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Date : 20090312

Dossier : T-345-09

Référence : 2009 CF 257

[TRADUCTION FRANÇAISE]

ENTRE :

STANLEY LAURENT, EN SON

NOM ET AU NOM DE MEMBRES

DE LA PREMIÈRE NATION DE FORT MCKAY

 

demandeur

 

et

 

 

 

LA PREMIÈRE NATION DE FORT MCKAY,

CHARLES STRAHL, MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES

ET DU NORD CANADIEN,

RAYMOND POWDER, MIKE ORR,

CECILIA FITZPATRICK ET

DAVID BOUCHIER

 

défendeurs

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

(Dictés à l’audience, sous réserve du droit de corriger les erreurs grammaticales ou de transcription)

LE JUGE HARRINGTON

  • [1] Demain, le 13 mars 2009, un référendum est prévu sur la question suivante :

[traduction] Reconnaissez-vous le Code électoral de la Première Nation de Fort McKay, daté du 22 décembre 2004, comme la loi coutumière en matière électorale depuis le 8 février 2005?

 

Le référendum est une initiative du Conseil des Anciens.

 

  • [2] M. Stanley Laurent, en son nom et au nom d’autres membres de la Première Nation de Fort McKay, a introduit une requête, qui doit être tranchée en urgence aujourd’hui, afin d’obtenir une injonction interdisant à l’« administration de la Première Nation de Fort McKay » de tenir ledit référendum. J’exposerai ci-après les motifs pour lesquels je rejette la requête.

 

RÉSUMÉ DES FAITS

  • [3] Le rejet par la directrice du scrutin de la Première nation de Fort McKay de la déclaration de candidature de M. Laurent à l’élection d’un chef, prévue le 25 février 2008, a été l’événement déclencheur de la requête. La directrice a refusé la candidature de M. Laurent au motif qu’il n’était pas éligible aux termes du Code électoral de la Première nation de Fort McKay daté du 22 décembre 2004. Le Code prescrit notamment que seuls peuvent poser leur candidature à une élection les [traduction] « membres à vie » de la Première Nation, c’est-à-dire les membres de naissance. M. Laurent n’a pas cette qualité.

 

  • [4] Il a sollicité le contrôle judiciaire de la décision de la directrice du scrutin dans Stanley Laurent c. Pauline Gauthier et la Première Nation de Fort McKay, dossier T-396-08. Comme son inhabilité à poser sa candidature au poste de chef découle du Code lui-même, M. Laurent devait également en contester la légitimité. Le 24 février 2009, le juge Campbell a prononcé l’ordonnance suivante (2009 CF 196) :

  Pour les motifs exposés précédemment, je déclare nul le Code électoral de la Première Nation de Fort McKay daté du 22 décembre 2004, conformément à l’alinéa 18.1(3)b) de la Loi sur les Cours fédérales. Par conséquent, je déclare également nulle, pour défaut de compétence, la décision du 11 février 2008 par laquelle Mme Gauthier a rejeté la mise en candidature de M. Laurent et a nommé M. Boucher comme chef de la Première nation de Fort McKay.

 

  • [5] La Première Nation de Fort McKay a interjeté appel de cette décision (dossier A-102-09). Un appel à la Cour d’appel fédérale n’entraîne pas la suspension du plein effet et de la pleine force d’une ordonnance de la Cour. Il est loisible à la Première Nation de solliciter un sursis d’exécution auprès de la Cour d’appel fédérale, conformément à l’article 398 des Règles des Cours fédérales. Elle a introduit une requête en ce sens qui n’a pas encore été entendue, et encore moins réglée, cela va sans dire.

 

  • [6] Abstraction faite de la situation de M. Laurent, certains membres de la bande se sont dits très préoccupés par l’effet de la décision du juge Campbell sur les activités de la bande depuis l’entrée en vigueur du Code en février 2005. Plusieurs contrats ont été signés avec des tiers, des employés ont été embauchés, des dépenses ont été contractées, des emprunts signés et des sommes d’argent sont exigibles.

 

  • [7] Aucune requête n’a été introduite en vertu de l’article 397 pour demander à la Cour qui a rendu l’ordonnance de procéder à un nouvel examen au motif que des questions qui auraient dû être traitées ont été écartées ou involontairement omises.

 

  • [8] À mon sens, le référendum proposé ne constitue pas une contestation incidente de l’ordonnance du juge Campbell. On ne peut certainement pas considérer le référendum comme un moyen de ratifier rétroactivement le refus de la candidature de M. Laurent par la directrice du scrutin.

