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Date : 20090319

Dossier : T-161-07

Référence : 2009 CF 294

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 19 mars 2009

En présence de madame la juge Snider

 

ENTRE :

SANOFI-AVENTIS CANADA INC.,

SANOFI-AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH

ET SCHERING CORPORATION

demanderesses

et

 

APOTEX INC.

défenderesse

ET ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesse reconventionnelle

 

et

 

SANOFI-AVENTIS CANADA INC.,

SCHERING CORPORATION,

SANOFI-AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH

ET RATIOPHARM INC.

défenderesses reconventionnelles

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

  • [1] La présente instance (dossier de la Cour no T-161-07) est une action en contrefaçon du brevet canadien no 1341206 (le brevet 206) intentée par Sanofi-Aventis Canada Inc. et Sanofi-Aventis Deutschland GmbH (ci-après collectivement désignées « Sanofi »), et par Schering Corporation (Schering). Dans sa défense et demande reconventionnelle, Apotex Inc. (Apotex) nie avoir contrefait le brevet 206 et en affirme l’invalidité. Après de nombreux mois de production de documents et de rapports d’expert, ainsi que d’interrogatoires préalables, le procès a commencé le 12 janvier 2009. La phase du procès consacrée à la présentation de la preuve a duré 31 jours et s’est achevée le 24 février. La présentation des conclusions finales doit commencer le 6 avril 2009.

 

  • [2] Le 26 février, soit deux jours après l’achèvement de la présentation de la preuve, Apotex a formé une requête en admission de moyens de preuve supplémentaires au procès. Les quelque 3 000 pages dont Apotex demande l’admission en preuve consistent en affidavits signés dans le cadre d’autres instances portées devant la Cour fédérale ou de procédures du Bureau des brevets, en transcriptions de dépositions recueillies aux États-Unis les 13 et 14 janvier 2009, accompagnées d’enregistrements vidéo de ces dépositions, et en historiques des dossiers de certains brevets canadiens et américains (toutes pièces ci-après désignées collectivement les « documents visés par la requête »). À titre subsidiaire, pour le cas où les documents visés par la requête ne seraient pas admis en preuve, Apotex demande à la Cour d’ordonner la délivrance d’une commission rogatoire, de lettres rogatoires ou de tout autre document autorisant l’interrogatoire de personnes déterminées capables de témoigner sur les questions faisant l’objet de ces documents. Novopharm Limited (Novopharm), la défenderesse au dossier connexe no T-1161-07, appuie Apotex dans la présente requête. Sanofi et Schering, quant à elles, s’opposent à l’admission en preuve des documents visés par ladite requête.

 

  • [3] Bien qu’elle ne l’ait pas expressément sollicitée dans sa requête, Apotex convient qu’elle demande ici l’autorisation de rouvrir sa cause. En conséquence, j’ai considéré la présente requête d’Apotex comme tendant à obtenir la réouverture de sa cause et l’admission des moyens de preuve supplémentaires détaillés plus haut.

 

  • [4] Pour les motifs dont l’exposé suit, je conclus que les documents visés par la requête, exception faite des historiques des dossiers des deux brevets canadiens, ne sont pas admissibles en preuve. En outre, je refuse d’exercer mon pouvoir discrétionnaire d’ordonner la délivrance d’une commission rogatoire, de lettres rogatoires ou de tout autre document autorisant l’interrogatoire de témoins à l’étranger.

 

I.  La nature des documents visés par la requête

 

  • [5] J’examinerai d’abord la nature des documents visés par la requête. Comme je l’ai précisé plus haut, ces documents se divisent en trois grandes catégories. La première – et la plus importante pour Apotex – réunit des affidavits de quatre personnes ayant travaillé comme scientifiques pour Warner-Lambert Company (Warner-Lambert). Ces affidavits ont été signés à des dates s’échelonnant de 1995 à 2006, dans le cadre d’instances canadiennes relatives au médicament quinapril. Les auteurs de ces affidavits – soit MM. Milton L. Hoefle, Sylvester R. Klutchko, George Bobowski et John D. Topliss – y décrivent le travail qu’ils ont effectué dans les laboratoires de Warner-Lambert en 1980 ou vers cette année. Selon le mémoire d’Apotex, ces documents ne font rien de plus qu’exposer [traduction] « de simples faits » : les souscripteurs se contentent d’y rendre compte de ce qu’ils ont fait et de ce qu’ils ont écrit dans leurs carnets.

