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Date : 20090218

Dossier : DES-5-08

Référence : 2009 CF 173

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 février 2009

En présence de monsieur le juge Simon Noël

 

 

DEVANT LA COUR :

DANS L’AFFAIRE CONCERNANT un certificat signé en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés L.C. 2001, chapitre 27, (la « Loi »);

 

ET le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale du Canada en application du paragraphe 77(1) et des articles 78 et 80 de la Loi;

 

AFFAIRE INTÉRESSANT Mohamed HARKAT

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

 

  • [1] Dans une ordonnance datée du 12 février 2009, la Cour a désigné une personne nommée Robin Parker pour apporter un soutien administratif aux avocats spéciaux dans cette cause. Voici les motifs à l’appui de cette ordonnance.

 

  • [2] Le 6 janvier 2008, les avocats spéciaux ont demandé de vive voix à la Cour de les autoriser à discuter de cette procédure avec une personne, conformément à l’article 85.4 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la « LIPR »). Cette demande a été suivie par une série de lettres portant sur la question, qui ont été déposées comme pièce dans le cadre de cette procédure, avec l’accord de toutes les parties. Des audiences en public et à huis clos ont eu lieu le 12 février 2009.

 

  • [3] Les avocats spéciaux demandaient de pouvoir communiquer avec un employé de soutien administratif pour les aider à organiser les documents qui devaient être divulgués conformément à l’ordonnance rendue le 24 septembre 2008 dans la présente instance. Ils ont indiqué avoir déjà trouvé une personne prête à commencer à travailler dès maintenant et ayant déjà une habilitation de sécurité. Ils ont également soumis à la Cour un courriel dans lequel le ministre de la Justice se disait disposé à assurer un financement pour ce soutien administratif.

 

  • [4] Dans une lettre datée du 7 janvier 2009, M. Cavaluzzo a défini le rôle de la personne proposée comme suit :

    • examiner les documents et l’information qu’ils contiennent dans le but de les résumer et de les classer d’une manière utile aux avocats spéciaux;

    • recevoir des directives des avocats spéciaux concernant des demandes de documents ou de renseignements précises;

    • être disponible au cours de l’audience pour fournir un soutien aux avocats spéciaux relativement aux documents.

 

  • [5] Cette lettre indiquait clairement que les avocats spéciaux ne cherchaient pas à faire nommer un autre avocat spécial. Effectivement, dans sa lettre, M. Cavaluzzo a reconnu que bien que Mme Parker soit membre de la Law Society of Upper Canada, elle ne jouerait aucun rôle de représentation et elle ne communiquerait pas avec la personne visée, pas plus qu’elle ne serait chargée de représenter les intérêts de cette personne. Son rôle serait purement administratif.

 

  • [6] Les avocats spéciaux se fondent sur le paragraphe 85(3) de la LIPR, une disposition qui oblige le ministre de la Justice à fournir à tout avocat spécial un soutien administratif et des ressources adéquats. Ils préconisent une interprétation de cette disposition qui inclurait l’aide d’un adjoint administratif et pas seulement une aide matérielle. Cela semble être une interprétation que le bureau du programme des avocats spéciaux est disposé à accepter, puisqu’il a entrepris de financer toute aide administrative jugée nécessaire par la Cour, malgré les objections formulées par l’avocat des ministres.

 

  • [7] L’objection des ministres comporte deux volets. Premièrement, les ministres allèguent que les avocats spéciaux n’ont pas établi la nécessité d’une aide de la part d’un adjoint administratif. Deuxièmement, les ministres font valoir que la nomination de cet adjoint administratif est inadmissible aux termes du régime législatif actuel établi dans la LIPR. Ils soutiennent que, dans son ensemble, le régime de la Loi repose sur la règle générale selon laquelle les renseignements protégés ne doivent être transmis qu’à un nombre limité et précis de personnes et que toute autre transmission des renseignements est interdite. (Lettre de Tyndale daté du 21 janvier 2009)

 

  • [8] Aucun élément de preuve n’a été présenté à l’appui des déclarations faites par les avocats spéciaux ou les ministres. Toutefois, la correspondance entre les avocats spéciaux et le bureau du programme des avocats spéciaux a été déposée comme élément de preuve lors de l’audience. Dans cette correspondance, le programme des avocats spéciaux a indiqué avoir communiqué avec d’autres personnes sur la liste des avocats spéciaux, mais précise que ces personnes n’étaient pas intéressées ou disponibles pour accomplir les tâches exigées des avocats spéciaux dans ce dossier.

