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Date : 20081217

Dossier : T-1900-07

Référence : 2008 CF 1380

Ottawa (Ontario), le 17 décembre 2008

En présence du juge Campbell

 

ENTRE :

ISLAND TIMBERLANDS LP

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               L’objet de la présente demande porte sur l’apparente réticence du ministre des Affaires étrangères à faire connaître la raison d’être de la politique de ne pas octroyer de licences d’exportation de bois debout provenant de la région côtière de la Colombie- Britannique. En tant qu’exportateur de bois d’œuvre de la région côtière de la Colombie-Britannique, Island Timberlands a tenté de faire divulguer par le ministre la raison d’être de la politique en déposant des demandes de licences qui vont à l’encontre de la politique précitée. À mon avis, la décision du ministre de rejeter les demandes de Island Timberlands sans faire connaître la raison d’être de la  politique démontre l’iniquité du processus décisionnel ministériel à cet égard.

 

[2]               Le régime législatif pertinent en l’espèce et les faits qui ont mené à la prise de la décision visée par le contrôle ne sont pas contestés. Les présents motifs sont divisés en quatre parties distinctes : une description générale succincte du régime législatif et de sa mise en œuvre pratique en l’espèce; une description de la conduite de la présente instance expliquant comment la réticence du ministre à divulguer la raison d’être de la politique se situe au cœur de la présente affaire; une description détaillée des événements ayant mené à la prise de la décision contestée, et l’analyse qui sous-tend la réparation recherchée.

 

I. Le régime législatif et sa mise en œuvre en Colombie-Britannique

[3]               L’exportation de bois d’œuvre de la Colombie-Britannique est contrôlée par des régimes fédéral et provincial. Le régime fédéral est régi par la Loi sur les licences d'exportation et d'importation, L.R.C. 1985, ch. E-19 pour s’assurer, conformément aux dispositions de l’al. 3(1)e),

d’un « approvisionnement et d'une distribution de cet article en quantité suffisante pour répondre aux besoins canadiens, notamment en matière de défense ». Ce régime s’applique au bois d’œuvre se trouvant sur des terres privées pour lesquelles un titre de concession a été délivré par la Couronne avant le 12 mars 1906, alors que le régime provincial, tel qu’établi en

Colombie- Britannique dans la Partie 10 du Forest Act, R.S.B.C. 1996, ch. 157, aux articles 127 à 129, s’applique au bois d’œuvre se trouvant sur des terres privées pour lesquelles un titre de concession a été délivré par la Couronne après le 12 mars 1906.

 

[4]               Les deux régimes de contrôle restreignent la capacité d’exportation du bois d’œuvre de la Colombie-Britannique par un processus similaire consistant en l’application d’un « critère de l’excédent » pour trancher la question de savoir si une licence d’exportation devrait être octroyée. Après application du critère de l’excédent, l’autorité compétente, la Colombie-Britannique ou le Canada, autorise l’exportation du bois d’œuvre seulement si le gouvernement dont la réglementation s’applique est convaincu que le bois d’œuvre est « excédentaire » par rapport aux besoins nationaux.

 

[5]               Des précisions sur le régime fédéral sont données dans un document intitulé « Avis 102 », promulgué en vertu de la Loi sur les licences d’exportation et d’importation et publié le 1er avril 1998. En vertu de l’Avis 102, l’éventuel exportateur assujetti au régime fédéral est tenu de suivre les étapes suivantes : il doit présenter une « Demande d'annonce de billes de bois dans la Liste fédérale bimensuelle de la C.-B. » à la Direction des contrôles à l’exportation du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international (MAECI); si la demande est accueillie, le bois d’œuvre en question est offert en vente au pays sur une « liste bimensuelle »; après sa publication, les acheteurs éventuels disposent de 14 jours pour présenter des offres écrites; si aucune offre n’est reçue, le bois d’œuvre est considéré comme excédentaire par rapport aux besoins nationaux; étant donné que le « critère de l’excédent » est respecté, il est possible d’octroyer une licence d’exportation. Cependant, si une offre est reçue, le Comité consultatif fédéral des exportations de bois (CCFEB) se penche sur l’offre pour déterminer si elle est « équitable » et formule une recommandation au ministre des Affaires étrangères sur la pertinence d’octroyer une licence d’exportation. Si l’offre est jugée « équitable » eu égard aux prix alors en vigueur sur le marché intérieur de la Colombie-Britannique, le bois n’est pas considéré comme excédentaire par rapport aux besoins nationaux et, règle générale, la demande de licence d’exportation est rejetée. En revanche, si l’offre n’est pas jugée « équitable », la demande de licence d’exportation est généralement accordée.

