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Date : 20090317

Dossier : IMM-3399-08

Référence : 2009 CF 275

OTTAWA (ONTARIO), le 17 MARS 2009

En présence de monsieur le juge de Montigny

 

ENTRE :

ANA MARIA ISABEL ORTIZ SOSA,

ALEXA YAMILETH ROJO ORTIZ

et LUIS IVAN ACOSTA ORTIZ

 

demandeurs 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendresse

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en application de l’article 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la « LIPR ») à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés (la « SPR ») de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié rendue le 7 juillet 2008, au terme de laquelle il a été décidé que les demandeurs n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR.

 

 

LES FAITS

[2]               Les demandeurs, une mère et ses deux enfants mineurs, sont citoyens du Mexique.  Ils allèguent craindre de retourner dans leur pays parce que la demanderesse principale serait devenue la cible d’un policier corrompu.

 

[3]               La demanderesse aurait été témoin du meurtre d’un avocat, impliqué dans le narcotrafic, commis par un ancien voisin, membre de la police judiciaire.  Après avoir tenté sans succès de le dénoncer, elle se serait réfugiée chez des amis ailleurs au Mexique suite aux menaces que lui aurait proférées le meurtrier.

 

[4]               Ayant appris que son prétendu persécuteur était à sa recherche, la demanderesse a quitté le Mexique pour le Canada le 23 juillet 2007, en laissant ses enfants cachés dans sa famille.  Elle a demandé l’asile au Canada le 30 juillet, et ses enfants l’ont rejointe le 24 octobre de la même année pour y réclamer l’asile.

 

LA DÉCISION CONTESTÉE

[5]               Après avoir analysé l’ensemble de la preuve présentée par la demanderesse, la SPR a conclu que la crédibilité de la demanderesse était irrémédiablement compromise sur plusieurs points.

 

[6]               D’abord, la demanderesse n’a pu expliquer à la satisfaction du tribunal pourquoi le nom de la prétendue victime, tel que donné dans le Formulaire de renseignements personnels (« FRP »), est inversé et ne correspond pas à celui indiqué dans la preuve documentaire objective.

[7]               La SPR a également relevé plusieurs contradictions lors du témoignage de la demanderesse, notamment au sujet du moment où elle aurait appris que son persécuteur était policier et de la période durant laquelle son persécuteur aurait été son voisin.

 

[8]               La SPR a par ailleurs noté certaines invraisemblances dans le récit de la demanderesse.  Il en va ainsi de la crainte de la demanderesse, dans un contexte où son prétendu persécuteur n’aurait plus de raison de s’en prendre à elle du fait que ses plaintes n’ont pas été accueillies de la part de ses collègues policiers.  De même, la SPR a jugé invraisemblable qu’un agent de la police judiciaire n’ait pu la retrouver sachant qu’elle avait habité pendant deux mois la ville de Coatzacoalcos.

 

[9]               La SPR s’est également dite d’avis que le comportement de la demanderesse n’était pas compatible avec celui d’une personne ayant une crainte subjective. De fait, elle était demeurée dans la ville de Coatzacoalcos pendant deux mois sachant tout de même que son prétendu persécuteur était au courant qu’elle se trouvait dans cette ville.

 

[10]           Enfin, la SPR a relevé que la demanderesse ne disposait d’aucune preuve pouvant corroborer son lieu de résidence au Mexique pendant la période des risques allégués, et a omis de préciser dans son FRP ses lieux de résidence durant cette même période.

 

[11]           Même si le récit de la demanderesse avait été jugé crédible, la présomption à l’effet que l’État pouvait protéger la demanderesse n’a pas été repoussée.  Tout en reconnaissant que la situation au Mexique relativement aux victimes de criminalité n’est pas parfaite, la SPR s’est appuyée sur la preuve documentaire pour conclure à l’existence de recours et à la possibilité d’obtenir de l’aide auprès de la police et d’autres instances, même lorsque le persécuteur est un policier.  Par conséquent, on a jugé qu’il était déraisonnable pour la demanderesse de n’avoir fait aucune plainte ou démarche après son échec auprès des autorités locales, au seul motif qu’elle éprouvait une réticence subjective à solliciter la protection de l’État.

 

[12]           Enfin, la SPR en est arrivée à la conclusion que la demanderesse ne s’était pas acquittée de son fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il y avait une possibilité sérieuse de persécution partout au Mexique et qu’il serait déraisonnable de chercher refuge dans une autre région du pays.

