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Date : 20090325

Dossier : ITA-4872-03

Référence : 2009 CF 315

Montréal (Québec), le 25 mars 2009

En présence de Me Richard Morneau, protonotaire

 

Dans l'affaire de la Loi de l'impôt sur le revenu,

 

-et-

 

Dans l'affaire d'une cotisation ou des cotisations établies par le ministre du Revenu national en vertu d'une ou de plusieurs des lois suivantes: la Loi de l'impôt sur le revenu, le Régime de pensions du Canada et la Loi sur l'assurance-emploi,

 

 

CONTRE:

 

Christian Avard

410, rue Comte

Lasalle (Québec)

H8R 3C8

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

  • [1] Il s’agit en l’espèce d’une requête de la créancière-saisissante (ci-après la Reine) en vertu principalement de la règle 449 des Règles des Cours fédérales (les règles) afin que diverses ordonnances provisoires de saisies-arrêts (au singulier une OPSA) émises par cette Cour en 2008 contre divers pharmaciens soient converties en ordonnances définitives de saisie-arrêt (au singulier une ODSA).

  • [2] Le débat en l’espèce n’implique qu’indirectement et malheureusement ces pharmaciens qui utilisent les services d’une entreprise de livraison de médicaments. Le litige véritable s’engage entre la Reine, d’une part, et, d’autre part, le débiteur judiciaire (M. Avard) et le mis en cause (M. Rochon) qui font front commun.

  • [3] Compte tenu des procédures judiciaires à ce jour, le nœud du problème consiste à déterminer si Messieurs Rochon et Avard ont réussi à amener devant la Cour une preuve prépondérante qui démontre, contrairement à ce que retient la Cour dans l’OPSA par suite de la preuve soumise par la Reine à son appui, que c’est M. Rochon, et non M. Avard, qui est le véritable propriétaire de l’entreprise de livraison A.R. Livre-Rapide.

  • [4] En d’autres termes, que M. Rochon ne peut être vu comme le prête-nom de M. Avard pour les fins d’un contrat intervenu entre lui et M. Avard le 8 novembre 2003 par lequel M. Avard vendait apparemment à M. Rochon cette entreprise de livraison de médicaments. Somme toute, que cette vente n’est pas simplement une simulation visant à permettre néanmoins à M. Avard de continuer à contrôler à toutes fins pratiques l’entreprise de livraison et d’encaisser la très grande majorité des revenus de l’entreprise.

Contexte essentiel

  • [5] Le 29 mai 2003, cette Cour a rendu une ordonnance autorisant une exécution immédiate contre M. Avard dans le dossier T‑879‑03 de cette Cour. La Reine a mis en preuve dans ce dossier que M. Avard avait utilisé les services de huit (8) prête-noms afin de cacher des revenus de son entreprise de livraison ou des revenus de location.

  • [6] M. Avard n’a pas contesté cette ordonnance, pas plus qu’il n’a contesté les diverses mesures de saisies-arrêts entreprises alors dans le présent dossier suivant essentiellement la même dynamique que les présentes démarches.

  • [7] Jusqu’au 1er juin 2003, M. Avard opérait son entreprise de livraison de médicaments appelée alors « La Farma-Ssie ».

  • [8] Toutefois au 1er juin 2003, M. Avard a simulé la vente de son entreprise de livraison à son fils Yanick Avard sous une nouvelle raison sociale alors appelée « Délivrapide ».

  • [9] En fonction de cette dynamique, la Cour émettait le 10 juillet 2003 des OPSA qui étaient consacrées le 26 septembre 2003 en ODSA.

  • [10] Le 2 août 2003, M. Avard vendait à Alain Rochon le droit de desservir huit (8) pharmacies qui retenaient à titre de clientes les services de livraison de M. Avard. C’est alors que M. Rochon a immatriculé l’entreprise sous la raison sociale « A.R. Livre-Rapide ».

  • [11] Le 30 octobre 2003, la Reine concluait une entente avec MM. Avard et Rochon afin de régler, de ce que la Cour en comprend, la situation de l’ensemble des saisies-arrêts alors tenantes ou prévisibles dans le futur tout prochain (l’entente du 30 octobre 2003).

  • [12] Au mois de novembre 2003, M. Avard aurait eu toujours une importante clientèle à qui il offrait ses services depuis au moins un an dans certains cas. Le 30 octobre 2003, lorsqu’il a signé l’entente avec l’Agence du revenu du Canada, M. Avard aurait omis de mentionner ce fait.

