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Date : 20090319

Dossier : IMM-3614-08

Référence : 2009 CF 291

Ottawa (Ontario), le 19 mars 2009

En présence de monsieur le juge Phelan

 

 

ENTRE :

TERESIA NJERI

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

I.          INTRODUCTION

[1]               La Section de la protection des réfugiés (la SPR ou la Commission) a rejeté la demande d’asile de la demanderesse au motif qu’elle manquait de crédibilité. Il s’agit de la demande de contrôle judiciaire de cette décision de rejet. La Cour conclut que, même eu égard à la retenue qui lui est due, cette décision ne fait pas partie des issues acceptables et qu’elle doit être annulée.

 

II.         RÉSUMÉ DES FAITS

[2]               La demanderesse, qui est une citoyenne du Kenya, est veuve et a deux enfants. Le frère (Kirimi) de son défunt mari a adhéré au groupe des Mungiki en 2004. Il s’agit d’un groupe religieux qui promeut un retour aux pratiques religieuses et culturelles traditionnelles.

 

[3]               Kirimi, le beau-frère, en raison de son adhésion à de telles traditions, aurait insisté pour que la demanderesse devienne son épouse et que ses fils adhèrent au groupe des Mungiki. Elle a refusé.

 

[4]               Kirimi serait alors retourné à la résidence de la demanderesse, à Nairobi, il l’aurait menacée, agressée sexuellement et battue. Les incidents ont été signalés aux professionnels de la santé et au chef du village local où la demanderesse avait habité avec son époux et où Kirimi résidait. Le chef a réprimandé Kirimi.

 

[5]               En février 2005, le cadet des fils de la demanderesse a été agressé à un arrêt d’autobus et il a perdu un œil. La demanderesse pense que l’agression fut menée par des Mungiki en guise de sanction contre son refus d’adhérer à leur groupe. Le fils a déclaré qu’il avait entendu une voix semblable à celle de Kirimi pendant l’agression.

 

[6]               La demanderesse a ensuite déménagé deux fois dans la ville de Nairobi, mais chaque fois, Kirimi l’a retrouvée. En mai 2006, Kirimi et trois autres hommes ont abordé la demanderesse et ont menacé de la rendre aveugle si elle n’obéissait pas à leurs ordres.

 

[7]               Peu de temps après cela, la demanderesse est venue au Canada pour assister à une conférence. Sept jours plus tard, elle a présenté une demande d’asile.

 

[8]               Bien qu’elle ait mentionné les Directives du président concernant la persécution fondée sur le sexe (les Directives), la SPR ne les pas appliquées. Pour la SPR, le facteur décisif était la crédibilité, soit le fait que la demanderesse n’avait prouvé ni le décès de son époux ni les agressions subies par son fils et par elle. La SPR a alors cité les erreurs et ou incohérences suivantes qui ont mené à la conclusion défavorable quant à la crédibilité :

  • selon le Formulaire de renseignements personnels (le FRP) l’époux de la demanderesse était décédé au village, alors que le lieu du décès inscrit sur le certificat de décès était Nairobi et il y manquait une espace après une virgule;
  • les incohérences entre les dates où elle avait été agressée par Kirimi et les dates de ses déménagements ainsi que les raisons de ceux‑ci, et l’omission de produire des preuves médicales des agressions;
  • la mention d’une « sœur Ann » dans les preuves documentaires envoyées du Kenya, l’une via Dubaï et l’autre directement du Kenya. La Commission a noté que la demanderesse n’avait pas pu expliquer la raison pour laquelle l’envoi par FedEx s’était fait via Dubaï ni la raison pour laquelle elle n’avait pas inscrit de sœur dans son FRP;
  • le rapport médical sur l’agression de son fils comportait une faute d’orthographe ([traduction] « perdre de la vision » au lieu de « perte de la vision »);
  • lors du témoignage, la demanderesse a parlé de la présence de Kirimi pendant l’agression de son fils, mais elle n’en avait pas fait mention dans son FRP;
  • la lettre du chef du village relative à la réprimande adressée à Kirimi contenait une faute d’orthographe ([traduction] « prescrite » au lieu de « proscrite ») et cette lettre, ainsi qu’une autre lettre d’un prêtre, avaient été reçues via Dubaï;
  • la SPR a rejeté deux lettres de travailleurs sociaux canadiens relatives aux conseils prodigués à la demanderesse, parce que la SPR a conclu que la demanderesse n’avait pas été agressée.

 

[9]               Enfin, la SPR a conclu à l’absence de crainte subjective, parce que la demanderesse avait présenté sa demande d’asile une semaine après son arrivée ici.

 

III.       ANALYSE

[10]           La Cour examinera la norme de contrôle même si aucune des parties ne l’a évoquée. Bien que la demanderesse ait soulevé la question de l’omission de prendre en compte la preuve, qui est une erreur de droit (voir Uluk c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 122), le nœud de la présente affaire est la crédibilité.

