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Date : 20090318

Dossier : IMM-2849-08

Référence : 2009 CF 277

Ottawa (Ontario), le 18 mars 2009

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE FRENETTE

 

ENTRE :

Satish Chander SHARMA

demandeur

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

 

[1]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire, en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (la SAI) a refusé d’accéder à sa demande pour être relevé de la mesure d’expulsion prise contre lui, pour motifs d’ordre humanitaire.

 

 

Les faits

[2]               Le demandeur est citoyen de l’Inde, bien qu’il n’y ait pas résidé depuis 1976. Après avoir vécu quatorze ans à Dubaï, il est venu au Canada le 13 février 1990, ayant été accepté comme résident permanent à titre d’entrepreneur. Le statut de résident permanent a aussi été accordé à son épouse et à ses enfants, mais ceux-ci ne l’ont pas rejoint au Canada. Le demandeur affirme dans son affidavit que lui et son épouse, qui vit maintenant en Inde, se sont éloignés l’un de l’autre en raison de leur longue séparation. Il a cependant précisé dans son témoignage qu’il est toujours marié et qu’il espère que son épouse viendra vivre avec lui au Canada. Ses enfants résident aux États-Unis.

 

[3]               Certaines conditions ont été imposées au demandeur, à titre d’entrepreneur. Ces conditions sont énoncées dans sa Fiche relative au droit d’établissement. Ainsi, pour conserver son statut de résident permanent, le demandeur devait :

-  établir ou acheter au Canada une entreprise ou un commerce, ou y investir une somme importante, contribuant ainsi de façon importante à l’économie et permettant à au moins un citoyen canadien ou résident permanent, à l’exclusion de lui-même et des personnes à sa charge, d’obtenir ou de conserver un emploi; 

 

-  participer activement et régulièrement à la gestion de cette entreprise ou de ce commerce;

 

-  fournir, dans les deux années suivant la date à laquelle il a obtenu le droit d’établissement à Montréal (Québec), la preuve de son respect des conditions susmentionnées.

 

 

 

[4]               Le demandeur soutient qu’à l’origine, il n’avait pas connaissance de l’existence de ces conditions; lorsqu’il en a été informé, son avocat de l’époque lui a dit qu’il s’agissait de simples formalités qu’il ferait retirer.

 

[5]               Le demandeur prétend que peu après avoir obtenu le droit d’établissement, il a établi une entreprise, Saras International, qu’il aurait enregistrée à Toronto et à Montréal. La vocation de cette entreprise était l’exportation de biens à destination et en provenance du Moyen‑Orient, de l’Inde et du Canada. Toutefois, l’entreprise a échoué peu après ses débuts; en effet, une cargaison de chemises qui devait arriver au port de Montréal a été retardée, et le grossiste n’en a jamais pris livraison; les marchandises ont donc dû être vendues aux enchères, au port. Au moment de cet événement, le demandeur était à l’étranger pour [traduction] « attirer la clientèle » et il avait chargé sa belle‑sœur de veiller à ses affaires en son absence. Cependant, celle-ci est tombée malade, a été hospitalisée et est décédée en 1991. Le demandeur affirme qu’il n’a été informé de l’incident de la cargaison manquée qu’au moment où il est rentré au Canada, après trois mois d’absence.  

 

[6]               Le demandeur déclare avoir communiqué avec son avocat tout de suite après l’échec de son entreprise; ce dernier lui aurait dit qu’il n’y avait pas lieu de s’inquiéter et a assuré le demandeur qu’il communiquerait avec lui s’il y avait des problèmes. Dans l’intervalle, l’avocat a conseillé au demandeur de se trouver un emploi et d’acquérir une certaine stabilité pendant que lui-même s’occuperait de ses affaires auprès de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC). Constatant qu’il n’avait pas de nouvelles de son avocat, le demandeur a présumé que tout était dans l’ordre quant à son statut. 

[7]               En novembre 2002, le demandeur a trouvé un emploi d’ingénieur concepteur chez MITS Air Conditioning Inc., où il travaillait encore lorsqu’il a présenté sa demande.  

