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Cour fédérale

 

Federal Court

 

Date : 20090323

Dossier : IMM-2666-08

Référence : 2009 CF 306

Ottawa (Ontario), le 23 mars 2009

En présence de monsieur le juge Mandamin

 

 

ENTRE :

CALVIN ANTHONY WILKS

 

demandeur

 

 

et

 

 

 

LA COMMISSION DE L’IMMIGRATION ET DU STATUT DE RÉFUGIÉ

et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

(L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA)

défendeurs

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Calvin Anthony Wilks a présenté une demande de contrôle judiciaire, en application de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la LIPR), contre la décision de rejet de la demande de réouverture de son appel rendue le 28 mai 2008 par le tribunal de la Section d’appel de l’immigration (le tribunal de la SAI).

[2]               M. Wilks avait le statut de résident permanent. À la suite d’une enquête le 31 octobre 2005, une ordonnance d’expulsion pour grande criminalité fut prononcée contre lui. Le jour même, il a interjeté appel de la mesure de renvoi à la Section d’appel de l’immigration (la SAI).

 

[3]               Le 30 avril 2007, la SAI a envoyé une lettre dans laquelle elle demandait à M. Wilks de confirmer sa disponibilité pour une audience. N’ayant reçu aucune réponse, la SAI a envoyé à M. Wilks un avis de convocation à une audience de justification au cours de laquelle il devrait expliquer pourquoi elle ne devrait pas prononcer le désistement de l’appel. M. Wilks n’a pas répondu et il ne s’est pas non plus présenté à l’audience de justification du 27 juin 2007. Par conséquent, le désistement de son appel fut prononcé le 10 juillet 2007 en conformité avec le paragraphe 168(1) de la LIPR.

 

[4]               Le 26 novembre 2007, M. Wilks a déposé un formulaire de changement d’adresse à la SAI. En mars 2008, il a été arrêté à sa nouvelle adresse et il est toujours détenu en vertu d’un mandat de l’immigration.

 

[5]               Le 28 mars 2008, l’avocate de M. Wilks a été avisée que la lettre visant la confirmation de sa disponibilité pour l’audience et l’avis de convocation à l’audience de justification envoyés à M. Wilks n’avaient pas été retournés à la SAI. Le 31 mars 2008, la SAI a consigné par écrit le retour de la lettre visant l’obtention de la confirmation que M. Wilks serait disponible pour l’audience, non livrée, qui lui avait été envoyée le 30 avril 2007, soit l’année précédente.

 

[6]               M. Wilks a demandé la réouverture de son appel. Le 28 mai 2008, le tribunal de la SAI a rejeté sa demande de réouverture parce qu’il a conclu que la SAI n’avait pas commis de manquement aux principes de justice naturelle et aussi parce qu’il n’était pas compétent pour rouvrir l’appel en se fondant sur des motifs d’equity.

 

Les questions en litige

[7]               Selon M. Wilks, la SAI a commis un manquement à un principe de justice naturelle lorsqu’elle n’a pas communiqué avec lui à son numéro de téléphone cellulaire lorsqu’il n’a pas répondu à la lettre et à l’avis; ce numéro de téléphone était alors en service et la SAI l’avait dans les coordonnées originales que M. Wilks lui avait fournies. M. Wilks déclare qu’auparavant, il avait toujours été présent lorsqu’on le lui avait demandé. Il a aussi remis en cause le retour, bien tardif, de la lettre de disponibilité pour l’audience, soit onze mois après son envoi par la poste. Enfin, il a soutenu qu’il avait droit à une réparation en equity, vu la situation.

 

[8]               La question en litige est la suivante :

Le tribunal de la SAI a-t-il commis une erreur dans sa conclusion de fait ou lorsqu’il a conclu qu’il n’y avait pas eu manquement aux principes de justice naturelle, quand il a refusé la réouverture de l’appel?