 

  • [9] La Cour est également consciente du volume de documents déposés auprès du greffe conformément à l’ordonnance datée du 24 septembre 2008 et du fait que les avocats spéciaux dans ce dossier ont également été désignés comme avocats spéciaux dans d’autres dossiers, avec le consentement des ministres. En outre, le plan de contentieux approuvé par toutes les parties, après une longue discussion, montre une volonté d’assurer une détermination rapide et juste des questions dans cette procédure.

 

  • [10] Aucune autre option pour résoudre les difficultés auxquelles sont actuellement confrontés les avocats spéciaux, mis à part la nomination d’un troisième avocat spécial, n’a été proposée par l’avocat des ministres ou les avocats spéciaux.

 

  • [11] Comme il a été mentionné dans la décision Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2007 CSC 350 (« Charkaoui no 1 »), la section 9 de la LIPR est axée sur une préoccupation d’importance, la protection des renseignements confidentiels. La protection de ces renseignements a été confiée au juge désigné, conformément à l’alinéa 83(1)d) de la LIPR, et ces renseignements ne peuvent être divulgués si, de l’avis du juge, cette divulgation porte atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui.

 

  • [12] La loi impose un autre impératif à la Cour, celui de trancher les questions dont elle a été saisie de manière juste, sans formalisme et selon la procédure expéditive [83(1)a)].

 

  • [13] Depuis l’entrée en vigueur du paragraphe 85(3) et du projet de loi C-3, le contexte dans lequel la Loi doit être interprétée a été modifié considérablement par la décision de la Cour suprême du Canada dans Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2008 CSC 38 (« Charkaoui no 2 »). La portée de la divulgation exigée dans le contexte de cette décision est très large. En effet, la Cour suprême du Canada a établi une analogie avec les obligations de divulgation qui surviennent dans le cadre de poursuites criminelles.

 

  • [14] La Cour souligne également que les modifications ayant donné lieu au rôle d’avocat spécial dans le projet de loi C-3 étaient de nature corrective et devraient être interprétées conformément à l’intention du législateur de limiter la violation des droits constitutionnels de la personne visée dans la mesure du possible, compte tenu de la nature confidentielle des renseignements sous-jacents aux procédures auxquelles il est fait référence, conformément à l’article 77 de la LIPR.

 

  • [15] Dans une décision antérieure (Re Harkat 2009 CF 59, au paragraphe 17), la Cour a commenté, sans la déterminer, la portée du paragraphe 85(3) de la LIPR, qui est soulevé directement par les avocats spéciaux dans leur demande en vue d’obtenir un adjoint administratif pour les aider à examiner les documents communiqués dans Charkaoui no 2.

 

  • [16] Le libellé du paragraphe 85(3) indique une intention de la part du législateur de s’assurer que les avocats spéciaux se trouvent, dans la mesure du possible (« adéquats »), à la même position que les avocats des ministres. Ce libellé est également conforme à l’exigence législative explicite selon laquelle la procédure relative au certificat doit être traitée de manière juste et expéditive.

 

  • [17] Les avocats spéciaux, la Cour et l’avocat des ministres se retrouvent dans une situation qui n’était pas envisagée ni prévisible le 30 mai 2008, lorsque la Cour a entendu les arguments sur la nomination d’avocats spéciaux pour représenter les intérêts de M. Harkat. En effet, la portée des exigences en matière de divulgation établies par la Cour suprême du Canada dans Charkaoui no 2 n’est devenue claire qu’en septembre 2008, lorsque les ministres ont estimé qu’il faudrait entre trois et six mois pour se conformer aux nouvelles exigences en matière de divulgation.

 

  • [18] Selon le paragraphe 85(3), le ministre de la Justice doit veiller à ce que soient fournis à tout avocat spécial un soutien administratif et des ressources adéquats. Dans le contexte de la divulgation des renseignements dans Charkaoui no 2, un événement imprévisible qui est survenu après l’entrée en vigueur du projet de loi C-3, cette exigence est conforme à l’intention du législateur d’inclure des formes limitées de soutien humain dans la définition de « soutien administratif et ressources adéquats ». Le soutien humain est une composante essentielle d’un environnement de bureau efficace. En effet, dans ses observations orales, l’avocat des ministres a concédé que le paragraphe 85(3) pourrait s’appliquer à la nomination d’un adjoint administratif, tant que la personne n’a pas accès à des renseignements confidentiels.