 

[11]           En ce qui concerne les conclusions sur la crédibilité, j’ai remarqué que la Cour a, et devrait avoir, des réticences à annuler de telles conclusions, à moins qu’il y ait eu une erreur des plus manifestes (Revolorio c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 1404). La retenue due tient compte tant du contexte de l’affaire et de l’intention du législateur que de la situation particulière dans laquelle se trouve le juge des faits qui évalue la preuve apportée par des témoignages. Le degré de retenue varie selon le fondement de la conclusion de crédibilité. La raisonnabilité est la norme applicable et la Cour doit faire preuve d’une retenue non négligeable à l’égard de la décision de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

 

[12]           Toutefois, la retenue n’est pas un chèque en blanc. Le décideur doit donner les motifs qui l’ont amené à tirer une conclusion justifiable. C’est avec beaucoup de réticence que j’ai conclu que la décision de la Commission ne satisfaisait pas à la norme de contrôle.

 

[13]           Les cours ont été mises en garde à propos des contrôles à la loupe, la commission a été mise en garde à propos des examens à la loupe du récit du demandeur. En l’espèce, la SPR s’est lancée dans ce genre d’examen à la loupe, sans remettre les choses dans leur contexte.

 

[14]           Sur la question des fautes d’orthographe, il n’est pas déraisonnable de conclure que de telles fautes soulèvent des doutes. C’est souvent de telles fautes qui permettent de découvrir que les documents sont faux. Toutefois, en l’espèce, les fautes sont si minimes, elles ne reformulent pas le récit et elles proviennent de situations où les fautes d’orthographe ont de grandes probabilités de se produire. Il n’a pas été tenu compte que de tels facteurs peuvent expliquer les fautes.

 

[15]           Les erreurs relatives au lieu du décès doivent être prises en compte. Toutefois, l’explication quant à l’incompétence des fonctionnaires au Kenya n’a jamais été étudiée. Il n’y avait aucune autre preuve qui donnait à penser que le récit du décès de l’époux de la demanderesse était faux.

 

[16]           Les incohérences sur les dates et l’incapacité générale de la demanderesse de se souvenir de détails infimes sont traitées dans les Directives. Au mieux, les Directives se sont vu accorder très peu d’importance. La procédure n’a pas été menée selon les Directives; il ne semble pas non plus que la SPR se soit conduite comme si elle connaissait les principes régissant les allégations d’agressions sexuelles et les précautions à prendre lorsqu’on fait affaire à de telles allégations.

 

[17]           La SPR n’a pas tenu compte de la preuve selon laquelle le fils avait entendu la voix de Kirimi pendant l’agression. La SPR ne s’est pas penchée sur l’explication fournie par la demanderesse quant à la raison pour laquelle elle n’avait pas inclus cette partie du récit dans son FRP.

 

[18]           La SPR a rejeté les documents provenant de Dubaï sans tenir compte de l’explication de l’avocat selon laquelle Dubaï est le point de transit de FedEx pour les envois en provenance de l’Afrique. La SPR a conclu que l’incapacité de la demanderesse à expliquer les raisons pour lesquelles les envois provenaient de Dubaï avait des répercussions défavorables sur sa crédibilité; pourtant, la SPR n’a pas tenu compte de l’explication proposée.

 

[19]           L’un des motifs de rejet de cette preuve était qu’elle provenait de sœur Ann. Étant donné que la demanderesse n’avait pas inscrit de sœur dans son FRP, la Commission a conclu qu’il y avait là un défaut d’honnêteté. La SPR n’a pas tenu compte de l’explication de la demanderesse selon laquelle « sœur Ann » était une religieuse et non pas un membre de sa fratrie.

 

[20]           La SPR a aussi conclu qu’il n’y avait pas de preuve médicale confirmant que les blessures de la demanderesse étaient dues à une agression. Le dossier contenait une lettre d’un médecin canadien qui confirmait que les blessures à la bouche et aux jambes de la demanderesse concordaient avec les faits décrits par elle. Le défendeur demande à la Cour d’en déduire qu’il n’y avait pas de preuve médicale « du Kenya ». Étant donné le contexte dans lequel la SPR a fait ses commentaires et l’ensemble des erreurs qu’elle a commises, il n’appartient pas à la Cour d’offrir à la SPR une porte de sortie pour ses erreurs.

 

[21]           Enfin, la SPR a conclu qu’une période d’une semaine pour présenter une demande d’asile était révélatrice d’une absence de crainte subjective. La SPR n’a pas tenu compte de l’explication selon laquelle la demanderesse séjournait dans une maison d’hébergement et que le travailleur social qui devait l’accompagner pour l’aider à présenter sa demande avait été absent pendant une semaine.

 

[22]           Il y a d’autres aspects de la décision de la SPR qui soulèvent aussi des réserves, mais ceux qui ont été mentionnés ci-dessus sont plus que suffisants pour que la Cour intervienne et annule la décision.

 

IV.       CONCLUSION

[23]           La présente demande de contrôle judiciaire sera accueillie, la décision de la SPR sera annulée et l’affaire sera renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur elle.


 

JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie, que la décision de la Section de la protection des réfugiés est annulée et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour qu’il statue à nouveau sur elle.

 

 

 

« Michael L. Phelan »

Juge

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Laurence Endale, LL.M., M.A.Trad.jur.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-3614-08

 

INTITULÉ :                                                  TERESIA NJERI

                                                                       c.

                                                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                           Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                          LE 4 MARS 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                        Le juge Phelan

 

DATE DES MOTIFS :                                Le 19 mars 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Waikwa Wanyoike

 

POUR LA DEMANDERESSE

Jennifer Dagsvik

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Waikwa Wanyoike

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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