 

[8]               En février 2003, le demandeur a déposé une demande de citoyenneté canadienne. Le 17 août 2004, alors qu’il se trouvait aux chutes Niagara, en Ontario, un agent à la frontière l’a informé que des fonctionnaires de l’immigration à Montréal souhaitaient lui parler, mais ne lui a pas dit pourquoi. Le demandeur affirme avoir ensuite téléphoné à deux reprises aux bureaux de l’immigration à Montréal, mais n’avoir reçu aucune réponse. Plus tard, il a reçu une lettre d’un fonctionnaire de l’immigration à Montréal qui voulait obtenir des renseignements au sujet de son statut. Il a consulté un avocat à Toronto et c’est seulement alors, dit-il, qu’il a appris que CIC le cherchait depuis de nombreuses années. Les fonctionnaires de l’immigration avaient tenté sans succès de le rejoindre en 1991. Un mandat, lancé contre lui en 1997, a plus tard été annulé.

 

[9]               En février 2005, étant donné le retard dans le traitement de sa demande de citoyenneté, le demandeur a sollicité une carte de résident permanent et demandé que les conditions rattachées à son statut soient retirées pour des motifs d’ordre humanitaire. Il a été convoqué par téléphone à une entrevue avec un agent à Montréal le 16 février 2005, mais il a manqué ce rendez-vous. La carte de résidence permanente lui a été refusée pour ce motif. 

 

[10]           Le 14 novembre 2006, le demandeur a témoigné devant la Section de l’immigration à ce sujet, reconnaissant n’avoir pas respecté les conditions de son droit d’établissement. Par conséquent, la Section de l’immigration a ordonné son renvoi. Il a interjeté appel de cette décision à la Section d’appel de l’immigration, demandant au tribunal de prendre une mesure spéciale à son égard conformément à l’alinéa 67(1)c) et au paragraphe 68(1) de la Loi. Son appel a été rejeté. C’est cette décision qui est contestée dans le cadre du présent contrôle judiciaire.

 

La décision contestée

[11]           La SAI a rendu sa décision le 3 juin 2008. Le commissaire de la SAI signale en débutant que le demandeur reconnaît avoir enfreint les conditions rattachées à son droit d’établissement et sollicite une mesure spéciale pour des motifs d’ordre humanitaire. Le commissaire fait aussi observer qu’il incombe au demandeur d’établir qu’il ne devrait pas être renvoyé du Canada.

 

[12]           La SAI énonce la liste des facteurs non exhaustifs décrits dans la décision Ribic c. Canada (M.E.I.), [1985] I.A.B.D. no 4 (QL), et confirmés dans l’arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration.), [2002] 1 R.C.S. 84, que le tribunal doit examiner dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire au regard des appels d’une mesure de renvoi. Ces facteurs comprennent : la famille du demandeur et les bouleversements que leur causerait le renvoi du demandeur, le soutien dont bénéficie l’appelant au Canada, tant au sein de sa famille que dans la collectivité, et l’importance des difficultés que causerait à l’appelant le renvoi dans son pays. Le commissaire souligne au paragraphe 10 de sa décision, s’appuyant sur une décision rendue précédemment par la SAI dans Dakka c. Canada (M.C.I.), [2003] D.S.A.I. no 657 (QL) :

[…] Dans les cas de non-respect des conditions d’établissement, il est important de tenir compte des circonstances du non-respect des conditions d’établissement, notamment de la mesure dans laquelle l’entrepreneur a déployé des efforts importants pour respecter ses conditions d’établissement.

 

 

 

[13]           Le reste de la décision est divisé en plusieurs sous-titres qui suivent dans l’ensemble les facteurs énoncés dans Ribic. Le premier sous-titre, cependant, porte sur l’inobservation des conditions d’établissement imposées au demandeur. Le tribunal signale qu’en plus de la cargaison de chemises, le demandeur a fait état à l’audience d’une autre cargaison, de vieux papiers cette fois, qui a échoué. La perte combinée de ces deux cargaisons aurait entraîné la chute de l’entreprise.