 

  • [6] La deuxième catégorie de documents réunit les transcriptions et les enregistrements vidéo des dépositions de MM. Hoefle, Klutchko et Bobowski, recueillies aux États-Unis les 13 et 14 janvier 2009. C’est un avocat américain qui a interrogé ces trois anciens salariés de Warner-Lambert pour le compte d’Apotex, en vertu d’une ordonnance rendue le 11 janvier 2009 par la juge Denise Page Hood, de la Cour de district des États-Unis pour le district est du Michigan, division du sud. Les avocats de Schering et de Sanofi, à l’invitation d’Apotex, ont assisté et participé à ces interrogatoires.

 

  • [7] La troisième catégorie de documents comprend divers brevets canadiens et américains ainsi que les historiques des dossiers y afférents. Un certain nombre de ces documents étaient annexés aux affidavits dont il a été question plus haut ou ont été produits comme pièces dans les dépositions. Enfin, Apotex demande l’admission en preuve de copies certifiées conformes des brevets canadiens no 1341330 (le brevet 330) et 1205476 (le brevet 476) ainsi que des historiques de leurs dossiers respectifs.

 

II.  L’admission des documents

 

A.  Quel est le critère applicable?

 

  • [8] La nature du critère général applicable à la réouverture d’une cause et à l’admission en preuve de documents me semble acquise aux débats. Pour dire les choses simplement, la tâche qui m’incombe ici est d’établir si l’admission des documents visés par la requête, à la présente étape du procès, causerait plus de mal que de bien. Dans l’affirmative, ces documents ne seront pas admis en preuve.

 

  • [9] Ce principe général mis à part, les parties sont dans une certaine mesure en désaccord sur les critères juridiques qu’Apotex doit remplir pour avoir gain de cause dans la présente requête. D’un côté, elles conviennent que, en plus de la question préliminaire de la pertinence, il faut prendre en compte quatre facteurs, soit les points de savoir : 1) si les éléments de preuve considérés sont nécessaires; 2) s’ils sont fiables; 3) si Apotex a exercé la diligence voulue; et 4) si l’admission de ces éléments causerait un préjudice aux parties adverses.

 

  • [10] Cependant, Schering et Sanofi soutiennent aussi que, pour obtenir de la Cour l’autorisation de rouvrir le procès, Apotex doit en outre remplir le critère juridique exposé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 9, [2001] 2 R.C.S. 983. Ce critère à deux volets consiste à se poser les questions suivantes :

 

  1. L’issue du procès aurait-elle vraisemblablement été différente si l’élément de preuve en cause avait été présenté?

 

  1. Aurait-il été possible d’obtenir cet élément de preuve avant le procès en exerçant une diligence raisonnable?

 

  • [11] À mon sens, une analyse fondée sur l’arrêt Sagaz compliquerait inutilement l’examen de la présente affaire. Premièrement, il se pourrait que le critère de Sagaz ne soit pas directement applicable, au motif que cet arrêt portait sur une requête tendant à faire admettre de nouveaux éléments de preuve après que le jugement eut été rendu. Ce cas doit manifestement être distingué de la présente espèce, où le jugement n’a pas été rendu : les parties n’ont même pas encore commencé à présenter leurs conclusions finales. En outre, le contenu des deux volets du critère de Sagaz est compris dans les quatre facteurs retenus par les parties d’un commun accord.

 

  • [12] On pourrait aussi adopter la méthode consistant à considérer les documents visés par la requête comme des éléments de preuve par ouï-dire. Ces documents répondent vraisemblablement à la définition générale de la preuve par ouï-dire, étant donné qu’y sont consignées des déclarations extrajudiciaires proposées aux fins d’établir la véridicité de leur contenu; voir R. c. Starr, [2000] 2 R.C.S. 144. Selon la façon fondée sur les principes d’aborder la règle du ouï-dire, la Cour doit appliquer une méthode d’analyse également fondée sur des principes à la question de l’admissibilité de la preuve par ouï-dire. Il faut en conséquence examiner les facteurs de la fiabilité et de la nécessité. Or ces facteurs sont eux aussi compris dans la liste dressée plus haut.

