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Date : 20090323

Dossier : IMM‑3544‑08

Référence : 2009 CF 305

Ottawa (Ontario), le 23 mars 2009

En présence de monsieur le juge Zinn

 

 

Entre :

STANLEY CHIDIEBERE IGBO

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION                                          

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui rejetait la demande d’asile du demandeur. Pour les motifs qui suivent, j’accueillerai la demande.

 

Le contexte

[2]               Stanley Chidiebere Igbo est un citoyen du Nigéria de 34 ans d’origine ethnique Ibo. Au Nigéria, M. Igbo n’hésitait pas à verbaliser son opposition au Movement for the Actualization of the Sovereign State of Biafra (le MASSOB). Il soutient qu’en raison de cette opposition, il a commencé à recevoir des appels téléphoniques menaçants du MASSOB et il a décidé de se cacher en dormant ailleurs qu’à sa résidence à Lagos. Des hommes armés ont envahi sa maison en octobre 2006, mais ils ont quitté lorsqu’ils ont découvert qu’il n’était pas là. Ils y sont retournés neuf jours plus tard et ont menacé de faire feu sur la famille du demandeur si elle ne leur remettait pas M. Igbo. Comme le demandeur se sentait incapable d’obtenir la protection de la police et qu’il n’avait aucun autre endroit où il pouvait se réfugier au Nigéria, il s’est enfui au Canada. Il est au Canada depuis le 2 décembre 2006.

 

[3]               Le demandeur s’est représenté lui‑même à l’audition de sa demande d’asile en raison d’une demande d’aide juridique déboutée. La SPR a conclu qu’il n’était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger. Elle avait d’importantes réserves quant à la crédibilité du demandeur et elle a noté des incohérences dans son récit. En raison de ces réserves, la SPR a accepté la preuve objective, différente de la preuve du demandeur, qui indiquait que le MASSOB était une organisation non violente. De plus, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas tenté d’obtenir la protection des autorités nigérianes et qu’il ne pouvait pas présenter une preuve « claire et convaincante » de l’incapacité de l’État de le protéger. La Commission était d’avis que, comme les membres du MASSOB sont généralement persécutés par les autorités nigérianes, il n’y avait pas suffisamment de preuves pour démontrer qu’une personne qui protestait contre le MASSOB aurait été incapable d’obtenir la protection de l’État au Nigéria.

 

Les questions en litige

[4]               Le demandeur soulève trois questions :

1.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en rapportant incorrectement la preuve et, par conséquent, en tirant une conclusion défavorable quant à la crédibilité?

2.         La Commission a‑t‑elle commis une erreur en omettant d’avertir correctement le demandeur de son droit à un avocat?

3.                  La Commission a‑t‑elle commis une erreur en refusant d’accorder un ajournement demandé de façon implicite?

Je conclus que la deuxième et la troisième question ne sont pas fondées; cependant, la première question soulevée est fondée.

 

Analyse

            Conclusion quant à la crédibilité

[5]               Le demandeur soutient que la Commission a commis une erreur dans son appréciation d’une partie de la preuve à l’audience, preuve sur laquelle elle s’est fondée pour tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité. La Commission a écrit :

En dernier lieu, je remarque que le demandeur d’asile a déclaré dans son FRP (signé le 18 décembre 2006) qu’il avait déjà ou qu’il pourrait obtenir son passeport nigérian avant l’audience. Toutefois, à l’audience, le demandeur d’asile a allégué l’avoir détruit lorsqu’il était en Autriche (entre le 26 novembre et le 2 décembre 2006). Bien qu’il soit regrettable qu’aucune question n’ait été posée au demandeur d’asile à ce sujet à l’audience, il est évident que l’information fournie est incohérente.

 

                                                                                                [Renvoi omis.]

 

 

[6]               En fait, il n’y a aucune incohérence puisque le passeport que le demandeur croit pouvoir obtenir du Nigéria était son « passeport nigérian périmé », et non le passeport actuel qu’il a détruit en Autriche.

