Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

 

Date : 20090311

Dossier : IMM-2670-08

Référence : 2009 CF 254

Ottawa (Ontario), le 11 mars 2009

En présence de monsieur le juge Barnes

 

 

ENTRE :

MEI HUA LIN

demanderesse

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

 

[1]               Mei Hua Lin est une citoyenne de la Chine. Elle a demandé l’asile au Canada en alléguant qu’elle avait été persécutée parce qu’elle pratiquait la foi chrétienne et qu’elle risquait d’être persécutée encore si elle retournait en Chine. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a rejeté sa demande dans une décision rendue à Vancouver le 20 mai 2008. Mme Lin demande le contrôle judiciaire de cette décision.

 

I. Le contexte

[2]               Mme Lin est venue au Canada à partir de la province du Fujian. Elle est mariée et a un fils de sept ans. Son époux et leur fils sont toujours en Chine. Elle a quatre ans de formation scolaire et ses compétences en lecture et en écriture sont minimes.

 

[3]               Ce n’est qu’en 2006 que Mme Lina a commencé à fréquenter une église protestante clandestine locale. Elle a expliqué qu’elle avait été troublée par une terrible prophétie au sujet de son fils, qu’une diseuse de bonne aventure de la région avait racontée à son beau-père. Il semble que son exposition au christianisme l’a réconfortée.

 

[4]               Mme Lin a été initiée au christianisme par un ami qui fréquentait l’église clandestine locale. On a dit à Mme Lin que la pratique de cette religion était illégale, mais qu’elle n’avait pas à s’inquiéter parce qu’une sentinelle faisait toujours le guet pendant l’office religieux.

[4]

[5]               Mme Lin a expliqué à la Commission que le 26 août 2006, le Bureau de la sécurité publique (le BSP) (la police) a effectué une descente à l’église. Elle se trouvait dans la cour arrière au moment de la descente et, pendant l’agitation qui a suivi, elle a réussi à s’enfuir de l’endroit avec plusieurs autres membres de l’assemblée des fidèles.

 

[6]               Mme Lin n’est pas retournée à la maison. Elle a déclaré que son époux lui a dit que la police était passée à la maison à sa recherche. Elle a aussi appris que cinq membres de l’église avaient été arrêtés. Avec l’aide de son époux et d’un passeur, Mme Lin s’est rendue à Vancouver. Elle habite maintenant à Toronto, où elle est une membre active de l’assemblée des fidèles protestants.

 

[7]               Mme Lin a témoigné qu’elle parle à son époux tous les mois. Il lui a dit que la police lui rend visite tous les deux ou trois mois pour lui demander où se trouve son épouse. Au moment où l’audience de la Commission a eu lieu en février 2008, Mme Lin croyait que les cinq membres de l’église qui avaient été arrêtés étaient toujours détenus. Elle a déclaré qu’elle subirait le même sort si elle retournait en Chine.

 

La décision de la Commission

[8]               La Commission a conclu que l’allégation de crainte fondée de persécution en Chine de Mme Lin n’était pas crédible. Elle a aussi conclu que son témoignage ne cadrait pas avec la preuve documentaire objective sur le pays. Cependant, la décision ne comporte aucune mention selon laquelle la Commission avait des réserves au sujet du témoignage de Mme Lin portant sur la descente policière à son église ou sur l’arrestation de cinq des membres de l’assemblée des fidèles.

 

[9]               La Commission a aussi conclu, selon la prépondérance de la preuve, que les autorités ne cherchaient plus Mme Lin et qu’elles ne s’intéresseraient plus à elle si elle retournait en Chine. Cette conclusion était fondée sur l’examen de la Commission des preuves documentaires sur le pays, qui révélaient que l’arrestation de fidèles chrétiens était plutôt rare. Une partie de cette preuve donnait à penser qu’un certain niveau de tolérance ou d’indifférence commençait à paraître en Chine en raison de l’augmentation du nombre de chrétiens. Cela a porté la Commission à conclure que la persécution éventuelle de Mme Lin n’était qu’une simple possibilité.

 

[10]           La Commission a résumé son analyse de la crédibilité dans le passage suivant :

Dans le même rapport, il est indiqué que la province où vivait la demandeure d’asile, à savoir le Fujian, de même que le Guangdong, appliquait « la politique la plus libérale de la Chine en matière de religion, particulièrement en ce qui concerne le christianisme ». Il est également souligné que les arrestations visaient principalement des groupes comme les Crieurs et l’Éclair de l’Orient (considérés comme « hérétiques » par de nombreux chrétiens). Je suis dans l’impossibilité d’établir une correspondance entre les allégations de la demandeure d’asile selon lesquelles cinq membres de sa petite église sont toujours détenus, et les documents objectifs sur le pays qui laissent entendre que, selon toute vraisemblance, dans les cas où de simples membres d’une église sont détenus, ils obtiennent rapidement leur libération.

