une première infraction, peut donner lieu à une peine d’emprisonnement et à une période de probation de cinq ans;

b)         la peine infligée par le tribunal new‑yorkais;

c)         les faits à la base de la déclaration de culpabilité, à savoir la nature de la substance faisant l’objet du trafic et de la possession, le trafic de l’opium en trois parties, la quantité de stupéfiants ayant fait l’objet de la possession et du trafic;

d)         la conclusion tirée par notre cour dans l’arrêt Chan suivant laquelle un crime est un crime grave de droit commun si une peine maximale d’au moins dix ans aurait pu être infligée si le crime avait été commis au Canada;

e)         la gravité objective du crime de trafic d’opium au Canada qui peut donner lieu à une peine d’emprisonnement à perpétuité;

f)          le fait que l’appelant a violé son ordonnance de probation en faisant défaut à trois reprises de se présenter à son agent de probation et en prenant finalement la fuite.

 

[11]      Le demandeur, dans la présente affaire, n’a pas nié sa déclaration de culpabilité lors de son témoignage devant le commissaire. Il a déclaré qu’il avait été victime des circonstances et qu’il s’était trouvé au mauvais endroit au mauvais moment. Les autorités des États‑Unis et de la France ont fait part à leurs homologues canadiens, en 2007, de la déclaration de culpabilité du demandeur, après le début de l’audition de la demande d’asile. Le demandeur n’avait pas révélé sa déclaration de culpabilité dans ses réponses aux demandes en ce sens contenues dans son Formulaire de renseignements personnels.

 

[12]      Aussi, lors de son témoignage, le demandeur a déclaré qu’il avait purgé sa peine. Le commissaire semble avoir, peut‑être de façon déraisonnable, rejeté ce témoignage. Toutefois, au vu de l’arrêt Jayasekara, la question de savoir si le demandeur avait ou non purgé sa peine est maintenant théorique, du moins en ce sens qu’elle ne peut pas être en soi décisive de l’application de l’alinéa 1Fb).

 

[13]      Pour les motifs énoncés ci‑dessus, je conclus que la décision du commissaire sera annulée. J’ordonnerai une nouvelle audition de la demande d’asile; l’audience sera limitée à un nouvel examen de la question de l’application de l’alinéa 1Fb), qui devra être fait d’une façon cohérente avec les motifs du jugement dans Jayasekara. Aussi, le ministre peut se fonder sur le présent jugement comme étant l’avis qu’il donne au demandeur que l’application de l’alinéa 1Fb) sera débattue lors de la nouvelle audience. Selon l’article 25 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑228, le ministre a l’obligation de donner un avis et cet avis n’avait pas été envoyé au demandeur relativement à l’exclusion prévue par l’alinéa 1Fb), lors de la première audience.

 

[14]      De façon incidente, s’il m’avait fallu trancher la question, j’aurais conclu que le commissaire avait commis un manquement à l’équité procédurale. Il a donné l’impression qu’il avait tranché à l’avance la question d’un ajournement possible après qu’il eut donné au demandeur trois semaines pour engager un nouvel avocat pour le représenter lors de la quatrième journée d’audience. Le commissaire a insisté sur le fait qu’on exigerait du nouvel avocat qu’il présente ses observations le jour même. L’avocat précédent du demandeur s’était désengagé du dossier après un très court préavis, à la suite de sa participation aux trois premières journées d’audience en 2006 et 2007. Il n’est pas surprenant que le demandeur n’ait pas été en mesure d’engager un nouvel avocat qui accepte le dossier, étant donné sa complexité, le court délai et la mise en garde selon laquelle aucun ajournement supplémentaire ne serait demandé par le nouvel avocat. Le demandeur s’est présenté seul à l’audience le dernier jour, quand le débat sur la preuve était principalement centré sur sa déclaration de culpabilité et sa peine. Il ne ressort pas clairement de la transcription que le demandeur a compris les implications juridiques de l’alinéa 1Fb).

 

[15]      Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé la certification d’une question grave et aucune ne sera certifiée.


 

JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.                  La décision de la Section de la protection des réfugiés, datée du 21 février 2008, est annulée, mais seulement en ce qui a trait à la conclusion selon laquelle le demandeur était exclu en application de l’alinéa 1Fb).

3.                  L’affaire est renvoyée à un autre commissaire pour nouvel examen. Le nouvel examen sera limité à la question de l’application de l’alinéa 1Fb), et il devra être fait d’une façon cohérente avec les motifs du jugement dans Jayasekara c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CAF 404.

 

 

« Allan Lutfy »

Juge en chef

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A. Trad.jur.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                              IMM‑1332‑08

 

INTITULÉ :                                             JEAN TOUFIC CHAWAH

                                                                  c.

                                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                       Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                     le 16 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                    le juge en chef LUTFY

 

DATE DES MOTIFS :                            le 27 mars 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Julie Taub

 

POUR LE DEMANDEUR

Talitha Nabbali

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Julie Taub

Avocate

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims,

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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