 

[6]               Sous tous les aspects importants, le processus est identique en vertu du régime provincial. Une grande collaboration s’est établie entre les régimes fédéral et provincial. À titre d’exemple, les deux régimes utilisent la même liste bimensuelle, et le CCFEB et son équivalent provincial, soit le [traduction] Conseil consultatif des exportations de bois (CCEB), sont composés des mêmes personnes.

 

[7]               Island Timberlands est propriétaire de vastes étendues de terres forestières dans la région côtière de la Colombie-Britannique. En effet, elle se classe au deuxième rang des plus importants titulaires de terrains forestiers exploitables dans la province avec des possessions totalisant approximativement 258 000 hectares. La presque totalité de ses terrains se trouve sur l’île de Vancouver.

 

[8]               Dans l’industrie du bois d’œuvre de la Colombie-Britannique, l’expression « bois debout » renvoie à des billes de bois qui n’ont pas encore été récoltées; on dit du bois qu’il est « debout » parce que les arbres n’ont pas encore été abattus. L’expression « billes » renvoie au bois qui a été récolté. La politique des gouvernements fédéral et de la Colombie-Britannique consiste à traiter le bois debout différemment en fonction de la région dans laquelle le bois est situé. Dans la région intérieure, la politique des deux ordres de gouvernement est d’accueillir les demandes d’annonce à l’égard du bois debout et des billes. Dans la région côtière, la politique des deux ordres de gouvernement est de n’accueillir que les demandes d’annonce concernant les billes. En d’autres termes, dans la région intérieure, un exportateur potentiel peut solliciter une licence d’exportation avant la récolte, alors que sur la côte le processus de demande ne peut être initié avant que le bois en cause n’ait été récolté.

 

[9]               Il importe de souligner que, pendant la période de temps pertinente quant à la présente demande, l’Avis 102 ne précisait pas que les demandes d’annonce concernant le bois debout seraient accueillies alors, qu’en réalité, ces demandes étaient accueillies dans la région intérieure de la Colombie-Britannique.

 

[10]           La façon dont les demandes doivent être déposées est un autre facteur important qui entre en ligne de compte dans le cadre de la présente demande. L’Avis 102 spécifie que les demandes doivent se faire par écrit en remplissant un formulaire intitulé « EXT 1718 ». Cependant, à la date pertinente pour la présente demande, toutes les demandes, tant des régions intérieure que côtière, devaient être déposées électroniquement par un système appelé Export Controls Online (EXCOL). Il est aussi important de souligner que pour des raisons de programmation du système électronique seul le dépôt des demandes relatives au bois debout en provenance de la région de l’intérieur était possible.

 

II. La conduite de la présente instance

[11]           Tel qu’exposé en détail dans la partie suivante, le premier geste posé par Island Timberlands pour obtenir la décision contestée a été de soumettre au ministre une question ambiguë sur le processus de demande d’exportation de bois debout de la Colombie-Britannique. Au nom de Island Timberlands, la question a été soumise par un cadre supérieur chevronné de la société à un représentant de premier niveau du ministre, et on a , sur le fondement d’une présomption erronée, donné une réponse. Island Timberlands s’est servi de celle-ci pour provoquer la série d’événements menant à une décision qu’elle ne partage pas, et à l’égard de laquelle elle soutient que le processus décisionnel est entaché d’erreurs susceptibles de contrôle en commandant l’annulation. La réparation recherchée dans l’avis de demande est une ordonnance d’annulation de la décision de refuser de prendre en compte ses demandes, et une autre ordonnant leur renvoi au ministre pour qu’il rende une « décision sur le fond ».