 

[14]           Le tribunal relève toutefois que le demandeur n’a fourni aucun document concernant l’arrivage des chemises et sa saisie ou la cargaison de vieux papiers. Le demandeur n’a pas non plus présenté de documents attestant l’enregistrement allégué de l’entreprise en 1990. Il a déposé un formulaire de la Commission des normes du travail du Québec pour établir que Saras International faisait des affaires à Montréal en 1990; toutefois, la SAI fait remarquer, au paragraphe 13 de sa décision :

[…] le formulaire en est un qui aurait été rempli par l’appelant, pas par l’organisme gouvernemental. Le formulaire est aussi incomplet et ne précise pas si l’entreprise est active. À lui seul, tout ce que le formulaire établit, c’est que l’appelant, ou quelqu’un agissant en son nom, a partiellement rempli un formulaire indiquant qu’il ou elle travaillait pour Saras International.

 

 

 

[15]           La preuve donne à entendre, souligne aussi la SAI, que CIC n’était pas convaincu que le demandeur avait réellement lancé une entreprise. Dans un rapport détaillé en date du 25 novembre 2005, un agent d’immigration signale qu’une vérification auprès de l’inspecteur général des institutions financières a permis de découvrir [traduction] « qu’aucune entreprise inscrite sous ce nom ou sous le nom de l’intéressé n’existe ni n’a jamais existé ».

 

[16]           En outre, la SAI estime que l’explication du demandeur concernant la cargaison de chemises perdue est invraisemblable. Le tribunal se demande plus particulièrement comment le demandeur a pu ignorer cette perte pendant aussi longtemps s’il gérait rigoureusement son entreprise, comme l’exigeaient les conditions afférentes à son droit d’établissement. Ni le frère du demandeur ni sa belle‑sœur n’ont fourni d’éléments de preuve concernant la cargaison perdue. 

 

[17]           Au paragraphe 16, le commissaire de la SAI constate qu’il semble que « l’appelant rejette toute responsabilité relativement à son non-respect des conditions d’établissement ». Le commissaire écrit :

[17]     Il est peut-être plausible qu’un message téléphonique ait été perdu ou qu’un conseiller juridique ait oublié quelque chose, mais, en l’espèce, l’appelant tente de justifier une série d’incidents au cours desquels il aurait dû communiquer avec CIC, mais ne l’a pas fait. L’appelant savait, au moment où il a obtenu le droit d’établissement sous condition, qu’il avait deux ans pour convaincre CIC du fait qu’il avait respecté les conditions imposées. J’estime qu’il est fort probable qu’il tentait d’éviter les autorités de l’immigration parce qu’il n’avait pas respecté ses conditions d’établissement. Je rejette ses explications, que j’estime invraisemblables, selon lesquelles diverses personnes sont responsables de sa non-communication.

 

La SAI énonce ainsi sa conclusion sur ce point, au paragraphe 19 :

 

[…] Compte tenu des préoccupations susmentionnées, je ne crois pas au témoignage de l’appelant selon lequel il a démarré une entreprise qui a fait faillite parce qu’un envoi de chemises a été saisi sans qu’il ne le sache. Vu les contradictions et les invraisemblances dans son témoignage et vu l’absence d’éléments de preuve documentaire pertinents concernant Saras International, je ne crois pas le témoignage de l’appelant selon lequel il a démarré et géré une entreprise dans le but de respecter ses conditions d’établissement. Il n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, avoir jamais démarré une entreprise, encore moins qu’il existe une explication raisonnable justifiant son non-respect des conditions d’établissement.

 

La SAI a déclaré avoir accordé une grande importance à ce facteur, « qui joue contre l’appelant ».  