 

B.  Les éléments de preuve sont-ils pertinents?

 

  • [13] Je suis disposée à prendre pour acquis aux fins de la présente requête, mais sans trancher le point, que les éléments proposés seraient pertinents quant aux questions de l’évidence et de la qualité de premier inventeur. Ce facteur milite pour l’admission des documents considérés.

 

C.  Les éléments de preuve sont-ils nécessaires?

 

  • [14] Apotex soutient que l’admission des documents visés par la requête se justifie au regard des faits de la présente espèce. Elle rappelle les efforts vigoureux qu’elle a déployés devant les tribunaux américains pour obtenir les éléments de preuve en question, efforts retardés par les actions de Pfizer, Inc. (successeur de Warner-Lambert). Ces démarches judiciaires lui ont en fin de compte permis de recueillir les dépositions de trois témoins au Michigan. Comme il est impossible de citer ces trois témoins à notre procès, le critère de la [traduction] « nécessité raisonnable », selon Apotex, se trouve rempli.

 

  • [15] Le défaut de la thèse d’Apotex sur ce point est qu’il existe, pour produire des éléments de preuve devant la Cour fédérale, d’autres procédures que la présente voie, qui contourne le principe fondamental de nos tribunaux selon lequel la preuve doit être recueillie oralement.

 

  • [16] Je constate en outre que le fait pour Apotex d’avoir omis de produire, dans le cadre de la présentation de sa preuve principale, ceux des affidavits considérés qu’elle avait déjà en sa possession, jette un doute sérieux sur son affirmation voulant que les éléments de preuve en question soient nécessaires.

 

  • [17] Ce facteur milite globalement contre l’admission en preuve des documents visés par la requête.

 

D.  Les éléments de preuve sont-ils fiables?

 

  • [18] Apotex invoque plusieurs faits qui, à son avis, établissent la fiabilité des éléments de preuve considérés :

 

  • Les affidavits contiennent des déclarations faites sous serment ou affirmation solennelle, plus d’une fois dans certains cas.

 

  • Les affidavits n’ont pas été rédigés en vue d’une situation ou d’un litige particuliers, ni ne se rapportent à des travaux dont leurs souscripteurs auraient eu intérêt à surfaire la nature ou à exagérer l’étendue.

 

  • Les éléments de preuve contenus dans les dépositions n’ont pas été fournis spontanément.

 

  • Les dépositions ont fait l’objet d’enregistrements sonores et visuels, de sorte que la Cour n’a pas à s’inquiéter de ne pouvoir observer le comportement des témoins.

 

  • Les avocats de Schering et de Sanofi étaient présents aux dépositions, et y ont eu la possibilité de poser des questions et d’élever des objections.

 

  • [19] Le fait que les affidavits aient été signés sous serment ou affirmation solennelle dans le cadre d’instances antérieures est propre à nous rassurer dans une certaine – quoique faible – mesure sur leur fiabilité. Mais ces affidavits posent à mon sens un problème plus sérieux : on ne m’a présenté aucun élément tendant à prouver que la véracité de leur contenu eût été mise à l’épreuve dans lesdites instances antérieures. En outre, je n’ai aucun moyen de vérifier si leurs auteurs avaient ou non intérêt à exagérer ou déformer les faits. À la limite, si la Cour admettait que la signature d’un affidavit sous serment ou affirmation solennelle suffit à établir la fiabilité de son contenu, elle n’aurait nul besoin de témoignages de vive voix au procès.

 

  • [20] Apotex avance que les affidavits et les dépositions décrivent [traduction] « de simples faits », par exemple les actions des scientifiques et le contenu des notes qu’ils ont prises dans leurs carnets de laboratoire. Cela se peut bien, mais il ne s’ensuit pas nécessairement que la fiabilité de ces éléments de preuve n’ait pas besoin d’être mise à l’épreuve. Il est certainement possible de contester des faits – même des faits aussi simples que des dates ou le point de savoir qui a dit quoi.

 

  • [21] Apotex fait également valoir que les dépositions ont été enregistrées de telle sorte que la Cour se trouve à même d’évaluer le comportement des témoins. La lecture des transcriptions des dépositions ne m’a pas convaincue qu’elles suffisent à compenser l’absence de ces témoins devant notre Cour. Je constate par exemple que ceux-ci ont donné à maintes reprises des signes de confusion. Or on peut penser que cette confusion aurait été facile à dissiper si les témoins avaient comparu (même par vidéoconférence) devant la Cour, où ils auraient subi un interrogatoire principal et un contre-interrogatoire complets.