 

[12]           La particularité de la présente instance réside dans le fait que la question litigieuse porte sur les motifs pour lesquels Island Timberlands a enclenché la suite d’événements et introduit la présente instance. Du même coup, la raison pour laquelle le ministre ne veut pas divulguer la raison d’être de la politique contestée est aussi mise en cause. Ces deux facteurs l’ont emporté sur les arguments écrits initiaux présentés par les deux parties au présent litige, et se sont retrouvés au centre des débats.

 

[13]           Ce nouveau débat porte sur la question de savoir si le ministre a commis un manquement à l’application régulière de la loi dans le cadre du processus décisionnel qui a mené au rejet des demandes de Island Timberlands. Dans leur plaidoirie lors de l’audition de la présente demande, et sans qu’ils ne soient pris au dépourvu, les avocats d’expérience agissant pour Island Timberlands et le ministre ont pleinement débattu la question.

 

 

 

 

III. Les événements ayant mené à la prise de décision contestée

A. La demande initiale de renseignements

[14]           Dans la présente instance, la preuve de Island Timberlands repose sur l’affidavit de son directeur, marketing et distribution, M. Richard Ringma qui travaille dans l’industrie du bois d’œuvre depuis 1972, et a occupé divers postes associés à la fabrication, au triage, au marketing et à la distribution du bois d’œuvre sur la côte de la Colombie-Britannique.

 

[15]           Le 29 août 2007, Richard Ringma a écrit le courriel ci-dessous à Mme Annick Lavoie, une commis au bureau du ministre : 

 

[traduction]

Annick,

Pourriez-vous s’il vous plaît me transmettre tout ce que vous avez sur les règles, règlements et procédures pour l’annonce de bois debout fédéral. Nous aimerions, à Island Timberlands, examiner cette option mais ne trouvons que peu de renseignements à ce sujet. Nous sommes reconnaissants pour l’assistance que vous pourrez nous offrir. 

Merci.

 

(dossier de demande, p. 90)

 

 

[16]           Le 19 septembre 2007, à 11 h 54, Richard Ringma a envoyé un courriel à Annick Lavoie et Mme Lynne Sabatino, directrice adjointe de la Division des contrôle à l’exportation : 

 

[traduction]

Annick, avez-vous réussi à me trouver quelque chose??

Merci

Richard

 

(dossier de demande, p. 90)

 

 

Dans sa réponse du 19 septembre 2007, à 14 h 55, Lynne Sabatino a écrit : 

                        [traduction]

Richard

Annick n’est pas au bureau aujourd’hui mais je m’attends à ce qu’elle soit de retour demain. Elle communiquera alors avec vous. 

Merci

Lynne

 

(dossier de demande, p. 90)

 

Immédiatement après sa réponse à Richard Ringma, à 14 h 56, Lynn Sabatino a envoyé un courriel à Annick Lavoie :

                        [traduction]

Annick

Je suppose que tous ces renseignements se trouvent dans l’Avis 102. 

Lynne

 

(dossier de demande, p. 91)

 

B. La réponse donnée

[17]           Le 20 septembre 2007, à 10 h 14, Annick Lavoie a envoyé le courriel qui suit à Richard Ringma:

[traduction]

Bonjour Richard,

La procédure et les règles pour l’annonce du bois debout fédéral sont les mêmes que celles relatives au bois récolté. Nous n’avons tout simplement pas eu la chance de mettre à jour l’Avis 102, ce qui sera fait très prochainement. 

Salutations,

Annick Lavoie

 

(dossier de demande, p. 92)

 

Le jour même, à 11 h 24, le courriel suivant a été envoyé par Mme Wendy Salloum, direction des ventes, Island Timberlands, à Annick Lavoie concernant l’utilisation du système de dépôt électronique du ministre : 

                        [traduction]

Bonjour Annick

Nous avons vérifié sur le site du CEED la façon de faire pour la publication d’annonce. Les écrans semblent très semblables à ce que nous utilisons normalement, sauf que sur l’écran ITEMS, lorsque nous choisissons la rubrique bois debout, les seules options possibles pour les régions forestières de la C.-B. sont Northern Interior & Southern Interior. Nous avons besoin de choisir notre région – Coastal. Que nous suggérez-vous de faire pour y arriver?