 

 

[18]           Le deuxième élément important de l’analyse de la SAI porte sur le temps que le demandeur a passé au Canada et l’établissement qu’il y a acquis. À cet égard, la SAI relève des éléments de preuve contradictoires quant à savoir si le demandeur a bien résidé régulièrement au Canada depuis 1990. Le commissaire s’appuie sur des déclarations faites par l’épouse du demandeur aux autorités de l’immigration à diverses occasions lorsqu’elle sollicitait des visas pour se rendre au Canada, pour souligner que le demandeur vivait et travaillait ailleurs durant cette période. Dans le rapport détaillé évoqué plus tôt, sur lequel le tribunal s’est fondé, l’agent d’immigration écrit (à la page 216) :  

[traduction]

     Dans la demande de citoyenneté canadienne de l’intéressé, reçue le 10 février 2003, celui-ci déclare avoir été absent 66 jours en tout au cours des quatre années précédentes.

 

     Sur sa carte de résident permanent, reçue le 25 janvier 2005, l’intéressé a déclaré un total de 77 jours d’absence du Canada depuis janvier 2000.

 

     Ces déclarations sont contredites par l’épouse de l’intéressé, qui a déclaré le 17 mars 2004, dans sa demande de visa de visiteur, qu’ils (elle et l’intéressé) étaient retournés vivre en Inde en 2001 après avoir vécu les 25 années précédentes à Dubaï, où l’intéressé possédait et exploitait une société. Dans chacune de ses quatre demandes de visa, l’épouse de l’intéressé a déclaré qu’elle voulait visiter son beau‑frère, son neveu ou à la fois l’un et l’autre, mais elle n’a jamais indiqué qu’elle voulait visiter son époux, qui, selon les déclarations de ce dernier, vivait au Canada. Les invitations pour séjourner au Canada venaient toujours du frère de l’intéressé, non de l’époux lui-même.

 

     Tous les documents et toutes les déclarations au dossier nous donnent à penser que l’intéressé ne s’est jamais établi ou n’a jamais vécu en permanence au Canada. 

 

 

 

[19]           La SAI estime que les explications du demandeur au sujet de ces déclarations sont invraisemblables. Le tribunal note en outre que CIC a été incapable de retracer le demandeur pendant des recherches menées en décembre 1991, juin 1992, juillet 1994 et décembre 1996. Par ailleurs, le demandeur n’a pas produit de déclarations de revenus avant 1998, et en 1999, 2000 et 2002, les revenus qu’il a déclarés n’étaient pas suffisants pour justifier d’un revenu de subsistance.

 

[20]           Le tribunal a conclu en conséquence en ces termes sur ce point, au paragraphe 27 de la décision :

     Compte tenu de ces préoccupations, j’estime que le témoignage de l’appelant n’a pas suffi à établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il a résidé au Canada de façon continue depuis qu’il a obtenu le droit d’établissement. Même si je veux bien croire qu’il vit probablement ici depuis qu’il a commencé à travailler pour Mitsubishi Electric en 2002, il ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’il vivait au Canada avant cela. Les déclarations de son épouse et l’incapacité de CIC de le trouver (de même que le fait qu’il n’a fourni aucune explication raisonnable pour l’un comme pour l’autre) l’ont empêché de s’acquitter du fardeau de la preuve.

 

 

 

[21]           Quant au reste de l’analyse sur la question de l’établissement, le tribunal fait observer que le demandeur n’a aucune famille au Canada, à l’exception de son frère. Il occupe un emploi à temps plein et est propriétaire de sa maison; de fait, le tribunal reconnaît au paragraphe 29 que « depuis qu’il a commencé à travailler pour Mitsubishi Electric en 2002, l’appelant se porte plutôt bien et est un membre actif de la société ». Néanmoins, le tribunal conclut :

[…] comme je ne suis pas convaincu qu’il était présent au Canada dans les années 90 et comme sa famille immédiate ne vit pas au Canada, je considère, selon la prépondérance globale des facteurs, que l’établissement de l’appelant constitue un facteur neutre qui n’est ni favorable ni défavorable à l’appelant dans le cadre du présent appel.