 

  • [22] Qui plus est, je ne suis pas convaincue que Schering et Sanofi, bien que leurs avocats y aient été invités, aient joui d’une possibilité effective de participer aux dépositions. Cette possibilité s’est trouvée considérablement entamée par le fait qu’on ne leur ait donné que moins de deux jours de préavis. De plus, je crois comprendre qu’aucun document n’a été préalablement communiqué à l’une ou l’autre de ces deux sociétés. En outre, comme les deux journées de déposition coïncidaient avec des journées d’audience du procès à Toronto, les avocats principaux de Schering et de Sanofi dans ces dossiers n’ont pu assister aux dépositions, devant ainsi déléguer cette tâche à des avocats qui, bien qu’évidemment qualifiés, ne pouvaient qu’être beaucoup moins familiarisés avec les questions en litige. Je conclus que la possibilité de participation offerte à Schering et à Sanofi n’est guère propre à nous rassurer sur la question de la fiabilité. Cette possibilité ne peut en aucune manière être considérée comme équivalente à celle de contre-interroger les témoins dans le cadre d’un procès.

 

  • [23] Étant donné les insuffisances constatées sur le plan de la fiabilité des éléments de preuve, je conclus que ce facteur milite contre l’admission des documents visés par la requête. Cette conclusion vaut aussi pour les divers documents annexés aux affidavits ainsi que pour les pièces produites dans les dépositions.

 

E.  Apotex a-t-elle exercé la diligence voulue?

 

  • [24] Comme on l’a vu plus haut, Apotex affirme s’être efforcée avec toute la diligence voulue d’obtenir les éléments qu’elle souhaite maintenant faire admettre en preuve. Elle affirme avoir agi raisonnablement en avisant la Cour et les parties adverses à divers moments du procès qu’elle pourrait plus tard essayer de faire admettre des éléments de preuve relatifs à des instances en cours aux États-Unis. En raison des difficultés éprouvées dans les instances américaines, explique-t-elle, il ne lui restait plus d’autre possibilité que de demander l’admission des documents visés par la requête au moment où elle l’a fait.

 

  • [25] Le raisonnement d’Apotex sur ce point se révèle entaché de graves défauts.

 

  • [26] Apotex connaissait (ou aurait dû connaître) l’existence des affidavits antérieurs, signés par les témoins entre 1995 et 2007. Ils se trouvent tous dans les archives publiques de la Cour fédérale ou du Bureau des brevets. Il appert qu’Apotex a d’abord eu pour intention principale, dans les instances portées devant les tribunaux américains, d’obtenir des documents qu’elle croyait se trouver en la possession de Pfizer, Inc. Ce n’est qu’après l’échec de tous les efforts déployés dans ce sens qu’elle a appliqué son « plan B », c’est-à-dire qu’elle a envisagé de demander l’admission des documents visés par la présente requête. Même les dépositions, Apotex les avait recueillies dans l’intention de s’adresser de nouveau à la Cour de district des États-Unis pour le district sud de New York, afin de lui demander le réexamen de son annulation d’une assignation antérieure.

 

  • [27] Apotex savait très bien, dès le début de la présentation de la preuve au procès, qu’il existait des éléments de preuve provenant de scientifiques auparavant employés par Warner-Lambert qui pourraient se révéler pertinents quant aux questions en litige. Elle était même en possession de la plupart de ces éléments, si ce n’est de tous. Pourtant, à aucun moment de la phase de présentation de la preuve, elle n’a essayé de produire lesdits éléments dans le cadre de sa preuve principale.

 

  • [28] À mon sens, Apotex a choisi, pour des raisons stratégiques, de ne pas produire les éléments de preuve en question au moment approprié du procès. Elle a plutôt choisi, pour les mêmes raisons, de suivre une ligne de conduite tendant dans les faits à diviser sa cause et à priver les parties adverses de la possibilité de contester ces éléments.

 

  • [29] Je conviens avec Apotex que le retard, en soi, ne suffit pas à motiver un refus. Cependant, vu les faits de la présente espèce, le facteur de la diligence appropriée milite fortement contre elle.