 

Les faits

[9]               Calvin Anthony Wilks est Jamaïcain. Il a été parrainé par sa sœur et il a obtenu le droit d’établissement au Canada en 1984, à l’âge de vingt ans. En 1997, M. Wilks a été déclaré coupable de trafic de cocaïne et a été condamné à une peine d’emprisonnement de six mois.

 

[10]           Une enquête a commencé visant à savoir si M. Wilks devait être interdit de territoire pour grande criminalité en raison de sa déclaration de culpabilité pour trafic de substance désignée. L’enquête a été ajournée à plusieurs reprises parce que M Wilks n’était pas en mesure d’engager un avocat. Toutefois, il s’était présenté chaque fois, quand on le lui avait demandé. Le 31 octobre 2005, il a été déclaré interdit de territoire. Par conséquent, l’expulsion du Canada de M Wilks fut prononcée.

 

[11]           M.Wilks a fait appel de la mesure de renvoi le jour même où la décision d’interdiction de territoire a été rendue. Dans son avis d’appel, M. Wilks a donné son adresse domiciliaire et un numéro de téléphone cellulaire.

 

[12]           La SAI a accusé réception de l’appel de M. Wilks le 17 novembre 2005. Dans sa lettre, la SAI l’informait que « [i]l vous incombe de nous communiquer vos coordonnées. Il ne revient pas à la SAI d’essayer de vous contacter si vous avez déménagé. » La lettre comprenait également un avis selon lequel, en application du paragraphe 168(1) de la LIPR, si M. Wilks omettait de se présenter ou de communiquer lorsqu’on le lui demandait, le désistement de son appel pourrait être prononcé.

 

[13]           Le 30 avril 2007, la SAI a envoyé à M. Wilks une lettre dans laquelle elle lui demandait de l’aviser qu’il était disponible pour l’audience (la lettre). On lui demandait de remplir et de retourner le formulaire au plus tard 15 jours après réception de la lettre. M. Wilks n’a pas répondu à la lettre. Le 1er juin 2007, la SAI a envoyé à M. Wilks un avis de convocation à une audience de justification pour qu’il y établisse pourquoi le désistement de son appel ne devrait pas être prononcé. M. Wilks n’a pas répondu et il ne s’est pas présenté à l’audience de justification du 27 juin 2007. Le 4 juillet 2007, le désistement de l’appel de M. Wilks fut prononcé.

 

[14]           Lorsque la lettre et l’avis de convocation ont été envoyés, M. Wilks n’habitait plus à l’adresse originale figurant dans le dossier de la SAI. Il avait déménagé. Peu après être déménagé à sa nouvelle adresse, il avait dû déménager de nouveau. Il a séjourné deux mois dans une maison d’hébergement, période durant laquelle il a perdu ses papiers d’identité et les documents relatifs à son droit d’établissement.

 

[15]           En février 2007, M. Wilks a emménagé dans une nouvelle résidence. Grâce à l’aide d’organismes de services sociaux, il a obtenu de nouveaux papiers d’identité et ensuite, en novembre 2007, il a déposé un avis de changement d’adresse à la SAI. Il déclare cependant que son téléphone cellulaire original était encore en service jusqu’à la fin de 2007, que son numéro de téléphone cellulaire figurait dans les coordonnées qu’il avait fournies à la SAI et qu’il pouvait être joint à ce numéro.

 

[16]           En mars 2008, M. Wilks a été arrêté à sa nouvelle adresse en vertu d’un mandat de l’immigration. Il est en détention depuis son arrestation. Pendant sa détention, il a engagé une avocate qui a posé des questions à la SAI. Le 28 mars 2008, la SAI a informé, par écrit, l’avocate de M. Wilks qu’il n’y avait pas eu de retour du courrier qu’elle lui avait envoyé. Trois jours plus tard, le 31 mars 2008, la SAI a reçu et estampillé en tant que retour de courrier la lettre, envoyée à M. Wilks onze mois plus tôt. Le 9 avril 2008, un commis de la SAI a téléphoné à l’avocate de M. Wilks pour l’informer que la lettre avait été retournée, et le commis a demandé quelle était la dernière adresse de M. Wilks.