Merci

Wendy

 

(dossier de demande, p. 95)

 

 

Concernant le courriel de Wendy Salloum, Lynne Sabatino a écrit à Annick Lavoie, à

15 h 50 : 

                        [traduction]

Tu vois Annick, nous lui avons répondu [...] ne suis pas certaine de savoir quoi faire maintenant [...] communique avec le ministère des forêts et du territoire de la C.-B. Si nous autorisons l’annonce de bois debout pour la région côtière, je crois que nous serons dans le pétrin car personne ne pourra faire d’offres sur l’annonce et nous serons par la suite contraints de délivrer une lettre d’excédent qui pourrait possiblement viser des centaines de demandes de licence.

Lynne

 

(dossier de demande, p. 92)

 

[18]           Le 21 septembre 2007, Wendy Salloum à écrit le courriel suivant à Annick Lavoie : 

[traduction]

Bonjour Annick

Je me demande seulement si tu as réussi à trouver quelque chose pour moi? Richard a dit qu’il aimerait tenter de déposer lundi une demande pour l’annonce de bois debout.

Merci

Wendy

 

(dossier de demande, p. 95)

 

            C. La mesure prise sur le fondement de la réponse

[19]           Le 24 septembre 2007, par courriel, Island Timberlands a déposé trois demandes pour l’annonce de bois debout situé sur la côte. À 16 h 40, Mme Lynn King, direction des ventes, Island Timberlands, a envoyé à Annick Lavoie, Lynne Sabatino, Liliana Vaduva, Wendy Salloum, et Richard Ringma un courriel portant la mention « très important » dont voici le contenu :

                        [traduction]

Bonjour Annick

Je joins une lettre et trois demandes pour l’annonce de bois debout. S’il vous plaît, laissez-moi savoir si vous avez des questions concernant la présente annonce.

Merci

Lynn

 

(dossier de demande, p. 109)

 

La lettre jointe à l’envoi porte la date du 24 septembre 2007 :

                        [traduction]

À l’attention de : Annick Lavoie

Annonce pour le bois debout

 

Madame,

Je joins trois demandes pour l’annonce de bois debout.

Nous les déposons dans ce format car nous ne pouvons pour le moment choisir la région forestière de C.-B. qui nous convient  lorsque nous sélectionnons la rubrique relative aux annonces pour le bois debout dans le CEED.

 

Je vous invite à nous laisser savoir si vous avez besoin de renseignements additionnels concernant ces demandes.

 

À défaut de réponse de votre part, nous nous attendons à ce que les présentes demandes apparaissent sur la liste bimensuelle des annonces publiées à compter du 5 octobre 2007.

 

Merci

Lynn King

Direction des ventes

Island Timberlands

 

c.c. : Lynne Sabatino

        Wendy Salloum

         Richard Ringma

 

(dossier de demande, p. 110)

 

D. Délibérations par le ministre

[20]           Le 25 septembre 2007, un représentant du MAECI a discuté avec le ministère des forêts et du territoire de la Colombie-Britannique (MFT de C.-B.) pour déterminer si la politique de la Colombie-Britannique était toujours d’accueillir les demandes pour le bois debout émanant de la région intérieure mais non celles relative à la région côtière.

 

[21]           Le 25 septembre 2007, à 7 h 23, Annick Lavoie a envoyé un courriel à Lynne Sabatino portant la mention « très important » :

 

[traduction]

Lynne,

Nous devons faire quelque chose dès maintenant à ce sujet. Ils continuent d’insister pour le traitement de leur demande d’annonce pour le bois debout.

Salutations,

Annick Lavoie

 

(dossier de demande, p.115)

 

Lynne Sabatino a répondu à 9 h 24 :

                        [traduction]

Annick

Je comprends de l’Avis 102 qu’il y est mentionné que nous n’autoriserons pas l’annonce de bois debout, mais il semble que nous l’avons déjà fait par le passé de toute façon. Le bois se trouve-t-il sur la côte ou à l’intérieur?

S’il se trouve à l’intérieur, ne leur avons-nous pas dit que nous n’accepterions pas les annonces pour le bois debout qui s’y trouve?

Avez-vous parlé au MFT de C.-B.?

Lynne

 

(dossier de demande, p. 115)

 

Le 27 septembre 2007, après avoir confirmé la politique du MFT de C.-B. voici comment

Lynne Sabatino a agi, comme le démontre le contre-interrogatoire sur son affidavit déposé dans le cadre de la présente instance :

                    [traduction]

Q :  Très bien. Vous dites alors au paragraphe 20 de votre affidavit : « J’ai en conséquence commencé à écrire une lettre à Island Timberlands. »?