  • [13] Le 8 novembre 2003, Messieurs Rochon et Avard auraient alors conclu l’entente qui se trouve au cœur du présent débat et qui consistait pour M. Avard à vendre à M. Rochon l’ensemble de sa clientèle restante, soit les services de livraison à l’égard de douze (12) pharmacies qui s’ajouteront les unes aux autres au cours des années (la vente de la clientèle du 8 novembre 2003).

  • [14] Entre 2005 et 2007, M. Avard a déposé au compte de son épouse, Renée Couture, des chèques émis par l’ensemble des pharmacies en paiement des services de livraison de l’entreprise pour un montant de 275 839,95 $ :

ANNÉE

MONTANT

2005

129 176,55 $

2006

101 234,86 $

2007 (mars 2007 à septembre 2007)

45 428,54 $

Analyse

  • [15] Contrairement à ce que soutient M. Rochon, je ne considère pas que l’entente du 30 octobre 2003 à laquelle était partie la Reine est de nature à empêcher celle-ci de soulever la théorie de cause qu’elle soutient, premièrement, dans sa preuve pour l’obtention de l’OPSA, puis, par après, dans un affidavit supplémentaire qu’elle a déposé par suite d’une ordonnance d’échéancier établie par cette Cour.

  • [16] À cet égard, je ne puis considérer que cette transaction, soit l’entente du 30 octobre 2003, doive avoir l’effet de chose jugée à l’égard de la Reine quant au caractère réel de la vente de l’entreprise le 2 août 2003. Il m’appert qu’au 30 octobre 2003, on doit considérer que la Reine par l’entente de cette date cherchait principalement sinon uniquement à régler définitivement le sort des différentes OPSA ou ODSA obtenues à ce jour ou à être obtenues peu de temps après (soit le 4 novembre 2003). D’ailleurs, le passage suivant tiré de l’ODSA du 4 novembre 2003 milite en ce sens :

ATTENDU que Sa Majesté, le débiteur et le mis-en-cause ont conclu une entente le 30 octobre 2003 (« l’entente du 30 octobre ») afin de régler globalement la présente instance et les autres requêtes de Sa Majesté à l’encontre des pharmacies tierces-saisies;

  • [17] De plus, on doit considérer à tout événement que M. Rochon a manqué à ses obligations en termes de divulgation du nombre total de pharmacies desservies et qu’à ce titre l’entente du 30 octobre 2003 permet à la Reine de continuer à soutenir dans des procédures de recouvrement que M. Rochon agit à titre de prête-nom pour M. Avard.

  • [18] Ceci établi, arrive par la suite la vente de la clientèle du 8 novembre 2003. Le contrat reflétant cette vente est produit par M. Rochon à titre de pièce à son affidavit daté du 22 janvier 2009.

  • [19] Cette vente vise ‑ pour un prix de 375 000,00 $ ‑ le droit en apparence pour M. Rochon de desservir douze (12) autres clients pharmaciens en sus des huit (8) clients qui auraient été visés par la vente du 2 août 2003.

  • [20] Après avoir considéré attentivement l’ensemble de la preuve et des arguments portés à l’attention de la Cour par les parties dans leurs dossiers de requête et leurs plaidoiries en cours d’audition, je ne puis considérer que M. Rochon ait apporté une preuve ou des arguments valables qui constituent la preuve contraire recherchée par l’OPSA.

  • [21] À l’égard justement du fardeau de preuve dans le cadre du présent litige, il y a lieu de noter que la Cour, tel que l’on se le rappelle, a conclu dans le cadre de l’OPSA sur la base de la preuve de la Reine alors disponible :

(…) qu’il appert du moins prima facie et sous réserve d’une preuve contraire que le débiteur judiciaire est le réel propriétaire de l’entreprise de livraison A.R. Livre-Rapide et qu’en conséquence toutes sommes dues par le tiers-saisi à A.R. Livre-Rapide est en réalité due au débiteur judiciaire Christian Avard;  [Je souligne.]

  • [22] Il est donc erroné de croire que ce fardeau de preuve repose entièrement sur les épaules de la Reine ou que le fardeau de la Reine soit à un degré plus élevé ou sévère que le degré de la prépondérance de la preuve. Tout raisonnement contraire tient, à mon avis, d’une interprétation erronée tant des règles que du texte même de l’OPSA.