 

 

 

[22]           De l’avis du tribunal, aucune preuve ne donne à penser que des membres de la famille du demandeur au Canada subiraient des bouleversements si le demandeur était expulsé, ni que l’appelant serait confronté à des difficultés en Inde, le pays où il a grandi et où vivent encore des membres de sa famille. Le tribunal rejette l’argument du demandeur selon lequel il lui serait très difficile, à 66 ans, de trouver du travail en Inde, aucun élément de preuve n’ayant été présenté pour étayer cette affirmation. Le tribunal conclut qu’il ne devrait pas avoir de difficulté, en tant que professionnel « travaillant pour une multinationale ».

 

Dispositions législatives pertinentes

[23]           Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes pour le présent contrôle judiciaire :

  27. (1) Le résident permanent a, sous réserve des autres dispositions de la présente loi, le droit d’entrer au Canada et d’y séjourner.

 

  (2) Le résident permanent est assujetti aux conditions imposées par règlement.

 

[…]

  27. (1) A permanent resident of Canada has the right to enter and remain in Canada, subject to the provisions of this Act.

 

  (2) A permanent resident must comply with any conditions imposed under the regulations.

 

[…]

 

  41. S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées.

 

 

[…]

 

  41. A person is inadmissible for failing to comply with this Act

(a) in the case of a foreign national, through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act; and

(b) in the case of a permanent resident, through failing to comply with subsection 27(2) or section 28.

 

[…]

 

  63.

  (3) Le résident permanent ou la personne protégée peut interjeter appel de la mesure de renvoi prise au contrôle ou à l’enquête.

 

[…]

  63.

 

  (3) A permanent resident or a protected person may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision at an examination or admissibility hearing to make a removal order against them.

 

[…]

 

  67. (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

 

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

 

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

 

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

 

[…]

 

  67. (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

 

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

 

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

 

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

[…]

 

  68. (1) Il est sursis à la mesure de renvoi sur preuve qu’il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

  68. (1) To stay a removal order, the Immigration Appeal Division must be satisfied, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, that sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

 

 

 

La question en litige

 

[24]           Le demandeur soulève la question suivante : la SAI a-t-elle tiré une conclusion déraisonnable compte tenu de la preuve dont elle était saisie?

 

Position des parties

[25]           Le demandeur allègue que la SAI a mal interprété la preuve et a tiré des conclusions déraisonnables.

 

[26]           Plus particulièrement, le demandeur conteste la conclusion défavorable tirée par la SAI de l’incapacité du demandeur de fournir des éléments de preuve, outre le document de la Commission des normes du travail du Québec, attestant l’enregistrement de Saras International à Montréal et à Toronto. Le demandeur affirme avoir expliqué à l’audience que les documents concernant son entreprise se trouvaient à la résidence de son frère, parce c’est sa belle-sœur qui les conservait. Or, sa belle-sœur est décédée et son frère a déménagé. Ces explications ne figurent pas dans la décision, ce qui indique, estime le demandeur, que le tribunal ne les a pas prises en considération.

 

[27]           De plus, le demandeur s’élève contre le fait que le tribunal s’est appuyé sur les déclarations de son épouse, dont il est séparé, qui laissent entendre qu’il n’a pas résidé au Canada de façon continue depuis 1990. Sur ce point également, le demandeur a fourni une explication à l’audience; toutefois, le tribunal ne l’a pas jugée vraisemblable. Le demandeur soutient aussi qu’il ne convient pas d’accorder beaucoup de poids à l’échec des démarches de CIC pour le retrouver; selon son témoignage, l’avocat qu’il avait retenu à l’époque l’avait assuré que les conditions rattachées à son droit d’établissement seraient retirées et qu’il serait averti s’il y avait quelque problème que ce soit. Le demandeur souligne également qu’il fait de fréquents aller et retour entre le Canada, les États‑Unis et l’Inde, et que l’Agence des services frontaliers du Canada ne l’a jamais informé que CIC le cherchait, si ce n’est aux chutes Niagara en 2004.