 

[17]           Le 1er mai 2008, M. Wilks a présenté une demande de réouverture de l’appel interjeté contre la décision d’interdiction de territoire. Le 28 mai 2008, le tribunal de la SAI a rejeté cette demande de réouverture de l’appel.

 

La décision soumise au contrôle

[18]           Le tribunal de la SAI a noté que lorsque l’expulsion de M. Wilks a été prononcée, il résidait à l’adresse suivante : 2417, chemin Brookhurst, Mississauga (Ontario)  L5J 1R4, adresse qu’il avait donnée lorsqu’il avait déposé son appel à la SAI. L’adresse a été conservée dans son dossier jusqu’à ce qu’il dépose un changement d’adresse, le 26 novembre 2007. Le tribunal a noté que la lettre et l’avis de convocation avaient été envoyés l’adresse du chemin Brookhurst et qu’ils n’avaient pas été retournés à la SAI avant la décision de désistement (rendue le 1er juin 2007). Enfin, le tribunal de la SAI a noté que la SAI n’avait pas reçu de retour de courrier pour non‑livraison avant le 31 mars 2008, quand la lettre a été retournée à la SAI avec la mention « renvoi à l’expéditeur déménagé/inconnu ».

 

[19]           Le tribunal de la SAI a souligné que sa compétence pour prononcer le désistement d’un appel lui est conférée par le paragraphe 168(1) de la LIPR. Lorsque M. Wilks n’a pas répondu à la lettre, on lui a donné la possibilité d’établir pourquoi le désistement de l’appel ne devrait pas être prononcé. Le tribunal de la SAI a examiné la question de savoir si on avait donné à M. Wilks un avis en bonne et due forme relativement à l’audience de justification. Il a décidé qu’un avis en bonne et due forme avait été donné à M. Wilks car la SAI avait envoyé l’avis à l’adresse figurant au dossier. Des lettres antérieures envoyées à M. Wilks à l’adresse du chemin Brookhurst n’avaient pas été retournées à la SAI.

 

[20]           Le tribunal de la SAI a admis qu’il était possible que l’adresse ait été inexacte en raison d’une erreur humaine. Le tribunal a déclaré qu’un indice important d’absence de problème était que le courrier n’avait pas été retourné. Le tribunal fait observer que la SAI se fonde sur la présomption de l’acheminement régulier du courrier par la poste. Le bureau de poste est réputé faire son travail selon les règles qui régissent l’acheminement du courrier. Une telle présomption peut être réfutée par des éléments de preuve crédibles démontrant le contraire. Étant donné qu’il n’y avait pas eu de retour de courrier jusqu’en mars 2008 et que, même alors, seule une lettre parmi plusieurs autres envoyés à M. Wilks avait été retournée, le tribunal a déclaré qu’« il n’est pas possible de conclure qu’il y a eu manquement à un principe d’équité procédurale en ce qui concerne la transmission d’un avis en bonne et due forme ».

 

[21]           Le tribunal de la SAI a décidé que bien qu’il pèse sur lui une obligation de diligence, il incombait à M. Wilks d’informer la SAI de tout changement d’adresse. On le lui a rappelé dans les documents relatifs à l’avis d’appel et dans l’accusé de réception de son appel à la SAI. Le tribunal a fait observer que M. Wilks n’avait déposé de changement d’adresse que six mois après le prononcé du désistement de son appel. Le tribunal a décidé que M. Wilks n’avait pas, après avoir établi de nouveau sa résidence, déposé de changement d’adresse « sans délai », puisque dix mois s’étaient écoulés entre l’établissement de sa nouvelle résidence en février 2007 et le dépôt de son changement d’adresse en novembre 2007.