 

F.  L’admission en preuve des documents visés par la requête causerait-elle un préjudice?

 

  • [30] Sanofi et Schering affirment toutes deux que l’admission en preuve, à la présente étape, des documents visés par la requête leur causerait un préjudice. Apotex fait valoir de son côté que ni Sanofi ni Schering n’ont produit d’éléments tendant à prouver cette affirmation. En l’absence de tels éléments, soutient-elle, notre Cour ne devrait attribuer que peu de valeur à leurs allégations de préjudice.

 

  • [31] Plusieurs motifs me paraissent établir l’existence d’un préjudice.

 

  • Étant donné l’importance des contre-interrogatoires dans un procès, je considère la voie proposée par Apotex en l’occurrence comme intrinsèquement préjudiciable. Je n’estime pas nécessaire pour Sanofi et Schering de délimiter les domaines particuliers où elles choisiraient d’exercer leur droit au contre-interrogatoire. Le fait est qu’elles seraient privées d’un droit fondamental à l’égard d’éléments de preuve totalisant quelque 3 000 pages.

 

  • Apotex, en proposant cette voie, omet de prendre en considération le fait que Sanofi et Schering seraient aussi privées de toute possibilité de répondre aux documents visés par la requête. Ici encore, il y a préjudice intrinsèque.

 

  • De plus, il est trop tard pour contre-interroger les témoins experts d’Apotex sur les questions que soulèveraient les documents visés par la requête.

 

  • Je m’inquiète en outre pour l’intégrité de notre procédure judiciaire. Toutes les parties adverses, qui se préparent actuellement à présenter leurs conclusions finales, auraient maintenant 3 000 pages de plus à examiner, sans savoir comment cette preuve serait présentée si Apotex la produisait dans le cadre d’interrogatoires principaux, ni quels effets des contre-interrogatoires auraient sur ladite preuve. Cela pourrait très bien compromettre la qualité des conclusions finales présentées à notre Cour.

 

  • [32] En résumé, j’estime que l’admission en preuve des documents visés par la requête causerait un préjudice à Sanofi et à Schering.

 

G.  Conclusion sur l’admissibilité

 

  • [33] Compte tenu de tous les facteurs applicables, on ne m’a pas persuadée que la Cour devrait admettre en preuve les documents visés par la requête (à l’exception prévue ci-dessous). Pour dire les choses de la manière la plus générale, le tort que causerait l’admission des documents en question l’emporte sur l’avantage qu’il y aurait à en autoriser la production à la présente étape du procès.

 

III.  Les historiques des dossiers des brevets 330 et 476

 

  • [34] Le cas des brevets 330 et 476 ainsi que des historiques des dossiers y afférents me paraît quelque peu différent. Je suis en effet disposée à convenir que ces documents remplissent le critère préliminaire de la pertinence quant aux questions de l’évidence et de la qualité de premier inventeur.

 

  • [35] Aux termes du paragraphe 13(2) de la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, c. P-4, « [l]es tribunaux, juges et autres personnes admettent d’office […] en preuve [les documents de la nature considérée], sans autre justification et sans production des originaux ». Par conséquent, les historiques des dossiers des brevets 330 et 476 seraient théoriquement admissibles en preuve. Il reste à savoir si je devrais exercer, aux fins de leur admission, mon pouvoir discrétionnaire de rouvrir la phase de présentation de la preuve du procès.

 

  • [36] Comme je l’ai rappelé lorsque j’ai admis, à la requête de Schering, l’historique du dossier du brevet 206, les éléments de cette nature sont d’une utilité limitée. Un tel historique établit simplement, sans qu’il soit besoin d’autre preuve, que les documents qui en font l’objet ont été versés au dossier du Bureau des brevets aux dates que portent les cachets de celui-ci y apposés et qu’ils ont été conservés dans ce dossier. Cependant, la couverture du dossier ne nous apprend rien, ni ne peut rien nous apprendre, sur la véridicité du contenu des documents en question.

 

  • [37] C’est pourquoi, contrairement au cas des autres documents visés par la requête, l’admission des historiques de dossier ne me paraît entraîner aucun préjudice notable pour Sanofi ou Schering. En conséquence, j’autoriserai l’admission en preuve dans la présente instance de copies certifiées conformes des brevets 476 et 330 ainsi que des historiques de leurs dossiers respectifs.