 

QUESTIONS EN LITIGE

[13]           La présente demande de contrôle judiciaire soulève trois questions :

a.       La SPR a-t-elle erré en concluant que la demanderesse n’était pas crédible?

b.      La SPR a-t-elle erré en concluant que la demanderesse n’avait pas repoussé la présomption de protection de l’État mexicain?

c.       La SPR a-t-elle erré en concluant à la possibilité de refuge interne?

 

ANALYSE

[14]           Les arguments avancés par la demanderesse principale eu égard à la crédibilité de son récit font tous intervenir des questions de fait et doivent, à ce titre, être évalués d’après la norme de la décision raisonnable.  Il est de jurisprudence constante que cette Cour doit faire preuve d’une grande déférence à l’égard à de telles questions, étant donné l’expertise de la SPR, et le fait qu’elle a l’avantage d’avoir entendu le témoignage des demandeurs et qu’elle est donc mieux placée pour apprécier la vraisemblance de leur récit de même que l’authenticité et la sincérité de leur démarche.

 

[15]           Quant aux questions de savoir si un État est en mesure de protéger ses citoyens et s’il est possible de trouver un refuge interne, ce sont là des questions mixtes de fait et de droit qui doivent également être examinées à l’aulne de la raisonnabilité. 

 

[16]           Par conséquent, la Cour doit donc faire porter son analyse sur la justification de la décision, sa transparence et son intelligibilité.  Sur le fond, il conviendra également de se demander si la décision rendue par la SPR fait partie des solutions possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9, au par. 47).

 

[17]           S’agissant de la crédibilité du récit de la demanderesse, je suis prêt à reconnaître que certaines conclusions de la SPR paraissent être le fruit d’une analyse microscopique de ses déclarations.  Il en va ainsi, notamment, de l’inférence négative tirée par le tribunal du fait que la demanderesse a inversé le nom de la prétendue victime.  Le procureur du défendeur a d’ailleurs admis lors de l’audition que certaines conclusions tirées par le tribunal, considérées isolément, pouvaient être remises en question.  Il n’en demeure pas moins que la SPR pouvait tirer une inférence négative des omissions, incohérences et disparités relevées entre les déclarations prises au point d’entrée, le FPR et le témoignage de la demanderesse, notamment en ce qui concerne la durée et la fin de son voisinage avec son prétendu persécuteur. 

[18]           Il en va de même des invraisemblances relevées par la SPR.  Cette dernière était en droit de ne pas croire les demandeurs en raison des contradictions entre leurs déclarations de crainte de persécution et leurs faits et gestes.  Non seulement pouvait-elle raisonnablement se demander si la demanderesse principale avait toujours raison de craindre son persécuteur dans la mesure où ses plaintes n’avaient pas été accueillies par ses collègues, mais il lui était également loisible de se demander s’il était plausible de rester dans la ville de Coatzacoalcos pendant deux mois, sachant que le présumé persécuteur savait que la demanderesse principale se trouvait dans cette ville.  Lorsque la SPR conclut qu’un revendicateur n’est pas crédible en raison d’invraisemblances et que sa décision est appuyée par la preuve, cette Cour n’interviendra pas même si elle aurait pu en venir à une conclusion différente.

 

[19]           Enfin, cette Cour a également confirmé à maintes reprises que la SPR peut tirer une conclusion défavorable de l’absence de preuve corroborant le témoignage d’un demandeur lorsque le tribunal a des préoccupations concernant  la crédibilité de ce dernier.  Les demandeurs se devaient de bien documenter leur prétendue crainte de persécution.  En l’occurrence la demanderesse n’a fourni aucune preuve pouvant corroborer son lieu de résidence pendant la période de risques allégués, et a même omis de préciser dans son FRP ses lieux de résidence pendant cette même période.  Il n’était donc pas déraisonnable pour la SPR de s’attendre à ce que les demandeurs présentent une preuve crédible corroborant les allégations qui sont au cœur de leur revendication, et qui constituent le fondement même de leur crainte de persécution, étant donné que le fardeau leur appartenait d’établir de façon crédible leurs allégations à l’appui de cette crainte, ce qu’ils n’ont pas fait en l’espèce.

[20]           En ce qui concerne la protection de l’État, le demandeur a fait valoir que la SPR avait commis une erreur en omettant de se demander si la protection que pouvaient fournir des organismes comme le bureau du Procureur général de la République était efficace.  S’appuyant sur la décision rendue par cette Cour dans l’arrêt Razo c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2007 CF 1265, le demandeur soutient que la SPR a erré en n’examinant pas l’efficacité de la protection offerte par le bureau du Procureur général de la République.