 

[28]           Pour expliquer pourquoi, durant plusieurs années avant 2002, il n’a pas gagné un revenu minimum vital, le demandeur expose qu’après avoir perdu son entreprise, il a eu des difficultés financières et n’a commencé à gagner un revenu régulier qu’à compter de son embauche chez MITS Air Conditioning Inc., en 2002. Il fait remarquer que le tribunal, dans sa décision, désigne incorrectement Mitsubishi Electric, une société multinationale, comme étant son employeur. Il ressort de la preuve que Mitsubishi Electric est une société affiliée, et le demandeur a mentionné cette société dans son témoignage.  

 

[29]           Dans son affidavit, le demandeur rappelle qu’il a fait état du décès de sa belle‑sœur, à l’audience; pourtant, le tribunal dans sa décision parle d’elle comme si elle était toujours vivante, suggérant, par exemple, qu’elle aurait pu fournir des éléments de preuve pour étayer certaines des prétentions du demandeur. Plus généralement, celui-ci affirme que ses amis et son réseau social sont au Canada et il écrit, au paragraphe 42 de son affidavit :

[traduction]

Je ne suis chez moi qu’au Canada. Comme je l’ai expliqué, ma vie est concentrée ici depuis près de vingt ans maintenant. Me faire dire aujourd’hui que je dois quitter est pour moi un coup dur, dévastateur.

 

 

 

[30]           Le défendeur soutient pour sa part que les arguments du demandeur ne portent pas atteinte au caractère raisonnable de la décision de la SAI en ce qui touche les circonstances entourant l’inobservation par le demandeur des conditions de son droit d’établissement. Le tribunal a estimé que les explications du demandeur pour justifier l’échec de son entreprise et l’absence de documents attestant l’enregistrement de cette entreprise étaient invraisemblables. Le fait que ces documents se soient prétendument trouvés chez le frère du demandeur en 1991 ne répond pas aux préoccupations du tribunal quant à la vraisemblance de la situation. Le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il n’aurait pu tenter d’obtenir ces documents pour appuyer sa demande.

 

[31]           Le défendeur indique qu’il n’est pas certain que la SAI ait été au courant du décès de la belle‑sœur du demandeur, parce que la déclaration sur ce point, dans l’affidavit du demandeur, est ambiguë et qu’aucun extrait de la transcription de l’audience ne se trouve au dossier pour confirmer les déclarations que le demandeur a faites; cependant, il ressort manifestement de son témoignage que sa belle‑sœur est décédée en 1991. Le défendeur insiste sur le fait qu’il incombait au demandeur de convaincre la SAI que des facteurs d’ordre humanitaire justifiaient la prise de mesures spéciales; il ne l’a pas fait. De l’avis du ministre :

[traduction]

     La SAI a conclu à bon droit et raisonnablement que l’inobservation, par le demandeur, des conditions de son droit d’établissement, a grandement joué contre lui.

 

 

 

[32]           En ce qui concerne l’établissement du demandeur au Canada, le défendeur rappelle que le tribunal a considéré cet élément comme un facteur neutre, ni favorable ni défavorable au cas du demandeur. Le défendeur fait valoir que la preuve dont disposait la SAI appuie les conclusions du tribunal en ce qui touche les déclarations de l’épouse selon lesquelles le demandeur n’avait pas régulièrement résidé au Canada depuis 1990. De plus, le demandeur n’a présenté aucune preuve venant de son épouse pour étayer ses explications. Les notes de l’agent d’immigration qui précisent que le demandeur était résident de Dubaï et était [traduction] « propriétaire ou copropriétaire de Saras Electrical Works à Dubaï » corroborent les déclarations de l’épouse (page 262 du dossier du tribunal).

 

[33]           Quant à l’affirmation du demandeur selon laquelle il n’a appris qu’en 2004 que CIC le cherchait, il s’agirait d’une simple divergence d’opinions quant au poids que le tribunal a accordé aux prétentions du demandeur.