 

  • [19] Comme il a été reconnu lors d’une audience publique tenue le 12 février 2009, l’avocat des ministres a accès à du personnel de soutien qui peut l’aider à organiser les renseignements que le Service a en sa possession. Les avocats spéciaux désirent obtenir une ressource administrative similaire.

 

  • [20] La nécessité que l’affaire se déroule de manière juste et expéditive, combinée au droit des avocats spéciaux à un soutien administratif et à des ressources adéquats, doit être interprétée comme une autorisation implicite pour la Cour de nommer un adjoint administratif, considérant les circonstances de cette instance.

 

  • [21] Les ministres soutiennent que même si la Cour a le pouvoir de nommer un adjoint administratif, elle n’a pas la compétence pour permettre l’accès à des renseignements confidentiels à une personne autre qu’un avocat spécial dûment nommé.

 

  • [22] Les avocats spéciaux n’ont pas abordé cette question directement dans leurs observations.

 

  • [23] Le régime établi dans la LIPR oblige la Cour à protéger la confidentialité des renseignements déposés en lien avec un certificat lorsque, de l’avis du juge, la divulgation de ces renseignements risque de porter atteinte à la sécurité nationale ou de compromettre la sécurité de toute personne. Le juge a le pouvoir discrétionnaire de divulguer des dossiers de la Cour si, de son avis, la divulgation de ces renseignements ne risque pas de porter atteinte à la sécurité nationale ou de compromettre la sécurité de toute personne.

 

  • [24] Mme Parker n’est pas nommée à titre d’avocate spéciale; elle ne jouera aucun rôle de représentation, n’entretiendra aucun lien présumé ou autre avec la personne visée, ne sera pas chargée de représenter ses intérêts et ne sera pas présente lors des audiences à huis clos. Son soutien administratif est nécessaire à la détermination rapide et juste des questions dans cette procédure et se limite à organiser et à résumer les documents confidentiels pour les avocats spéciaux. Dans les circonstances particulières en l’espèce, sa nomination est dans l’intérêt de la justice compte tenu de l’historique des procédures de l’affaire. M. Harkat a été visé dans un deuxième certificat il y a près d’un an. Il est détenu et vit sous conditions depuis décembre 2002. Avec le consentement de toutes les parties, la Cour a établi un calendrier qui pourrait devoir être modifié si les avocats spéciaux n’ont pas droit à une aide adéquate, ce qui pourrait entraîner des délais et des difficultés supplémentaires pour M. Harkat.

 

  • [25] Par conséquent, je conclus que lorsque la personne n’est pas chargée de représenter les intérêts d’une personne visée, qu’elle dispose de l’habilitation de sécurité requise, qu’elle accepte d’être astreinte au secret à perpétuité et qu’elle se soumet aux mêmes restrictions en matière de communication que les autres participants à la procédure, la divulgation de renseignements confidentiels à cette personne par la Cour aux fins de soutien administratif ne risque pas de porter atteinte à la sécurité nationale ou de compromettre la sécurité de toute personne.

 

  • [26] L’avocat des ministres m’a demandé de certifier une question. Au cours des audiences à huis clos, le paragraphe 79(2) et l’article 82.3 ont été portés à l’attention de l’avocat des ministres et j’ai demandé des observations écrites sur la question de savoir si cette Cour avait compétence pour certifier une question à cette étape de la procédure. Aucune observation n’a été soumise sur ce point en particulier. À la simple lecture de ces dispositions, les appels interjetés contre des ordonnances interlocutoires de ce genre sont interdits. Je ne certifierai donc aucune question à cette étape.

 

 

 

 

 

S. Noël

Juge


 

 

 

 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :  DES-5-08

 

INTITULÉ :  Dans l’affaire concernant un certificat signé en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et

 

  dans l’affaire intéressant Mohamed Harkat

 

LIEU DE L’AUDIENCE :  OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :   LE 12 FÉVRIER 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :  LE JUGE NOËL

 

DATE DES MOTIFS :  LE 18 FÉVRIER 2009

 

 

COMPARUTIONS :

 

A. Séguin

 

POUR LES MINISTRES

M. Webber

N. Boxall

 

POUR M. HARKAT

P. Copeland

 

 AVOCAT SPÉCIAL

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Simms, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LES MINISTRES

Webber Schroeder Goldstein Abergel/

Bayne Sellar & Boxall

Ottawa

POUR M. HARKAT

 

 

 

 

 

 

 

 

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