 

[7]               La conclusion quant à la crédibilité est importante parce que la Commission s’est fondée en partie sur cette conclusion défavorable lorsqu’elle a examiné si le MASSOB était un groupe violent. La Commission a écrit :

Compte tenu des nombreuses préoccupations susmentionnées au sujet de la crédibilité du demandeur d’asile et de l’objectivité dont fait preuve la Direction des recherches de la CISR, je préfère m’en tenir à la documentation objective (y compris le manque d’indices permettant de croire que les membres du MASSOB sont violents dans leurs rapports avec les Ibos dissidents) plutôt qu’au témoignage subjectif du demandeur d’asile. Je considère donc que, selon la prépondérance des probabilités, le demandeur d’asile jouit de la protection de l’État.

 

 

 

[8]               Le défendeur reconnaît que la Commission a commis une erreur dans son analyse du témoignage au sujet des passeports, mais il soutient que cette erreur n’avait pas de répercussion sur la décision puisque la Commission a présenté d’autres motifs justifiant la raison pour laquelle elle avait conclu que le demandeur n’était pas crédible.

 

[9]               En plus de la question du passeport, au sujet de laquelle la Commission a commis une erreur, elle a relevé cinq autres incohérences. Il convient de les examiner une à une.

 

[10]           La première incohérence porte sur une incompatibilité entre le FRP du demandeur et son récit au sujet de ses parents. La Commission a écrit :

Dans le FRP que le demandeur d’asile a rempli, il ne fait mention d’aucun parent. Lorsqu’il a été questionné, le demandeur d’asile a prétendu avoir des parents qui vivent au Minnesota (É.‑U.) et qui sont maintenant citoyens américains. Il a affirmé que cette omission dans le FRP était « une erreur ».

[Renvoi omis.]

 

 

[11]           L’utilisation de l’expression « lorsqu’il a été questionné » donne à penser que le demandeur était peu disposé à aborder cette question dans son témoignage alors qu’en fait, il l’était. La transcription révèle que le commissaire, qui a posé toutes les questions, a mentionné au demandeur que son FRP ne mentionnait pas ses parents et il a ensuite demandé au demandeur si ses parents étaient toujours en vie. Le demandeur a répondu qu’ils habitaient au Minnesota. S’il avait voulu cacher l’existence de ses parents ou fournir un témoignage cohérent avec son FRP, il aurait menti. Il ne l’a pas fait. Il a été franc au sujet de leur existence et lorsqu’on lui a demandé pourquoi il ne les avait pas mentionnés dans son FRP, il a déclaré qu’il croyait qu’on lui demandait simplement de mentionner ses frères et sœurs, ce qu’il a fait. Lorsque le commissaire lui a fait remarquer que le FRP indiquait qu’il devait mentionner tous les membres de sa famille immédiate, il a répondu [traduction] « Oh, alors j’ai fait une erreur ». Je ne crois pas que cette omission soit aussi grave que le commissaire semble le croire.

 

[12]           La deuxième incohérence porte sur la période de travail du demandeur au Nigéria. Le commissaire a décrit cette incohérence comme suit :

Toujours dans son FRP, le demandeur d’asile a déclaré avoir travaillé au Nigéria de novembre 2000 jusqu’en octobre 2006. Toutefois, à l’audience, il a mentionné avoir travaillé pour la dernière fois vers la fin du mois de septembre. Questionné au sujet de cette incohérence, il a répondu qu’un jeune homme travaillait pour lui et s’occupait de ses affaires (de façon implicite, jusqu’en octobre). Cependant, peu de temps après, le demandeur d’asile a affirmé avoir vendu en septembre toutes ses automobiles, sauf une, afin d’amasser la somme nécessaire pour venir au Canada. Je tiens à souligner que l’expression « s’occuper de ses affaires » signifie beaucoup plus que de vendre une automobile.

[Renvoi omis.]

 

 

[13]           Le demandeur était un vendeur de voitures indépendant. On lui a demandé à quel moment il a cessé de travailler et il a répondu comme suit :

[traduction]

C’était, à quelle date? C’était en septembre, à la fin de septembre, je ne me souviens pas de la date exacte.