 

[34]           Selon le défendeur, les conclusions du tribunal concernant la réinstallation de la famille et les difficultés auxquelles l’appelant ferait face s’il devait retourner en Inde, sont raisonnables. Enfin, le défendeur soutient que les erreurs relevées par le demandeur – à savoir l’erreur au sujet de l’employeur, qui est MITS Air Conditioning et non Mitsubishi Electric, et les observations se rapportant à la belle‑sœur qui est maintenant décédée – sont sans conséquence, étant donné que :

[traduction]

[…] la SAI s’est fondée principalement sur le manque de preuve documentaire concernant Saras International et sur l’invraisemblance, à son avis, que le demandeur ait été responsable de la gestion quotidienne de l’entreprise en 1990 et ait néanmoins tout ignoré de l’arrivée des seuls biens que l’entreprise avait importés au Canada et de leur vente aux enchères au port.

 

 

 

[35]           Ni l’une ni l’autre des erreurs factuelles que la SAI aurait commises ne se rapporte à ces préoccupations.

 

Analyse

            Norme de contrôle

[36]           Depuis l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, la norme de contrôle applicable aux décisions de fait concernant une question mixte de fait et de droit est celle de la décision raisonnable simpliciter. Dans le cadre d’un contrôle, le tribunal ne doit pas intervenir à l’égard des conclusions de fait si celles-ci relèvent des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Récemment, dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, la Cour suprême du Canada a rappelé que la norme de la décision raisonnable commande la déférence à l’égard des décisions des tribunaux administratifs.

 

La décision de la SAI est-elle déraisonnable, abusive ou arbitraire?

[37]           Le demandeur reconnaît qu’il ne s’est pas conformé aux conditions auxquelles il avait souscrit lorsqu’il a obtenu le droit d’établissement au Canada à titre d’entrepreneur en 1990, soit d’établir au Canada, dans un délai de deux ans, « une entreprise ou un commerce, ou y investir une somme importante, contribuant ainsi de façon importante à l'économie et permettant à au moins un citoyen canadien ou résident permanent, à l'exclusion de lui-même et des personnes à sa charge, d'obtenir ou de conserver un emploi ».

 

[38]           Ni sa famille ni ses deux enfants ne l’ont suivi au Canada.

 

[39]           Le demandeur soutient que la Commission a commis [traduction] « de nombreuses erreurs » et s’est montrée très inéquitable.

 

[40]           Il fait état d’une prétendue erreur qui n’est pas exacte, relativement au fait qu’il aurait mentionné Mitsubishi Electric. Il travaillait pour MITS Air Conditioning Inc., une société affiliée, et il a lui-même mentionné Mitsubishi dans son témoignage.

 

[41]           La SAI, dit le demandeur, a reconnu qu’il occupe un emploi à temps plein au Canada depuis 2002, mais a néanmoins accepté les déclarations de son épouse selon lesquelles il résidait à Dubaï et y travaillait pour une entreprise dont il était copropriétaire, Saras Electrical.

 

[42]           Le demandeur soutient que la SAI aurait dû retenir sa version des faits parce que son épouse a menti pour pouvoir entrer au Canada. Pourtant, il a déclaré dans son témoignage qu’il est encore marié et qu’il espère que son épouse viendra vivre avec lui au Canada. De plus, la version de son épouse est corroborée dans les notes de l’agent d’immigration, qui a consigné les faits afférents à la version de celle-ci. L’épouse du demandeur a aussi reçu une invitation au Canada de la part du propre frère du demandeur qui vit au Canada.

 

[43]           Le demandeur conteste les conclusions de la SAI portant qu’il n’a présenté aucune déclaration de revenus avant 1998 et que ses déclarations de revenus pour les années 2000 et 2002 ne font pas foi d’un salaire minimum vital. Il n’a déposé aucun élément de preuve pour réfuter ces conclusions.

 

[44]           Le demandeur conteste les conclusions de la SAI concernant son établissement au Canada. Il nie les affirmations de son épouse selon lesquelles ils ont vécu tous les deux à Dubaï pendant 25 ans, puis sont retournés vivre en Inde en 2001.

 

[45]           Ses explications pour justifier ses fréquents séjours en dehors du Canada, pour des périodes allant jusqu’à quatre mois, sont invraisemblables, ainsi que la SAI a conclu.