 

[21]           Or, il est bien établi que chaque affaire doit être examinée à la lumière des faits et de la preuve déposés devant la SPR.  La demanderesse a témoigné à l’effet qu’elle ne s’était pas adressée au bureau du Procureur général de la République parce que c’était « un peu comme pouvoir parler avec Dieu » et que, « quand une personne est en danger, la meilleure chose c’est de fuir, de partir en courant… ».  La SPR était fondé de conclure que cela ne suffisait pas pour réfuter la présomption de protection de l’État. 

 

[22]           Peu importe les lacunes qui peuvent exister dans le système de justice pénale mexicain, il n’en demeure pas moins que le Mexique est une démocratie qui fonctionne, dotée d’un appareil étatique en mesure d’assurer une certaine protection à ses citoyens.  Le fait que la protection ne puisse être assurée au niveau local ne dispense pas le demandeur de faire d’autres démarches. 

 

[23]           La demanderesse devait non seulement introduire des éléments de preuve quant à l’insuffisance de la protection de l’État, mais cette preuve devait également être pertinente, digne de foi et convaincante de façon à démontrer au juge des faits, selon la prépondérance des probabilités, que la protection accordée par l’État était insuffisante (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration c. Carrillo, 2008 CAF 94).  Compte tenu de la preuve déposée par la demanderesse, la SPR était en droit de conclure qu’elle ne s’était pas déchargée de son fardeau. La demanderesse n’a même pas pris le temps d’examiner si les recours existants, notamment auprès du Bureau du Procureur général de la République, du service des enquêtes internes ou de l’inspecteur général, pouvaient se révéler utiles.  La preuve documentaire démontre d’ailleurs que les plaintes sont traitées confidentiellement, et qu’elles peuvent être déposées par téléphone ou par voie électronique.  Dans ces circonstances, la SPR pouvait conclure que la demanderesse n’avait pas démontré qu’elle avait pris toutes les mesures raisonnables pour demander la protection dans son pays.  Encore une fois, la question n’est pas de savoir si la Cour en serait arrivée à la même conclusion, mais bien plutôt de déterminer si la décision de la SPR était raisonnable compte tenu de la preuve qui était devant elle.

 

[24]           Enfin, il appert que les demandeurs n’ont pas sérieusement envisagé la possibilité de chercher un refuge interne dans une autre partie de leur pays.  Pourtant, il s’agit là d’un élément constitutif de la notion même de réfugié ou de personne à protéger.  La demanderesse a fait valoir qu’il serait déraisonnable pour elle et ses enfants de s’installer dans une autre partie du pays principalement à cause des risques découlant de nombreux assassinats et de la délinquance.  Encore une fois, la SPR pouvait conclure que cela n’était pas suffisant pour conclure à l’absence d’une possibilité de refuge interne et que la demanderesse ne s’était pas déchargée de son fardeau de prouver qu’elle ne pouvait vivre en sécurité nulle part au Mexique.  Bien qu’elle ait par la suite ajouté que son présumé persécuteur pourrait s’en prendre à elle n’importe où au Mexique, cette affirmation ne reposait que sur des spéculations.  Compte tenu de la preuve qui était devant elle et du témoignage de la demanderesse, la SPR pouvait raisonnablement conclure à la possibilité d’un refuge interne pour cette dernière et ses enfants.

 

[25]           Considérant les motifs qui précèdent, je suis d’avis de rejeter cette demande de contrôle judiciaire.  Les parties n’ayant soumis aucune question pour fins de certification, aucune ne sera certifiée.

 

ORDONNANCE

 

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.  Aucune question n’est certifiée.

 

« Yves de Montigny »

Juge


 

 

COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-3399-08

 

INTITULÉ :                                      Ana Maria Isabel Ortiz Sosa et al. c.

Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 3 mars 2009

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Monsieur le juge de Montigny

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 17 mars 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Me Luciano Mascaro

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me  Evan Liosis

 

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

ARPIN, MASCARO & ASSOCIÉS

10, rue Notre-Dame est

 Bureau 700

Montréal (Québec)

K2Y 1B7

Fax : (514) 289-9885

 

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

John H. Sims

Sous-procureur général du Canada

Complex Guy-Favreau

200 boul. René-Lévesque O.

12è étage

Montréal (Québec)   H2Z 1X4

Fax : (514) 496-7876

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

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