 

[22]           Le tribunal de la SAI a pris en compte les observations de l’avocate relatives au retour, tardif, de la lettre. Il a déclaré que si la lettre avait été retournée à temps, la SAI aurait tenté de contacter M. Wilks, en conformité avec les règles générales de pratique. Le tribunal a décidé que pour que la SAI effectue des démarches supplémentaires et communique directement avec un appelant, elle doit être au courant de l’existence d’un problème dans l’acheminement du courrier qui rend nécessaire une telle communication directe. Toutefois, le tribunal a conclu qu’il n’y avait pas de preuve que la lettre avait été retournée à une date autre que celle indiquée par le timbre dateur, soit le 31 mars 2008. Étant donné que la SAI n’avait pas eu connaissance que M. Wilks n’habitait plus à l’adresse qu’il lui avait fournie, le tribunal de la SAI n’a trouvé aucune faute à reprocher à la SAI même si elle n’avait pas pu aviser M. Wilks à temps.

 

[23]           Le tribunal de la SAI a décidé que le seul motif de réouverture d’un appel est le manquement à un principe de justice naturelle. Le tribunal a décidé qu’il « est convaincu que la SAI n’a commis aucun manquement à un principe de justice naturelle en prononçant le désistement de l’appel. Les motifs de la décision du tribunal sont exposés ci-dessous. »

 

[24]           Enfin, le tribunal de la SAI a déclaré que, bien que la SAI soit compétente en equity en matière d’appel, il n’a pas une telle compétence en matière de réouverture des appels. Le tribunal a fait observer que la situation de M. Wilks justifierait peut‑être la réouverture de l’appel en equity, mais que le tribunal peut rouvrir un appel seulement s’il est clairement établi que la SAI a commis un manquement à un principe de justice naturelle.

 

La norme de contrôle

[25]           Au paragraphe 62 de l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, la Cour suprême du Canada a déclaré que, lorsqu’on détermine la norme de contrôle appropriée, il faut suivre deux étapes. Premièrement, la cour doit vérifier si la jurisprudence a déjà établi le degré de retenue correspondant à la question précise en l’espèce. Deuxièmement, lorsque la jurisprudence n’a pas encore établi la norme de contrôle appropriée, la cour doit entreprendre l’analyse des facteurs qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle. La Cour suprême a confirmé cette analyse dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12.

 

[26]           Dans Dubrézil c. Canada (M.C.I.), 2006 CF 142, le juge Noёl, examinant la même question qu’en l’espèce, a conclu que la norme de contrôle était la décision manifestement déraisonnable.

 

[27]           Les questions qui seront contrôlées selon la raisonnabilité sont les questions de fait, les questions mixtes de fait et de droit et celles ayant trait au pouvoir discrétionnaire et aux politiques générales : Dunsmuir, aux paragraphes 51 et 53. La décision du tribunal de la SAI est basée à la fois sur les faits et le droit et, par conséquent, la norme de contrôle est la raisonnabilité.

 

La législation

[28]           L’article 168 de la LIPR est libellé de la façon suivante :

Désistement

168. (1) Chacune des sections peut prononcer le désistement dans l’affaire dont elle est saisie si elle estime que l’intéressé omet de poursuivre l’affaire, notamment par défaut de comparution, de fournir les renseignements qu’elle peut requérir ou de donner suite à ses demandes de communication.

 

Abandonment of proceeding

168. (1) A Division may determine that a proceeding before it has been abandoned if the Division is of the opinion that the applicant is in default in the proceedings, including by failing to appear for a hearing, to provide information required by the Division or to communicate with the Division on being requested to do so.

 

 

[29]           Le paragraphe 13(4) des Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230, est libellé de la façon suivante :

Changement de coordonnées

13.(4) Dès que les coordonnées de la personne en cause ou celles de son conseil, le cas échéant, changent, la personne en cause transmet les nouvelles coordonnées par écrit à la Section et au ministre.

 

Change to contact information

13.(4) If the contact information of the person or their counsel changes, the person must without delay provide the changes in writing to the Division and the Minister.