 

[Notes omises.]

 

 

II. La question en litige

[11]           L’analyse de la crédibilité de la Commission était-elle raisonnable?

 

III. Analyse

[12]           L’analyse de la crédibilité de la Commission comporte l’appréciation et le choix de la preuve, et la norme applicable à cette analyse est la raisonnabilité : voir Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, au paragraphe 47; Sukhy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 427, [2008] A.C.F. no 515, au paragraphe 15.

 

[13]           Je relève des problèmes importants dans l’approche de la Commission quant à la question du fondement de la crainte de persécution de Mme Lin. Il n’y a aucune conclusion précise dans la décision au sujet de la véracité du récit de la demanderesse portant sur la descente policière à son église et sur l’arrestation initiale de cinq des fidèles. À l’évidence, la Commission a jugé douteux que les gens qui ont été arrêtés étaient « toujours détenus », mais elle a tiré cette conclusion à partir des rapports sur la situation du pays, qui révélaient que lorsque des membres d’une assemblée de fidèles étaient détenus, ils étaient généralement libérés rapidement. Bien entendu, cela donne à penser que la Commission n’a pas conclu que l’arrestation et la détention relativement courte des chrétiens en Chine constituait une forme de persécution religieuse. Si c’était là le point de vue de la Commission, elle avait tort.

 

[14]           L’observation de la Commission, selon laquelle elle ne pouvait pas faire concorder cette partie du témoignage de Mme Lin avec la preuve documentaire sur la situation du pays, constitue aussi une erreur de logique. Bien que la preuve documentaire sur la situation du pays faisait état de l’augmentation de la tolérance envers le christianisme en Chine, cette preuve montrait aussi que cette tolérance était inégale et fondée sur l’attitude des autorités locales. La Commission était saisie d’un ensemble de preuve qui montrait que, par moments, les fidèles chrétiens étaient traités durement en Chine. Il s’agissait donc d’une erreur de la part de la Commission que de conclure que le récit de Mme Lin ne correspondait pas à la preuve documentaire sur la situation du pays, parce qu’une partie de cette preuve concordait avec son récit portant sur les risques.

 

[15]           Pour que la Commission puisse se fonder de façon juste sur la preuve générale portant sur la diminution du risque de persécution religieuse en Chine, il était essentiel qu’elle tire des conclusions précises au sujet de la véracité du récit de Mme Lin sur la descente policière à son église. Elle était tenue de le faire parce qu’elle devait examiner le risque général pour les chrétiens en Chine en fonction du profil particulier de Mme Lin, y compris ses antécédents avec les autorités. Il n’était pas suffisant pour la Commission de conclure que les cas de persécution de chrétiens sont maintenant rares, alors que les autorités dans la collectivité de Mme Lin avaient fait preuve de persécution, comme le démontrait leur comportement envers Mme Lin et les autres fidèles de son église. Elle pouvait personnellement faire face à un risque accru, ce qui distingue son cas de la norme statistique en Chine, et il était erroné de la part de la Commission de ne pas avoir tiré une conclusion déterminante à ce sujet. De plus, la conclusion selon laquelle les autorités locales ne s’intéresseraient plus à Mme Lin ne constituait pas une réponse complète. La Commission devait se demander si, compte tenu de sa situation particulière, Mme Lin risquait d’être persécutée si elle retournait en Chine et qu’elle continuait ses pratiques religieuses.

 

[16]           Je suis convaincu que la décision de la Commission en l’espèce est déraisonnable pour les motifs susmentionnés. Par conséquent, la décision de la Commission sera annulée. La demande d’asile de Mme Lin doit être examinée sur le fond par une formation différemment constituée de la Commission.

 

[17]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et aucune question d’importance générale ne se pose ici.


JUGEMENT

            LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l’affaire soit renvoyée à une formation différemment constituée de la Commission pour nouvel examen.

 

 

 

« R. L. Barnes »

Juge

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Evelyne Swenne, traductrice

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-2670-08

 

INTITULÉ :                                       Lin

                                                            c.

                                                            MCI

 

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 27 janvier 2009

 

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                              Le juge Barnes

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 11 mars 2009

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Shelley Levine

416-364-2345

 

POUR LA DEMANDERESSE

Gordon Lee

416-973-1331

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Levine Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.