R :  Oui.

Q :  Cette lettre est par la suite devenue celle du 12 octobre 2007 rejetant ou transmettant la décision?

R :  Exact.

Q :  Et je suppose que l’intervalle entre le 27 septembre et le 12 octobre s’explique en partie du moins par le fait que vous avez dû faire monter l’affaire?

R :  Plusieurs personnes. 

Q :  Plusieurs personnes?

R :  Oui, monsieur. 

Q :  Cela est-il monté jusqu’au ministre?

R :  L’affaire s’est rendue jusqu’au Directeur des services juridiques.

 

(dossier de demande, p. 172)

 

[22]           Le 9 octobre 2007, Lynne Sabatino a reçu un courrier électronique de Richard Ringma se plaignant de la décision de ne pas annoncer le bois debout de la région côtière de la

Colombie-Britannique sur la liste fédérale bimensuelle du 5 octobre 2007 :

[traduction]

Lynne,

En parcourant vendredi après-midi (5 octobre 2007), la liste bimensuelle versée sur la page Web du MFT de C.-B., c’est avec incrédulité et consternation que je ne suis pas parvenu à retracer l’affichage des volumes et des lots de bois debout dont nous avons demandé l’annonce.

 

Nous avons clairement exprimé dans nos communications l’importance que cela représente pour notre entreprise et, par de multiples communications, nous avons offert tous les renseignements possibles que nous estimions nécessaires pour enclencher ce processus. Sachant que le CEED ne disposait pas présentement de la capacité pour traiter cette demande, nous l’avons transmise sur un formulaire 1718. Dans notre demande, nous vous avons clairement prié de nous aviser s’il y avait la moindre chance que ces demandes ne fassent pas partie de la liste du 5 octobre. À ce jour, nous n’avons reçu aucune demande de renseignements additionnels ni aucune indication selon laquelle ces demandes ne seraient pas publiées. 

 

Vous n’avez pas tenu compte de l’importance pour nous que vous agissiez avec diligence et nous en sommes offusqués. Parce que la présente demande n’a pu être traitée à l’intérieur de ce délai, nous subirons une variation de trésorerie négative de 2 300 000 $ pour 2007 et je rechercherai la responsabilité de ce flagrant mépris à l’endroit de notre demande au sein de votre ministère. 

 

Vous serait-il possible de trouver les raisons pour lesquelles les présentes demandes n’ont pas été affichées et de me les transmettre par écrit car on me demandera d’en répondre. Je vous remercie pour votre assistance dans ce dossier (sic). 

 

Salutations distinguées

Richard Ringma

 

(dossier de demande p. 51)

 

E. La décision du ministre

[23]           Le 12 octobre 2007, la décision rejetant les demandes de Island Timberlands a été formellement transmise à la société dans une lettre de Lynne Sabatino dont voici la teneur :

[traduction]

Cher M. Ringma

 

Je vous remercie pour votre courriel du 9 octobre 2007. 

 

Comme vous le savez, et tel qu’il en a été discuté avec vous, selon la politique du ministre, on ne peut accepter les demandes d’annonce pour le bois debout situé sur la côte. À cet égard, je vous invite à lire l’article A5 de l’avis aux exportateurs No 102, qui précise que seules les billes récoltées peuvent faire l'objet d'une demande d'exportation et, conséquemment par extension, les demandes d’annonce ne peuvent être acceptées qu’à l’égard des billes récoltées. 

 

Sans motifs importants, vous avez récemment présenté une requête pour vous soustraire à la présente politique. Nous n’avons pu prendre en compte votre requête car vous ne l’avez justifiée d’aucune manière. Il est regrettable que nous n’ayons pu vous transmettre notre décision par écrit avant la publication de la liste bimensuelle d’annonces en cause. Cependant, vos demandes ont seulement été présentées la veille de la date limite pour la présentation des demandes. Island Timberlands est au courant de la politique concernant les annonces pour le bois debout sur la côte. C’est seulement sur le fondement d’une évaluation du bien-fondé d’une requête précise à cet effet qu’un écart à la politique actuelle pourrait être autorisé.