  • [23] Quant aux règles, l’alinéa 449(1)(b) dispose que la Cour peut rendre une OPSA qui requiert le tiers (ici on comprend que c’est M. Rochon qui a assumé fait et cause à cet égard) de venir, somme toute, justifier pourquoi la Cour ne devrait pas aller de l’avant avec la saisie-arrêt.

  • [24] La règle 449(1) se lit comme suit :

449. (1) Sous réserve des règles 452 et 456, la Cour peut, sur requête ex parte du créancier judiciaire, ordonner :

  a) que toutes les créances suivantes du débiteur judiciaire dont un tiers lui est redevable soient saisies-arrêtées pour le paiement de la dette constatée par le jugement :

(i) les créances échues ou à échoir dont est redevable un tiers se trouvant au Canada,

(ii) les créances échues ou à échoir dont est redevable un tiers ne se trouvant pas au Canada et à l’égard desquelles le débiteur judiciaire pourrait intenter une poursuite au Canada;

  bque le tiers se présente, aux date, heure et lieu précisés, pour faire valoir les raisons pour lesquelles il ne devrait pas payer au créancier judiciaire la dette dont il est redevable au débiteur judiciaire ou la partie de celle-ci requise pour l’exécution du jugement.

[Je souligne.]

 

449. (1) Subject to rules 452 and 456, on the ex parte motion of a judgment creditor, the Court may order

  (a) that

(i) a debt owing or accruing from a person in Canada to a judgment debtor, or

(ii) a debt owing or accruing from a person outside Canada to a judgment debtor, where the debt is one for which the person might be sued in Canada by the judgment debtor,

be attached to answer the judgment debt; and

  (bthat the person attend, at a specified time and place, to show cause why the person should not pay to the judgment creditor the debt or any lesser amount sufficient to satisfy the judgment.

 

  • [25] C’est dans cet esprit que l’OPSA, en pages 2 et 3, contient les deux (2) extraits suivants :

(…) qu’il appert du moins prima facie et sous réserve d’une preuve contraire que le débiteur judiciaire est le réel propriétaire de l’entreprise de livraison A.R. Livre-Rapide et qu’en conséquence toutes sommes dues par le tiers-saisi à A.R. Livre-Rapide est en réalité due au débiteur judiciaire Christian Avard; [page 2]

IL EST ÉGALEMENT ORDONNÉ qu’Alain Rochon soit mis en cause en la présente instance et qu’il puisse comparaître devant cette Cour au temps et lieu prévu ci-dessus pour la comparution du tiers saisi, pour exposer les motifs qu’il pourrait avoir pour que cette cour ne rende pas une ordonnance définitive de saisie-arrêt. [page 3]

[Je souligne.]

  • [26] Il s’agit donc plutôt à mon avis dans le cadre d’une ODSA d’un partage du fardeau, soit pour la Reine de compléter ou soutenir sa preuve vue dans l’OPSA comme prima facie, et, pour M. Rochon, de contrer la preuve amenée par la Reine.

  • [27] Tel que mentionné précédemment, il ne m’appert pas que M. Rochon ait réussi à contrer la preuve amenée par la Reine. Je pense au contraire que la Reine par la preuve déposée à ce jour au dossier a établi par prépondérance de preuve des présomptions graves, précises et concordantes pour soutenir que M. Avard est toujours propriétaire de l’entreprise de livraison maintenant connue sous le nom de A.R. Livre-Rapide et qu’il se sert de M. Rochon pour éluder ses obligations fiscales et pour continuer à exploiter son entreprise de livraison.

  • [28] Entre autres choses, la Cour retient à ce chapitre que la vente de la clientèle du 8 novembre 2003 l’a été pour un montant substantiel. Cette impression demeure malgré les explications qu’a cherché à amener M. Rochon quant au prix de cette vente face au prix relié à la vente du 2 août 2003.