 

[46]           Le demandeur conteste les conclusions de la SAI en ce qui touche l’entreprise qu’il aurait exploitée au Canada, Saras International. Outre l’affirmation de son épouse, qui affirme qu’il exploitait à Dubaï une entreprise appelée Saras Electrical, il n’y a aucune preuve que Saras International ait jamais été enregistrée soit à Montréal, soit à Toronto. Une recherche auprès des organismes gouvernementaux au Canada n’a permis de trouver aucune entreprise enregistrée sous ce nom.

 

[47]           Selon le demandeur, la SAI a commis des erreurs de fait qui entachent sa décision. Ces erreurs de fait mineures revêtent bien peu de poids dans l’ensemble de la décision.

 

[48]           Comme il a été mentionné, à son arrivée au Canada à titre d’entrepreneur en 1990, le demandeur a souscrit à des conditions fermes en vertu desquelles il s’engageait à exploiter une entreprise contribuant à l’économie du Canada et à investir une somme importante dans un délai de deux ans. Il n’a pas respecté ces conditions.

 

[49]           L’agent d’immigration et la SAI ont tenu compte de toute la preuve soumise et ont examiné en détail quatre facteurs soulevés en appel, soit : a) les circonstances entourant l’inobservation par le demandeur des conditions auxquelles était assujetti son droit d’établissement en tant qu’entrepreneur; b) la durée et l’importance de son établissement au Canada; c) sa famille au Canada et les bouleversements que son renvoi causerait; d) les difficultés qu’il éprouverait dans le pays de renvoi.

 

[50]           Le demandeur soutient que les conclusions sur ces faits sont erronées, ou que la SAI n’a pas tenu compte de la preuve qu’il a présentée et a tiré des conclusions déraisonnables.

 

[51]           L’analyse des allégations du demandeur permet de constater que celui-ci souhaite que la Cour évalue la preuve à son tour. Le problème à cet égard est que les tribunaux, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, ne peuvent tout simplement pas réévaluer la preuve et substituer leur opinion à la décision contestée, sauf si celle-ci, pour reprendre les termes de l’arrêt Dunsmuir, précité, n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » ou, autrement dit, est fondée sur des conclusions abusives et arbitraires au titre de l’alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur les Cours fédérales (Sahil c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 772, aux paragraphes 9 et 10; Matsko c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 691, au paragraphe 8; Barm c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2008 CF 893, au paragraphe 12).

 

[52]           Dans la décision Said Elias Touchan et al. c. Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2005 CF 1329, qui porte sur un immigrant ayant obtenu le droit d’établissement dans la catégorie des entrepreneurs, le juge Yvon Pinard a rejeté une demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une mesure de renvoi prise contre un entrepreneur qui ne s’était pas conformé aux conditions de son droit d’établissement. Cette affaire présente certaines similitudes avec le cas présent.

 

[53]           Essentiellement, la décision de la SAI est fondée sur les faits et le droit et appartient certainement aux issues possibles acceptables décrites dans l’arrêt Dunsmuir, précité. Même en procédant à une analyse microscopique de la décision, je suis incapable de relever une lacune justifiant l’intervention de la Cour. En conséquence, la demande doit être rejetée.


JUGEMENT

 

 

            La demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration a refusé la demande du demandeur pour être relevé, pour motifs d’ordre humanitaire, de la mesure d’expulsion prise contre lui, est rejetée.

 

            Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

 

 

« Orville Frenette »

Juge suppléant

 

 

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                    IMM-2849-08

 

INTITULÉ :                                                   SATISH CHANDER SHARMA

                                                                        c.

                                                                        LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                        ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           Le 18 février 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                                          Le juge Frenette

 

DATE DES MOTIFS :                                  Le 18 mars 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alesha A. Green                                                          POUR LE DEMANDEUR

 

David Cranton                                                             POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Green, Willard, s.r.l                                                     POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

 

John H. Sims, c.r.                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

 

 

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