 

  • [9] Selon le résultat, le référendum pourrait permettre à la bande d’aller de l’avant et de lever les doutes concernant la légitimité des activités qu’elle a menées par l’intermédiaire de son chef et de ses conseillers depuis la prétendue entrée en vigueur du Code le 8 février 2005.

 

  • [10] Dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente en l’espèce, M. Laurent réclame comme réparation une injonction interdisant la tenue du référendum, mais également une déclaration selon laquelle le chef et le Conseil, qui ensemble forment l’administration, ainsi que le Conseil des Anciens sont dénués de pouvoir et de compétence, occupent leurs fonctions illégalement et prennent des décisions sans y être autorisés. Toutefois, M. Laurent demande seulement l’annulation des décisions rendues après le 24 février 2009, date à laquelle le juge Campbell a rendu sa décision. Il demande en outre la désignation d’un administrateur-séquestre qui sera chargé de superviser toutes les activités de la Première Nation et de ses groupes d’entreprises affiliées, ainsi qu’une ordonnance enjoignant à la Première Nation de tenir une nouvelle élection.

 

DÉCISION DU JUGE CAMPBELL

  • [11] Le juge Campbell fonde sa décision sur le fait que le Code en vertu duquel la directrice du scrutin a rejeté la candidature de M. Laurent n’a pas été dûment approuvé par les membres de la Première Nation de Fort McKay. Il appert qu’avant l’entrée en vigueur du Code en février 2005, M. Laurent était éligible au poste de chef. En fait, il a déjà été élu conseiller, mais il n’a pas remporté la course pour le poste de chef.

 

  • [12] Malgré les prétentions de M. Laurent selon lesquelles le rejet de sa candidature bafoue les droits à l’égalité que lui garantit l’article 15 de la Charte, le juge Campbell n’a pas examiné cet argument après avoir tranché la question de la compétence.

 

  • [13] La question préoccupante pour le juge avait trait au nombre d’électeurs requis pour édicter le Code. Il n’a pas considéré la question de la légalité de ces dispositions. L’avis de référendum indiquait que le Code entrerait pleinement en vigueur à la date de son approbation par les électeurs dans le cadre d’une réunion extraordinaire à laquelle assisteraient plus de la moitié des électeurs. Cela signifiait qu’une règle de la double majorité s’appliquerait, et que le quart au moins des électeurs admissibles devraient se prononcer en faveur du Code. Dans la réalité, seulement 44 pour cent des électeurs admissibles ont voté. Parmi eux, 56,6 pour cent se sont prononcés en faveur mais, sur le total des électeurs, seulement 24,85 pour cent ont approuvé l’adoption du Code. Le Code en cause ne contenait pas de disposition sur la double majorité. Après avoir souligné la divergence entre l’avis et le Code, le juge Campbell a tranché que l’ensemble du processus était vicié. Il est fort possible que l’information trompeuse ait eu une incidence sur la participation à la réunion sur le référendum. M. Laurent, qui conteste le Code, s’est notamment abstenu de voter pour empêcher que la majorité de la Première Nation assiste à la réunion sur le vote de ratification. Son absence se traduisait par un vote défavorable.

 

  • [14] Je ne suis absolument pas persuadé que l’ordonnance du juge Campbell empêche les Anciens d’engager un processus de référendum dont l’issue est susceptible de régler d’autres questions que le refus de la candidature de M. Laurent par la directrice du scrutin. Le Code contesté ne régit pas les pouvoirs des Anciens.

 

  • [15] Je ne suis pas disposé à conjecturer sur l’issue du référendum ou sur son effet. Les voix défavorables peuvent l’emporter, ou une majorité simple ou double de voix favorables peut être atteinte.

 

INJONCTIONS INTERLOCUTOIRES

  • [16] L’arrêt de principe sur cette question est R.J.R.--MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311. Il est de jurisprudence constante que le critère applicable comporte trois volets : l’existence d’une question sérieuse; la présence d’un préjudice irréparable et la prépondérance des inconvénients.