  • [29] Ce qui est le plus frappant toutefois, c’est que l’ensemble de la somme est payable à M. Avard de façon très échelonnée par la remise directe à lui des chèques que les pharmaciens émettront régulièrement pour les services de livraison rendus. La Cour note ici que l’absence de tout paiement lors et dans le cadre de la conclusion de la vente de la clientèle du 8 novembre 2003 est un élément qui, à l’égard de la vente du 2 août 2003, semble avoir retenu également l’attention du juge Boisvert de la Cour du Québec lorsqu’il s’est prononcé sur la sentence à attribuer à M. Avard en 2006 pour, entre autres, fabrication de fausses déclarations d’impôt. Au paragraphe [14] de ses motifs, le juge Boisvert indique alors :

Ensuite, … [M. Avard] a prétendu vendre à un employé, Alain Rochon, son entreprise de livraison, bien qu’aucun acompte n’ait été versé.

  • [30] De plus, cette vente de clientèle du 8 novembre 2003 est une vente à tempérament en faveur de M. Avard, ce qui fait que la propriété de la clientèle vendue n’est devenue celle de M. Rochon qu’à la fin de décembre 2007.

  • [31] Ainsi, tel que mentionné précédemment, entre 2005 et 2007, la méthode de paiement du prix de vente a permis à M. Avard de déposer au compte de son épouse, Renée Couture, des chèques émis par l’ensemble des pharmacies en paiement des services de livraison de l’entreprise pour un montant de 275 839,95 $.

  • [32] Il est particulier également de constater que M. Rochon a admis en interrogatoire hors cour sur affidavit qu’il ne comprenait rien à l’entreprise qu’il achetait et que c’était, dans les faits, M. Avard qui en avait le contrôle.

  • [33] De plus, il est loin d’être sûr que les pharmaciens aient été véritablement avisés de cette vente de clientèle du 8 novembre 2003 puisque ni M. Avard, ni M. Rochon n’ont pu en bout de course retrouver les lettres envoyées apparemment aux pharmacies par suite de cette vente.

  • [34] De fait, la Cour est fortement portée à croire que cette vente n’a pas eu de suite en dehors du cercle formé par M. Avard, son entourage et M. Rochon puisque, outre l’absence de preuve de lettres aux pharmacies, en janvier 2005, soit plus de treize (13) mois après la vente alléguée, bien des pharmacies libellaient encore leurs chèques à l’ordre de Délivrapide.

  • [35] De fait, l’ensemble de la preuve soumise par la Reine démontre de façon prépondérante que la vente de la clientèle du 8 novembre 2003 n’est pas réelle et que M. Avard a, en tout temps pertinent, conservé le contrôle de l’entreprise de livraison A.R. Livre-Rapide.

  • [36] Une lecture des notes sténographiques des interrogatoires sur affidavit de MM. Rochon et Avard démontre clairement que M. Rochon a toujours laissé à M. Avard le soin de préparer et d’administrer tous les aspects de l’entreprise malgré la prétendue vente de la clientèle du 8 novembre 2003.

  • [37] J’estime donc que la Reine a complété le fardeau de preuve qui lui revenait et qu’il est justifié que cette Cour consacre pour l’essentiel en ODSA les OPSA émises en 2008, le tout avec dépens. La Cour par les présentes demande donc au procureur de la Reine de lui transmettre les projets d’ordonnances définitives de saisies-arrêts requis à l’égard des diverses pharmacies visées.

  • [38] Tout autre argument soulevé par M. Rochon non touché directement ici se trouve rejeté pour les motifs que fait valoir à l’occasion la Reine aux paragraphes 6 et suivants de ses représentations en réplique déposées le 27 février 2009.

ORDONNANCE

  LA COUR consacre pour l’essentiel en ODSA les OPSA émises en 2008, le tout avec dépens. La Cour par la présente demande donc au procureur de la Reine de lui transmettre dans les vingt (20) jours de la présente ordonnance les projets d’ordonnances définitives de saisies-arrêts requis à l’égard des diverses pharmacies visées.

 

« Richard Morneau »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :  ITA-4872-03

 

INTITULÉ :  IMPÔT SUR LE REVENU

  contre :

  CHRISTIAN AVARD

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :  Le 19 mars 2009

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :  LE PROTONOTAIRE MORNEAU

 

DATE DES MOTIFS :  Le 25 mars 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Louis Sébastien

 

POUR LA CRÉANCIÈRE JUDICIAIRE

Benoit Aubertin

 

POUR LE MIS EN CAUSE

ALAIN ROCHON

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LA CRÉANCIÈRE JUDICIAIRE

De Chantal, D’Amour, Fortier, s.e.n.c.r.l.

Longueuil (Québec)

 

POUR LE MIS EN CAUSE

ALAIN ROCHON

 

 

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