 

Salutations distinguées,

Lynne C. Sabatino

 

[Non souligné dans l’original.]

(dossier de demande, p. 52)

 

Je conclus que ceci est la décision contestée dans la présente instance.

 

IV. Le déroulement de la présente instance

[24]           Dans ses observations écrites initiales, Island Timberlands a présenté deux motifs à l’appui de sa prétention que le ministre avait commis une erreur susceptible de contrôle en rejetant les demandes concernant le bois debout situé dans la région côtière : le pouvoir discrétionnaire du ministre a été indûment entravé, et la décision du 12 octobre a été rendue à l’encontre de l’attente légitime selon laquelle le processus décisionnel du ministre serait mis en branle promptement et se conclurait à temps pour une publication dans la liste bimensuelle du 5 octobre 2007. 

 

[25]           Durant la première des deux séances de l’audience de la présente instance, soit

le 22 septembre 2008, j’ai demandé comment Island Timberlands pouvait ne pas connaître la réponse à la question initiale soumise par M. Ringma, compte tenu de la longue expérience de la société dans l’industrie du bois en Colombie-Britannique. Comme le contrôle judiciaire est un recours discrétionnaire, je me suis dit préoccupé d’exercer mon pouvoir discrétionnaire à moins d’être convaincu de la légitimité des motifs à l’appui de la présente demande. Dans sa réponse, l’avocat de Island Timberlands a clairement indiqué que l’intention de Island Timberlands en contestant le processus décisionnel visé par le contrôle était de faire divulguer par le ministre la raison d’être de la politique, laquelle était demeurée secrète. Dans la mesure où l’absence de divulgation de la raison d’être de la politique peut être considérée comme un manquement à l’application régulière de la loi, l’avocat de Island Timberlands a demandé la possibilité de présenter une argumentation écrite et orale sur cette considération, ce qui lui a été accordé avec droit de réponse complet pour l’avocat du ministre.

 

[26]           Au terme de la première session, compte tenu des déclarations dans la lettre du 12 octobre, et en espérant le règlement à l’amiable de la présente instance, j’ai demandé à l’avocat du ministre de déterminer si ce dernier était disposé à expliquer la raison d’être de la politique actuelle et à donner à Island Timberlands l’occasion de faire valoir des modifications à la politique. Par lettre datée du 2 octobre 2008, l’avocat du ministre a répondu que la position du ministre consistait à demander une décision sur le bien-fondé des questions soulevées dans la documentation déposée, et qu’en conséquence, il refusait, en toute déférence, l’invitation de résoudre l’instance selon d’autres voies.

 

[27]           Lors de la deuxième session de l’audience le 25 novembre 2008, l’avocat de la demanderesse a soutenu que la réponse du ministre confirmait qu’il souhaitait garder secrète la raison d’être de la politique. À mon sens, la réponse du ministre n’étaye pas cet argument car j’estime que la question soumise et sa réponse ont été formulées sous toutes réserves.

 

V. Pourquoi le processus décisionnel du ministre à l’égard de la politique est-il inéquitable?

[28]           Initialement, Island Timberlands a soutenu que le rejet des demandes était inéquitable en raison de comportement adopté dans le cadre d’activités servant de prélude à la décision

du 12 octobre. En d’autres termes, le pouvoir discrétionnaire du ministre a été indûment entravé et a été exercé sur le fondement de considérations dénuées de pertinence en raison de consultations effectuées dans le contexte de la relation harmonisée avec les autorités de la Colombie-Britannique, et parce que le ministre considérait la politique comme obligatoire, et qu’il n’a pas, en conséquence, abordé directement l’objet du régime législatif qui vise à déterminer si le bois debout, en cause en l’espèce, est excédentaire. De plus, parce que les représentants du ministre n’ont pas rectifié les renseignements « erronés » fournis par Mme Lavoie, et qu’ils n’ont pas répondu aux demandes avant la date de publication réclamée, l’expectative légitime qu’entretenait Island Timberlands n’a pas été satisfaite. Je conclus que chacun de ces arguments n’est pas étayé par des éléments de preuve.