 

 

[30]           Selon l’article 71 de la LIPR, il existe un seul motif pour lequel la SAI peut faire droit à une requête en réouverture d’un appel; il faut que la SAI ait commis un manquement à un principe de justice naturelle. Cet article est libellé de la façon suivante :

Réouverture de l’appel

71. L’étranger qui n’a pas quitté le Canada à la suite de la mesure de renvoi peut demander la réouverture de l’appel sur preuve de manquement à un principe de justice naturelle.

 

Reopening appeal

71. The Immigration Appeal Division, on application by a foreign national who has not left Canada under a removal order, may reopen an appeal if it is satisfied that it failed to observe a principle of natural justice.

 

 

Analyse

[31]           M. Wilks soutient que le tribunal de la SAI a commis une erreur en concluant que la SAI n’avait pas commis de manquement à un principe de justice naturelle. Il soutient aussi qu’il avait droit à un contrôle judiciaire fondé sur l’equity, mais il a abandonné cette prétention pendant la présentation de ses arguments.

 

[32]           M. Wilks a fait référence à trois affaires en matière d’immigration, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile) c. Ishmael, 2007 CF 212; Dubrézil c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 142; Ramcharan c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), [2008] D.S.A.I. no 358.

 

[33]           M. Wilks admet que dans Ishmael le demandeur avait reçu un avis suffisant, qu’il savait donc que l’audience aurait lieu. M. Wilks fait valoir que sa situation est différente de celle de Ishmael parce qu’il n’avait pas reçu l’avis relatif à l’audience de justification, puisque la SAI avait son numéro de téléphone cellulaire encore en service dans son dossier et qu’elle n’avait pas fait de tentative pour communiquer avec lui.

 

[34]           M. Wilks fait valoir que dans Ramcharan, la section du rôle de la SAI avait tenté de communiquer avec l’appelant à son numéro de téléphone au travail et au numéro de téléphone fourni dans son avis d’appel (même si cette tentative fut infructueuse). Selon M. Wilks, la SAI communiquait donc avec les appelants par téléphone l’année même où son audience de justification était prévue.

 

[35]           Dans Dubrézil, le juge Noël a conclu qu’il n’y avait pas eu de manquement à l’équité procédurale puisque la SAI « a fait ce qu’elle a pu pour joindre le demandeur ». Toutefois, dans Dubrézil, on ne dit pas si la SAI avait les coordonnées téléphoniques de M. Dubrézil.

 

[36]           M. Wilks ne conteste pas le fait qu’il a reçu l’accusé de réception de la SAI du 17 novembre 2005 relatif à son avis d’appel. Cette lettre de la SAI confirmait la réception de son avis d’appel et lui rappelait qu’il était important d’informer la SAI de tout changement à ses coordonnées. M. Wilks déclare que ce qu’il n’a pas reçu, ce sont la lettre relative à la confirmation de sa disponibilité pour l’audience et l’avis de convocation envoyés ultérieurement.

 

[37]           M. Wilks soutient que la SAI aurait dû se servir, pour communiquer avec lui, du numéro de téléphone cellulaire qu’il avait fourni une fois qu’elle avait constaté qu’il n’avait pas répondu à ses lettres et à ses avis. M. Wilks fait valoir que le tribunal de la SAI a commis une erreur lorsqu’il a conclu que la SAI n’avait pas commis de manquement à l’équité procédurale quand elle n’a pas tenté de communiquer avec lui par téléphone, alors qu’elle avait son numéro de téléphone cellulaire à sa disposition.

 

[38]           Il ressort expressément du libellé de la version anglaise de l’article 71 de la LIPR [T]he Immigration Appeal DivisionU may reopen an appeal if it is satisfied tThat it failed to observe a principle of natural justice[en français : L’étranger qui n’a pas quitté le Canada à la suite de la mesure de renvoi peut demander la réouverture de l’appel sur preuve de manquement à un principe de justice naturelle] [non souligné dans l’original] que le manquement doit avoir été commis par la SAI en tant qu’entité et non pas simplement par le décideur qui prononce le désistement de l’appel.