 

 

[14]           Le commissaire a noté ensuite que le FRP indique que le demandeur a travaillé jusqu’en octobre 2006 et le demandeur a répondu [traduction] « Oui, parce que mon entreprise était encore ouverte ». Il a ensuite expliqué qu’il lui restait une voiture à vendre et qu’il avait un employé qui [traduction] « s’occupait de l’entreprise ». Je ne relève aucune incohérence grave, ni même de simple incohérence. Le FRP demande « [é]numérez tous les emplois que vous avez occupés (emploi à temps plein, emploi à temps partiel, emploi temporaire, travail autonome) en commençant par le plus récent » et une colonne pour les dates de début et de fin est insérée sous cette question. Une personne travaille pour son propre compte tant que l’entreprise est en fonction, même si cette personne n’est pas physiquement au lieu du travail.

 

[15]           La troisième incohérence porte sur la date à laquelle il a décidé de quitter le Nigéria. Le commissaire a écrit :

Il est encore plus important de noter que, lorsque le demandeur d’asile déclare avoir vendu en septembre toutes ses automobiles, sauf une, dans le but de venir au Canada, il allègue, de fait, avoir pris la décision de venir au Canada après avoir reçu de vive voix des menaces anonymes (entre autres, par téléphone). Ce n’est que le 1er octobre 2006 que le foyer de sa sœur a été attaqué pour la première fois. Non seulement ce témoignage contredit ce qui est dit dans le récit consigné dans le FRP et qui permet de croire de façon tacite que les violations de domicile ont été l’un des motifs importants de la décision du demandeur d’asile de quitter le Nigéria, mais il soulève la possibilité que le demandeur d’asile ait décidé de s’enfuir de son pays à cause de menaces dont il n’a même pas réussi à identifier les auteurs autrement qu’en disant qu’ils semblaient être des membres du MASSOB.

 

 

 

[16]           La transcription indique que le demandeur a déclaré qu’il a d’abord été confronté par des inconnus en septembre 2006 dans le marché et qu’ [traduction] « ils m’ont dit que si je n’arrêtais pas les campagnes publiques, je serais mort ». Il a témoigné qu’il a pris ces menaces au sérieux. Il a commencé à dormir ailleurs que chez sa sœur, où il habitait. Il a témoigné que cela a eu lieu le 28 septembre 2006, peu de temps avant la première visite du MASSOB à la résidence de sa sœur. Ils y sont retournés une deuxième fois le 10 octobre 2006 et ils ont proféré des menaces. Il a témoigné qu’il a cessé d’acheter de nouvelles voitures parce qu’il savait qu’il quitterait le Nigéria et qu’il avait encore trois voitures à vendre; deux voitures ont été vendues en septembre et il en restait une, qui a été vendue en octobre.

 

[17]           Le commissaire n’a jamais mentionné au demandeur qu’il existait des incohérences dans sa preuve. En lisant la transcription de façon impartiale, il m’est difficile de dire qu’il y a plus qu’une simple possibilité d’incohérence mineure dans la preuve. En fait, si le demandeur a vendu deux voitures dans les derniers jours de septembre, il n’y a aucune incohérence dans son témoignage. Le commissaire ne lui a jamais posé la question. Par conséquent, le fait de laisser entendre qu’il existe une incohérence est injuste et déraisonnable.

 

[18]           Le quatrième fondement de la conclusion quant à la crédibilité porte sur le fait que le demandeur a peu de connaissances au sujet du MASSOB. Le commissaire a écrit :

Outre ses affirmations personnelles, le demandeur d’asile a présenté très peu d’éléments de preuve permettant d’établir qu’il est un militant politique qui s’opposait tellement de façon ouverte au MASSOB qu’il s’est attiré à jamais leur hostilité. Il savait très peu de choses sur le MASSOB. Il ne pouvait pas se souvenir de la période de la formation du MASSOB et s’est trompé lorsqu’il a déclaré qu’il s’agissait d’un groupe très violent, observation dont il sera plus amplement question ci‑après.

 

 

 