 

[29]           En ce qui concerne l’entrave au pouvoir discrétionnaire, j’accepte l’argument du ministre selon lequel aucune preuve n’étaye la prétention voulant que la mise en application de la politique fédérale par le ministre était assujettie à l’approbation de la Colombie-Britannique; c’est-à-dire que la relation entre les régimes fédéral et provincial n’est que complémentaire. En effet, sur la question du caractère obligatoire de l’application de la politique, je conclus que les demandes de Island Timberlands ont été dûment prises en considération et ont mené à une conclusion sur le fond, bien que cette conclusion n’était pas celle recherchée par Island Timberlands.

 

[30]           En ce qui concerne le défaut de satisfaire une expectative légitime découlant de la correspondance entre M. Ringma et les représentants du ministre, je conclus, après avoir procédé à une évaluation équitable, que les malentendus et la confusion sur la politique qui ont mené à l’absence de publication des demandes sont compréhensibles et qu’ils n’engagent aucune responsabilité en matière de contrôle judiciaire.

 

[31]           La question de M. Ringma exigeait une réponse autant à l’égard de la région côtière que de celle de l’intérieur de la Colombie-Britannique. Exception faite de l’assertion de Mme Sabatino dans sa lettre du 12 octobre selon laquelle M. Ringma connaissait la politique lorsqu’il a soumis la question pour le compte de Island Timberlands, aucune preuve n’est versée au dossier sur la teneur de sa raison d’être, sur le fait qu’elle a jamais été dévoilée au public, ou que Island Timberlands en avait connaissance. M. Ringma n’a pas été interrogé par l’avocat du ministre au sujet de sa preuve par affidavit.

 

[32]           Il n’est pas contesté que la question de M. Ringma a été mal interprétée; initialement, il semble que le représentant du ministre a cru qu’il ne demandait des renseignements que sur la région intérieure parce que les demandes d’exportation ne sont reçues que pour cette région à l’égard du bois debout. Compte tenu du fait que Island Timberlands était connue comme exportateur de la région côtière, il n’était pas déraisonnable d’arriver à cette conclusion. On peut  inférer que M. Ringma s’informait d’un sujet sur lequel il avait besoin de nouveaux renseignements.

 

[33]           Toutefois, il est vite devenu évident que Island Timberlands demandait des renseignements sur l’exportation de bois debout de la région côtière, car elle était sur le point de déposer une demande de licence à cet égard. Cette prise de conscience a causé des inquiétudes au premier échelon de l’appareil chargé de l’administration de la politique du ministre; à cet égard, le courriel de Mme Sabatino daté du 20 septembre est très important. La teneur de ce message exprimait la crainte que la bonne administration de la politique serait interrompue si la demande de Island Timberlands était accordée. Aucune preuve au dossier ne permet de donner un sens à la crainte exprimée par Mme Sabatino, mais il est évident que cette crainte était palpable. En conséquence, la stratégie sur la façon de traiter la demande de Island Timberlands a été transmise à un palier supérieur au directeur général dans le bureau du ministre. Compte tenu du besoin de consulter, je conclus que c’est à juste titre qu’aucune réponse ne pouvait être donnée sur l’acceptation ou le rejet des demandes avant la date d’annonce réclamée.

 

[34]           En conséquence, je conclus que la question à trancher en l’espèce porte sur l’argument additionnel avancé par Island Timberlands concernant l’équité de la décision du 12 octobre.

VI. La lettre du ministre datée du 12 octobre comme preuve du manquement à l’application régulière de la loi

[35]           Il est convenu que l’arrêt Congrégation des témoins de Jéhovah de St-Jérôme-Lafontaine c. Lafontaine (Village), [2004] 2 R.C.S. 650, au paragraphe 5, exige la prise en compte de

cinq facteurs pour parvenir à une conclusion en matière de manquement à l’application régulière de la loi :

Le contenu de l’obligation d’équité qui incombe à un organisme public varie en fonction de cinq facteurs : (1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi par l’organisme public pour y parvenir; (2) la nature du régime législatif et les dispositions législatives précises en vertu desquelles agit l’organisme public;

(3) l’importance de la décision pour les personnes visées; (4) les attentes légitimes de la partie qui conteste la décision; et (5) la nature du respect dû à l’organisme [...] 