 

[39]           La procédure à la SAI est faite de documents. L’envoi de ces documents est généralement fait par la poste. Étant donné le régime réglementaire qui régit la livraison et le retour du courrier par la poste, la SAI a le droit de se fonder sur la présomption selon laquelle le courrier est livré à l’adresse fournie par le demandeur et, si l’adresse n’est plus valide, sur la présomption que le courrier est retourné à la SAI.

 

[40]           L’objet de l’article 71 est d’éviter qu’un préjudice soit causé à l’appelant en raison d’une erreur de la SAI, mais cet article ne permet pas à l’appelant de tirer un avantage de ses propres actes ou omissions. La SAI a dûment prononcé le désistement de l’appel de M. Wilks en application du paragraphe 168(1) de la LIPR parce qu’il n’avait ni comparu devant la SAI ni communiqué avec elle lorsqu’on le lui avait demandé. Le paragraphe 168(1) fait peser une certaine obligation sur le demandeur. M. Wilks savait qu’il devait mettre à jour les coordonnées qu’il avait fournies à la SAI, mais il a manqué à son obligation.

 

[41]            Dans Dubrézil, le juge Noël a expressément énoncé qu’il incombe au demandeur de conserver le contact. La dernière adresse postale de M. Dubrézil, connue par la SAI, était la prison de Bordeaux. Les lettres avaient été retournées à la SAI à partir de la prison parce que M. Dubrézil n’y résidait plus. La SAI a donc envoyé ses lettres à la dernière adresse connue qui figurait au dossier, sans plus de succès. Le juge Noël a déclaré :

La SAI n’était pas tenue d’agir comme conseiller juridique pour le demandeur, ni de lui rappeler le sérieux des procédures auxquelles il est partie, ni de s’assurer que celui-ci avait bien compris qu’il devait se présenter à sa conférence de mise au rôle ou encore qu’il était tenu d’aviser la SAI de ses changements d’adresse.

 

 

[42]           Étant donné les limites énoncées ci-dessus en ce qui concerne ses obligations, la SAI n’est pas tenue de prendre des mesures supplémentaires telles que communiquer par téléphone lorsqu’elle se fonde sur l’adresse postale fournie par le demandeur, à moins qu’elle ait un indice que l’adresse fournie n’est pas valide. Sans indice que le courrier était envoyé à une adresse invalide, la SAI n’avait aucune obligation de faire des efforts supplémentaires pour communiquer avec M. Wilks.

 

[43]           La SAI n’avait pas lieu de croire que M. Wilks n’avait reçu aucune de ses lettres ni l’avis de convocation puisque aucun de ces documents ne lui avait été retourné avant le prononcé de la décision de désistement, le 4 juillet 2007. Le tribunal de la SAI a conclu de façon raisonnable que la SAI avait le droit de supposer que les lettres et les avis envoyés à l’adresse fournie par M. Wilks avaient été reçus, puisque le courrier ne lui avait pas été renvoyé.

 

[44]           Demeure donc la question du retour tardif, le 31 mars 2008, de la lettre relative à la demande de confirmation de la disponibilité de M. Wilks pour l’audience.

 

[45]           Selon M. Wilks, il existe trois possibilités : (1) le courrier a été illégitimement retenu par la personne vivant à l’adresse indiquée; (2) Postes Canada possédait le courrier, même si elle ne peut pas le retenir pendant plus de trente jours; (3) il y a eu une erreur d’écritures de la part de la SAI, qui a omis d’enregistrer et de traiter la lettre retournée, à une date antérieure non précisée, de telle sorte que la lettre retournée n’a pas été versée au dossier de M. Wilks.

 

[46]           Les deux premières possibilités n’aident pas vraiment M. Wilks parce qu’elles n’établissent pas un manquement à la justice naturelle commis par la SAI au moment où le désistement de l’appel de M. Wilks a été prononcé. Le tribunal de la SAI a décidé que la date du 31 mars 2008 indiquée par timbre dateur était bien la date à laquelle la lettre avait été retournée. Le tribunal a souligné que le décideur avait vérifié que la lettre avait bien été envoyée à l’adresse figurant au dossier et qu’aucune lettre n’avait été retournée au moment où la décision de désistement avait été rendue le 4 juillet 2007.