[19]           Il est vrai que la seule preuve que le demandeur a présentée à l’appui de son allégation selon laquelle il avait verbalisé son opposition au MASSOB provenait de son propre témoignage, mais aucune preuve du contraire n’a été présentée. Je note que le demandeur ne s’est jamais qualifié de [traduction] « activiste politique » – c’est le commissaire qui a utilisé cette expression. Le demandeur a expliqué pourquoi il s’opposait au MASSOB en fonction de sa compréhension des troubles que le pays avait subis lorsque ce mouvement était actif. Le commissaire ne lui a pas demandé de donner des explications détaillées au sujet de cette organisation et la raison qu’il a donnée pour son opposition à cette organisation ne nécessitait pas une telle connaissance. Le commissaire se fonde sur le fait que le demandeur ne connaissait pas la date de fondation du MASSOB. En quoi est‑ce pertinent? Combien de Canadiens, qu’ils appuient ou qu’ils s’opposent à un quelconque parti politique, savent à quelle date les partis ont été fondés? Enfin, à ce sujet, le commissaire se fonde sur le « fait » que le demandeur soutient que le MASSOB était un groupe violent. Comme je l’ai noté plus tôt, le commissaire utilise ce fondement parce qu’il a conclu que le demandeur n’était pas crédible. Son raisonnement à ce sujet tourne en rond : [traduction] « Je conclus qu’il n’est pas crédible parce qu’il dit que le MASSOB est violent et je conclus que le MASSOB n’est pas violent parce que le demandeur n’est pas crédible. »

 

[20]           Le dernier fondement de la conclusion quant à la crédibilité porte sur le fait que le demandeur ne s’est pas rendu à la maison de son père à Owerri pour obtenir des documents avant de quitter le Nigéria. Le commissaire a écrit :

Il est difficile de croire au récit du demandeur d’asile lorsqu’il raconte de quelle façon il a vécu au Nigéria après la première violation du domicile de sa sœur. Il avait déjà affirmé avoir vendu ses automobiles en septembre pour avoir l’argent nécessaire afin de réunir la somme nécessaire pour venir au Canada avant de déclarer qu’il ne s’était pas déplacé après le 10 octobre 2006 afin d’obtenir les documents [sic] nécessaires pour quitter le pays, et ce, même s’il avait reconnu être déjà en possession de son passeport nigérian. Les seuls documents qu’il semble s’être procurés pendant cette période d’environ deux mois sont un permis de conduire nigérian et un visa pour l’Autriche. Je note qu’il n’a pas fourni les documents relatifs à ses études que, lors de l’audience, il a allégué avoir chez lui, à Owerri, dans l’État d’Imo. Pourtant, dans son témoignage, il n’a rien dit de précis qui permettrait de comprendre pourquoi il ne s’est pas rendu lui‑même à Owerri pour se procurer ces documents et ainsi que d’autres documents.

 

 

 

[21]           La question des documents n’a été soulevée que parce que le commissaire a demandé au début de l’audience si le demandeur avait d’autres documents à présenter. Le demandeur se représentait lui‑même et la transcription démontre clairement que la première mention de documents scolaires venait du commissaire, lorsqu’il a dit qu’il s’agissait du type de documents qu’il souhaitait obtenir. Le demandeur, s’il avait su que ces documents étaient importants, aurait sans doute essayé de les obtenir avant de quitter le pays. Rien ne donne à penser qu’il savait, ou qu’il avait des raisons de savoir, que ces documents seraient importants ou pertinents; par conséquent, il n’avait aucune raison de chercher à les obtenir alors qu’il était en fuite.

 

[22]           En résumé, le commissaire, à mon avis, a effectué un examen microscopique de la preuve afin de fonder ses préoccupations quant à la crédibilité. À mon avis, sa conclusion quant à la crédibilité, en fonction du dossier, est déraisonnable et ne satisfait pas au critère de la transparence établi par la Cour suprême dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9.

 

[23]           La décision est donc déraisonnable à ce sujet. Il est impossible de déterminer avec assurance si le même résultat aurait été obtenu si cette conclusion déraisonnable n’avait pas été tirée. Par conséquent, la demande doit être accueillie. Les parties n’ont proposé aucune question pour la certification et le dossier n’en soulève aucune.

 


JUGEMENT

LA COUR STATUE :

1.                     La demande est accueillie. La décision faisant l’objet du présent contrôle est annulée et la demande du demandeur est renvoyée au défendeur pour nouvel examen par un autre commissaire;

 

2.                     Aucune question n’est certifiée.

 

 

 

 

« Russel W. Zinn »

Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

Dossier :                                        IMM‑3544‑08

 

INTITULÉ :                                       STANLEY CHIDIEBERE IGBO c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                            ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 16 mars 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              LE JUGE ZINN

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 23 mars 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Roy Amadi

POUR LE DEMANDEUR

 

David Knapp

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ROY C. AMADI

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

John H. Sims, c.r.

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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