 

IV.  La question de la commission rogatoire et des lettres de demande

 

  • [38] À titre subsidiaire, pour le cas où lui serait refusée l’admission de moyens de preuve supplémentaires, Apotex invite la Cour à ordonner, selon les modalités prévues aux articles 271 et 272 des Règles des Cours fédérales, l’interrogatoire en vue de l’instruction de quatre témoins – soit MM. Bobowski, Hoefle, Klutchko et Ernest Nicolaides (les témoins de Warner-Lambert) – au Michigan ou au Colorado.

 

  • [39] La délivrance d’une commission rogatoire tendant à recueillir des éléments de preuve est une mesure extraordinaire qui ne doit être prononcée que lorsque l’exigent des circonstances spéciales ou la bonne administration de la justice; voir le paragraphe 10 de la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Seifert, 2004 CF 1010, 257 F.T.R. 91, modifiée pour d’autres motifs par 2004 CF 1711, 49 Imm. L.R. (3d) 40, confirmée par 2005 CAF 105, 332 N.R. 79, autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée, [2005] C.S.C.R. no 230. La décision de délivrer ou non une commission rogatoire est discrétionnaire. Lorsqu’elle a à statuer sur une question relevant ainsi de son pouvoir discrétionnaire, la Cour doit prendre en considération non seulement les droits des parties, mais aussi les effets que sa décision pourrait avoir sur l’administration de la justice en général; voir le paragraphe 15 de la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Fast, 2001 CFPI 594, 206 F.T.R. 58 (1 re inst.). Vu les faits de l’espèce, j’estime que la délivrance d’une commission rogatoire ne se justifierait pas.

 

  • [40] Je note d’abord que deux facteurs militent pour l’accueil de la requête d’Apotex. Je prendrai pour acquis, sans trancher la question, que les dépositions qu’on cherche à obtenir des témoins de Warner-Lambert seraient pertinentes, à tout le moins suivant un critère très peu rigoureux, quant aux questions de l’évidence et de la qualité de premier inventeur. J’estime en outre avéré que les témoins de Warner-Lambert, en tant que résidents des États-Unis, ne pourraient être obligés à comparaître devant notre Cour.

 

  • [41] Je constate néanmoins les considérables difficultés qui s’opposent à la délivrance d’une commission rogatoire dans le cas qui nous occupe et à la présente étape.

 

  • [42] Cette requête, formée comme elle l’est après la clôture de la preuve et peu avant le commencement prévu de la présentation des conclusions finales, vient à un moment rien moins qu’opportun. Il ne fait aucun doute que la délivrance d’une commission rogatoire bouleverserait le calendrier du procès. Des assignations devraient être lancées dans les ressorts compétents, les personnes visées pourraient ou non les contester, il faudrait convenir des dates de comparution, les témoins devraient organiser leurs déplacements : tout cela prendrait du temps. Le procès, qui devait s’achever au plus tard le 15 avril 2009, risquerait ainsi sérieusement de se prolonger durant des mois.

 

  • [43] Apotex semble donner à entendre que les moyens de preuve supplémentaires pourraient être examinés séparément. Franchement, je ne vois pas comment l’examen de ces éléments de preuve dans une phase distincte pourrait se faire sans imposer une charge indue aux parties et à la Cour.

 

  • [44] Comme on l’a vu plus haut, c’est depuis des mois qu’Apotex souhaite se prévaloir de la preuve que ces témoins pourraient être capables de fournir et se rend compte du peu de succès des efforts déployés par elle pour obtenir certains éléments de preuve de Pfizer, Inc. en recourant aux tribunaux américains. Nous n’avons pas ici affaire à un cas où l’on vient d’apprendre l’existence d’un témoin; Apotex avait (ou aurait dû avoir) connaissance des affidavits signés par les témoins de Warner-Lambert dans des instances antérieures. Rien ne l’empêchait de demander la délivrance d’une commission rogatoire avant le procès. Elle avait d’ailleurs suivi cette voie avec succès dans une affaire antérieure (le litige relatif au périndopril).

 

  • [45] Chose moins importante, je remarque qu’Apotex n’a demandé directement à aucun des témoins de Warner-Lambert (à l’exception de M. Nicolaides) de venir témoigner au Canada. Par conséquent, si je conviens qu’on ne peut obliger les témoins de Warner-Lambert à comparaître au Canada, je ne suis pas convaincue qu’Apotex ait fait tout son possible pour les persuader de témoigner en personne au présent procès.