 

[47]           Toutefois, le timbre dateur en soi ne permet pas d’écarter la troisième possibilité, selon laquelle la lettre retournée avait été reçue auparavant, mais n’avait pas été convenablement enregistrée à sa réception. Le tribunal de la SAI disposait-il d’éléments de preuve sur lesquels il pouvait se fonder pour conclure comme il l’a fait?

 

[48]           Après un examen attentif du dossier, je conclus qu’il existait des éléments de preuve sur lesquels le tribunal de la SAI pouvait se fonder pour tirer la conclusion que la date du timbre dateur reflétait bien la date à laquelle la lettre avait été reçue. Premièrement, il y a des initiales à côté du timbre dateur, ce qui est un indice que les procédures habituelles de la SAI ont été suivies quand la lettre a été retournée le 31 mars 2008. Deuxièmement, le personnel de la SAI a effectué un suivi le 9 avril 2008, en conformité avec la procédure de la SAI qui est de communiquer par téléphone avec l’appelant lorsqu’il y a un retour de courrier. Le tribunal de la SAI avait connaissance de ces deux faits et il pouvait raisonnablement conclure, à partir de ces éléments de preuve, que le timbre dateur reflétait la date réelle du retour de la lettre.

 

[49]           Fait tout aussi important, le tribunal de la SAI a noté qu’il n’y avait pas de contre‑preuve relative à la date du retour de la lettre.

 

[50]           Étant donné que le tribunal de la SAI disposait d’éléments de preuve sur lesquels il pouvait fonder sa décision, je conclus que la conclusion de fait du tribunal de la SAI était raisonnable.

 

[51]           Initialement, dans ses observations écrites, M. Wilks faisait valoir qu’il avait droit à une réparation en equity. Cette prétention a été retirée à l’audience, à juste titre, à mon avis.

 

[52]           Dans Ishmael, le juge Shore a conclu que la SAI avait commis une erreur de droit parce qu’elle avait conclu qu’il n’y avait pas eu de manquement à la justice naturelle et que, cependant, elle avait rouvert l’appel apparemment pour des motifs fondés sur l’equity. L’article 71 de la LIPR prévoit que la SAI a seulement compétence pour rouvrir l’appel lorsqu’il y a eu un manquement à la justice naturelle. La SAI avait conclu que l’appelant avait reçu un avis en bonne et due forme et qu’il n’y avait donc pas eu de manquement à l’équité procédurale. Pourtant, elle avait rouvert l’appel. Le juge Shore a souligné, au paragraphe 22, ce qui suit :

La décision de rouvrir l’appel a tout simplement pour effet d’écarter l’appréciation de la preuve faite par le tribunal lui-même et n’est donc pas du ressort de celui-ci. [Souligné dans l’original.]

 

 

[53]           Dans le cadre de l’examen d’une demande de réouverture présentée en application de l’article 71 de la LIPR, la législation et la jurisprudence sont claires. La SAI n’a pas compétence pour rouvrir un appel en application de l’article 71 pour des motifs fondés sur l’equity.

 

[54]           La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

 


JUGEMENT

 

LA COUR STATUE que :

1.                  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.                  Aucune question de portée générale n’est certifiée.

 

 

 

« Leonard S. Mandamin »

Juge

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A.Trad.jur.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                IMM-2666-08

 

INTITULÉ :                                               Calvin Anthony Wilks

                                                                    c.

                                                                    LA COMMISSION DE L’IMMIGRATION ET DU STATUT DE RÉFUGIÉ et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE (L’AGENCE DES SERVICES FRONTALIERS DU CANADA)

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                        Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                       le 10 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                     le juge Mandamin

 

DATE DES MOTIFS :                             le 23 mars 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Joy-Ann Cohen

 

Pour le demandeur

Margherita Braccio

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Joy-Ann Cohen

Avocate

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour les défendeurs

 

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