 

 

 

[36]           En ce qui concerne le régime législatif, la nature de la décision et le processus décisionnel en cause, l’avocat du ministre avance deux arguments principaux. Premièrement, le pouvoir décisionnel du ministre est discrétionnaire et, en tant que tel, il commande le degré le plus élevé de retenue. Deuxièmement, l’obligation d’équité qui incombe au ministre à l’égard de Island Timberlands est très limitée. Même en se situant au degré le plus élevé de retenue et à celui le plus faible de l’application régulière de la loi, je répondrai à ces arguments en disant qu’il y a eu manquement à l’application régulière de la loi, compte tenu de l’importance pour Island Timberlands de la décision du 12 octobre et de l’absence de transparence, dans la forme et sur le fond, avec laquelle la décision a été rendue.

 

[37]           L’absence de déclaration publique du ministre portant sur la raison d’être de la politique constitue le facteur le plus important du caractère inéquitable du traitement accordé aux demandes de Island Timberlands. On trouve dans la décision du 12 octobre l’expression d’une expectative que Island Timberlands ignorait lors du dépôt des demandes. Cela est inéquitable. L’invitation du 12 octobre faite à Island Timberlands de soumettre des motifs pour s’écarter de la politique soulève à l’évidence une question : quelle est la valeur d’une demande de modification déposée dans l’ignorance de la raison d’être du maintien du statu quo? À mon avis, la réponse est « aucune valeur ». Aucune preuve au dossier n’étaye la raison d’être de la politique dans la cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, et aucune preuve n’étaye que la politique a été divulguée publiquement. Le manquement fondamental à l’application régulière de la loi en l’espèce repose sur l’absence de gestion par le ministre d’un processus transparent et valable permettant à Island Timberlands de soumettre une argumentation crédible pour l’octroi d’une licence d’exportation de bois debout dans la région côtière de la Colombie-Britannique. 

 

VII. Le manquement à l’application régulière de la loi donne-t-il ouverture à réparation?

[38]           L’avocat du ministre soutient que la présente demande est théorique parce que la date de l’annonce concernant les demandes de Island Timberlands est passée depuis longtemps. À mon avis, ce fait n’est pas pertinent pour déterminer si la décision du 12 octobre était entachée d’une erreur susceptible de contrôle.

 

[39]           Le fait que les demandes ont été rejetées après à la date d’annonce réclamée par

M. Richard Ringma est accessoire au point principal qui est, s’il n’y a pas rejet des demandes par le ministre, que ces demandes doivent toujours être adressées.

 

 

 

VIII. Conclusion

[40]           En raison d’un manquement à l’application régulière de la loi, je conclus que la décision contestée du 12 octobre 2007 est entachée d’une erreur susceptible de contrôle et qu’elle doit être annulée. En conséquence, je conclus qu’un nouvel examen des demandes, suivant certaines directives, répondra au besoin d’équité dans la prise d’une autre décision par le ministre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

 

En conséquence, j’annule la décision du ministre datée du 12 octobre 2007 et lui renvoie les demandes de Island Timberlands présentées le 24 septembre 2007 pour qu’il rende une nouvelle décision en suivant les directives suivantes :

 

1.         Dans un premier temps, le ministre énonce la raison d’être de la politique à Island Timberlands;

2.         Ensuite, le ministre fournit à Island Timberlands l’occasion de présenter une argumentation en vue de faire modifier la politique en ce qui a trait au processus décisionnel à l’égard de ses demandes; et,

3.         Après avoir pris en compte les demandes de Island Timberlands et son argumentation, le ministre décide d’accepter ou de rejeter les demandes, et il produit des motifs écrits de la décision rendue.

 

Vu qu’elle a eu gain de cause, les dépens en l’espèce sont adjugés à Island Timberlands.

 

 

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

 

Jean-Jacques Goulet, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        T-1900-07

 

INTITULÉ :                                       ISLAND TIMBERLANDS LP c.

                                                            LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 25 novembre 2008

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNNANCE :                    Le juge CAMPBELL

 

DATE DES MOTIFS ET                 

DE L’ORDONNANCE :                    Le 17 décembre 2008

 

COMPARUTIONS :

 

Geoff R. Hall

Orlando Silva

 

POUR LA DEMANDERESSE

Catherine Lawrence

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

McCarthy Tétrault s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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