 

  • [46] En résumé, j’estime que la délivrance d’une commission rogatoire à la présente étape du procès aurait une incidence sérieuse et défavorable sur l’administration de la justice. En conséquence, vu l’article 271 des Règles et l’ensemble des faits de l’espèce, je ne suis pas disposée à ordonner l’interrogatoire des témoins de Warner-Lambert à l’étranger.

 

V.  Conclusion

 

  • [47] Pour ces motifs, la requête d’Apotex sera rejetée, à cette exception près que les brevets 330 et 476 ainsi que les historiques des dossiers y afférents seront admis aux conditions exposées plus haut. Les éléments de preuve admis par la présente ordonnance le seront aussi dans le dossier de la Cour no T-1161-07.

 

  • [48] Schering demande des dépens majorés. S’il est vrai que Sanofi et Schering ont droit à leurs dépens, je ne pense pas que la présente espèce justifie l’allocation de dépens majorés.

 

NOTE

 

  • [1] Les présents motifs constituent la version publique des motifs confidentiels rendus le 19 mars 2009, conformément à la deuxième ordonnance conservatoire modifiée en date du 28 février 2008.

 

[2]  La Cour a demandé aux avocats des parties s’ils voyaient objection à ce que les motifs soient publiés sans suppressions. Le 23 mars 2009, lesdites parties ont déclaré avoir convenu qu’il n’y avait lieu de supprimer ou de modifier aucun passage des motifs confidentiels.

 


ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE :

 

  1. Les brevets 330 et 476 ainsi que les historiques des dossiers y afférents seront admis comme pièces dans le présent procès et dans celui du dossier noT-1161-07, aux conditions exposées dans les motifs de la présente ordonnance.

 

  1. Les autres chefs de la requête sont rejetés.

 

  1. Un exemplaire de la présente ordonnance et de ses motifs sera versé au dossier de la Cour no T-1161-07.

 

  1. Les dépens sont adjugés à Sanofi et à Schering quelle que soit l’issue de la cause, et seront calculés selon la colonne III du tarif B.

 

« Judith A. Snider »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  T-161-07

 

INTITULÉ :  SANOFI-AVENTIS CANADA INC. ET

SCHERING CORPORATION

demanderesses

et

 

APOTEX INC.

défenderesse

et

 

APOTEX INC.

demanderesse reconventionnelle

et

 

SANOFI-AVENTIS CANADA INC.,

SCHERING CORPORATION,

SANOFI-AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH ET

RATIOPHARM INC.

défenderesses reconventionnelles

 

LIEUX DE L’AUDIENCE :  OTTAWA (ONTARIO) ET TORONTO (ONTARIO), PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 17 MARS 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :  LA JUGE SNIDER

 

DATE DES MOTIFS :  LE 19 MARS 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Gunars Gaikis

Junyi Chen  POUR LES DEMANDERESSES ET DÉFENDERESSES RECONVENTIONNELLES SANOFI-AVENTIS CANADA INC. et SANOFI-AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH

 

Marc Richard  POUR LA DEMANDERESSE ET DÉFENDERESSE RECONVENTIONNELLE SCHERING CORPORATION

Harry Rodomski    POUR LA DÉFENDERESSE ET DEMANDERESSE Benjamin Hackett    RECONVENTIONNELLE APOTEX INC.

 

Keya Dasgupta  POUR LA DÉFENDERESSE ET DEMANDERESSE RECONVENTIONNELLE NOVOPHARM LIMITED DANS LE DOSSIER T-1161-07

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

SMART & BIGGAR  POUR LES DEMANDERESSES ET DÉFENDERESSES

Toronto (Ontario)  RECONVENTIONNELLES SANOFI-AVENTIS CANADA ET SANOFI-AVENTIS DEUTSCHLAND GmbH

 

GOWLING LAFLEUR  POUR LA DEMANDERESSE

HENDERSON, s.r.l.  SCHERING CORPORATION

Ottawa (Ontario)

 

GOODMANS, s.r.l.  POUR LA DÉFENDERESSE

Toronto (Ontario)  APOTEX

 

HEENAN BLAIKIE, s.r.l.  POUR LA DÉFENDERESSE ET DEMANDERESSE Toronto (Ontario)    RECONVENTIONNELLE NOVOPHARM LIMITED     DANS LE DOSSIER T-1161-07

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