 

  • [17] Je peux convenir que la requête est sérieuse, dans la mesure où elle n’a rien de vexatoire ou de frivole. Il n’est pas nécessaire de déterminer si M. Laurent a subi un préjudice irréparable, bien que je constate qu’il a tout au plus été privé de la possibilité de se porter candidat à l’élection. À mon avis, la requête porte sur la prépondérance des inconvénients. Dans l’arrêt R.J.R.--MacDonald, précité, la Cour cite le passage suivant de son arrêt antérieur dans l’affaire Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores (MTS) Ltd., [1987] 1 RCS 110 :

L’arrêt Metropolitan Stores établit une analyse en trois étapes que les tribunaux doivent appliquer quand ils examinent une demande de suspension d’instance ou d’injonction interlocutoire. Premièrement, une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu’il y a une question sérieuse à juger. Deuxièmement, il faut déterminer si le requérant subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée. Enfin, il faut déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse le redressement en attendant une décision sur le fond. Il peut être utile d’examiner chaque aspect du critère et de l’appliquer ensuite aux faits en l’espèce.

 

 

  • [18] Je suis d’avis que l’approbation de l’injonction ferait beaucoup plus de tort à la bande que le refus de l’injonction n’en causerait à M. Laurent et à tous ceux qui l’appuient. S’ils estiment que le Code est mauvais, ils ont le droit de voter « non ».

 

  • [19] Quant à la partie de la requête concernant une ordonnance de révocation d’Ackroyd LLP à titre d’avocat inscrit au dossier pour la défenderesse, la Première Nation de Fort McKay, je remets la décision à plus tard. Il serait tout à fait inadéquat de priver des membres de la bande d’une représentation juridique à l’égard de la présente requête. Ces membres n’auraient pas le temps de désigner un nouvel avocat et de lui donner des instructions afin qu’il puisse les représenter adéquatement et de manière utile. De plus, il appartient sans doute au demandeur de préparer un dossier plus solide sur ce point.

 

  • [20] M. Laurent demande une ordonnance visant la désignation d’un administrateur-séquestre, mais pas forcément aujourd’hui.

 

  • [21] Il est clair à mes yeux que l’instance commande une gestion spéciale en application de l’article 384. Le ou les responsables de la gestion de l’instance qui seront affectés par le juge en chef en vertu de l’article 383 pourront régler les questions afférentes à une audition accélérée sur le fond, à l’éventuelle désignation d’un administrateur-séquestre, à la requête en révocation d’Ackroyd LLP à titre d’avocat inscrit au dossier pour la Première Nation de Fort McKay, ainsi qu’aux suites du référendum.

 

 

 

« Sean Harrington »

Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 12 mars 2009


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

DOSSIER :  T-345-09

 

INTITULÉ :  STANLEY LAURENT, EN SON NOM ET AU NOM DE MEMBRES DE LA PREMIÈRE NATION DE FORT MCKAY c. LA PREMIÈRE NATION DE FORT MCKAY ET AL.

 

AUDIENCE SPÉCIALE TENUE PAR TÉLÉCONFÉRENCE ENTRE OTTAWA, CALGARY, EDMONTON ET VICTORIA

 

DATE DE L’AUDIENCE :  LE 12 MARS 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :  LE 12 MARS 2009

 

COMPARUTIONS :

Jeffrey R.W. Rath

Natalie White

POUR LE DEMANDEUR

 

 

Trina Kondro

Jerome Slavik

POUR LA DÉFENDERESSE

La Première Nation de Fort McKay

 

Tanya Knobloch

 

POUR LES DÉFENDEURS

Charles Strahl et le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

 

Dominique Nouvet

 

 

POUR LES DÉFENDEURS

Raymond Powder, Mike Orr, Cecilia Fitzpatrick et David Bouchier

 

Brian Crane, c.r.

Pour Ackroyd LLP

Eu égard à la requête en révocation du cabinet à titre d’avocat inscrit au dossier pour la Première Nation de Fort McKay

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rath & Company

Priddis (Alberta)

POUR LE DEMANDEUR

Ackroyd LLP

Edmonton (Alberta)

POUR LA DÉFENDERESSE

La Première Nation de Fort McKay

 


 

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

POUR LES DÉFENDEURS

Charles Strahl et le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien

 

Woodward & Company

Victoria (Colombie-Britannique)

 

POUR LES DÉFENDEURS

Raymond Powder, Mike Orr, Cecilia Fitzpatrick et David Bouchier

 

Gowling Lafleur Henderson

Ottawa (Ontario)

Pour Ackroyd LLP

Eu égard à la requête en révocation du cabinet à titre d’avocat inscrit au dossier pour la Première Nation de Fort McKay

 

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